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La protection des langues régionales consacrée à l’Assemblée nationale, par Paul Châteauvert.

La loi Molac donne aux langues régionales encore plus de substance : on peut s'en réjouir ; en même temps, l'arabe étant considéré comme une « langue de France » [sic], cette loi, bonne en soi, porte en elle de dangereux germes.

Que d’admiration suscite de par le monde la langue de Molière ! Bijou poli au fil du temps, ce qu’elle ne peut dire, elle le fait aisément ressentir, et décline les émotions de plusieurs façons, jusqu’au travers de nos langues régionales.

La question des dialectes locaux, l’Assemblée nationale s’en est saisie dans cette première moitié d’année 2021. Rien ne semble échapper à son étude, c’est d’ailleurs peut-être là que réside le problème du Parlement. Quoi qu’il en soit, l’œil juridique du législateur s’est intéressé à la protection et la promotion des langues régionales, ce qui n’a pas manqué de susciter des débats passionnés dans l’hémicycle, chacun voulant faire valoir la défense de son territoire.

Au premier abord, le droit n’est pas tendre à l’égard des langues régionales et dispose, dans des principes constitutionnels d’inspiration jacobine qui semblent être sans appel, que « la langue de la République est le français. » La loi de la République s’appliquant de manière uniforme sur son territoire, le principe semble assez péremptoire. Il supporte pourtant des applications très tempérées. Le principe de libre administration des collectivités territoriales est, par exemple, consacré à l’article 72 de la constitution. Plus explicite encore en ce qui concerne notre sujet, l’article 75-1 dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

Des langues normales et normalisées

Pourquoi donc vouloir légiférer sur une question qui bénéficie déjà d’une qualification constitutionnelle ?

La proposition de loi de Paul Molac, député du groupe Libertés et territoires, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, composée dans sa version finale de onze articles, prévoit des mesures dans différents domaines. Outre les mesures symboliques (signes diacritiques sur les actes d’état civil, langues régionales sur les signalétiques de l’espace public, consécrations au sein du code du patrimoine), les dispositions ayant suscité le plus de débats concernent le secteur de l’enseignement. Les députés ont inséré au sein du code de l’éducation la possibilité d’un enseignement immersif en langues régionales (c’est-à-dire où la langue régionale est la première langue pour toutes les matières scolaires). La question du financement fut également abordée puisque l’article six dispose, sous conditions, d’une participation financière publique pour la scolarisation des enfants dans des établissements privés dispensant un enseignement de langues régionales. Le texte prévoit enfin, pour ce qui concerne l’enseignement, que les langues régionales seront enseignées dans le cadre des horaires normaux du primaire et du secondaire, le but étant de proposer à tous les élèves l’enseignement d’une langue régionale. Cette mesure s’inscrit dans le cadre des conventions entre l’État et les différents territoires concernées par les langues régionales.

C’était donc au ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, d’apporter la contradiction au rapporteur lors des séances de débat sur ce texte. Cette contradiction s’est parfois illustrée d’une manière pour le moins surprenante. Le ministre a ainsi évoqué la possibilité que le texte ne favorise le séparatisme. Certains députés ont par ailleurs exprimé plus ouvertement leur crainte que ce texte n’ouvre la porte à d’autres langues et notamment les langues étrangères issues du Maghreb. Le rapporteur du texte leur a opposé plusieurs éléments de droit : d’abord le code de l’éducation nationale fait référence aux langues régionales. La loi française concerne le territoire français : lorsqu’elle évoque les régions, il s’agit donc des régions françaises. Vient ensuite le rappel de la constitution : « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». On parle donc bien ici des régions françaises.

La pratique précède le droit

Les territoires du Maghreb, s’ils ont pu l’être un jour, ne sont plus aujourd’hui des régions françaises. L’arabe qui y est parlé n’est donc pas une langue régionale au sens du texte adopté par l’Assemblée nationale. C’est bien le patrimoine français que les députés ont souhaité mettre en avant à travers ce texte qui fut défendu ici par les Bretons, là par les Occitans, là par les Picards, ou encore par les Alsaciens.

Les inquiétudes sur la consécration de l’arabe comme étant une langue régionale sont compréhensibles. Bien souvent la pratique précède le droit. En l’espèce, l’arabe n’a pas attendu d’être consacrée par le législateur comme langue régionale pour s’imposer, par le biais de l’immigration et l’aide gracieuse de l’administration, comme une langue de France. Un rapport de 2013 de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France dresse une nomenclature dans laquelle figurent, au sein de la catégorie « Langues de France / Langues non-territoriales » (distincte de la catégorie « langues régionales »), l’arabe dialectal, le yiddish ou encore le berbère. Cette classification est reprise par un rapport de juillet 2013, présenté à la ministre de la Culture et de la Communication par le comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, qui énonce que : « la liste sur laquelle se fonde le ministère de la Culture pour mener son travail de valorisation et de promotion des langues de France constitue un bon point de départ, bien qu’elle n’ait aucun caractère officiel, aussi demande-t-elle sans doute à être “revisitée”. » La consécration de l’arabe comme « langue de France » dit quelque chose du glissement qui s’opère au sein de l’administration. Quand bien même l’arabe ne serait pas consacré par la loi comme étant une langue régionale, cela n’empêche aucunement l’administration d’œuvrer en faveur de sa promotion et de sa diffusion.

Alors que la règle juridique est claire, son application, elle, demeure floue et peut légitimement inquiéter lorsque son contournement est le fait de l’administration supposée être exemplaire. Ce texte ne serait pas le premier à être détourné de sa finalité pour servir de véhicule à une propagande idéologique. S’il est déjà étonnant que l’arabe soit considéré comme « langue de France », il serait préoccupant qu’il bénéficie du statut de langue régionale au détriment de la langue française, au regard des conséquences civilisationnelles que cela implique. C’est un enjeu de protection de nos territoires, de leurs cultures et de leurs traditions.

Par 247 voix contre 76 parmi lesquelles figurent celles des Insoumis, qui n’ont pas manqué de transformer un débat culturel en lutte des classes, l’Assemblée nationale a adopté, dans un rare consensus, un texte plébiscité par beaucoup de Français attachés au patrimoine de leurs régions. D’autres ont toutefois exprimé leur mécontentement face à un texte jugé insuffisant. En cause notamment : les modalités des options de langues au sein des différents examens et notamment au sein des concours de recrutement ordinaire des professeurs des écoles. Quoi qu’il en soit ce texte a eu le mérite de braquer le projecteur, une fois n’est pas coutume, sur nos territoires. Il appelle, pour l’avenir, à la vigilance quant à l’usage qui en sera fait.

 

Illustration : À Gennevilliers comme à La Trinité, on pratique le bilinguisme, ici le breton, là l’arabe, « langue de France non-territoriale » selon le ministère de la Culture.

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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