Plorec-sur-Arguenon : un calvaire vieux de 74 ans condamné à être démonté, par Nathalie Rossignol.
En application de la loi de 1905, le tribunal administratif de Rennes, saisi par la fédération départementale de la Libre Pensée, a condamné le département des Côtes d'Armor jeudi 18 novembre à démonter d'ici trois mois un calvaire situé sur le domaine public, à Plorec-sur-Arguenon.
S'il y avait encore eu un des quatre bistrots que comptaient le bourg il y a quelques années, ou la boulangerie, l'épicerie disparus depuis, et si le confinement n'avait pas limité les échanges entre les 400 âmes de Plorec-sur-Arguenon, le sujet de discussion ce jeudi 19 novembre au matin aurait été le même. Le calvaire situé au croisement des routes départementales 60 et 89, à l'entrée du village depuis 1946 va devoir être démonté. C'est ce qu'a décidé la justice le 18 novembre. Le tribunal administratif de Rennes a en effet condamné le département des Côtes d'Armor à faire disparaître cette construction d'ici le 5 février 2021.
L'incompréhension de l'association qui a restauré le calvaire
Pierre Allory, président de l'Association pour la Conservation du Patrimoine de Plorec-sur-Arguenon est le premier concerné par cette décision. C'est son association qui avait décidé de prendre soin de ce calvaire en 2017 en le restaurant à ses frais. A l'époque, toutes les autorisations nécessaires avaient été sollicitées: celle du département, propriétaire du bord de route sur lequel était construit l'édifice religieux, Dinan agglomération, tout comme la mairie de la commune. A l'époque, personne ne s'y était opposé. "Nous n'aurions jamais démarré le chantier si on avait su qu'on serait attaqué. Nous avions confiance dans notre administration. Nous étions en règle."
En octobre 2018, le chantier est achevé et inauguré. Deux autres petits calvaires ont rejoint le plus grand dont le socle a été restauré et un petit jardin cloturé achève l'ensemble. "Nous n'avons jamais pensé être attaqué, puisque nous pensions être dans notre bon droit." précise le président très surpris par la décision de justice, incrédule même.
Le maire Daniel Fouéré refuse lui de commenter cette décision de justice mais exprime malgré tout ses regrets. "C'est fort dommage, ce calvaire contribuait à l'embellissement de l'entrée de notre commune."
Les libres penseurs à l'origine du recours, pleinement satisfaits
Un calvaire qui embellit certes, mais qui est situé sur un terrain départemental. Or la loi de 1905, loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, interdit de bâtir des édifices ou emblèmes religieux sur le domaine public. Et c'est cet argument qu'a justement developpé le président de la fédération départementale de la Libre Pensée, alerté par un habitant de la commune. Cette association qui défend notamment la laïcité a saisi la justice. "On s'était habitué à ce calvaire mais il y a eu une volonté cléricale de le rendre plus visible, j'avais contacté le maire qui m'avait précisé que toutes les autorisations avaient été obtenues. Donc nous avons décidé d'attaquer car la loi de 1905 dans son article 28 est très claire" précise François Le Pivert.
Et le tribunal administratif lui a donné raison et exige le démontage de ce calvaire. "Nous sommes pleinement satisfaits. Comme l'écrit un membre de notre association: quand un tribunal obéit aux lois de la République, ça met du baume au coeur. Puisque nous sommes dans le droit, cela doit nous inciter à ne pas lâcher ce genre d'affaires."
Mais alors comment expliquer qu'en 1946, ce calvaire ait pu être installé à cet endroit. Pierre Allory a une explication: "A l'époque, le calvaire avait été construit au bout du champ d'un agriculteur, sur un terrain privé alors. Avec le remembrement, les collectivités ont préempté des surfaces pour aménager les routes. Ce bout de parcelle est devenu départemental."
Le conseil départemental à la recherche d'une solution consensuelle
Contacté le conseil départemental des Côtes d'Armor fait savoir "qu'il prend acte de cette décision de justice et que le département a bien sûr pour habitude de respecter la loi." Néanmoins, nous chercherons une solution pour préserver ce qui relève, selon nous d'un patrimoine culturel qui date de très longtemps et qui est une mémoire à préserver." L'idée du département est en effet de trouver une idée qui contentera l'association à l'origine du recours et qui fera consensus, sans volonté de jeter de l'huile sur le feu.
"Ne pas jeter de l'huile sur le feu", c'est exactement l'expression employée par le président de l'Association pour la conservation du patrimoine. "On est prudent et on attend de voir comment le département va négocier. On souhaite que les choses s'apaisent. On peut coexister chacun avec ses idées, on essaie d'être tolérants dans nos petites communes."
Le calvaire va-t-il être effectivement démonté et déplacé, mais où ? La parcelle peut-elle être cédée pour ne plus être départementale et redevenir privée ? Les parties ont trois mois pour trouver une solution. Le département dispose également de deux mois pour faire appel du jugement.