L'Hommage au "Colonel Armand"...
Comme chaque année, nos amis Bretons ont rendu hommage au Marquis Armand Tuffin de la Rouërie, dit "Colonel Armand". Et, comme chaque année, lafautearousseau est heureux et fier d'être aux côtés de ses amis Bretons et d'apporter sa modeste contribution à cet hommage à cet hommage.
Voici - envoyés par nos amis - quelques photos accompagnant le compte-rendu de la cérémonie ainsi que les paroles qui ont été prononcées ce lundi 30 janvier à La Guyomarais, autour de la sépulture du Marquis...
Portrait d'Armand Tuffin de La Rouërie, huile sur toile de Charles Willson Peale, 1783, Philadelphia History Museum at the Atwater Kent
Hommage au "Colonel Armand", Armand Tuffin de La Rouërie
Chaque année les Bretons se retrouvent à La Guyomarais, paroisse de Saint-Denoual, en ce lieu où le 30 janvier 1793 le Marquis de La Rouërie s’est éteint, terrassé par la maladie et la nouvelle de la mort de son Roi alors qu’il préparait par son Association Bretonne le juste combat qu’il avait résolu de mener pour le rétablissement de l’autorité royale préalable à celui des libertés de la Bretagne au travers de ses Etats et de son Parlement.
Notre hommage a été ponctué par les hymnes traditionnels de notre Province, dont la Marche de Cadoudal, interprétés par deux bombardes, un biniou kozh et une cornemuse, au pied du drapeau blanc fleurdelisé de la Vieille France et blanc à croix noir de la Bretagne.
Il a été donné lecture du beau texte gravé sur la stèle, offerte par le Gouvernement des USA en l’honneur du Colonel Armand, en français par Florence de l’association des Filles de la Révolution Américaine, en anglais par Childéric.
L’hommage qui s’en suivit portait sur les rapports entre la France et la Bretagne dans les manifestes de l’Association Bretonne et les écrits et pouvoirs des Princes émigrés. Ils témoignent d’une Bretagne désireuse de rétablir ses droits historiques par la restauration de l’autorité royale. C’est dire qu’il n’y a nul antagonisme entre la Monarchie française et la Bretagne conçue comme une nation libre mais entièrement partie prenante de la France. La poursuite de cette conception des rapports entre la France et ses Provinces aux XIXème et XXème siècles a été évoquée au travers de l’oeuvre de Charles Le Goffic pour la Bretagne et de Frédéric Mistral et Charles Maurras pour la Provence.
Puis l’assistance s’est déployée autour de la sépulture du Marquis, dans la clairière où il repose. Un bouquet de roses blanches déposé contre les pierres et deux ou trois airs aux bombardes, biniou et cornemuse avant de nous séparer.
Texte de l'allocution :
Nous sommes ici, jour anniversaire de la mort du Marquis de La Rouërie le 30 janvier 1793 pour lui rendre hommage.
Nous y associons ses compagnons, dont certains vivaient paisiblement en ces lieux, qui furent condamnés à mort par le Tribunal criminel extraordinaire (dit révolutionnaire) établi par la Loi du 10/03/1793.
Par arrêt du 18/06/1793, douze condamnations à mort furent prononcées :
• Joseph de La Guyomarais
• Mme Marie-Jeanne de La Guyomarais née Micault de Mainville
• Alexandre de La Chauvinais, Précepteur des enfants
• Jean Vincent, de l’Association Bretonne
• Georges de Fontevieux, émissaire des Princes
• Melle Thérèse de Moëlien, cousine du Marquis, de l’Association Bretonne
• Mme Angélique de La Fonchais née Desilles, de l’Association Bretonne
• Alain de Limoëlan, de l’Association Bretonne
• Guillaume Morin de Launay, de l’Association Bretonne
• Victor. Locqet de Granville, de l’Association Bretonne
• Groult de La Motte, de l’Association Bretonne
• Anne Louis du Pontavice , de l’Association Bretonne
Et deux condamnations à la déportation en Guyane :
• François PERRIN, jardinier ayant révélé à LALLIGANT-MORILLON la sépulture du Marquis dans le petit bois du Vieux Semis
• Dr LEMASSON
Mais transférés à la prison de Bicêtre pour attendre leur départ en déportation, ils furent guillotinés le 8 Messidor de l’an II des suites de la "conspiration des prisons" (26 juin 1794).
