UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un intéressant reportage de France info sur la situation dans le "Royaume désuni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord"...

L'Ecosse a quitté l'union douanière et le marché commun contre son gré; l'Irlande du Nord bénéficie d'un statut hybride peu satisfaisant. Autant de frustrations qui pourraient menacer l'unité du royaume.

Le 31 janvier 2019, le Royaume-Uni a quitté l'Union européenne. Le 31 décembre 2020, c'était au tour de l'union douanière et du marché commun. Depuis ces deux dates clés, qui marquent la concrétisation du processus de Brexit, les regards se tournent vers les Ecossais, europhiles bafoués, et les Nord-Irlandais, soumis à un traitement hybride, un pied (politique) au Royaume-Uni, l'autre (économique) dans l'Irlande voisine et européenne. De près comme de loin, les observateurs de la vie politique outre-Manche guettent les signes du prochain divorce.

Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord – c'est son nom – tel que nous le connaissons aujourd'hui va-t-il éclater ? Survivra-t-il aux divergences exprimées depuis 2016 et la décision prise par les Anglais et les Gallois de quitter l'UE, sans le consentement des Ecossais et des Nord-Irlandais ? Pour répondre à ces questions, franceinfo explique comment le Brexit secoue l'unité du royaume.

Il nourrit le désir d'indépendance des Ecossais

Les Britanniques ont voté à 51,9% pour le Brexit en 2016, mais en y regardant de plus près, 62% des Ecossais se sont opposés à la sortie de l'Union européenne. A nouveau, le 2 janvier 2021, la Première ministre Nicola Sturgeon, à la tête du Scottish National Party (SNP, indépendantiste) a dit espérer que l'Ecosse gagne son indépendance et puisse "rejoindre" l'Union européenne. Car son camp martèle depuis 2016 que les résultats du référendum de 2014, où 55% des Ecossais avaient dit "non" à l'indépendance, sont désormais caduques. "Le SNP fait valoir qu'à l'époque, l'Ecosse s'est prononcée pour rester au sein d'un Royaume-Uni qui se trouvait dans l'Union européenne. Avec le Brexit, la donne a changé", explique Edwige Camp, qui enseigne la civilisation britannique à l'université polytechnique des Hauts-de-France et a signé plusieurs ouvrages sur l'indépendance écossaise.

 

La Première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, lors d'une cession de questions au parlement écossais, à Edimbourg, le 26 novembre 2020.  (AFP)

 

L'opinion a aussi évolué. Selon le dernier sondage mené par l'institut Savanta ComRes pour le journal The Scotsman, mi-décembre, 58% des Ecossais soutiennent désormais une rupture avec le Royaume-Uni. Un record. Depuis le vote en faveur du Brexit, le SNP consolide sa domination sur la vie politique écossaise et a pris la tête de toutes les institutions locales, ainsi que celle de la représentation écossaise à Westminster, le Parlement britannique. "Les modalités du Brexit ont sans doute joué, plus que le Brexit lui-même", analyse Edwige Camp, rappelant que l'Ecosse figure parmi les territoires qui seront, selon toutes les projections, parmi les plus affectés par le divorce européen.

Depuis le Scotland Act de 1998, qui marque la création du Parlement écossais, le pays gère seul un certain nombre de dossiers : "les services publics, mais aussi l'agriculture et la pêche, qui étaient gérés autrefois par l'Union européenne", poursuit Edwige Camp. "Dans ces conditions, le Brexit suscite des inquiétudes particulières en Ecosse." Ce pays majoritairement rural "a prospéré grâce au marché unique dans ses quatre composantes : libre circulation des biens, des services, des capitaux, mais aussi des personnes. L'Ecosse a vraiment besoin de cette main d'œuvre étrangère, notamment européenne, pour des raisons économiques et démographiques", liste encore la spécialiste. "Dès le mois de décembre 2016, le gouvernement écossais a publié un document de 70 pages expliquant que l'Ecosse devait et pouvait rester au sein du marché unique", balayé par Londres d'un revers de la main.

