Sahel: le pari d’Emmanuel Macron, par Gil Mihaely.
Emmanuel Macron à Gao au Mali, 19 mai 2017 © PETIT TESSON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 00807410_000016
Le président Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane. La France n’a plus les moyens d’assumer l’endiguement de la montée djihadiste dans le Sahel
Le 10 juin, Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane, après presque sept ans. Si elle semble très claire de premier abord, cette information est en réalité, pour reprendre le bon mot de Churchill sur la Russie, un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme. Surtout que l’annonce vise plusieurs audiences différentes.
Chacun entend ce qu’il veut
Pour la majorité des destinataires de cette déclaration, les opinions publiques, cela veut dire que nos soldats rentrent à la maison illico. Ainsi, on peut parier déjà dans les semaines ou mois à venir que beaucoup de nos compatriotes vont être surpris d’apprendre que des militaires français – assez nombreux par ailleurs – continuent à opérer au Mali et que certains pourraient même mourir en action ou accident. Or, quelle que soit la forme qu’elle prendra désormais, la décision présidentielle n’annonce pas la fin de la présence militaire française dans le Sahel. Le nombre de militaires français – un peu plus de 5000 aujourd’hui – serait réduit de moitié d’ici… 2023. Certaines installations et bases vont être démantelées, fermées ou transférées à d’autres forces, ce qui peut demander plus de temps encore. La fin de Barkhane annonce toutefois la fin d’une logique, la fin d’une stratégie dans notre lutte contre les djihadistes. Désormais, ce fardeau serait porté par une force européenne, dont la France sera la colonne vertébrale. Une structure opérationnelle nommée Takuba, créée suite au sommet de Pau du 13 janvier 2020, va prendre la relève dans les mois ou années à venir. Onze États ont signé il y un peu plus d’un an une déclaration commune servant de base politique à cette « task force », et on peut espérer voir sur le terrain dans les mois qui viennent des forces estoniennes, tchèques, suédoises, italiennes, grecques et plus tard des danoises aussi. Autrement dit, l’idée est d’ « européaniser » le casse-tête sahélien ou au moins élargir le cercle des pays concernés.
Est-ce que cela va coûter moins cher à la France ? Cela sera-t-il plus efficace militairement ? On ne peut que se perdre en conjectures. La seule certitude est que cela va être politiquement beaucoup plus compliqué. On se souvient du retrait rapide des forces espagnoles de l’Irak après l’attentat le 11 mars 2004 à Madrid. Mais même sans pareil drame, il suffira d’un changement de majorité dans l’un des pays de cette force Takuba pour voir ses soldats faire leurs packages, baisser les couleurs et rentrer à la maison.
Les Africains et les autres pays européens appelés à se prendre en main
Le deuxième groupe de destinataires de l’annonce française est africain. Ce sont les principaux concernés. Plus précisément les élites politiques, militaires et économiques du Mali et ses voisins. Tout le monde connait la source des maux qui rongent le Sahel : les multiples dysfonctionnements des États africains.
Engagé en Afrique de l’Ouest, Paris ne peut plus se retirer sans avouer son échec et perdre la face. Or, ce qu’on appelle « state building » ou « nation building », cet effort colossal de très longue haleine dont l’objectif est de doter ces nations de véritables États est impossible sans la mobilisation et l’implication des élites locales. Sauf que celles-ci ont déçu et rapidement renversé les rapports de force avec la France. C’est la France qui court perpétuellement après des responsables locaux récalcitrants et exigeants ! Voilà, comme disent les Américains, que c’est la queue qui remue le chien… Toute la question est maintenant de savoir si ce coup de poker de Macron marchera. Est-ce que ceux qui décident au Mali vont vraiment croire que la France pourrait les lâcher ? Est-ce que les mots du président français sont suffisamment inquiétants pour les pousser à l’action ? Rien est moins sûr, mais ce n’est pas non plus exclu.
Djihadistes: un message qui ne va pas tomber dans l’oreille d’un sourd
Enfin, il y a l’auditoire djihadiste. Pour eux, la position française est un signe de faiblesse. Ces ennemis savent que la France n’a pas de but de guerre classique plus ou moins bien défini au Sahel.
L’idée française était de servir de bouclier et de brise-lames pour protéger les fragiles pays du Sahel, comme un agriculteur se protège des assauts du désert qui ne cesse d’empiéter sur les terres cultivées en plantant des arbres. Il faut tenir dans la durée dans un marathon d’endurance pour empêcher la chute de toute l’Afrique de l’Ouest entre les mains d’une alliance des narcotrafiquants et des jihadistes pouvant semer le chaos du Sénégal à la Côte d’Ivoire, transformant la région en gigantesque Burkina Faso.
Macron vient de faire un pari risqué, et nous ne pouvons qu’espérer qu’il soit finement calculé. Cependant, il est difficile d’imaginer comment une force européenne fonctionnerait mieux qu’une force française cohérente, ni pourquoi d’autres pays tiendraient mieux dans la durée que nous. L’Afrique de l’Ouest est plus que jamais en danger et la France vient d’annoncer officiellement que protéger cette région est désormais au-dessus de ses forces. Ou peut-être de sa volonté.