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Joseph Ratzinger, le capitaine au long cours, par Blandine Delplanque.

Les Trente Glorieuses le furent-elles vraiment ? Dès les années 1960, le théologien Joseph Ratzinger en repère les écueils. Le journaliste Peter Seewald retrace dans une biographie1 du futur pape Benoît XVI ce qui l’attend dans ces années de grand tumulte à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Église.

En 1964, Joseph Ratzinger est, à 37 ans, le plus jeune des conseillers du concile Vatican II qui s’est ouvert à la demande du pape Jean XXIII deux ans plus tôt. Pour lui, il s’agit surtout de libérer la théologie de carcans qui l’ont emprisonnée au fil du XIXe siècle et de donner un nouveau souffle à l’Église dans ce formidable besoin de renouveau qui se fait sentir dans l’Allemagne dévastée de l’après-guerre. Sur fond de déchirement de l’ancien Reich – le mur de Berlin est construit en 1961 –, il caresse un temps l’espoir de réunir les chrétiens, « frères séparés ».

Proche collaborateur du cardinal de Cologne, qui a fini par devenir un personnage-clé du Concile, il est aussi très lu – et en allemand – par le pape Paul VI qui remplace Jean XXIII à la mort de ce dernier en 1963.

L’embarcation de saint Pierre prend l’eau…

Mais les faits sont là, inquiétants : des forces extérieures au Concile se sont mises en mouvement qui en dénaturent le sens, au nom même d’un « esprit du Concile » dont commencent à se prévaloir des théologiens plus ou moins réputés et des journalistes qui vont très rapidement politiser toute question religieuse.

Le danger avait été prévu par Jean XXIII dès octobre 1961 lorsqu’il avait mis en garde contre « le malheur dont résulterait une présentation erronée des résultats et des buts poursuivis [par le Concile] par manque d’information complète et par manque de discrétion et d’objectivité… » Tout devait donc être fait « pour en diffuser la vraie lumière ». Le pape émérite confiera en 2013 : « Depuis 1965 [année de clôture du Concile], j’ai ressenti comme une mission de clarifier ce que nous voulions en réalité et ce que nous ne voulions pas »,

Joseph Ratzinger donne un premier signal d’alerte le 14 juillet 1966 dans un discours qu’il prononce à Bamberg pour le Katholikentag (congrès catholique) : « Disons-le ouvertement, il règne un certain malaise, un sentiment de désillusion et de déception… Pour certains le Concile a fait encore trop peu… mais pour d’autres il a été objet de scandale ; à leurs yeux, l’Église a donné de la valeur au vide spirituel d’une époque avec, pour conséquence de cette furieuse obstination, l’éclipse de Dieu sur terre. Bouleversés, ceux-ci voient vaciller ce qui était le plus saint à leurs yeux et se détournent d’un renouveau qui semble dissoudre la chrétienté et en déprécier les valeurs là où il aurait été nécessaire d’avoir plus de foi, d’espérance et d’amour ». Avec le recul, il estime qu’il a été peu écouté.

Sur le moment, les médias soulignent la discorde chez les catholiques et nombre d’évêques allemands se sentent piqués au vif par le conseil de Joseph Ratzinger de recentrer la foi sur les témoignages fondamentaux que sont l’Écriture Sainte, les Pères de l’Église, les dogmes, la liturgie et les saints.

Mais Joseph Ratzinger n’est pas le seul à s’inquiéter. Du côté du cardinal Frings, même son de cloche : avec un « profond effroi », il constate que l’on invoque l’esprit du Concile pour développer une ligne révolutionnaire dans l’Église. « Ils parlent tous du Concile mais n’ont pas lu les textes », déplore-t-il avant d’enfoncer le clou le 25 janvier 1968 : « La réforme de la liturgie n’a pas supprimé le latin mais a donné la possibilité d’une voie secondaire par l’emploi de la langue maternelle à côté de cette voie principale qu’est le latin ». D’après son biographe, le vieux cardinal se serait plaint de ne pas avoir été autant secoué sous les nazis que dans cette époque de l’après-Concile.

Le pape Paul VI manifeste la même préoccupation. « La fumée de Satan s’est infiltrée dans les fissures du temple de Dieu. Le doute s’est immiscé dans notre conscience et il est entré par les fenêtres qui devaient rester ouvertes à la lumière », déclare-t-il dans une allocution le 21 juin 1972. En France, ces inquiétudes sont relayées par certains théologiens proches de Ratzinger, comme le père de Lubac. Mais la boîte de Pandore est ouverte.

… et essuie de nouvelles vagues

À la vitesse de l’éclair, la propagation du marxisme et du maoïsme par les milieux intellectuels, universitaires et médiatiques déclenche une contestation à l’intérieur même de l’Église.

