Jacques Sapir : « La contribution de l’immigration au budget est de plus en plus négative ».
L'économiste Jacques Sapir estime que si l'immigration a pu avoir un effet positif sur la croissance économique, elle est de plus en plus coûteuse sur le plan budgétaire.
© KENZO TRIBOUILLARD / AFP
Contrairement à Jamal Bouoiyour, l'économiste Jacques Sapir estime que si l'immigration a pu avoir un effet positif sur la croissance économique, elle est de plus en plus coûteuse sur le plan budgétaire.
La question du « coût » de l’immigration est régulièrement posée. Outre des difficultés statistiques indéniables, elle impose de séparer les effets de l’immigration sur la croissance et la compétitivité de l’économie du coût fiscal à proprement parler. Elle implique aussi de préciser de quoi on parle.
La population française atteignait 67,14 millions au 1er janvier 2019 dont 64,99 millions en France métropolitaine. Sur ce total, 6,6 millions étaient des immigrés en situation régulière, et le nombre d’immigrés en situation irrégulière était estimé en 400 000 et 600 000 personnes. Mais, si l’on veut faire des calculs économiques réalistes, il convient de tenir compte des enfants nés au moins d’un parent immigré soit 7,65 millions de personnes.
L’immigration stimule mécaniquement la consommation et l’investissement.
C’est donc ce total de 14,65 millions (avec les personnes et situation irrégulière) qu’il convient de rapporter à la population (en y incluant les personnes en situation irrégulière). Ils représentent, comme le rappelle Michèle Tribalat, 21,7 % du total. Sur ce total, 8 % sont en provenance d’autres pays d’Europe, 9,7 % des pays d’Afrique (incluant l’Afrique du Nord) et 0,8 % de Turquie.
À court terme par contre, l’immigration augmente le PIB en niveau par la hausse induite de la population totale du pays d’accueil et par ses effets positifs notamment sur la consommation et l’investissement public. On parle alors d’un simple effet « quantité » ou encore d’un impact sur la croissance dans sa « forme extensive ». La contribution générale de l’immigration à la croissance est aussi positive à long terme mais demande à être précisément estimée.
La plupart des études empiriques concluent alors à un effet positif de l’immigration sur la croissance par habitant à long terme, certes moins net dans les pays les plus développés. Dans une approche de court terme, l’effet d’accroissement de la demande joue à plein. L’immigration stimule mécaniquement la consommation et l’investissement.
Les études, et en particulier celle de l’OCDE, estiment que le surcroît de population que constitue l’immigration est en général sans conséquences notables à long terme sur les salaires et l’emploi des non-immigrés, et donc sur leur demande, à laquelle s’ajoutera la demande des immigrés. Cela n’est cependant vrai que si l’emploi des immigrés est déclaré et donc soumis aux règles générales.
Tendance à la baisse des salaires
Dans le cas d’emplois clandestins, il est probable que cela pèse à la baisse, soit par un effet de concurrence, soit par un effet de substitution. Des études locales menées sur des secteurs où cet emploi est important (la restauration en particulier) montrent qu’il y a bien une tendance à la baisse des salaires. Plusieurs études confirment notamment, au passage, les enjeux du niveau de qualification et de la complémentarité des profils vis-à-vis des non-immigrés, autant d’arguments pour une « immigration choisie ». L’investissement tendra mécaniquement à augmenter, tiré à la hausse aussi bien par un besoin supplémentaire d’investissement public que par un surcroît d’investissement privé.
Les études tendent également à confirmer que les effets positifs à long terme de l’immigration transitent par la productivité globale des facteurs, mettant en avant des gains liés à la diversité et à l’innovation. Mais ces gains ne sont constatés que dans les pays qui ont privilégié une « immigration de travail », en particulier par l’application de quotas par niveau de diplôme. Cela reste non prouvé dans le cas de la France. Globalement, la contribution de l’immigration à la croissance pourrait être de 0,1 % à 0,2 % par an.
Coût budgétaire de l’immigration
Par contre, la contribution de l’immigration au budget et à la fiscalité apparaît de plus en plus négative*, surtout depuis que la France privilégie une immigration « familiale » sur une immigration « de travail », c’est-à-dire depuis les années 1990.
Le coût annuel estimé par l’OCDE est de -0,52 % du PIB. Une autre étude, qui privilégie un point de vue « statique », celle du CEPII, estime que la contribution des immigrés en pourcentage du PIB oscille au fil du temps. Mais, dans le scénario de référence envisagé, elle atteignait en 2011 -0,49 % du PIB. Ces deux estimations sont donc proches. Le chiffre de -0,49 % du PIB se compare à celui de -0,52 % du PIB obtenu par l’OCDE pour la France à la fin des années 2000. On pourrait dès lors souligner que quelques dixièmes de points de PIB en plus ou en moins du solde public chaque année ne sont pas, dans l’absolu, si négligeables. De plus, on peut penser que ces études ont tendance à sous-estimer certains facteurs.
Ainsi, l’étude du CEPII exclut, contrairement à celle de l’OCDE, les coûts d’éducation des enfants d’immigrés (nés en France) dans son scénario de référence. Dans le cas de l’étude de l’OCDE, il existe un surcoût d’environ 0,1 point de PIB qui est lié au plus grand nombre d’enfants chez les immigrés (même si les enfants des couples mixtes ne sont pris en compte que pour moitié). Notons que ni le CEPII ni l’OCDE ne calculent le coût des systèmes dits d’éducation prioritaire dans leurs calculs, coûts qui sont largement liés à la mauvaise maîtrise de la langue française pour une partie des enfants issus de l’immigration.
Faible niveau d'instruction des immigrés
D’autres point sont aussi négligés dans ces études, comme le fait que l’OCDE ne réintègre pas les pensions versées à l’étranger (estimé à 0,2 % du PIB par le CEPII). Si l’on tente une évaluation globale, incluant les divers oublis des différentes études, on arrive alors à des niveaux qui sont proches de -0,7 %/-0,8 % du PIB par an.
Si l’on défalque les gains en croissance, moyennant le taux d’imposition global (car on rappelle que ces chiffres concernent le budget), on peut estimer le coût net de l’immigration en moyenne sur les vingt dernières années à -0,6 % du PIB par an, soit 248 milliards d’euros (aux prix de 2014) cumulés depuis 2000. Il est probable qu’il était inférieur à cela au début des années 2000 et qu’il se rapproche de -0,8 % actuellement. Ce coût est donc faible, mais non négligeable.
Il convient, enfin, de préciser que certaines populations, du fait de leur faible niveau d’instruction, de leur mauvaise maîtrise de la langue française, présentent un coût individuel plus élevé que d’autres. Ainsi, pour l’ensemble de la population immigrée, la population ayant un niveau d’éducation égal ou supérieur au bac était de 38,1 % mais, pour les immigrés en provenance d’Afrique, ce chiffre tombait à 35,9 % et il était de 41,8 % pour les immigrés d’origine européenne qui représentent un tiers de la population immigrée (Insee, enquête Emploi 2018).
* Chojnicki X., Ragot L. et Sokhna N. P., « L’impact budgétaire de 30 ans d’immigration en France : une approche comptable » document de travail du CEPII, n° 2018-04, avril et Edo A., Ragot L., Rapoport H., Sardoschau S. et Steinmayr A. (2018), « The effects of immigration in developed countries : insights from recent economic research » CEPII Policy Brief, n° 2018-22, avril.
Source : https://www.marianne.net/