230 ans se sont écoulés et cette année, l’Institut Franco-américain en partenariat avec l’Institut Culturel de Bretagne organisait un colloque, samedi dernier à Rennes, intitulé « Armand Tuffin de La Rouërie et l’histoire des relations entre la Bretagne et les Etats Unis, sous un angle historique puis contemporain.
Nous avons déjà évoqué le rôle du Marquis de La Rouërie, sous le nom de Colonel Armand, dans la guerre d’indépendance des Etats Unis d’Amérique, l’amitié qui le liait au Général Washington, la correspondance qu’il entretint longtemps avec lui de retour en France, le soin qu’il consacra à ses compagnons d’arme afin qu’ils soient comblés des promesses qui leur avaient été faites notamment en ce qui concerne leur installation en Amérique. Nous avions été honoré alors, c’était en 2020, de la présence de Monsieur le Consul des Etats Unis d’Amérique pour la Bretagne, la Normandie et les Pays de Loire.
Cette année, je vous propose une réflexion sur le Marquis sous l’angle de la Bretagne et de la France.
La vie, les écrits, la mémoire du Marquis de La Rouërie témoignent d’un homme d’action, de convictions, de réflexion portant un intérêt tout politique sur le monde, la Bretagne, la France.
Son premier engagement fut au côté des insurgés américains en lutte pour leur liberté puis leur indépendance. Il fut alors un modèle de soldat tant dans le feu des combats qu’auprès de ses compagnons d’arme.
Son deuxième engagement fut pour la Bretagne. De retour en France, les réformes judiciaires de Mai 1788 retirant aux Parlements l’enregistrement des Ordonnances et Edits au Profit d’une Cour plénière le place dans les premiers rangs d’une Bretagne en ébullition. Les Etats de Bretagne, le Parlement de Rennes protestent au nom du contrat d’union du Duché de Bretagne avec le Royaume de France dans le cadre du mariage du roi Louis XII et de la duchesse Anne.
Le marquis est de la délégation des douze gentilshommes porteurs au roi à Versailles des remontrances de la province et réclamant le maintien de la vielle Constitution bretonne.
La préparation des Etats Généraux en 1789 le vit contester l’ordonnance de Necker qui réglait le mode d’élection des délégués sans prendre suffisamment en compte les lois et coutumes de la Bretagne.
Plus tard il s’oppose à la suppression des lois, statuts et coutumes propres à la Bretagne, considérés comme des privilèges, dans la nuit du 4 aout 1789 par une assemblée auto-proclamée constituante, reprochant aux députés bretons du tiers-état d’avoir approuvé cette abolition sans en avoir reçu mandat de la Bretagne.
Son troisième engament fut pour la France au travers de l’Association Bretonne. En effet le développement du processus révolutionnaire avec son cortège de violences, pillages, meurtres, restriction des libertés le conduit à rentrer en résistance par la création d’une association pour la défense des lois particulières de la Bretagne. Défense dont la condition première devint le rétablissement de l’autorité royale.
Au service du rétablissement de cette autorité, le Marquis recherche l’approbation des frères du roi. Elle lui fut accordée en mai 1791 par le Comte d’Artois qui approuve son action tout en précisant dans son pouvoir : « Monsieur le Comte d’Artois informé qu’on a conçu en Bretagne quelques inquiétudes sur les suites de l’association déclare… qu’on peut compter qu’un des premiers effets de la contre révolution sera de réintégrer les provinces dans leurs droits et de leur rendre les états dont la convocation aura lieu à l’instant même que le retour au bon ordre le permettra ».
