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Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (31)

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Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.

(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Aujourd'hui : la bataille de Waterloo, comme Chateaubriand l'a "entendue", de loin; et la seconde abdication de Napoléon...

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"Quelle fut la bataille de Waterloo"...

 

Chateaubriand est à Gand, auprès de Louis XVIII, durant les Cent Jours. Il se promène "sur la grande route"; il entend, au loin, l'écho d'une bataille : c'est Waterloo...

Des Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, Tome I, Livre XXIIIème,, chapitre XVI, pages 962/963/964 :

"Le 18 juin 1815, vers midi, je sortis de Gand par la porte de Bruxelles; j'allais seul achever ma promenade sur la grande route. J'avais emporté les Commentaires de César et je cheminais lentement, plongé dans ma lecture. J'étais déjà à plus d'une lieue de la ville, lorsque je crus ouïr un roulement sourd : je m'arrêtai, regardai le ciel assez chargé de nuées, délibérant en moi-même si je continuerais d'aller en avant ou si je me rapprocherais de Gand dans la crainte d'un orage. Je prêtai l'oreille; je n'entendis plus que le cri d'une poule d'eau dans des joncs et le son d'une horloge de village.
Je poursuivis ma route : je n'avais pas fait trente pas que le roulement recommença, tantôt bref, tantôt long et à intervalles inégaux; quelquefois, il n'était sensible que par une trépidation de l'air, laquelle se communiquait à la terre sur ces plaines immenses, tant il était éloigné. Ces détonations, moins vastes, moins onduleuses, moins liées ensemble que celles de la foudre, firent naître dans mon esprit l'idée d'un combat.
Je me trouvais devant un peuplier planté à l'angle d'un champ de houblon. Je traversai le chemin et je m'appuyai debout contre le tronc de l'arbre, le visage tourné du côté de Bruxelles. Un vent de sud s'étant levé m'apporta plus distinctement le bruit de l'artillerie. Cette grande bataille, encore sans nom, dont j'écoutais les échos au pied d'un peuplier, et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues, était la bataille de Waterloo !
Auditeur silencieux et solitaire du formidable arrêt des destinées, j'aurais été moins ému si je m'étais trouvé dans la mêlée : le péril, le feu, la cohue de la mort ne m'eussent pas laissé le temps de méditer; mais seul sous un arbre, dans la campagne de Gand, comme le berger des troupeaux qui paissaient autour de moi, le poids des réflexions m'accablait.
Quel était ce combat ? Était-il définitif ? Napoléon était-il là en personne ? Le monde, comme la robe du Christ, était-il jeté au sort ? Succès ou revers de l'une ou de l'autre armée, quelle serait la conséquence de l'évènement pour les peuples, liberté ou esclavage ?
Mais quel sang coulait ! chaque bruit parvenu à mon oreille n'était-il pas le dernier soupir d'un français ? Était-ce un nouveau Crécy, un nouveau Poitiers, un nouvel Azincourt, dont allaient jouir les plus implacables ennemis de la France ? S'ils triomphaient, notre gloire n'était-elle pas perdue ? Si Napoléon l'emportait, que devenait notre liberté ? Bien qu'un succès de Napoléon m'ouvrît un exil éternel, la patrie l'emportait dans ce moment dans mon coeur; mes voeux étaient pour l'oppresseur de la France, s'il devait, en sauvant notre honneur, nous arracher à la domination étrangère.
Wellington triomphait-il ? La légitimité rentrerait donc dans Paris derrière ces uniformes rouges qui venaient de reteindre leur pourpre au sang des Français ! La royauté aurait donc pour carrosses de son sacre les chariots d'ambulances remplis de nos grenadiers mutilés ! Que sera-ce d'une restauration accomplie sous de tels auspices ?...
Ce n'est là qu'une bien petite partie des idées qui me tourmentaient. Chaque coup de canon me donnait une secousse et doublait le battement de mon coeur. À quelques lieues d'une catastrophe immense, je ne la voyais pas; je ne pouvais toucher le vaste monument funèbre croissant de minute en minute à Waterloo, comme du rivage de Boulaq, au bord du Nil, j'étendais vainement mes mains vers les Pyramides.
Aucun voyageur ne paraissait, quelques femmes dans les champs, sarclant paisiblement des sillons de légumes, n'avaient pas l'air d'entendre le bruit que j'écoutais. Mais voici venir un courrier : je quitte le pied de mon arbre et je me place au milieu de la chaussée; j'arrête le courrier et l'interroge. Il appartenait au duc de Berry et venait d'Alost..."