Par ailleurs, "le Parlement et le gouvernement écossais gèrent les questions de santé publique. En prenant des décisions différentes de Londres, ils ont renforcé l'idée que l'Ecosse était autonome et pouvait prendre ses propres décisions en fonction de critères spécifiques", tandis que Nicola Sturgeon "a conforté sa popularité en se montrant extrêmement différente de Boris Johnson, beaucoup plus prudente et mesurée, suscitant l'adhésion sur sa personnalité."

La Première ministre affrontera donc en position de force les élections générales écossaises, prévues en mai. Une victoire triomphante des indépendantistes devrait donner des arguments aux autorités écossaises, soucieuses d'obtenir de Londres l'autorisation d'organiser un nouveau référendum d'indépendance.

Or, Boris Johnson refuse jusqu'à présent de lancer une nouvelle consultation. Un problème pour Nicola Sturgeon ? Pas pour l'instant. "Elle appelle à un nouveau référendum, mais elle est bien consciente que le contexte, notamment économique, lié à la crise sanitaire, n'est pas propice dans l'immédiat à la tenue d'une telle consultation", estime encore la spécialiste Edwige Camp.

Il rapproche les deux Irlande

L'île d'Irlande est divisée en deux : la République d'Irlande, au sud, est européenne, tandis que l'Irlande du Nord a quitté l'UE avec le reste du Royaume-Uni. Et au milieu ? Impossible d'ériger une frontière, conformément aux accords de paix signé en 1998. Face à ce casse-tête, Boris Johnson a obtenu en octobre 2019 l'instauration de cette fameuse frontière en mer d'Irlande. Si cette disposition, en vigueur depuis le 1er janvier, évite le rétablissement d'une frontière terrestre, elle rapproche de facto l'Irlande du Nord de son voisin du Sud. "L'accord met en place un début de réunification économique, puisque les biens circulent librement dans l'île d'Irlande, mais ce n'est plus le cas entre l'île d'Irlande et le reste du Royaume-Uni", explique sur France Culture Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l'université de Caen-Normandie.

Par ailleurs, "un certain nombre de normes, de réglementations européennes continuent de s'appliquer en Irlande du Nord (…) Enfin, les taux de TVA sont désormais alignés sur ceux de la République d'Irlande et non plus sur ceux de la Grande-Bretagne", liste le spécialiste, évoquant "une amorce qui va favoriser une intégration plus grande du point de vue économique". Sur le front politique, en revanche, pas question de rapprochement, même si Dublin s'est engagé à prendre en charge le maintien de sa voisine du Nord dans le programme d'échange étudiants Erasmus, que le reste du Royaume-Uni quittera à la rentrée prochaine.

"A court terme, la réunification n'est pas à l'ordre du jour. En revanche, elle devient plausible, voire probable, à moyen ou a long terme." (Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise) 

Sur l'île, le principal parti unioniste nord-irlandais, le DUP de la Première ministre Arlene Foster, fait figure de grand perdant : après avoir contraint Theresa May à n'accepter aucun "deal" qui induirait un traitement différencié de l'Irlande du Nord par rapport au reste du Royaume-Uni, il a vu Boris Johnson envoyer balader toutes ses promesses une fois que sa majorité à Westminster a rendu inutile le soutien des unionistes nord-irlandais. L'opportunité est trop belle pour les nationalistes. "J'appelle nos voisins unionistes", a ainsi lancé devant la Chambre des communes le député du parti nationaliste SDLP, Colum Eastwood, le 31 décembre. "Regardez où le DUP et où Londres vous ont menés. Je suis convaincu que nous pouvons construire une nouvelle société ensemble."

