Feuilleton : "Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu"... : Léon Daudet ! (46)
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Aujourd'hui : Pierre de Nolhac...
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ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...
Pierre de Nolhac (1859-1936), conservateur du musée de Versailles, par Henri Girault de Nolhac...
De "L'Entre-Deux-Guerres", pages 103/104/105 :
"... Les méandres du souvenir me ramènent à Lobre, à Versailles et, par Versailles, à Pierre de Nolhac qui est, comme le serpent de Kipling, le gardien des trésors de la cité du roi.
Mais Pierre de Nolhac n'a rien d'un serpent. C'est une belle, droite et claire nature, un érudit, un grand humaniste de la Renaissance et qui garde, derrière ses lunettes, un visage étonnamment jeune et souriant.
Il sait, il sent et il comprend. Il comprend, il sent et il sait. Puis il exprime et il découvre.
Je n'ai pas connu d'homme plus subtil, plus apte à discerner l'important du secondaire, le principal de l'accessoire, le chef entre ses compagnons, l'original entre ses copies, la pensée maîtresse entre ses transformations.
C'est un ami de l'ordre, de la hiérarchie, de la mesure, de la nuance. Il dit plaisamment : "Je suis un fanatique de la modération."
Conservateur du Palais de Versailles, il a créé le musée de Versailles et il a ranimé Versailles, les jardins, les appartements, l'ambiance.
Il y fallait du goût, de la persévérance et de la bravoure. Il n'en manquait pas.
J'ai gardé, pour la fin, sa vraie définition.
Nolhac est poète, profondément poète, et il a été, par moments, grand poète.
Telle pièce de lui demeurera. C'est le précepte d'Eumolpe au festin de Trimalcion :
"Ut cortina sonet, celeri distincta meatu."
Le trépied de Nolhac résonne juste. Voici le vers classique, sobre et fort, tel que l’ont forgé Villon, Malherbe, Ronsard et Racine, qui en dit assez, qui ne dit pas tout, qui laisse entendre, une marge pour le rêve.
Avez-vous l’horreur du verbiage, surtout rythmé ? Le plus ingénieux, le plus primesautier m’ennuie, me lasse, me dégoûte. Nous avons maintenant des faiseurs et des faiseuses de vers qui en pondent des centaines à l’heure, comme des œufs de mouches, qui donnent l’impression qu’ils et qu’elles pourraient en pondre des milliers, des dizaines, des centaines de milliers.
C’est le triomphe de la sauce sur le poisson, du bavardage sur la sensation vraie, de la sensation sur le sentiment, du sentiment sur la pensée. C’est le renchérissement en partant du bas, je veux dire des régions indistinctes et troubles de l’instinct. C’est l’épanchement du moi à jet continu, un pauvre petit moi rabougri, mais plein d’un pâle et intarissable jus du contentement de soi-même. Tout doit passer par la filière de ce moi éternellement ressassé : la Grèce, l’Italie, la vieille France, la Révolution, ses dates anniversaires et aussi la Perse, l’Égypte, l’Inde… et avec ça, madame ?..."