 

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Seconde abdication de Napoléon

 

"...Le 19 juin cent coups de canon des Invalides avaient annoncé les succès de Ligny, de Charleroi, des Quatre-Bras; on célébrait des victoires mortes la veille à Waterloo. Le premier courrier qui transmit à Paris la nouvelle de cette défaite, une des plus grandes de l’histoire par ses résultats, fut Napoléon lui-même : il rentra dans les barrières la nuit du 21 : on eût dit de ses mânes revenant pour apprendre à ses amis qu’il n’était plus. Il descendit à l’Élysée-Bourbon : lorsqu’il arriva de l’île d’Elbe, il était descendu aux Tuileries; ces deux asiles, instinctivement choisis, révélaient le changement de sa destinée.

Tombé à l’étranger dans un noble combat, Napoléon eut à supporter à Paris les assauts des avocats qui voulaient mettre à sac ses malheurs : il regrettait de n’avoir pas dissous la Chambre avant son départ pour l’armée; il s’est souvent aussi repenti de n’avoir pas fait fusiller Fouché et Talleyrand. Mais il est certain que Bonaparte, après Waterloo, s’interdit toute violence, soit qu’il obéît au calme habituel de son tempérament, soit qu’il fût dompté par la destinée; il ne dit plus comme avant sa première abdication : "On verra ce que c’est que la mort d’un grand homme." Cette verve était passée. Antipathique à la liberté, il songea à casser cette Chambre des représentants que présidait Lanjuinais, de citoyen devenu sénateur, de sénateur devenu pair, depuis redevenu citoyen, de citoyen allant redevenir pair...

...Bonaparte, prévoyant l’événement, vint au-devant de la sommation qu’on se préparait à lui faire; il abdiqua pour n’être pas contraint d’abdiquer : "Ma vie politique est finie, dit-il : je déclare mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des Français." Inutile disposition, telle que celle de Charles X en faveur de Henri V : on ne donne des couronnes que lorsqu’on les possède, et les hommes cassent le testament de l’adversité. D’ailleurs l’empereur n’était pas plus sincère en descendant du trône une seconde fois qu’il ne l’avait été dans sa première retraite; aussi, lorsque les commissaires français allèrent apprendre au duc de Wellington que Napoléon avait abdiqué, il leur répondit : "Je le savais depuis un an."

La Chambre des représentants, après quelques débats où Manuel prit la parole, accepta la nouvelle abdication de son souverain, mais vaguement et sans nommer de régence.

Une commission exécutive est créée : le duc d’Otrante la préside; trois ministres, un conseiller d’État et un général de l’empereur la composent et dépouillent de nouveau leur maître : c’était Fouché, Caulaincourt, Carnot, Quinette et Grenier...

...Une députation de la Chambre des représentants étant venue le féliciter sur sa nouvelle abdication, il répondit : "Je vous remercie : je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France; mais je ne l’espère pas."

Il se repentit bientôt après, lorsqu’il apprit que la Chambre des représentants avait nommé une commission de gouvernement composée de cinq membres. Il dit aux ministres : "Je n’ai point abdiqué en faveur d’un nouveau Directoire; j’ai abdiqué en faveur de mon fils : si on ne le proclame point, mon abdication est nulle et non avenue. Ce n’est point en se présentant devant les alliés l’oreille basse et le genou en terre que les Chambres les forceront à reconnaître l’indépendance nationale."...

...Des plénipotentiaires furent envoyés aux alliés. Napoléon requit le 29 juin deux frégates, stationnées à Rochefort, pour le transporter hors de France; en attendant il s’était retiré à la Malmaison...

...L’aide de camp Flahaut voulut soutenir le rapport du ministre de la guerre; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : "Je le répète, vous n’avez d’autre voie de salut que la négociation. Il faut que vous rappeliez les Bourbons. Quant à moi, je me retirerai aux États-Unis."

À ces mots, Lavallette et Carnot accablèrent le maréchal de reproches; Ney leur répondit avec dédain : "Je ne suis pas de ces hommes pour qui leur intérêt est tout : que gagnerai-je au retour de Louis XVIII ? d’être fusillé pour crime de désertion ; mais je dois la vérité à mon pays."...

Tandis que Bonaparte se retirait à la Malmaison avec l’Empire fini, nous, nous partions de Gand avec la monarchie recommençante. Pozzo, qui savait combien il s’agissait peu de la légitimité en haut lieu, se hâta d’écrire à Louis XVIII de partir et d’arriver vite, s’il voulait régner avant que la place fût prise : c’est à ce billet que Louis XVIII dut sa couronne en 1815. (Mémoires d'Outre-Tombe, Garnier, (Tome 4, Livre V)

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