Muscler le bras gauche du positionnement d’Éric Zemmour ?, par André PELLEN.
Bien qu’elle ne soit pas officielle, l’idée d’une candidature de l’éditorialiste à la prochaine élection présidentielle se fait de plus en plus certaine. Pour notre lecteur, s’il veut espérer l’emporter, il doit garder la porte ouverte à gauche, notamment sur les questions économiques.
Que Loïk Le Floch-Prigent, réputé mentor en chef du candidat putatif, ne soit pas vraiment un économiste de droite ne semble pas suffire à rassurer Michel Onfray. Seul, pourrait probablement y parvenir le fait qu’un ou plusieurs économistes notoirement estampillés de gauche marquent à la culotte l’ex-patron de la SNCF et les autres conseillers de Zemmour. Le philosophe verrait sans doute d’un très bon œil qu’une telle task force compte par exemple dans ses rangs l’assidu contributeur à la revue Front Populaire venant de mettre la société en demeure de choisir entre la planète et la finance.
La finance, voilà l’ennemi de la planète, prévient ce dernier ! Non pas en tant que telle, mais en tant que pernicieux instrument du dévoiement de l’usage du capital en l’obscène financiarisation de l’économie promettant, selon lui, la dévastation de l’environnement. Peut-être. Mais, avant de songer à éradiquer une aussi redoutable dépravation du capital, la France a l’impérieux devoir de commencer par en mobiliser massivement chez elle, pour affranchir son économie du protectorat des portefeuilles étrangers se partageant la valorisation du CAC 40 à hauteur de quelque 45 à 50 % ! Qu’on le veuille ou non, aucune production-consommation collective de richesses n’a d’autre source qu’une mise en jeu capitalistique privée, directement ou par procuration institutionnelle. Et faire croire que le capital dont dispose l’État a une origine non privée serait une imposture. En tout cas, peu importe la coloration entre le public et le privé qu’il plaît aux Français de donner au capital ci-dessus requis, seule importe la lucidité de reconnaître qu’il gît en grande partie dans les monceaux de liquidités en livrets A et autres assurances vie accaparant le carburant de l’économie nationale.
Ainsi donc, les directeurs d’entreprises se verraient-ils confisquer des pans entiers de leurs prérogatives par les actionnaires, interchangeabilité et internationalisation aveugles d’un capital toujours plus anonyme auraient-elles les implications les plus désastreuses sur l’environnement, facilitées par l’irresponsabilité de quasi-banques affranchies de toute règlementation ? Bigre ! Autant prétendre que, partout abusé par les requins du profit à court terme, le bon peuple serait prêt à tous les sacrifices, comme celui de payer au juste prix l’élaboration endémique de tous les produits qu’il achète ou le traitement non préjudiciable à la planète des néfastes externalités environnementales de l’économie moderne : décharger, entre autres, les infortunés Bangladeshis et Indiens des basses besognes en traitement des déchets hautement toxiques ou en démantèlement-recyclage de navires marchands, téléphones et autres appareils électromécaniques, en développant les filières industrielles authentiquement propres, financées de bonne grâce par ce peuple irréprochable…
Bref, la planète serait appelée à succomber aux coups de boutoirs de la finance, selon un lanceur d’alerte pour lequel le rendement du capital est probablement à l’économie ce que le CO2 est réputé être au climat, c’est-à-dire le mal absolu. À l’évidence, notre homme ne doute de rien, même pas de la spéciosité de sa thèse du fétichisme PIB, dont il assoit l’argumentaire sur une économie indigente, mono ou bi ressource. Et c’est bien là le drame de l’époque, quand, prohibant, par exemple, produits et méthodes de productions interdits par l’UE — entendez néonicotinoïdes et autre OGM —, l’économiste se prétend l’arbitre des élégances sociales, économiques, techniques et scientifiques.
De fait, économisme et écologisme ont désormais en commun que, à droite comme à gauche, on y revendique la transcendance de la compétence : du Nobel Jean Tirole, prédisant un somptueux avenir aux éoliennes, à Philippe Chalmin, pour qui nos 30 glorieuses furent la seule expérience socialiste réussie de l’histoire, en passant par Patrick Artus, la référence en transitions du moment, on ne craint plus de prononcer la sentence définitive, en quelque domaine que ce soit ; ce dernier releva-t-il de thèses scientifiques établies les plus dures à maîtriser, sinon à comprendre, en tout cas les plus périlleuses à invoquer à tort et à travers, par l’élu profane qui prétend les traduire en politique ? De l’observation des brillantes analyses d’Éric Zemmour on déduit que sa mentalité tranche enfin avec le cynisme de mœurs politiciennes immuables depuis 47 ans et transpirant de tout ce qui vient d’être évoqué. L’éditorialiste écrivain a non seulement l’humilité de consulter les gens qui savent ou ont su, dans tous les domaines, sur tous les plans, dans tous les partis et toutes obédiences, mais il a celle de reconnaitre publiquement qu’il s’est trompé et surtout celle de proclamer sans complexe, le cas échéant, qu’il en tire les conclusions pratiques.
Tout nous porte donc à croire qu’un tel homme est davantage sensible à la pédagogie d’un Christian Saint-Étienne ou d’un Jean-Marc Daniel qu’à la harangue hollywoodienne d’un Thomas Piketty. Aussi, plutôt qu’appeler les Français à s’abstenir l’an prochain, ce qui paraît la négation d’un devoir civique essentiel, Front Populaire n’ayant pas vraiment de programme homogène de prédilection, devrait à mon sens vendre la candidature d’Éric Zemmour comme celle de la moins mauvaise chance pour la France. Personnellement, je la considère non seulement comme la meilleure, mais comme la plus salutaire. Car, d’une part, Emmanuel Macron sera forcément opposé à un candidat de droite au second tour, et, d’autre part, du programme de Zemmour dont on peut être sûr qu’il sera en grande rupture, sinon révolutionnaire, aucun des deux finalistes ne pourra ne pas tenir compte, une fois élu, sur les sujets de fond qui enflamment aujourd’hui le pays.
Il semble donc à peu près sûr que voter Zemmour, c’est voter pour l’instauration d’un droit de véto de l’expertise et de la compétence sur toute décision institutionnelle. Il est davantage certain encore que cette candidature réduit significativement la probabilité que le challenger de droite soit Marine Le Pen.