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Pourquoi la Russie s’en prend à l’ONG Memorial, qui s’occupe du passé soviétique et des droits de l’homme

Le monde occidental est en émoi. La Justice russe vient de prononcer la dissolution des deux branches de l’ONG Memorial : celle qui se consacre à l’étude du passé soviétique et celle qui défend les droits de l’homme en Russie. Chacun y va de sa rengaine habituelle : le secrétaire d’État américain Blinken dénonce la « persécution » dont est victime Memorial, « affront à ses nobles missions et à la cause des droits de l’homme partout dans le monde ». Jean-Yves Le Drian, notre sémillant ministre des Affaires étrangères, nous fait part de son « indignation », l’Allemagne de son « inquiétude », etc.

Mais il est vrai, aussi, que le président russe a toujours refusé de faire de l’ère soviétique une parenthèse dans l’Histoire de la Russie. Il a affirmé avec force qu’il fallait accepter le passé et qu’il y avait continuité entre la Fédération de Russie et l’Union soviétique. Ce lien est d’ailleurs inscrit dans la Constitution russe. Il n’est pas question, pour Poutine, de tirer un trait sur cette période, en particulier sur la « Grande Guerre patriotique » qui vit la victoire de l’Armée rouge sur les Allemands. Ce fait d’armes et les vingt millions de morts qui l’ont accompagné sont essentiels pour lui comme pour la majorité des Russes. Cette ambivalence est au cœur du souci des dirigeants russes de donner une cohérence au roman national du pays. Et la cohérence de cette histoire passe par l’acceptation du passé glorieux comme tragique. Cela ne signifie pas pour autant que les millions de morts du goulag sont oubliés.

Tout cela peut être discuté, mais c’est ainsi que les Russes voient leur Histoire et Poutine sait bien que l’aspect mémoriel de sa présidence est important pour le peuple russe. Il pousse, d’ailleurs, le processus très loin puisqu’il s’était rendu en France en 2011, à l’invitation de François Fillon, pour honorer le corps expéditionnaire des 20.000 Russes qui ont combattu à nos côtés de 1916 à 1918. Un monument a été alors inauguré, place du Canada, à Paris.

Sur Memorial, ce ne sont pas tant les recherches sur le goulag qui ont posé problème, mais la volonté de cette ONG de publier des listes de bourreaux. Les dirigeants russes ont toujours refusé de se lancer dans des procès mémoriels interminables qui auraient potentiellement concerné des millions de personnes. Boris Eltsine en avait parlé, puis avait reculé devant l’ampleur des protestations. Les Allemands eux-mêmes y avaient renoncé lors de la réunification. Le président de la branche française de Memorial, Nicolas Werth, déclarait ainsi, sur France Culture, le 30 décembre : « Les ennuis ont commencé pour Memorial à partir du moment où elle a commencé à publier des listes de personnels du NKVD responsables de massacre. » Plus de 40.000 noms ont ainsi été publiés. Outre le fait que ces listes comportaient des erreurs, le pouvoir russe ne l’a pas accepté.

Surtout, comme le dit Le Monde du 30 décembre, « l’ONG est en effet progressivement sortie du seul champ historique et mémoriel pour s’impliquer dans la promotion des droits de l’homme, les programmes éducatifs ou la défense de prisonniers politiques ». Nous sommes loin du goulag et de Staline. Cerise sur le gâteau : « C’est elle encore qui a dénoncé les exactions commises en Tchétchénie durant les deux guerres russo-tchétchènes des années 2000. » Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet… L’affaire Memorial est donc bien plus complexe que ce qu’en disent les médias et les dirigeants occidentaux. Mais nous savons depuis longtemps que la caricature outrancière est inhérente au système.

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