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Pour lutter contre l’extrême droite, “les blancs derrière”, par Nesrine Briki.

Plusieurs personnalités politiques ont assisté à la Marche pour les libertés et contre l'extrême droite, 12 juin 2021, Paris © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 01023672_000044

Le racisme est-il cousu de fil blanc ?

Des thèses antiracistes d’un nouveau genre gagnent du terrain, même en France. Ainsi, lors de la « Marche des libertés » le 12 juin, les blancs n’avaient pas leur place en tête de cortège. Aux États-Unis, la « blanchité » n’a pas la cote.

5.jpgLes Gay Pride d’antan, festives et exubérantes, ne sont désormais qu’un lointain souvenir. Ce week-end, le Collectif Fiertés en Lutte s’était mobilisé à Lyon pour dénoncer les discriminations homophobes et transphobes, mais surtout pour lutter contre les « idées nauséabondes de l’extrême droite ». Or, pendant cette Marche des Fiertés, les personnes de couleur blanche ont été reléguées à l’arrière du cortège, dans une zone dite « en mixité ».

Dans une vidéo, on voit même un organisateur hurler dans un mégaphone : « Les blancs, allez derrière s’il vous plaît ». Sur Twitter, ce dernier se vante d’avoir « viré les aspirines. » Si pour une personne encore dotée de bon sens, le paradoxe de cette démarche éclate en pleine figure, de nombreux individus appartenant au bord progressiste n’y voient aucun inconvénient, voire la justifient. Mais d’où vient ce « traitement de faveur » accordé aux blancs ? Pourquoi ce racisme décomplexé qui peine à dire à son nom ? La réponse se trouve dans le concept de « blanchité » ou « blanchitude ».

Qu’est-ce que le concept de blanchité ?

Traduction française de whiteness, terme paru dans le sillage des études critiques de la race ou postcoloniales, ce néologisme inventé au début des années 2000 par Judith Ezekiel, chercheuse en études féministes, désigne l’hégémonie sociale, culturelle et politique blanche à laquelle seraientt confrontées les minorités ethno-raciales.

Dans une tribune publiée chez Slate en 2019, Rokhaya Diallo expliquait ce concept : « Sur le plan biologique, il n’existe qu’une seule race mais notre histoire a construit des catégories raciales toujours opérantes aujourd’hui. » Et plus loin : « Nombreux sont les individus originaires d’Asie ou d’Afrique du Nord dont la couleur de peau est identique à celle d’individus d’origine européenne. Pour autant, ils ne sont pas considérés comme des Blancs. Car être blanc·he n’est pas une question de couleur objective mais d’expérience politique. C’est un héritage lié à l’ordonnancement des populations du monde selon une conception hiérarchique. »

Il est intéressant d’observer ce glissement sémantique ; le passage de la « blancheur » à la « blanchité » traduit un changement de paradigme, la « blancheur » correspond à une caractéristique biologique, tandis que « blanchité » renvoie à une construction socioculturelle, forcément hégémonique. Aussi, il devient plus aisé de la pointer d’un doigt accusateur sans craindre une quelconque accusation de racisme. De là à faire endosser à « l’homme blanc » tous les malheurs du monde, il n’y a qu’un pas.

Attendez-vous au pire, vous ne serez pas déçus

Le concept et son expression n’en sont qu’à leurs balbutiements en France, alors que de l’autre côté de l’Atlantique, ils ont pris racine et s’épanouissent de jour en jour.

Ilhan Omar, députée américaine d’origine somalienne, première femme voilée à siéger au Congrès, peu de temps après son élection, déclarait au sujet de la menace terroriste en 2018: « Je dirais que notre pays devrait craindre davantage les hommes blancs parce qu’ils sont à l’origine de la plupart des décès dans ce pays […] si la peur devait être le moteur des programmes politiques visant à assurer la sécurité des Américains, nous devrions donc surveiller et créer des politiques pour lutter contre la radicalisation des hommes blancs. » Sa relativisation du terrorisme islamique n’a d’égale que son essentialisation caricaturale, il n’est pas question de suprématiste ou de raciste xénophobe, mais d’homme blanc tout court. Celui-ci est rendu responsable et coupable de tous les maux passés, présents et à venir de l’humanité, et s’offre comme un objet/sujet sur lequel la détestation peut facilement se cristalliser.

