Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (187)
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : L'assassinat de Philippe Daudet (II)...
---------------
ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
De "Député de Paris" :
1. Page 194 :
"...Il était difficile, pour des raisons que j'ai déjà dites, de "m'avoir" à la Berton, dont le procès était annoncé pour décembre; il était malaisé aussi, vu mon humeur naturelle bien connue, vu aussi la vigilance et le dévouement de ma femme et de mes amis, sans compter la surveillance des Camelots du Roi, de me fabriquer un suicide sur mesure.
Mais Philippe étant fugueur, on pouvait, en exploitant sa passion politique et son ardent désir de venger son ami Plateau, l'attirer dans un guet-apens, le tuer, faire disparaître son cadavre et imaginer ensuite à son "suicide" une raison monstrueuse, à laquelle j'aurais été mêlé (Daudet pornographe, "L'Entremetteuse", brochure Trochu, affiches infâmes, imprimées à "L'Ouest-Éclair" etc... etc...).
Toute l'origine du drame est là..."
2. Page 196 :
"...Le mardi 20 novembre 1923, l'aîné de mes trois enfants, notre bien-aimé petit Philippe, âgé de quatorze ans et demi, grand pour son âge, et qui en paraissait seize, mais pas davantage, quittait la maison paternelle, comme d'habitude chaque matin, pour aller à l'école Bossuet.
Il n'y devait revenir que le mardi suivant, dans un cercueil.
Une mise en scène, imaginée par les chefs de la Sûreté générale, agenciers de ce crime atroce, le donnait comme s'étant suicidé dans un taxi appartenant à un chauffeur du nom de Bajot, auquel il était censé avoir fait signe le samedi 24 novembre, place de la Bastille, en lui donnant comme adresse "Cirque Médrano". Le suicide aurait eu lieu vers le numéro 124, boulevard Magenta.
Après la constatation de deux agents, le petit moribond avait été conduit, à deux pas de là, à l'hôpital Lariboisière, où il avait expiré à six heures un quart.
C'est là que sur la demande de ma femme, saisie d'un pressentiment maternel à la lecture d'une nouvelle en deux lignes du "Petit Parisien", relatant le suicide d'un jeune garçon dans un taxi, le Dr Lucien Bernard, médecin de l'enfant et notre ami, alla le reconnaître le dimanche.
Je le reconnus, moi, en compagnie de notre frère Maurras, le lundi.
La plus pathétique affaire de police et de justice que le temps contemporain ait connue commençait.
Nous ne devions atteindre à la vérité totale que par étapes et par nos propres moyens. La justice officielle fit tout pour nous entraver, exactement TOUT..."
3. La thèse officielle (ici résumée à grands traits) de ce qui s'est passé pendant ces cinq jours, a au moins l'intérêt de laisser entrevoir un peu de ce qui s'est - peut-être - passé, pendant ces cinq jours de disparition : mardi et mercredi, voyage au Havre, dans le but de prendre le bateau pour le Canada; retour à Paris; là, Philippe Daudet se serait présenté sous un faux nom à Georges Vidal, l’administrateur du "Libertaire" (quotidien anarchiste), le jeudi 22 novembre 1923.
Il lui aurait confié sa sympathie pour l’anarchisme, et fait part de son intention de commettre un attentat contre Raymond Poincaré (président du Conseil), ou Alexandre Millerand (alors président de la République).
Le lendemain, vendredi 23, il serait revenu et aurait reformulé ses désirs d’assassinat politique à Le Flaoutter, libraire anarchiste, pornographique et indicateur de police.
Mais, comme par hasard (et comme c’est curieux !…) Le Flaouter est l'ancien amant de Germaine Berton, autre militante anarchiste, qui a assassiné Marius Plateau le 22 janvier précédent, ne réussissant à tuer ni Maurras ni Daudet.
Le Flaouter aurait tenté de dissuader le jeune garçon, qu'il prétendait ne pas connaître, lui demandant de revenir dans l’après-midi, et aurait profité de ce laps de temps pour prévenir le Contrôleur Général Lannes, beau-frère de Poincaré, de la Sûreté Générale, des intentions de ce "curieux jeune homme".
Ce qui est sûr, dans cette "version", c'est que, le 24 novembre 1923, vers 16 heures, le taxi 7.657 E, dans lequel se trouve Philippe Daudet, s’arrête brusquement sur le boulevard Magenta, à hauteur du 126 : le chauffeur prétend qu'il s'est arrêté après avoir entendu un coup de feu.
Il déclare constater que son client a été atteint d’une balle à la tête. Il le conduit à hôpital Lariboisière, où Philippe Daudet décède deux heures plus tard...
Restent de nombreuses questions : exalté et généreux, sûrement; inconscient des dangers, tout aussi sûrement, comment et pourquoi Philippe Daudet est-il parti de chez lui pour - au lieu de se rendre à son école, et après le "crochet" du Havre - être allé se jeter, seul, à quatorze ans, dans la gueule d'un loup évidemment bien trop fort pour lui, frêle adolescent qu'il était ?
S'y est-il rendu tout de suite, et a-t-il été séquestré/manipulé jusqu'au samedi ?
Ou, au contraire, est-il librement - comme un ado en fugue - allé, venu, revenu, pendant deux, trois jours ?
Et, surtout, quel but se proposait-il, en se rendant dans ce lieu glauque et ce milieu interlope ?
Plusieurs mystères enveloppent, pour toujours, l'assassinat de Philippe Daudet...