En Allemagne, une légende vise spécifiquement le professeur Ratzinger alors en poste à l’université de Tübingen : devant la tournure des évènements en 1968, il aurait pris peur et se serait enfui. Une fable inventée de toutes pièces par le théologien suisse Hans Küng qui ne cessera de jalouser son collègue en profitant de la mansuétude de celui-ci à son égard.

La réalité est bien différente : non seulement Joseph Ratzinger a compris le danger dès le milieu des années 60, mais il a entretenu d’excellents rapports avec ses étudiants de Tübingen puisqu’il excellait dans l’art de la confrontation des idées. Il avait choisi d’ailleurs ce haut-lieu du protestantisme pour cela :

« La Faculté de Tübingen a toujours été une faculté qui aimait les conflits, se souvient-il, là n’était pas le problème. Le problème était vraiment cette tâche que l’époque nous a assignés et l’irruption du marxisme et de ses promesses. » Avec un risque de « destruction de la théologie qui évoluait vers une politisation dans le sens d’un marxisme messianique ». « Fondée sur l’espérance biblique […] la ferveur religieuse était maintenue mais Dieu était écarté et remplacé par l’action politique des hommes ».

Toujours à propos de Tübingen, il voit « l’existentialisme se propager et la révolution marxiste conquérir toute l’université jusqu’à l’ébranler dans ses fondements ». « J’ai vu la face cruelle de cette piété athéiste, la terreur psychologique, la perte de toute retenue dans la critique de toute prise de position morale jugée comme un reste de bourgeoisie dès lors que cela servait le but idéologique ». Particulièrement insupportable à ses yeux, cette idéologie « portée au nom de Dieu et qui utilise l’Église comme son instrument [est] prête à sacrifier toute l’humanité à son faux dieu ». Mais à la question de savoir si les révoltes étudiantes avaient été un traumatisme pour lui, le pape émérite répond clairement : « absolument pas ».

Ce qui l’inquiète surtout, c’est la perte de la foi qu’il constate chez les jeunes et, de façon générale, chez l’ensemble des catholiques. En 1968, il publie Introduction à la chrétienté qui, à sa grande surprise, est un succès : en quelques mois, pas moins de dix éditions sortent de presse.

Le 3 avril 1969, le pape Paul VI impose un nouveau Missel tout en interdisant le Missel romain qui existait jusqu’alors avec la messe en latin à laquelle les fidèles étaient accoutumés. C’est une levée de boucliers. Et pour Joseph Ratzinger, un signal : « Que l’on pose cette interdiction comme une réalisation totalement nouvelle en rupture avec l’histoire, et qu’ on fasse ainsi apparaître la liturgie non comme une création vivante en pleine croissance, mais comme le produit d’un travail savant de juristes compétents, cela nous a extraordinairement affligés ».

Il insistera plus tard sur ce problème, fondamental à ses yeux, de la liturgie : « Je suis convaincu que la crise de l’Église que nous traversons aujourd’hui repose au fond sur la désagrégation de la liturgie… » Ce en quoi il s’oppose à toute la nouvelle vague de théologiens, au premier rang desquels l’incontournable Hans Küng.

En octobre 1969, Joseph Ratzinger part pour l’Université de Regensburg en Bavière. Il écrit un nombre impressionnant de lettres, 30 000, jusqu’à sa nomination épiscopale, à ses amis et collègues. C’est là qu’il va tenter d’apporter des réponses à la crise religieuse et culturelle de son époque en s’appuyant sur sa notoriété, qui est devenue mondiale.

Avis de tempête

Le 14 septembre 1970, il prononce un discours intitulé « la situation de l’Église aujourd’hui, espoirs et dangers », pour le jubilé des soixante ans de sacerdoce du cardinal Frings. Le jour de la fête de la Sainte-Croix, devant 800 prêtres et des hommes politiques de tous bords, il compare la situation de l’Église à celle qu’elle était en 375. Saint Basile avait alors vu l’Église comme un bateau en pleine tempête. À l’appui de ce texte du IVe siècle qu’il juge incroyablement moderne et très adapté à ce que vit l’Église, Joseph Ratzinger déclare : « Certainement, l’Église a donné l’impression autrefois d’être figée et uniforme. Mais, aujourd’hui, ceux qui souhaitaient plus de diversité et de mouvement sont effrayés de voir de quelle manière leurs vœux se sont accomplis ». Il parle de « bouleversements spirituels » et du « combat des évêques autour de l’affirmation centrale de la foi […] ayant apporté un sentiment d’insécurité inconnu jusque- ». Jamais aucun homme d’Église de ce rang n’avait tenu des propos aussi précis et offensifs.

