Sandrine Rousseau a perdu. Pour l’instant, par Didier Desrimais.
Sandrine Rousseau, mars 2021
© ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 01007976_000001
Merci pour ce moment
Ce serait « contraire à ses combats que d’être un obstacle à une candidature féministe […] quand on est féministe, on laisse sa place ». Ces propos, tenus par la géniale et inimitable Alice Coffin, n’ont pas été entendus par Yannick Jadot qui n’a pas cédé sa place et a remporté le second tour des primaires EELV.
Il faut toutefois souligner que le score de Sandrine Rousseau laisse présager de jolies passes d’armes au sein d’EELV et dans sa périphérie.
Il existe dans ce pays des représentants politiques qui se vantent d’être de plus en plus radicaux. Ils espèrent mettre ainsi en relief leur irrépressible élan révolutionnaire. Et s’installer aux commandes. Le principe est vieux comme le monde : la prise de pouvoir (à la tête d’un pays ou d’un parti), quand elle ne peut pas se faire dans le calme démocratique et le combat des idées rationnelles, doit s’appuyer sur un discours simple, binaire, clivant, irrationnel, qu’on dira radical pour éviter les gros mots historiques (stalinien, maoïste, totalitaire) et qui sera comme le possible détonateur d’une révolution inévitable et salutaire inaugurant un progrès immuable après qu’auront été éliminés les inévitables ennemis d’un avenir pourtant annoncé toujours plus radieux.
Prônant les nouvelles théories racialistes et décolonialistes et utilisant la novlangue à la mode dans la sociologie militante, Sandrine Rousseau n’a pas hésité à se montrer en public à la fête de l’Huma aux côtés de ses nouveaux amis « racisés » Assa Traoré et Taha Bouhafs.
Elle remercie Rokhaya Diallo d’avoir attiré son attention sur les pansements médicaux trop blancs.
Le nouveau clientélisme politique
Elle partage quelques idées avec Jean-Luc Mélenchon sur la « créolisation » inéluctable de la France. Elle pense à juste titre que ses idées radicales sont largement partagées parmi les sympathisants de la sphère EELV-LFI, et que cela ira en s’amplifiant, lui permettant ainsi de croire en ses chances de succès lors d’une prochaine élection. Elle compte pour cela sur l’aide des plus radicales représentantes de la communauté LGBT. Elle dénonce les « hommes blancs à vélo » et attend un soutien des mouvements associatifs antiracistes les plus radicaux, c’est-à-dire les plus racistes. Elle présume que ses propos lénifiants sur le voile vont lui attirer quelques précieux votes musulmans.
Bref, Sandrine Rousseau pioche dans les viviers les plus crapoteux de la vie publique, “sociétale” et wokiste, en espérant tirer les marrons des feux pseudo-révolutionnaires néo-féministes, racialistes et islamo-gauchistes. Elle n’est bien sûr pas la seule. D’autres pratiquent depuis un moment ce genre de pêche au gros en se fichant éperdument des conséquences pour la France. Ceux-là se révoltent localement en fermant les yeux sur l’islamisation de certains quartiers et en fantasmant sur une population en cours de “créolisation” dans le seul but de ne pas tomber de leur trône municipal ou parlementaire. Éric Coquerel twitte le soutien de LFI à Ali Rabeh pour l’élection municipale de Trappes ; le député récemment marseillais Mélenchon affirme sans sourire que pas un centimètre carré du territoire français n’échappe à la loi républicaine ; la féministe Clémentine Autain n’a jamais simplement et directement défendu Mila, et on sait pourquoi. Sandrine Rousseau ajoute la terreur écologique à la composition de ce brouet intersectionnellement islamo-gauchiste, à cette bouillie pleine de tous les ressentiments, à ce poison.
Je veux voir aucune tête qui dépasse!
L’argumentaire révolutionnaire, prémices de tous les totalitarismes, se vête toujours de mysticisme et de fanatisme extatique. Sans oublier l’incroyable niaiserie des slogans éternels simplement ajustés aux idéologies les plus récentes. La radicalité de Rousseau est « pure », son écologisme est « de gauche, radicale et sociale ». Les jeunes “éveillés” de toute obédience lisent sur Twitter les appels tonitruants de Sandrine Rousseau qui veut « déconstruire l’ensemble des dominations », et sont ravis d’apprendre que leur égérie vit elle-même avec « un homme déconstruit » (sic). Ils pensent que le danger le plus immédiat est le patriarcat occidental, l’hétéronormativité, et les hommes qui construisent des EPR. Surprotégés, profitant d’une éducation qui a laissé libre cours à leur petit moi accroché aux réseaux sociaux, rendus incultes par une école ne voulant plus qu’ils sachent leur langue ou l’histoire de leur pays, poursuivant des cursus universitaires tout acquis aux causes intersectionnelles et déconstructivistes, convaincus que « tout est politique », les jeunes électeurs de Sandrine Rousseau sont prêts à trancher avec elle tout ce qui dépasse de leur tableau idyllique : les “hommes toxiques”, quelques Blancs à vélo, les “réacs”, les féministes pas suffisamment radicales. Ces petits Gardes verts et rouges ignares sont à l’image de leur époque qui est celle du présentisme absolu et du politisme intégral.
L’Histoire de notre pays, longue et tumultueuse, est complexe. Elle a façonné au fil du temps une langue, un pays et un peuple. Mais l’idéologue n’a que faire de cette histoire complexe, glorieuse et sombre à la fois. Simplifiée à l’extrême, toujours prise en défaut, retournée pour servir les idéologies, l’Histoire de France est devenue une « Histoire mondiale de la France » ouverte à tous les vents, comme ses frontières. Les présentistes rouges et verts condamnent le passé à ne plus servir que de faire-valoir à un présent toujours plus progressiste et plus désirable que tous les temps qui l’ont précédé. Ce présentisme préfigure un futur très proche dans lequel la vertu progressiste et le politisme intégral règneront de gré ou de force et rendront impossible le moindre écart ou le moindre regard en arrière. Dans cette époque qui ne laissera aucune place à « la vision littéraire du monde » (Alain Finkielkraut), au véritable travail historique « expurgé de ses passions » (Braudel), ou à la simple réflexion individuelle, « une politique frénétique, délirante, exorbitée puisqu’elle prétend supplanter la connaissance, la religion, la “sagesse”, en un mot les seules choses que leur substance rend propres à occuper le centre de l’esprit humain » (1), finira d’éloigner l’homme de sa vie intime pour le plonger définitivement dans la masse uniforme. Il faut des Rousseau et des Mélenchon pour mener à bien cette politique dévastatrice qui essorera ce qui reste d’humanité dans l’individu. Il faut des totalitaires. Comme Mélenchon, Sandrine Rousseau, fermée, tordue, abstraite, extatique, ne s’ouvrant à aucune instance supérieure, en représente un type abouti, risible pour le moment auprès du plus grand nombre, mais pour combien de temps encore. Mme Obono ne s’y trompe d’ailleurs pas : elle appelle les électeurs qui ont voté Rousseau à voter Mélenchon, ces deux faces de la même pièce totalitaire.
(1) La révolte des masses, Ortega y Gasset.