Le 4 octobre 1791, le Comte de Provence approuvait cette « association … pour le bien de la Province de Bretagne ».
Le 5 décembre 1791, un manifeste secret pose les bases de l’Association Bretonne.
Son préambule déclare : « Par ordre des Princes, avec l’accession des Bretons émigrés, pour l’honneur des associés et le bien de la province. »
Son article 6 stipule : « L’objet de l’association est de contribuer essentiellement et par les moyens les plus doux au retour de la monarchie, au salut des droits de la province, celui des propriétés et l’honneur breton. »
Dans un dernier manifeste de la fin décembre 1791, les citoyens de la province de Bretagne donnent les motifs de leur association :
Le vœu le plus cher à notre coeur est de vivre libre ou mourir, ainsi que l’exprimait par son organisation notre ancien gouvernement breton.
Ce vœu n’exclut de notre part l’obéissance et la fidélité que nous devons au roi.
L’acceptation de la constitution du 3 septembre 1791 et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
L’acceptation du principe qui en découle que la loi est l’expression de la volonté générale et que tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement à sa formation.
L’affirmation que la Bretagne a perdu illégalement son antique Constitution et ses droits, franchises et libertés n’ayant été convoquée ni représentée régulièrement aux Etats généraux de 1789.
Ainsi qu’en témoignent ces écrits, pour le Marquis son engagement dans la restauration des droits historiques de la Monarchie est indissolublement lié au rétablissement des droits de la Bretagne. L’une ne va pas sans l’autre.
C’est dire qu’il n’y a nul antagonisme entre la Monarchie française et la Bretagne conçue comme une nation libre mais entièrement partie prenante de la France dont elle attend d’être respectée dans sa singularité.
La mort du Marquis, la répression qui en suivit mit un terme à ce projet politique.
Les guerres tant intérieures qu’extérieures, qui ravagèrent Bretagne, Vendée, France, Europe pendant plus de vingt années, l’administration centralisatrice mise en place dans un souci de contrôle par la 1ère République et le 1er Empire, lié à une conception universaliste de l’homme s’opposèrent de plein fouet à la singularité de la Bretagne.
Lorsque vint après deux invasions de la France la Restauration suivie de la Monarchie de Juillet il ne fut plus question de l’engagement des Princes devenus Rois « de réintégrer les Provinces dans leurs droits et de leur rendre leurs Etats ». La concentration à Paris des Pouvoirs leur parut un instrument bien utile pour tenter autant que faire se peut d’apaiser une France déchirée intérieurement et vaincue extérieurement.
Alors la Bretagne malgré la perte de ses lois et statuts constitutifs de sa Vieille Constitution poursuivit son existence à l’extrémité du continent dans la survivance de ses coutumes et ce tout au long du XIXème siècle.
Charles LE GOFFIC le grand érudit, témoin et acteur de la culture bretonne écrit au tout début du XXème siècle dans son recueil « L’âme bretonne » : « La Bretagne est la terre du passé. Nulle part les mœurs n’ont gardé un parfum d’archaïsme, une noblesse et un charme surannés aussi pénétrants. Sur ce cap avancé du monde, dans le crépuscule éternel du jour, la vie est toute embrumée de mystère ; les âmes sont graves et résignées et comme sous l’oppression du double infini de la mer et du ciel »
Dans la deuxième série du même recueil, quelques années plus tard, il écrira : « Nous avons vécu, en dix ans, plus que les générations antérieures en l’espace d’un siècle… mais d’autre part dans le tourbillon vertigineux qui emportait le reste de la France, n’y avait- il point naïveté à croire que la Bretagne demeurerait seule immobile et continuerait d’opposer à la bourrasque révolutionnaire le roc inentamable de sa Foi ? … Une Bretagne jacobine et libre-penseuse remplace sans transition la Bretagne de l’ancienne formule, conservatrice et catholique … Rien ne change en Bretagne. L’écrirais-je encore, cette phrase sentencieuse et péremptoire. Peut-être l’essentiel d’un peuple, c’est son âme ».
