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Maurice Genevoix au Panthéon : ceux de 14 et ceux de 2020, par Natacha Polony.

"Faire entrer Maurice Genevoix au Panthéon ne devrait pas relever du simple exercice « mémoriel », selon le jargon de l’époque."

"La France peut-elle retrouver une force vitale, une foi en elle-même, en son histoire – sans en effacer pour autant les noirceurs et les ombres, mais en les digérant, en les regardant en face ?

La résignation qui frappe ce pays depuis un siècle, et qu’aujourd’hui, quand des dessinateurs, des professeurs, des enfants juifs ou de jeunes gens en terrasse, sont massacrés au nom d’un islamisme conquérant, on baptise « résilience », peut-elle laisser la place à l’envie de défendre une certaine idée de l’Homme et de sa dignité ?", se demande Natacha Polony.

Ceux de 14 dormiront désormais sous les voûtes du Panthéon. Enfin. Après l’horreur des tranchées, la France ne les arrache qu’aujourd’hui à la boue de l’oubli. Qui lit encore Maurice Genevoix ? Bien sûr, on enseigne aux collégiens les poilus, la censure d’État, la « folie des nationalismes » et les fusillés pour l’exemple. Mais qui leur dit en les bouleversant jusqu’aux tripes ce que fut la peur, à en pisser sur soi, l’odeur gluante des cadavres, la folie désespérée de ceux qui ne veulent pas y retourner, la culpabilité de ceux qui n’y retournent pas, parce que mutilés, et qui laissent les camarades ?

Qui peut encore, si plus personne en France ne lit Genevoix, que quelques érudits, comprendre par la simplicité tragique des mots que cette guerre ne se résume pas à un spectacle pour films hollywoodiens. Que ce n’est pas l’inconscience ou l’illusion d’une guerre courte qui conduisait ces jeunes hommes mais le sens du devoir, l’idée qu’on ne peut pas se dérober quand l’essentiel est menacé.

Faire entrer Maurice Genevoix au Panthéon ne devrait pas relever du simple exercice « mémoriel », selon le jargon de l’époque. C’est un minimum, auquel ne sut même pas se conformer François Hollande, qui avait pourtant tout le temps du centenaire de la Grande Guerre. L’exercice de style ne suffit pas. Car l’enjeu est bien plus vaste, bien plus essentiel que le rappel de la violence des combats, ou les leçons à la jeunesse sur la paix universelle et l’amitié entre les peuples. Ce qui se joue dans la perpétuation du souvenir de cette guerre est notre capacité collective à comprendre ce qui fut pour la France une catastrophe incommensurable. Une catastrophe dont elle ne s’est sans doute jamais remise.

1,4 million

Alors que nous comptons chaque soir les morts du coronavirus, sommes-nous encore capables de concevoir ce que représentent 1,4 million de jeunes hommes tués ? Durant la bataille de la Somme, jusqu’à 20 000 par jour, 3 000 par minute. 1,4 million de morts et plus de 3 millions de blessés, dont 600 000 invalides, 300 000 mutilés, 42 000 aveugles, 15 000 « gueules cassées ». Sans parler de ces innombrables traumatisés, quasi fous, qui ne purent jamais retourner à la vie civile. Il faut bien comprendre ce que pouvait être le spectacle, dans chaque village de France, de ces corps martyrisés, de ces vies brisées. Et ces femmes qui ne trouvèrent jamais de mari, ces enfants jamais nés.

L’effacement progressif de ce désastre, rangé désormais dans les livres d’histoire et revisité au gré des urgences idéologiques du moment – le rôle des troupes coloniales, le tribut payé par les femmes – nous interdit de comprendre comment la monstrueuse saignée détermine l’histoire de la France jusqu’en ce début de XXIe siècle. L’enchaînement est fatal. Ce pacifisme forcené qui imprègne le pays vingt ans après. Ce défaitisme des élites françaises qui n’ont plus rien à proposer au pays. Cette débandade de juin 1940 qui marque l’effondrement d’une nation rongée par le souvenir de 14-18 comme une maison par les termites.

Le lent effritement d'un patriotisme caricaturé

Plus encore que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, celles de la Première ébranlent ce qui fait le projet historique et civilisationnel de la France, le développement des savoirs comme moyen d’émancipation et de progrès moral, le juste équilibre entre la préservation de traditions millénaires portées par l’architecture, les paysages, les savoir-faire et les modes de vie, et cette foi en un progrès possible de l’humanité.

Les jeunes gens jouisseurs de mai 1968 sont évidemment les fils de ceux qui ont collaboré en 1940 et sont donc délégitimés, mais ils portent aussi le rejet de ce patriotisme spontané de 1914, dans lequel ils ne voient qu’un sacrifice inutile. Toute la fin du XXe siècle est pour la France une immense braderie des idéaux. On s’y est moqué tant qu’on a pu de ces pauvres bougres croyant défendre leur terre quand ils ne faisaient, bien sûr, que servir les intérêts des puissants, on a théorisé la mort des États-nations pour éradiquer le nationalisme, on a mis en pièces l’idéal des Lumières en déstructurant la notion de sujet et de citoyen autonome et responsable. Et quand d’autres pays, Allemagne, Grande-Bretagne, continuent de perpétuer une forme de patriotisme quotidien dans les pratiques économiques ou dans les discours des élites, il est en France assimilé – abandonné, dirait-on – à l’extrême droite.

Retrouver l’humanité profonde de ceux à qui Genevoix a offert un tombeau

La France peut-elle retrouver une force vitale, une foi en elle-même, en son histoire – sans en effacer pour autant les noirceurs et les ombres, mais en les digérant, en les regardant en face ? La résignation qui frappe ce pays depuis un siècle, et qu’aujourd’hui, quand des dessinateurs, des professeurs, des enfants juifs ou de jeunes gens en terrasse, sont massacrés au nom d’un islamisme conquérant, on baptise « résilience », peut-elle laisser la place à l’envie de défendre une certaine idée de l’Homme et de sa dignité ? Il y faut, certes, la mémoire de Genevoix, comme de Villon, de Montaigne ou d’Hugo. Mais il y faut aussi la préservation de ce qui demeure malgré tout : ces paysages, cette nature et sa traduction dans un mode de vie fait de plaisir et de partage, cette sensorialité qui nous a faits ce que nous sommes. Il y faut l’humanité profonde de ceux à qui Genevoix a offert un tombeau.

Source : https://www.marianne.net/

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