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Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (146)

 

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 (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Aujourd'hui : "Avec Clemenceau" : évident, mais pas facile (II)...

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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...

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Clemenceau en 1914, par Gabriel Biessy, Musée de Saint-Vincent du Jard

 

De "La pluie de sang", débuts du chapitre IX, pages 233 à 243 (deuxième partie, pages 237/238/239) :

"...On ne peut pas affirmer de Clemenceau qu'il connût les hommes, car il commettait des erreurs formidables. Il découvrit ce pauvre Loucheur, qui était un type tout à fait léger et inconsistant, que la faveur du maître, alors au faîte de sa puissance, acheva de tournebouler.
On ne peut pas affirmer de Clemenceau qu'il ne connût pas les hommes, car il eut comme chef de cabinet et lança politiquement M. Georges Mandel, qui est une intelligence politique de premier plan, la première du Parlement et de beaucoup.
Clemenceau aimait les idées, même fausses (je dirais de préférence fausses, mais cela tenait à sa génération et à sa formation, matérialiste et romantique évolutive), pourvu qu'elles se présentassent vigoureusement.
Il était homme de lettres jusqu'au bout des griffes, quinteux et variable comme tous ses pareils.
Sa philosophie du monde et des êtres était à la fois courte et meublée.
Avec tout cela, cette Providence, dont les desseins sont insondables, a fait de lui, pendant un an, l'instrument incontestable de notre salut.
Dans les tournants difficiles, en paix comme en guerre (mais surtout en guerre), il importe de placer aux postes de direction des hommes qui aient une réputation d'implacabilité, voire de férocité. Leur légende fait la moitié de leur besogne. Cela suffit déjà à inhiber les mauvais citoyens.
Avant que Clemenceau eût commencé à rugir, Caillaux et Malvy faisaient déjà dans leurs pantalons respectifs; et toutes leurs créatures, les voyant dans cet état, gâtaient leurs chausses.
Le même fait (voir "Sylla et son destin") s'était produit à Rome quatre-vingts ans environ avant N.S. Jésus-Christ, dans une phase critique fort analogue à celle de 1917-1918, chez nous, sauf que Lucius Cornelius avait un génie clair et réactionnaire, qui dépassait de beaucoup le génie trouble et romantico-révolutionnaire de Clemenceau.
Il savait que l'homme d'action, pour remplir son but, doit d'abord réaliser sa légende. Ainsi proscrivit-il comme on pensait qu'il proscrirait, et attribua-t-il aux combattants les biens des proscrits, conformément à l'espérance des combattants.
Lecteur et admirateur de Renan, de Quinet, de Michelet, de Hugo, Clemenceau eût cru qu'il était indigne de lui de procéder de la sorte. Il eût redouté l'accusation de tyrannie, l'exercice de la véritable dictature. Il croyait (même à ce moment-là) que l'autorité est un opprobre (indispensable à certaines heures) mais inférieur, en son essence, à cette pure merveille qu'est la liberté.
Alors que l'autorité est quelque chose de beau et de plus beau - parce que plus difficile - que le laisser faire.
Grand humain, Clemenceau était-il assez grand humaniste (je veux dire d'un humanisme incorporé aux moelles) pour sacrifier à la réalité politique son bagage hugolâtre, micheletique, renanien ?
Il lui manquait ce sens classique, que rien ne remplace, pour l'action concertée.
Il fut sublime dans l'improvisation. Aussi l'histoire sera-t-elle assez embarrassée devant le jugement définitif à porter sur son gouvernement, lequel, comme un supplice célèbre, commença bien et finit mal.
Il n'alla pas, dans le bouleversement de son Capharnaüm intérieur, dans sa métamorphose soudaine, jusqu'à consulter le seul homme vivant capable de dominer, à la française, la situation européenne et de tirer les fruits de la victoire, jusqu'à accepter le moderne Richelieu. J'ai nommé Charles Maurras.
La superstition démoc-soc est quelque chose de comiquement tenace.
C'est pour lui obéir que Clemenceau, appelé en suprême recours et à la dernière minute, conserva un Parlement déshonoré, sottement discutailleur, farci de mauvais Français et même de mauvais bougres, qui décuplait les difficultés de tout; un Parlement acharné à ces comités secrets, dont le secret, grâce à Turmel et à ses émules, sautait aussitôt les frontières; un Parlement où les trembleurs et les paniquards reprenaient le dessus, aussitôt que, sur le front, les alliés fléchissaient et que l'ennemi gagnait du terrain; tellement impopulaire que des gens crachaient en passant devant ses grilles (j'ai été témoin du fait) et que sa fermeture eût soulevé, dans la nation, des transports d'enthousiasme.
Chacun étant persuadé, avec raison, qu'il était le principal obstacle à la délivrance de nos dix départements envahis et à la victoire.
Quant à la faiblesse foncière de ces cinq cents et quelques aboyeurs et palabreurs, nous avions pu la mesurer exactement quand nous avions foncé, du dehors, sur les chefs redoutés de la majorité radicale-socialiste - sur Caillaux et sur Malvy - sans que cette majorité osât même tenter quoi que ce fût de sérieux contre nous.
Quelle bande de chiens !..."

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