Charles LE GOFFIC fut un des fondateurs de l’UNION REGIONALISTE BRETONNE le 16 aout 1898 avec Anatole LE BRAZ et dont le Président fut le Député royaliste du Morbihan Régis de L’ESTOURBEILLON. Lors de son congrès à Lesneven en 1903 on y entendit à la tribune « De nouveaux barbares, ennemis de notre race, ennemis de nos traditions et de notre foi sont à nos portes . Etudions ensemble les moyens de les combattre victorieusement. »
Moins martial, L’ESTOURBEILLON conduisit la délégation qui en 1919 demanda au Ministre de l’Instruction nationale Gaston Doumergue l’enseignement de la langue bretonne dans les lycées et collèges de Bretagne . Le ministre s’y opposa au motif que l’enseignement du breton favoriserait les tendances séparatistes.
Enfin le 18 novembre 1940 l’URB fit remettre au Maréchal Pétain, Chef de l’Etat français, un mémoire des revendications légitimes de la Bretagne , à savoir :
Une province constituée des cinq départements,
Une assemblée provinciale,
Des fonctionnaires d’origine bretonne.
Il n’en fut pas donné suite.
S’agissant de la crainte de notre République à l’égard des langues de nos Provinces, je terminerai par une courte citation de Charles MAURRAS dans son délicieux ouvrage consacré à Frédéric MISTRAL le grand poète français en langue provençale, Prix Nobel de littérature en 1904 , comme un envoi à son ami Charles LE GOFFIC, en ce chapitre titré « L’âme provençale » qui commence par une citation de Mistral que je vous livre « rien n’est plus joli que notre cause : c’est une nationalité qui veut se conserver par sa langue, en laquelle réside l’âme de notre race, et ce sont les poètes qui sont les apôtres de ce culte absolument inoffensif, je vous le jure, pour l’unité française » puis Maurras poursuit « C’est en revenant à chaque patrie particulière qu’on trouvera la force de servir la patrie commune dignement. » et parlant de Mistral « Ceux qui l’attaquent en prétextant l’intérêt de la langue française s’en soucient comme de leur première chemise, eux qui ne se souviennent de défendre l’esprit français contre aucun des agents du cosmopolitisme. Ce brusque amour de la Patrie leur remonte au cerveau contre le seul Mistral. Si cela nous paraît absurde, cela ne l’est point. Il vaudrait la peine de voir en détail comment le particularisme provincial, élément du patriotisme national, doit faire horreur aux hommes qui ont le mandat de nous convaincre que nous sommes les citoyens de tous les lieux de la planète et que l’amour d’une patrie quelconque est un préjugé. S’ils se servent du nom de la France pour détruire la fidélité au nom des Provinces c’est qu’ils savent que le conscrit sera moins fidèle au drapeau quand il commencera à sourire de son clocher. »
Enfin il conclut ce chapitre par une réflexion sur le particulier et l’universel sous l’angle de la poésie : « A peu près tous les hommes qui ont eu le grand et sincère souci de la moralité ou de la destinée générale de l’homme, ont aimé à se dire gens de chez eux, citoyen d’une cité, patriotes d’une patrie bien déterminée. Dante était de Florence, Goethe de Weimar, Sophocle n’entend pas raillerie sur les oliviers de Colone (quartier d’Athènes) et sur les coursiers de l’Attique (chevaux blancs de Castor et Pollux dénommés Xantos et Balios) ; les paroles les plus tendres qui ont été dites sur la patrie sont peut -être du vieil Homère dont neuf villes se sont disputées le berceau et qui est devenu le concitoyen de tout homme.. »