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Philippe de Villiers: «McFly et Carlito, les pitreries d'État d'Emmanuel Macron».

Philippe de Villiers. AFP

Le «concours d'anecdotes» qui s'est tenu à l'Élysée finit de saper la verticalité du pouvoir et de déconstruire l'État, déplore Philippe de Villiers.

Lorsque nous nous sommes rencontrés, pour la première fois, à la fameuse brasserie «La Rotonde», il me sembla très vite, au ton de la conversation, qu'une question lancinante affleurait dans le propos tenu à l'unisson par ce couple d'humeur et de maturité curieusement dépareillées.

Emmanuel Macron insistait:

– Que manque-t-il donc au sommet de l’État ?

– L’incarnation, répliquai-je à l’instinct. Il manque la verticalité.

– Quelle verticalité ?

– Celle du Régalien, du mystère. Le président doit habiter le corps du roi.

Brigitte saisit le bras d’Emmanuel et répéta mezza voce:

– Il a raison ! Tellement raison !

Tous deux pensaient, en creux, à Sarkozy et à Hollande.

La résolution était prise. Elle ne dura pas longtemps. Juste le temps de la Pyramide du Louvre et puis la réception de Poutine à Versailles. La verticalité sombra avec la Fête de la Musique, sur le perron de l’Élysée.

Cinq ans après, où en sommes-nous ? L’Élysée est vide. Il n’y a plus que les fous du roi. Une sorte de coup de force: la pitrerie d’État. Il faut se pincer pour penser que de Gaulle a habité cette maison. On a basculé, avec un «concours d’anecdotes» au Palais, où deux jeunes exhibitionnistes dégingandés, déjantés, très sympathiques mais incapables de formuler une locution cohérente, habitent et portent dans leurs galipettes le royaume d’insignifiance. La rivalité mimétique de la drague et du néant.

On sent bien pourquoi notre président, aspiré par le trou d’air d’un quinquennat de la vacuité, fait tout cela: il veut plaire. Plaire à la jeunesse, ou plutôt la rattraper. Après l’avoir enfermée pendant un an. Il cherche à solder les rancunes et anticiper les angoisses de tous ces sacrifiés du sabir cyberglobal qui ont navigué entre le présentiel, le distanciel et le démerdentiel.

Les images de cet exercice de dérision où, de borborygmes en borborygmes, chacun surjoue la surprise feinte et le rire excessif, ne s’effaceront pas de sitôt. On a touché le fond. C’est une éclipse. Et sans doute un tournant de la sociabilité française ou de ce qu’il en reste.

Nous voici au jour d’après, nous entrons de plain-pied dans la société virtuelle, où il faut apprendre à vivre son immaturité. «À vivre»? Façon de parler. Plutôt à tuer le temps, le temps long. Le réel, les ancrages, la poésie des grandeurs intimes, tout ce qui compose les tapisseries intérieures d’un peuple, tout cela s’est affaissé en 36 minutes de barbarie douce. Les murs porteurs sont tombés. La demeure de l’Élysée est vacante. On y vaque. On fait des roulades sur le gazon décadent, entre les parterres aux éloquences fanées, en riant au-dessus du vide, comme des morts-vivants qui trinquent à leur entrée, derrière le roi de la parodie digitale, en terre de promission numérique.

Il est d’ailleurs symptomatique que ce «concours d’anecdotes» repose sur le travestissement. Chacun invite l’autre à inventer des histoires fausses, à prendre des airs sincères et impénétrables pour mystifier le concurrent. On a pu mesurer ainsi que, dans le jeu du «mentir vrai», notre président faisait preuve d’aptitudes remarquables. Il a menti en direct, avec un aplomb qui, nous ramenant à la vraie vie, fait froid dans le dos. Quand il nous a dit : «Le virus n’a pas de passeport», c’était pour jouer?

Emmanuel Macron aurait pu glisser un mot sur la France, sur la nation, sur l’avenir de la jeunesse. Il ne l’a pas fait. Il s’est laissé consumer en échanges ludiques dans le seul espoir de séduire les nouvelles générations virales des Pandemials – tous ces zappeurs – victimes des hussards noirs de l’Open Data qui veillent à en faire des cancres de l’inclusif. Le bateau ivre coule et on le leste de plomb. Le commandant numérise le naufrage. Le jeu de l’Élysée entre McFly et McRon salue l’arrivée sur l’Agora de l’homme qui zappe, l’homo zappiens. C’est terrifiant.

Le masque nous aura confinés le discernement, bâillonné le bon sens. Un peuple légume, conduit par la peur, met son cerveau en muselière. Alors, toutes les futilités de l’esprit deviennent possibles. Notre président a ainsi, à sa manière, fêté au Métal, dans les jardins de l’Élysée, le déconfinement. C’est un symbole fort du macronisme: la nouvelle société post-Covid, perdant toute consistance, parvenue à l’état liquide, se décompose en une sorte d’amas de particules gazeuses en suspension. On rit sans savoir pourquoi. Knock a tué Aristote.

