Résister et apprendre le latin et le grec, par Olga Le Roux.
Une longue tribune dans Le Figaro du 11 mars, par Raphaël Doan, « Ces historiens de l’Antiquité qui haïssent l’Antiquité », rend compte de l’attaque concertée contre les lettres classiques à l’université de Stanford, attaque relayée par d’autres. Sans paraphraser cet article, soulignons ces points :
1) L’attaque ne vient pas de l’extérieur mais de dignes universitaires, enseignants-chercheurs, comme on dit chez nous. Nous disons aussi « cracher dans la soupe » pour ce procédé très répandu aujourd’hui qui fait agresser son propre camp, ici sa propre discipline.
2) Il s’agit, bien entendu, de pointer la culpabilité originelle, inexpiable des Blancs qui s’appuient sur l’Antiquité pour revendiquer une supériorité sur toutes les autres civilisations passées ou présentes.
3) Or, cette Antiquité est en réalité la source de tous les maux : esclavagisme, misogynie, colonialisme, fascisme (aussi vrai que tout ce qui est blanc aboutit au fascisme). Il faut donc, sinon en supprimer totalement l’étude, du moins la fondre dans celle des autres cultures, cesser de lier l’Antiquité à la « blanchité », et en rabattre sur l’étude des langues latine et grecque.
Cette attaque est pour le moment limitée, et si dans notre pays les lettres classiques sont de plus en plus marginalisées, ce serait plutôt au prétexte de leur inutilité, dépassées qu’elles seraient par le monde moderne et ses merveilleuses inventions, sans compter leur difficulté : trop de travail pour un gain minime. Et elles sont en bonne compagnie : les mathématiques, dont on fait grand bruit actuellement, ne peuvent être éliminées, mais en abaissant le niveau et en réduisant les exigences, on aboutit au même résultat. L’élève moyen – au sens non pas de ses capacités mais de son établissement, milieu social, etc. – n’accède plus à des savoirs, des entraînements naguère partagés et perd donc en compréhension du monde. De même pour la grammaire française et, donc, les capacités d’expression, et pour la littérature, enracinée dans les textes et les auteurs antiques, jusqu’au XXe siècle en tout cas : ce qui met en jeu la compréhension de soi et des autres.
Comment les langues anciennes pourraient-elles résister ? Dès que les délires américains seront récupérés, l’atteinte sera fatale et emportera ce qui reste des « lettres classiques ». La longue translation du latin aux langues romanes, la renaissance du grec dès le Moyen Âge et à la Renaissance, la liaison intime du christianisme avec l’Antiquité, via Rome et Byzance, tout cela ne signifie plus rien pour nos contemporains qui, comme le note M. Doan, oublient même que la Révolution française s’enracine à Rome, d’où la mode des prénoms comme Gracchus ou le calendrier républicain, ainsi que d’autres aspects moins sympathiques mais fondateurs de ce régime. Le rêve des néo-pédagogues est de fondre notre culture parmi les autres, de créer des programmes qui non seulement mettent l’Autre en valeur – ce qui se défend – mais le mettent en valeur pour mieux nous dévaloriser en nous réduisant à nos défauts, dont les autres sont miraculeusement exemptés. Pour réussir cette entreprise, il est bon de favoriser l’ignorance et de pratiquer le bourrage de crâne : bien des programmes universitaires actuels, sans oublier les sujets de mémoires et de thèses, privilégient des thèmes à la mode, qu’il est inutile d’énumérer… Bref, des sujets propres à satisfaire des minorités agissantes à défaut de pensantes. Et en écriture inclusive, s’il vous plaît et même ne plaît pas. Et encore laissons-nous de côté les IEP qui défraient la chronique actuellement.
Mais pour espérer et ne pas nous la jouer fin du monde, signalons des initiatives encourageantes comme l’association Arrête ton char !, dont le site mérite une visite, et aussi le Festival européen latin grec, consacré cette année à L’Âne d’or, le merveilleux roman d’Apulée.