Jupin et Narcisse, par Claude Wallaert.
Jupin
Narcisse !
Narcisse
Oui, majesté, que puis-je humblement vous suggérer ?
Jupin
Mon cher Narcisse, je n’en puis plus ; Héra me fait la tête depuis des mois déjà, parce que je ne parviens pas à me faire aimer de mes sujets…
Narcisse
Sire, que votre majesté ne se mette pas en peine à ce point ; vous connaissez votre peuple : batailleur et léger, frondeur et versatile…
Jupin
Non, cher Narcisse, cette fois, je sens bien qu’ils ne m’aiment pas. Dieu sait pourtant à quels efforts j’ai consenti pour les séduire ! J’ai embrassé devant la presse des éphèbes délinquants aux torses nus, j’ai fait semblant d’être malade, et je suis allé jusqu’à leur montrer les graduations de mon thermomètre, je condescends à leur apparaître très souvent pour les éduquer dans tous les domaines, je fais semblant de m’inquiéter pour leur santé, je les gronde un peu, il est vrai, mais si paternellement ! J’ai même reçu au palais avec Héra, souviens-toi, des musiciens plutôt médiocres et moyennement propres pour célébrer la fête de l’Olympe… Et pourtant, Mercure me dit que cela ne passe pas, que je les déçois, que je les fatigue, et pour comble, qu’ils commencent à douter de mon universel magistère !
Narcisse
Majesté, ne vous inquiétez pas, ils sont devenus mous, nous les avons chloroformés, avec les interventions géniales de votre ministre Diafoirus relayé avec talent par le si gracieux Ganymède ! Ils sont perdus, ils ont peur, ils ne savent plus où ils habitent, ni vraiment dans quel pays ils sont nés…
Jupin
À propos, Ganymède a commis une petite boulette, ces derniers jours, as-tu remarqué ?
Narcisse
Comment cela, majesté ?
Jupin
Oui, je trouve qu’il va parfois un peu trop vite en besogne : par exemple, lorsqu’il se porte volontaire au cours d’une communication pour la NVP…
Narcisse
la NVP ?
Jupin
Mais oui, tu sais bien la « Néo-Virile-Parthénogénèse » : une invention géniale que j’ai soufflée à Esculape et ses amis : les hommes vont pouvoir procréer sans le secours de femmes ! Mais je ne souhaite pas qu’on en parle pour l’instant…
Narcisse
Sire, mon pauvre esprit peine à suivre votre majesté dans les fulgurances de sa pensée ! C’est pourquoi, j’oserai vous exprimer mon étonnement devant votre inquiétude exprimée tout à l’heure : que craignez-vous donc ?
Jupin
Héra, ma chère épouse, qui m’a initié à tant de choses dès mon plus jeune âge, me dit que je prends le chemin de me faire ravir le trône de l’Olympe l’année prochaine !
Narcisse
Sire, c’est impossible !
« Tant de précaution affaiblit votre règne
Ils croiront en effet mériter qu’on les craigne,
Au joug depuis longtemps ils se sont façonnés
Ils adorent la main qui les tient enchaînés. »
Jupin
Tiens, où as-tu trouvé cela, toi ? Dans Britannicus ?
Narcisse
Votre majesté se souviendra que votre divine épouse vous fit découvrir autrefois ces vers … Ils sont pleins d’enseignements !…Et pour tenter d’apaiser vos alarmes qui sont peut-être le signe d’un cœur encore bien tendre et vous affermir sur la voie du grand destin qui est le vôtre, permettez-moi de vous rappeler l’ultime trait du conseiller de l’empereur :
« Ah ! Ne voulez-vous pas les forcer à se taire ? »
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