Son combat, il le poursuit cette année-là sur les ondes en donnant sa vision de l’Église en l’an 2000 : « De la crise d’aujourd’hui découlera une Église de demain qui aura beaucoup perdu. Elle sera petite […] avec un nombre réduit de pratiquants, elle perdra beaucoup de ses privilèges dans la société. Elle sera beaucoup plus forte comme communauté libre, elle connaîtra d’autres formes de prêtres et de chrétiens éprouvés qui feront profession d’être prêtres [il pense à cette époque à la possibilité de consacrer des viri probati]. […] Mais à leurs côtés, le prêtre sera plus que jamais indispensable ».

Le 4 juin 1970, il prononce un véritable plaidoyer pour « son » Église : « Pourquoi est-ce que je suis encore dans l’Église ?». Il y compare l’Église du Christ à la lune qui brille mais dont la lumière vient d’un Autre, et qu’il faut aimer malgré ses rides et ses cicatrices. En 1972, il songera à la possibilité d’un remariage pour les divorcés à des conditions très strictes. Il proposera que les personnes ne pouvant communier reçoivent la bénédiction du prêtre mains croisées sur la poitrine. Enfin en 1973, à la radio, il parlera de la « maîtrise totale de la vie et de la mort et de la disparition de la différence entre l’homme et la femme », comme des deux problèmes qui se poseront dans une société où les changements vont de plus en plus vite.

Il ne cesse pour autant d’écrire : co-fondateur et co-auteur de la revue de théologie Communio, il publie de nombreux articles qui s’éloignent de la tendance progressiste de la revue Concilium créée en 1965.

Ratzinger à la barre

Un beau matin de mars 1977, le nonce apostolique Guido del Mestri vient rendre visite à Joseph Ratzinger qui vient d’achever les cours du semestre. Les deux hommes parlent de choses et d’autres et, en partant, le nonce lui glisse une lettre cachetée qu’il doit, lui dit-il, prendre le temps de lire tranquillement. C’est sa nomination par le pape Paul VI à l’évêché de Munich et Freising, place forte de l’Église catholique. Pour lui c’est « une surprise, oui, un choc », car non seulement il ne s’y attend pas mais, à 50 ans, il compte pouvoir se consacrer à son œuvre théologique. Il va même demander conseil à son confesseur lequel, contre toute attente, lui conseille d’accepter. Il passe une nuit de prière, et confie à son assistant : « Je dois vous faire part de quelque chose d’effrayant qui se passe. Je viens de recevoir une demande de nomination à l’évêché de Munich. Et je l’ai acceptée ».

À l’annonce officielle, le 25 mars 1977, Hans Küng ne peut s’empêcher d’éructer : « Il reste à espérer que malgré son œuvre défaillante, Ratzinger sera oublié tout comme le cardinal Ottaviani dont les jeunes théologiens se souviennent à peine ». Le 23 mai 1977, Joseph Ratzinger arrive à Munich tout auréolé de sa réputation ; il est reçu par les autorités de tous bords politiques. Pour la première fois dans l’histoire de l’Église allemande, la cérémonie est retransmise en direct à la télévision huit jours plus tard.

Pour son blason, il choisit des symboles étranges qui unissent à ses yeux la tradition et la modernité : le maure et l’ours, choisis depuis un millénaire par les évêques de Freising, auxquels il ajoute la moule, symbole du pèlerinage éternel et de la recherche de la sagesse, référence à son cher maître le grand saint Augustin.

Une deuxième surprise l’attend : le nonce lui annonce l’intention du Pape de le nommer cardinal à Rome le 27 juin suivant.

Pour le nouvel évêque de Munich, la tâche n’est pas de tout repos dans sa Bavière natale car il rencontre l’hostilité de nombreux prêtres, professeurs et médias locaux. Dans un contexte de déchristianisation accélérée (l’Église allemande perd un tiers de ses catholiques pratiquants de 1967 à 1973), il est un des rares intellectuels de sa génération à dénoncer pendant les cinq années de son épiscopat une « pollution intellectuelle de l’environnement » se manifestant notamment par « le nombre croissant d’enfants avortés », une « brutalisation de la société par les médias de masse », enfin une « époque caractérisée par l’incapacité de croire et l’incapacité de se réjouir ».

« Si nous ne retrouvons pas une part de notre identité chrétienne, martèle t-il alors d’une façon prophétique, nous ne serons pas en mesure de répondre aux exigences de l’heure. Une humanité qui se détacherait de Dieu disparaîtrait et de cette façon ne serait plus dans la liberté mais dans l’esclavage. »

 

Illustrations : Dans le monde entier, des églises sont vandalisées, saccagées, profanées, incendiées. Mais surtout, elles sont vides, désaffectées, vendues…

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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