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Affaire Duhamel : des réseaux de pouvoir ? Vraiment ?, par Natacha Polony.

"Il y a beaucoup à dire sur cette fabrique de la pensée conforme qui explique le décalage croissant entre les aspirations des citoyens et les politiques menées depuis plusieurs dizaines d’années."
© Hannah Assouline

"Olivier Duhamel a démissionné de toutes ses fonctions, et, soudainement, les médias s’aperçoivent qu’il en exerçait d’innombrables. Un tel cumul ne dérangeait pourtant personne jusqu’à présent.

Pas plus que les « amitiés » qui se lient depuis des décennies dans des sphères où toute pensée divergente vaut procès en illégitimité", affirme Natacha Polony.

Même les moquettes moelleuses des palais de la République peinent à étouffer les piétinements agités de ce petit monde qui, tout à coup, s’affole parce qu’un de ses plus éminents représentants vient d’être précipité de la roche Tarpéienne. Olivier Duhamel a démissionné de toutes ses fonctions, et, soudainement, les médias s’aperçoivent qu’il en exerçait d’innombrables. Un tel cumul ne dérangeait pourtant personne jusqu’à présent. Pas plus que les « amitiés » qui se lient depuis des décennies dans des sphères où toute pensée divergente vaut procès en illégitimité. La dénonciation des réseaux de pouvoir et de l’endogamie entre haute administration, dirigeants politiques, patrons du CAC 40 et milieux d’affaires se voyait même taxée de complotisme, nouvelle dénomination de la « dérive fasciste ».

Fabrique de la pensée conforme

Il y a pourtant beaucoup à dire sur cette fabrique de la pensée conforme qui explique le décalage croissant entre les aspirations des citoyens et les politiques menées depuis plusieurs dizaines d’années. Car il n’est nul besoin, justement, d’imaginer des complots pour comprendre comment se sont imposées les dérégulations, le libre-échange généralisé, une Union européenne réduite à n’être qu’un espace de dumping social et fiscal ouvert à toutes les concurrences déloyales. Et le plus ironique est sans doute que ce n’est ni le constat des dégâts engendrés par les choix politiques de cette caste, ni un sursaut de foi en la démocratie et de prise de conscience de la nécessité de renouveler et de brasser les élites qui ébranlent aujourd’hui ce monde plein de morgue, mais des affaires de mœurs. Olivier Duhamel, bien sûr, président du Siècle, après en avoir été longtemps vice-président puis secrétaire général, président de la Fondation nationale des sciences politiques, membre du comité directeur de l’Institut Montaigne, codirecteur de la revue Pouvoirs présent à la Rotonde pour fêter en petit comité la victoire d’Emmanuel Macron… mais également Marc Guillaume, qui annonçait mercredi 13 janvier qu’il quittait les fonctions qu’il partageait avec le précédent. Marc Guillaume, ancien tout-puissant secrétaire général du gouvernement de 2015 à 2020, auquel Marianne avait consacré une enquête en mars 2019, pointant ses abus de pouvoir, son art de contourner la volonté démocratique…, mais qui n’avait perdu de sa superbe qu’après des accusations de sexisme. Le « nouveau monde », c’est l’ancien monde, sa lutte des classes et ses élites barricadées, mais les discriminations et les violences sexuelles en moins.

Forcément, le scandale actuel nourrit les fantasmes de ceux qui mêlent dans leur détestation un pouvoir supposé corrompu, une bourgeoisie forcément décadente et des médias évidemment complaisants. Et c’est là le danger. Alors que, partout dans le monde, mais particulièrement en France et aux États-Unis, des foules chauffées à blanc expriment leur défiance absolue envers une démocratie dont elles estiment qu’elle a été détournée au profit d’intérêts puissants, il serait urgent de comprendre combien l’entre-soi social et idéologique, parce qu’il a permis de contourner avec une bonne conscience absolue la souveraineté des peuples, a fragilisé gravement les démocraties et déroulé le tapis rouge à des forces dont certaines peuvent être qualifiées de néofascistes.

Cercle de la raison

Le Siècle, ce club si fermé dont on reparle tout à coup, n’est pas le lieu où se décide la politique de la France. Mais s’y rencontrent des gens cooptés, persuadés qu’ils ont vocation, et même légitimité, à diriger, parfois contre les citoyens, puisque, par définition, ils savent mieux qu’eux ce qui est bon pour le pays. Et puisqu’ils sont cooptés et qu’il faut pour être admis une quasi-unanimité des membres du conseil d’administration, le moins que l’on puisse dire est que l’on ne risque pas d’y être exposé à des discours autres que ceux qui sont dessinés par le cercle de la raison. Et quand des journalistes ou patrons de presse, comme Jean-Marie Colombani, Franz-Olivier Giesbert ou Laurent Joffrin, en font partie, le risque est également faible de voir l’endogamie des élites dénoncée par les médias.

Si l’on veut éviter la récupération de la colère par des meneurs populistes adeptes des slogans simplistes, il faut prendre conscience du problème que pose la fermeture idéologique de ce milieu. Le fait que la France soit gouvernée par le Conseil d’État, l’Inspection des finances et l’Institut Montaigne, sous le patronage bienveillant du cabinet McKinsey, n’est pas problématique seulement parce que ce système est inefficace – les échecs du néolibéralisme autoritaire, de son inflation administrative et de son incapacité à mener une quelconque politique industrielle ne sont plus à démontrer – mais parce que cela laisse croire à un nombre croissant de citoyens que, si la démocratie se réduit à ça, il vaudrait mieux essayer autre chose.

Face à ce danger, l’urgence n’est pas de suivre ceux qui prétendent décapiter les élites mais de se souvenir que la promesse républicaine est celle d’élites désignées selon le mérite, en perpétuel renouvellement, et issues de toutes les strates, de toutes les couches sociales de la nation. Tel devrait être le préambule de tout programme politique.

Source : https://www.marianne.net/

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