 

Le Premier ministre britannique Boris Johnson et son homologue nord-irlandaise, Arlene Foster, devant le palais de Stormont, siège du parlement nord-irlandais, à Belfast, le 13 janvier 2020.  (PAUL FAITH / AFP)

 

L'ironie de la situation n'a pas échappé à Agnès Maillot, professeure à la Dublin City University, au micro de France Culture. Désormais, "les Irlandais et les partis de la République d'Irlande sont beaucoup plus à l'écoute des unionistes nord-irlandais que ne le sont les conservateurs britanniques, d'ordinaire leurs principaux alliés. Eux veulent favoriser un dialogue, les écouter, prendre en compte ce qu'ils ont à dire", liste-t-elle. Or, un camp unioniste fragilisé constitue un pas – certes petit – en direction d'une possible réunification irlandaise.

Il met à l'épreuve la décentralisation

Avec le Brexit, "des fissures sont apparues dans l'architecture constitutionnelle du Royaume-Uni". Dans le Financial Times, l'éditorialiste Philip Stephens envisage lui aussi la fin du Royaume-Uni tel que nous le connaissons. "Le Brexit a changé à tout jamais l'équilibre entre les parties constituantes de cette union. La décision de quitter l'UE était, en son cœur, une expression du nationalisme anglais", écrit-il, alors que 85% des Britanniques sont Anglais. Par conséquent "une réorganisation des relations au sein de l'UE est inévitable", tranche l'éditorialiste. Daniel Wincott, professeur de droit à l'université de Cardiff et contributeur du groupe de réflexion UK in a changing Europe, abonde : "Faisant mentir son nom, le Royaume-Uni est loin d'être uni (…) Aucun effort n'a été fait pour créer ou maintenir une identité partagée par tous ou des institutions qui puissent l'étayer", écrit-il.

Initiée en 1998 sous l'impulsion du gouvernement travailliste de Tony Blair, le chantier de la décentralisation (ou "dévolution") du pouvoir au Royaume-Uni a abouti, l'année suivante, au transfert de nombreuses compétences à des parlements locaux, au pays de Galles, en Ecosse et en Irlande du Nord. Santé, éducation, logement reviennent notamment aux parlements et gouvernement locaux. Les domaines dévolus tombant également sous le coup des normes européennes se réglaient quant à eux à Londres comme à Cardiff ou à Edimbourg. "Jusqu'en 2016", explique Edwige Camp. Autrefois, "la position défendue par le gouvernement britannique à Bruxelles sur un sujet dévolu, telle que la pêche par exemple, était le résultat de discussions entre gouvernements britannique, écossais, nord-irlandais et gallois", illustre-t-elle.

En prenant seul à sa charge le dossier du Brexit, Londres a tourné le dos à ses partenaires historiques. "Or, le gouvernement écossais s'attendait à davantage de discussions, de consultations, car il avait lui aussi des spécificités à faire valoir", poursuit Edwige Camp. "Si l'esprit de la dévolution telle qu'elle fonctionnait avant 2016 avait été conservé, les choses auraient pu se passer différemment. Ce n'est pas le cas et clairement l'absence de dialogue pose problème."

Dès lors, comment y remédier ? Philip Stephens évoque, dans son édito au Financial Times, l'abandon de la dévolution au profit d'un Royaume-Uni fédéral. Une solution nuancée par Edwige Camp : "Le problème ici est que les Anglais ne veulent pas disposer de leur propres institutions." En 2004, la tentative de créer une assemblée régionale en Angleterre a échoué, rappelle-t-elle. Cette transformation du Royaume-Uni en Etat fédéral, bien que "logique et permettant de régler un certain nombre de problèmes, n'est pas du tout à l'ordre du jour", poursuit la spécialiste, tablant plutôt sur "une voix plus progressive", moins brutale et spectaculaire que l'éclatement du Royaume-Uni. "A condition que le gouvernement britannique soit prêt à accorder des concessions" à ses partenaires écossais, nord-irlandais et galloisLe secret, si simple et si compliqué, d'un mariage qui dure.

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel