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Année Saint-Joseph Redécouvrir la paternité dans l’Église, par Aymeric Pourbaix.

© P Deliss / Godong 

En cette année consacrée à saint Joseph, il y a urgence à renouer avec une juste conception de la paternité, estime le Frère de La Soujeole, dominicain et théologien à Fribourg (Suisse), dans son dernier livre.

7.jpgEn lançant l’Année Saint-Joseph, le pape affirme notamment que «  l’église a besoin de pères  ». Comment l’entendez-vous, au regard de la situation actuelle ?

Frère Benoît-Dominique de La Soujeole : Toute communauté humaine, la famille, la société, l’église aussi, a besoin de pères, c’est-à-dire de ce type d’altérité tant avec la mère qu’avec l’enfant. Dans le contexte occidental actuel, cette altérité est de multiples façons diminuée : que ce soit pour la génération de l’enfant, où la part masculine peut être suppléée par des techniques de conception-fécondation «  in vitro  », que ce soit dans la société où, aux dires des psychologues, le «  registre  » masculin a de la peine à être distingué du «  registre  » féminin, – l’égalité des deux sous tous rapports tend à ne plus faire voir la complémentarité –, ou que ce soit dans l’église en réaction contre un cléricalisme, il est vrai pas toujours juste.

Selon vous, le magistère récent parle peu de paternité, beaucoup plus de fraternité, voire de «  maternité  » s’agissant de l’Église. Fallait-il rétablir l’équilibre ?

À mon avis, il ne s’agit pas «  d’équilibre  » à restaurer. La paternité, la maternité, la fraternité sont des relations qui ont chacune leur pleine valeur et, à la façon des instruments d’un orchestre, chacune doit être pleinement présente pour l’harmonie du tout.

Il ne s’agit donc pas, à mon sens, de corriger un excès – par exemple de fraternité – pour faire de la place à la paternité. Il faut bien plutôt que ces deux relations soient pleinement elles-mêmes. Devant la personne qu’il vient de «  paternellement  » baptiser, le prêtre est devant un frère ou une sœur. Dans le service du sacrement, une paternité s’exerce ; dans la vie de la grâce qui en résulte, c’est une relation fraternelle qui est honorée.

En quoi saint Joseph est-il un modèle de paternité pour l’église ?

L’appellation qui est privilégiée pour saint Joseph est «  gardien du Rédempteur  ». Jean-Paul II a donné ce titre à son exhortation apostolique sur saint Joseph. «  Garder  » ne signifie pas ici «  surveiller  » – comme un gardien de prison garde les détenus ! Ce verbe désigne le second aspect de la responsabilité paternelle vis-à-vis de l’enfant : l’éduquer, le protéger, le conduire à l’âge d’homme. Cela a été confié à saint Joseph, et il s’en est acquitté saintement. La communauté chrétienne, qui est le Corps mystique du Christ, bénéficie pour tout le temps de son pèlerinage sur terre de cette garde paternelle de saint Joseph, notamment en ayant recours à son intercession.

Saint Joseph est aussi un modèle de paternité pour les hommes pris individuellement : de même que saint Joseph a reçu la responsabilité d’un enfant à insérer pleinement dans la vie humaine, en respectant profondément son mystère, de même – d’une certaine façon bien sûr – tous les pères reçoivent leur enfant du Seigneur et doivent en respecter l’originalité qui fait de chaque être un être unique.

Pour l’église aussi, saint Joseph a un rôle de modèle. Il faut cependant être ici assez précis. L’église est d’abord un mystère «  féminin  » dont la Vierge Marie est l’icône : mystère de réceptivité. Cependant, dans la communauté chrétienne, il y a le charisme apostolique au sens strict – la succession apostolique – qui a un aspect de paternité car il transmet la vie de Dieu au monde pour engendrer l’église. En dépendance de ce charisme, il y a tous les autres charismes associés qui participent au développement de cette vie. Là, la figure de saint Joseph est parlante, un peu comme pour les pères qui engendrent leurs enfants.

Vous distinguez deux types de paternité pour le prêtre : ministérielle, et de direction spirituelle. Laquelle manque-t-elle le plus aujourd’hui dans l’église ?

Du point de vue dogmatique, le sacrement de l’Ordre, au niveau épiscopal et sacerdotal, confère une paternité ministérielle qui s’accomplit par la prédication et la célébration des sacrements. Ces deux registres, ministériel et d’accompagnement, sont également nécessaires : il faut recevoir la grâce de la prédication et des sacrements, et il faut vivre de cette grâce ce qui demande à tous d’avoir recours à des conseils spirituels.

Du point de vue de la situation de l’église en Europe occidentale, il me semble que l’accompagnement spirituel a besoin d’être plus et mieux exercé. Plus exercé car trop de chrétiens n’en ressentent pas le besoin ; or on ne mène pas seul sa barque dans la vie spirituelle, comme d’ailleurs d’une certaine façon, dans sa vie humaine en général. Qui n’a jamais eu besoin de conseils ?