Pendant cinq ans, Emmanuel Macron aura laissé s’élargir l’angle mort du régalien. Il aura encouragé le mémoricide français. De verbiages en batifolages, il aura pris soin d’éteindre la petite flamme des ferveurs naissantes. Sa logorrhée aura laissé la jeunesse française de la désappartenance divaguer entre le digital et la cancel culture, dont il aura été le ludion utile. C’est dans cette nouvelle société des algorithmes, désagrégée, distanciée, désaffiliée, qu’on fait grandir des plantes d’hébétude qui promènent leurs étourdissements dans l’air du temps.

Nos élites du Village global s’extasient, «McFly et Carlito à l’Élysée… c’est quand même une belle opération…» Voilà ce qu’on entend dans les commentaires. On salue l’artiste. Dix millions de vues, une correction d’image, un président jeune qui joue avec les jeunes et qui accepte d’être «challengé», en son palais aux ors intimidants… Une «opération». Oui – le mot est juste –, c’est une «opération». Ce n’est pas un exercice de vérité, c’est le contraire. C’est une imposture, un mensonge, le pire des mensonges, le mensonge à des enfants crédules, bercés d’expériences frelatées. On envoie de la mie de pain au fretin, pour mieux le prendre dans les hameçons. L’apparente sincérité n’est qu’un détour. Il s’agit de ferrer le banc de poissons pour la prochaine friture. C’est misérable.

Entendons-nous bien: pour les youtubeurs qui cherchaient à épingler à leur tableau de chasse le locataire de l’Élysée, il y a de quoi jubiler. Ils ne sont pas sans talent et ont le goût du défi. Que d’énergie gaspillée ! Mais on détourne ainsi les jeunes générations de la vérité de leur destin. Ce fameux «concours d’anecdotes» restera dans l’histoire, comme l’allégorie d’un soufflet ultime au visage de la France tuméfiée et qui s’abîme. La France n’est pas une «anecdote», une devinette, un jeu de petits paris où le chef de l’État, ancien parieur de casinos, prenant la posture de l’inconsistance avec une facilité dérangeante, feint d’appartenir au monde des futilités adolescentes.

La survie de notre pays en perdition tient à deux fils ténus. Le premier relie nos voisinages et affections, la nation est une famille de familles, elle se disloque en un archipel ; le second dessine l’imaginaire, à partir de songes anciens et de représentations immémoriales aux couleurs et reliefs exagérés par les morsures du Temps long. Si on perd le fil, le fil qui relie et celui qui court dans la trame, la nation se défait. Il faut donc parler à la jeunesse en vérité, sans chercher à la séduire. Lui parler de ce qui l’attend et lui parler de ce qu’on attend d’elle. Lui parler de ce qui, en son temps, à sa place, nous a engerbés, de ce qui nous a portés, de ce qui nous fait encore rêver.

Victor Hugo avait eu le mot qui convient: «Il faut faire des têtes épiques !». La conjugaison du temps long est une épopée pour les gens d’oblation et de tendresses à vif. Il faut faire rêver la jeunesse, aujourd’hui écorchée vive. La vie n’est pas un jeu, c’est une épreuve. Il faut choisir, pour nos jeunes, les défis et les rêves qui les portent au-dessus d’eux-mêmes et éprouvent leur caractère. Pas les spasmes hallucinatoires qui les épuisent dans leurs langueurs. Mais les romances et prosopopées de l’incandescence qui s’accordent au feu de leurs ferveurs trop souvent inhabitées. Plutôt qu’un «concours d’anecdotes», le président-joueur aurait dû leur proposer le grand voyage dans la France de l’intime où ils trouveraient les ressources de leurs pérégrinations futures, en pays de gravité et de mélancolie. Dans la vieille demeure invisible, à l’écho profond, ils apprendraient à porter à leur tour la poutre maîtresse. Il faut leur proposer un double voyage, dans la géographie où sont nos aide-mémoire et nos fragrances d’ivresse et puis dans l’histoire où flottent nos panaches. La France est le plus beau terrain de jeu qui se puisse concevoir au monde.

Le dépôt millénaire s’offre à eux comme un trésor moral incomparable, irremplaçable. Les paysages de France, la marque du temps sur les chefs-d’œuvre imprimeront au fond de leurs cœurs, assez de nostalgie créatrice pour leurs enfantements à venir. Notre mémorial est tellement riche de villanelles et de figures touchantes que leurs embrasements iront chercher le souffle lyrique qui se cache encore dans les brises et les saisons.

Il faut sortir du happy management, retrouver les fondations, rétablir l’État. L’enfant du Touquet n’est pas l’homme de la situation. Il joue et casse son jouet, il est dans le happy management. Il n’a su que déconstruire: l’histoire, l’État, la société, la civilisation.

Le Young Global manager de Davos nous rappelle, hélas, la prophétie de l’Ecclésiaste : « Malheur au royaume dont le prince est un enfant .»

Source : https://www.lefigaro.fr/vox/

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