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L’instant du silence, par Claire Merced.

S’il ne reste de nos œuvres et de nos vies que ce qui est fondé en Dieu, peut-être retrouverons-nous outre-monde les peintures de Boissoudy.

Sûrement n’auront-elles pas été transportées grâce à des échelles depuis la terre, emballées dans du papier-bulle.

Quelle forme l’art prendra-t-il au Ciel ? Que restera-t-il des visions qui, sur terre, tentaient de témoigner d’une Présence invisible, par son rayonnement dans notre humanité – dans la splendeur de l’instant, dans la plénitude d’un cœur ?

La jouissance et le souvenir de certaines œuvres artistiques peuvent soutenir au cours du pèlerinage terrestre ; la commémoration de la beauté ramène l’âme à la vie. L’errance assoiffée d’un cœur vide peut mener à l’abîme, sans l’art qui est célébration du jour, fête au milieu des ombres.

On pourrait dire que ce sont des ombres que François-Xavier de Boissoudy peint. Des ombres dansantes à la clarté d’un feu qui ne naît pas de la terre. Un feu semblable au Ciel : il répand sa flamme dans le cœur, dans l’atmosphère, dans la netteté irisée d’un paysage brusquement transcendé de magnificence.

Ces ombres ont des visages. Bien que divers, les personnages de Boissoudy pourraient, d’écho en écho, être les mêmes. Les mêmes dans des vies, des temps différents. On pourrait se reconnaître dans ces visages à la fois précis et adoucis. Peut-être est-ce la douceur des contours et des traits qui leur donne ce profil rêveur, ce mystère de la reconnaissance universelle. Cette douceur ne vient pas tant des personnages que du regard du peintre ; et elle est un témoignage qu’il rend : un témoignage du sacré de chaque être, du respect – la révérence, cette crainte pleine d’amour qui saisit le fidèle devant Dieu – avec lequel l’autre s’accueille.

Chacune des expositions précédentes semblait empreinte d’une couleur dominante : les jaunes brumeux, les gris-bleu-vert mélancoliques et doux de « Paternité » ; le noir aux profonds reflets bleus ou bruns, ciselant l’incroyable blancheur d’une « femme nommée Marie » et « Annonciation » ; l’or pâle et froid tailladé de noir du « Chemin de Croix » ; la terre de Sienne embrasée, mordorée, éblouissante de « Béatitude », comme un torrent de lumière roussie débordant terre et cœur.

« Que ton règne vienne » mêle les atmosphères et les réalités.

Dans une cavité, une mère et son enfant reposent. L’éclair de leurs corps est auréolé d’un rose terreux : Dieu s’est fait chair, il s’est fait terre. Nul ne le sait ; au-dessus, un lourd ciel glauque, presque aquatique, est traversé de figures incertaines : un dragon ? Des songes ? Le jaillissement de cette lumière qui semble grandir à l’horizon, embrassant la terre ? L’obscurité est pleine de murmures. Voilà l’annonce du règne, voilà son aube : une révélation chuchotée au creux du monde, la fragilité nue d’une mère et de son nourrisson au sein. La main maternelle, calme et aimante, vient enserrer l’enfant, insouciante du chaos extérieur, insouciante de leur vulnérabilité. Elle sait la force contenue dans le vase frêle de leur corps : elle sait qu’au-dehors, les gigantesques noirceurs se débattant sans fin sont défaites ; que la puissance ouvre une brèche dans ce monde et irradie, par leur faiblesse.

Une nouvelle création s’accomplit. Elle est toujours en cours. « Rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour. »

« Que ton règne vienne » est une méditation, une exploration, une prière. Ce qui est caché au secret de la terre, au secret des âmes, doit encore être dévoilé ; et le Règne aussi, doit se dévoiler à nous, monter au grand jour de nos vies, resplendir à nos yeux comme il embrase les personnages.

La solaire liberté des peintures exulte : nous sortirons de nos tombeaux, nous verrons « la bonté du Seigneur sur la terre des vivants. » Elle nous demande : « Où êtes-vous errant ? Vivez-vous dans vos maisons ? Marchez-vous sur la terre de liesse, ou sur celle des sépulcres ? »

Chercher, Guetter… : quel désir nous mène, quel visage dessinons-nous à l’aveugle, quelle espérance nous tient au fond des entrailles ? Les peintures radieuses, les esquisses énigmatiques happant la pensée, entraînent à leur suite ou invitent à un regard de vérité, à l’écoute de ce qui bruit au fond de l’être.

Voir dépeint une des scènes les plus ordinaires de la vie. À regarder la toile, on se demande si cette scène existe ailleurs que dans l’éternité. Un enfant, sur les genoux de sa mère assise sur un canapé, regarde quelque chose. On ne voit rien. On sait que le Royaume est là. Le voyons-nous également dans nos vies ?

Naître, Revenir, Reconnaître… : le bondissement, l’effusion, la sidération. Boissoudy, peintre du sacré de la vie humaine, de la divinité de cette vie, et de l’humanité de Dieu, restitue l’impossible en peinture : il attrape l’instant du silence. L’instant de l’adoration, de la joie limpide qui s’élance. De l’incommunicable.

« Que ton règne vienne », à la Galerie Guillaume, 32 rue de Penthièvre, 75008 Paris, jusqu’au 29 mai (et peut-être au-delà). Il existe un catalogue, avec un texte de Thibault de Montaigu, publié aux Éditions Conférences. galerieguillaume.com.

 

Illustration : Séjourner ou Le règne animal

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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