Mieux exercé, car il faut savoir qu’il y a une diversité de spiritualités et que telle ou telle ne convient pas forcément à telle personne. Il y a aussi la façon d’exercer, c’est pourquoi je préfère dire «  accompagnement  » que «  direction  ». Cela met plus l’accent sur le conseil, la suggestion, la recherche plutôt que sur le mode directif qui peut conduire à des catastrophes.

Vous dites que le prêtre doit avoir une psychologie de médiateur, d’intermédiaire. Pourquoi cède-t-on autant à la starisation dans l’église aujourd’hui ?

La paternité ministérielle qui s’exerce dans la prédication et la célébration des sacrements est fondamentalement un rôle intermédiaire. C’est la Parole de Dieu qu’il faut faire entendre (voyez Rm 10, 17) et non pas les opinions – fussent-elles sensées – du ministre. Les sacrements sont des actes du Christ-époux et de l’église-épouse, servis par l’officiant. D’où ce que j’appelle volontiers la «  transparence  » nécessaire au ministre.

Le fait est qu’un prêtre peut avoir un grand succès mérité – voyez le Curé d’Ars – mais cela doit normalement l’affliger ! Car le cœur de l’homme a ses faiblesses, et le succès devant les hommes est dangereux, car la «  vaine gloire  » est un risque réel et redoutable. C’est pourquoi je conseillerais volontiers aux fidèles de savoir manifester leur gratitude pour un service bien accompli, mais d’éviter à tout prix la «  starisation  ». Il est possible que l’engouement que l’on peut constater çà et là pour tel ou tel prêtre soit aussi une façon de rechercher un père. Mais un vrai père n’est pas un gourou au sens banal du terme. Un père véritable fait advenir l’enfant à lui-même dans sa pleine stature d’homme ou de femme ce qui signifie qu’il doit savoir aussi s’effacer.

Quel type de paternité doivent exercer les évêques ? 
 
La paternité ministérielle est réalisée au plus haut degré par l’évêque. Il est père de «  ses  » prêtres d’une certaine façon, et des fidèles d’une autre façon peut-on dire, mais c’est toujours comme premier témoin de l’Évangile et des sacrements. Dans un proche passé, il m’a semblé que la paternité épiscopale vis-à-vis des prêtres était difficile à exercer, et j’ai constaté des situations qui ont été graves de conséquences. Par exemple, envoyer un jeune prêtre le lendemain de son ordination au fin fond du diocèse, tout seul, au service de paroisses déchristianisées.

Je crois qu’aujourd’hui cette paternité épiscopale est plus attentive. Par exemple, on favorise les communautés de prêtres diocésains, et c’est d’ailleurs un retour à la grande tradition de l’église (saint Augustin, saint Martin…).

L’évêque n’est pas forcément un accompagnateur spirituel, car c’est un charisme distinct. Cependant la place qu’il occupe lui donne une expérience réelle, sur la base de laquelle il peut conseiller, au moins de façon générale, des personnes ou des groupes de personnes.

Selon Paul VI, la notion de paternité est liée à celle de sacrifice de sa vie. Comment la paternité participe-t-elle de la Rédemption du Christ ?

Il convient de bien préciser le sens des mots. Il y en a deux qui sont étroitement liés : consécration et sacrifice. «  Consacrer  » signifie «  rendre sacré  » : on consacre une église en retirant ainsi le bâtiment du profane. Pour les personnes, la consécration radicale et fondamentale est celle du baptême : la personne est faite fils dans le Fils – grâce d’adoption filiale –, membre de son Corps qu’est l’église. En ce sens, Dieu seul consacre, et à lui.

Dès lors, intervient le «  sacrifice  ». «  Sacrifier  » signifie «  faire sacré  », c’est-à-dire accomplir par toute sa vie la consécration baptismale. Dans une vie chrétienne, tout a vocation à être «  sacrifié  » en ce sens.

Le père «  sacrifie  » sa vie, notamment, dans l’exercice d’une authentique paternité vis-à-vis de ses enfants : il fait sacrée sa paternité en transmettant la vie de l’Esprit par son exemple, ses paroles, son éducation… En cela, il participe de fort près à la transmission et à l’accomplissement de la grâce dans l’enfant, c’est-à-dire à la rédemption du Christ.

Ce rôle, ainsi que celui de la mère, est si important et si souvent décisif que l’on constate, hélas trop souvent, qu’un enfant – et plus encore un adolescent – qu’on envoie au catéchisme, mais qui n’a à la maison aucun soutien religieux, est extrêmement fragilisé dans sa vie spirituelle. Quand l’église domestique est défaillante, la grande église en pâtit…

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Benoît-Dominique de La Soujeole, Paternités et fraternités spirituelles, Cerf, 104 p., 2021, 10 €.

 

 

 

 

Source : https://www.france-catholique.fr/

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