Présidentielle 2022 : l’abstention et les pleureuses du commentaire politique, par Natacha Polony.
À chaque élection, les éditorialistes déplorent une abstention record et font mine de s’interroger sur les causes de ce qui commence à ressembler à un naufrage démocratique.
© Hannah Assouline
L’ensemble du système politico-médiatique concourt depuis plus de vingt ans à empêcher qu’une offre alternative émerge, déplore Natacha Polony. Car elle signe avant tout le naufrage de tous ceux qui, depuis tout ce temps, s’ingénient à nier les fractures qui déchirent la société française et à repousser toute offre alternative dans les franges de l’extrême droite.
L’exercice est désormais convenu. À chaque élection, les éditorialistes déplorent une abstention record, font mine de s’interroger sur les causes de ce qui commence à ressembler à un naufrage démocratique – millefeuille administratif incompréhensible, cette fois-ci renforcé par la scandaleuse réforme territoriale de François Hollande, coronavirus qui tient les gens chez eux, déconfinement qui les incite à sortir… –, et puis on reprend le train-train médiatique, les commentaires sportifs sur le thème « untel a fait un croche-patte à untel et prend la corde »…
De temps en temps, un sondage rappelle, comme l’étude de la Fondapol, que, pour 64 % des ouvriers et 67 % des peu ou non diplômés, les médias parlent de sujets qui ne les concernent pas. Celle de Viavoice précise que ce sont les politiques qui, pour 44 % des Français, ne répondent pas à leurs attentes. Un lien de cause à effet ? Mais non, évitons ces questions oiseuses et continuons à nous faire croire que les électeurs ont largement le choix et que, s’ils ne votent pas, c’est avant tout parce qu’ils délèguent à d’autres, par paresse ou indifférence, le soin de présider à leur destinée.
Il y a quelques jours, Arnaud Montebourg publiait dans le Monde une tribune livrant sa vision du paysage politique français. Dix ans après la fameuse note du think tank Terra Nova qui entérinait l’abandon par la gauche de la classe ouvrière, l’ancien ministre du Redressement productif dresse le bilan de ce ralliement de la gauche au dogme de la mondialisation heureuse, l’abandon d’une réflexion économique sur les salaires, la production et le nécessaire protectionnisme social et environnemental, l’abandon, également, d’une réflexion culturelle sur l’amour du travail, l’émancipation individuelle et la maîtrise par chacun de son destin.
L'analyse Montebourg
Alors même que Terra Nova récidive en publiant cette fois une note signée Pascal Canfin, député macroniste ancien écologiste, et saluée par l’éditorialiste politique de France Inter, Thomas Legrand, pour démontrer que, face aux « souverainistes » forcément adeptes du « repli » une « mondialisation progressiste » se met en œuvre, qui permettra la régulation, sous l’impulsion d’un Joe Biden généreusement « multilatéraliste » (et pas du tout occupé à asseoir l’impérialisme américain sous des dehors sympathiques et ouverts), Arnaud Montebourg tente de dessiner ce qui pourrait être une offre politique capable de s’adresser à tous ceux que le système actuel broie ou pressure, ceux qui respectent les règles et se font avoir. « Petits commerçants, artisans, travailleurs indépendants, agriculteurs, ouvriers, employés, fonctionnaires de première ligne », écrit-il, associés à une « bourgeoisie d’intérêt général, chefs d’entreprise, hauts fonctionnaires, intellectuels, créateurs » ceux, donc, qui font partie des gagnants du système mais qui considèrent malgré tout qu’il nous amène au chaos.
On peut ergoter sur le découpage qu’opère Arnaud Montebourg entre un « bloc bourgeois macroniste » et un « bloc réactionnaire » lepéniste, mêlant sociologie et idéologie. Peu importe. Le fait politique majeur est celui-ci : Arnaud Montebourg n’est, dans l’état actuel des choses, pas candidat à l’élection présidentielle. Son analyse, pourtant, offrirait un débouché à tous ceux qui ne veulent ni de la nouvelle ligne identitaire d’un Mélenchon qui tourne le dos à son populisme de gauche de 2017, ni des vacuités sociétales d’une gauche dominée par des écologistes incapables de se positionner contre une mondialisation destructrice de l’environnement et des protections sociales, ni d’une droite macronienne ou LR pour qui l’urgence est encore et toujours de répondre aux injonctions des grandes orientations des politiques économiques européennes en détricotant le système des retraites et le marché du travail, ni enfin des caricatures d’un RN occupé à radicaliser ses positions sur l’immigration et la sécurité pour masquer son absence totale de réflexion économique.
Pas d'alternative ?
Mais une option fondée sur l’indépendance nationale par les capacités de production, sur un renouveau démocratique par la reprise de contrôle des outils de la souveraineté autant que par l’affirmation de la primauté de la volonté populaire, sur la cohésion des citoyens autour d’une vision partagée de la France et de la République, n’existera pas.
On aurait tort de réduire cela à des questions de personne. L’ensemble du système politico-médiatique concourt depuis plus de vingt ans à empêcher qu’une telle offre émerge. Car elle signe avant tout le naufrage de tous ceux qui, depuis tout ce temps, s’ingénient à nier les fractures qui déchirent la société française, à repousser toute offre alternative dans les franges de l’extrême droite, bref, à maintenir à toute force un système dont ils sont les gagnants et les gardiens.
Nul ne peut présumer ce que sera cette année électorale. Le moins que l’on puisse dire est qu’elle commence dans la bouffonnerie, la cacophonie et, parfois, l’abjection. Cependant, on peut aussi choisir de débattre du fond, de la taxation des multinationales, de la place de la France dans le monde, de son identité, des mécanismes de régulation, du rôle de l’État comme garant des libertés et des moyens de l’égalité, services publics et infrastructures, plutôt que comme machine à produire de la norme… Faire vivre la démocratie plutôt que déplorer sa mort.
Source : https://www.marianne.net/