RSE, inclusion... "Il est urgent de rappeler au monde de l’entreprise notre spécificité française", par Thibault Baranger.
Au cœur de cette course à la « responsabilisation sociétale », un premier danger peut être identifié : celui de l’essentialisation.
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Pour Thibault Baranger, consultant en affaires publiques auprès de dirigeants d’entreprises, les grands groupes prônent de plus en plus souvent un modèle sociétal dit « inclusif » d'inspiration américaine.
Une nouvelle sémantique envahit les directions d’entreprise depuis quelques années : mission sociétale, impact, inclusion, critères ESG (environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance) ou encore ISR (investissement socialement responsable). Derrière cette nouvelle terminologie très codifiée et au-delà des effets de mode, une nouvelle réalité se dessine sous nos yeux : les entreprises sortent de leurs frontières économiques et se politisent à vitesse accélérée en s’érigeant comme les grandes garantes de l’inclusion et de la diversité.
Dans le sillage de l’affaire George Floyd, Nike et Adidas se sont engouffrés dans le mouvement « Black Lives Matters ». Airbus, Orange, L’Oréal, Pfizer, BCG et plus de 150 autres entreprises adhèrent à la charte LGBT+ de l’association « Autre Cercle », prônant l’inclusion des personnes LGBT+, leur non-discrimination et leur droit à évoluer dans un cadre favorable à leur orientation. Petit Bateau se donne désormais pour mission de favoriser l’inclusion de « tous les types de familles ».
Au-delà de ces quelques exemples emblématiques, ce mouvement « de responsabilité sociétale », c’est-à-dire d’action politique, se diffuse dans toute notre économie. Chercher le profit ne suffit plus. Désormais, il faut également tendre vers le Bien, et si possible en favorisant « l’inclusion » des minorités.
Nouvelles normes morales
Mais au milieu de cette quête effrénée vers la vertu se pose toutefois une question centrale : quelle vision politique guide les entreprises dans cette action sociétale ? Qui définit la nouvelle morale commune qu’elles appliquent en interne, dans quel objectif et sous quel contrôle ?
« Le bien commun made in USA est-il nécessairement compatible avec notre modèle politique et social français ? »
Pour normer et encadrer cette nouvelle pratique politique issue du privé, de multiples référentiels, critères et autres démarches RSE sont mis en place et implantés à grands frais par des cabinets de conseils dans les entreprises. Pour la plupart, ils sont calqués sur les 17 Objectifs de développement durables définis par les Nations-Unies. Mais d’autres normes et référentiels sont souvent prises en compte, et la plupart sont issus d’outre-Atlantique, comme ceux édités par le Global Reporting Initiative ou le Sustainability Accounting Standard Board. En apparence anodins, ces multiples référentiels cherchent avant tout à ne pas froisser les susceptibilités des clients et ressemblent souvent à une liste de vœux pieux, teintés d’un vernis écologique et diversitaire à l’anglo-saxonne.
Mais cela nous pose une question fondamentale : le bien commun made in USA est-il nécessairement compatible avec notre modèle politique et social français ? Quels risques prenons-nous en confiant à un marché sous influence américaine de nouvelles responsabilités politiques ?
Essentialisation
Au cœur de cette course à la « responsabilisation sociétale », un premier danger peut être identifié : celui de l’essentialisation. Il consiste concrètement à promouvoir une vision de la société à l’américaine où pour rétablir l’égalité, chacun est étiqueté en fonction de son appartenance ethnique, de ses convictions religieuses ou de ses orientations sexuelles. Cette vision d’un « woke capitalism » se met pourtant en place de manière accélérée dans la plupart des grandes entreprises, y compris en France. Discrimination positive assumée, consignes contraignantes de la hiérarchie, guide de bon comportement avec le sexe opposé ou avec l’un ou l’autre des segments communautaires : les entreprises mettent en place leurs propres lois, sans aucun contrôle démocratique.
Le second risque, directement lié au précédent, est celui d’un marketing exclusivement centré sur la segmentation communautaire. Alors que de nombreuses marques cherchent à catégoriser leur clientèle pour obtenir une communauté d’acheteurs captifs, le risque est grand de voir de plus en plus d’entreprises jouer sur la fragmentation sociale, ethnique, religieuse et culturelle de notre société pour s’assurer la fidélité commerciale d’un îlot de « l’archipel français », et in fine favoriser leur développement commercial au détriment de l’unité du corps social.
« En cherchant à flatter l’identité d’un petit groupe tout en se parant de toutes les vertus, l’entreprise devient alors un puissant dissolvant politique. »
Une entreprise se spécialisera dans les vêtements pour telle minorité. Cette autre firme se concentrera sur l’alimentation pour telle autre minorité, et ainsi de suite. En cherchant à flatter l’identité d’un petit groupe tout en se parant de toutes les vertus, l’entreprise devient alors un puissant dissolvant politique, sous l’œil attentif d’ONG toujours promptes à décerner des labels de bonne ou mauvaise moralité.
Dans ce contexte, le sujet de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ne doit plus être pris à la légère. Si cette tendance de fond semble inexorable tant elle répond aux aspirations des salariés, des clients, des fournisseurs et des actionnaires, elle ne peut pas venir frontalement contester le modèle politique que le peuple français a construit au cours des siècles. À son article premier, notre Constitution stipule : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ».
Alors qu’en ce moment le gouvernement français et la Commission européenne tentent de gagner la bataille des normes RSE au niveau mondial, il est urgent de rappeler au monde de l’entreprise notre spécificité française. Sur notre territoire, la première responsabilité politique qui lui incombe est de respecter notre modèle démocratiquement choisi : celui d’une société républicaine, unie et indivisible où l’on ne reconnaît pas de communautés mais des citoyens libres et égaux en droits.
Source : https://www.marianne.net/