Fin mai 2021, Kate Slater, doyenne adjointe de l’université privée Brandeis située non loin de Boston, s’est exprimée sur Instagram, dénonçant avec véhémence la « blanchité ». Elle-même blanche, se définissant comme « spécialiste de la justice raciale », titulaire d’un doctorat en politique éducative de l’Université du New Hampshire, la doyenne adjointe avait affirmé que « tous les Blancs sont racistes » parce qu’ils ont été « conditionnés dans une société » où « la blancheur est la norme ». Face aux commentaires contestant la publication, la doyenne adjointe a continué en essayant de se justifier : « Je ne déteste pas les Blancs, je déteste la blancheur. » Entendez par là le concept hégémonique et oppressif de « blanchitude », cependant, la séparation avec « blanc » est un fil ténu, vaporeux, presque immatériel…

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Ces idées s’infiltrent également dans la sphère professionnelle. Par exemple, en février 2021, dans le cadre d’une formation en ligne visant à « lutter contre le racisme », l’entreprise américaine Coca-Cola exhortait ses salariés à être « moins blancs ». La formation d’une cinquantaine de minutes abordait des thématiques telles que : « Comprendre ce que cela signifie d’être blanc, contester ce que cela signifie d’être raciste », ou encore des affirmations telles que : « Essayez d’être moins blanc », car cela rendrait « moins oppressif », « moins arrogant et sûr de soi », permettrait d’être « plus humble, à l’écoute », et enfin de « rompre avec la solidarité blanche. » La formation insistait sur la nécessité de rompre dès le plus jeune âge avec la « blanchité » : « Aux États-Unis et dans d’autres pays occidentaux, les Blancs sont socialisés à penser qu’ils sont intrinsèquement supérieurs parce qu’ils sont blancs. Les recherches montrent que dès l’âge de 3 ou 4 ans, les enfants comprennent qu’il est préférable d’être blanc. » On serait tenté de penser que cette démarche est isolée, mais le cours en question a fait fureur auprès de nombreuses universités et établissements scolaires.

Expie ton privilège!

Au rythme où l’on va, ne faudrait-il pas craindre un futur apocalyptique où tout ce qui aurait un rapport quelconque avec la « blanchité » se verrait envoyé dans des camps pour être « rééduqué » ? Pure question rhétorique.

En mai 2021, Christopher F. Rufo, journaliste américain indépendant, faisait une révélation explosive sur son blog : Lockheed Martin Corporation, la plus grande entreprise de défense des États-Unis, avait envoyé des cadres dans une formation de trois jours afin de déconstruire leur « culture d’homme blanc » et « d’expier leur privilège d’homme blanc. » Parmi les participants figuraient un ancien général trois étoiles et le vice-président de la production du programme d’avions de chasse F-35, doté de 1 700 milliards de dollars.

Plusieurs activités étaient proposées comme celle de demander aux employés de Lockheed de dresser une liste des connotations du terme « hommes blancs ». Les formateurs avaient préalablement écrit : « vieux, raciste, privilégié, anti-femmes, en colère, Nation aryenne, KKK, pères fondateurs, armes, coupable. » Ladite formation était dirigée par le cabinet de conseil White Men As Full Diversity Partners qui considère que les « racines de la culture masculine blanche » comprennent des traits de caractère tels que « l’individualisme brutal, une attitude positive face à l’adversité, le travail acharné, la recherche du succès », traits jugés « dévastateurs pour les femmes et les minorités. » Si on s’amuse à lire entre les lignes, l’on comprend vite que ce qui est réellement reproché à la « blanchitude » c’est son existence même.

 

Prof contractuelle. Installée en France depuis l'an 2000, j'ai effectué un troisième cycle d'études littéraires à l'Université de Nice, je suis aussi auteur, traductrice littéraire et journaliste.
 

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