Etre royaliste en 2020, par Jean-Philippe Chauvin.
Il faut bien l’avouer : aujourd’hui, malgré les efforts des militants monarchistes de toutes tendances, le royalisme semble presqu’invisible aux yeux de nos contemporains, baignés dans l’ambiance distractionnaire de la société de consommation, désormais plus numérique que physique, et par l’angoisse actuelle de la maladie qui rôde dans nos villes :
cette dernière menace semble d’ailleurs tétaniser toute capacité de réflexion politique et, tout compte fait, elle paraît souvent profitable (pour l’instant…) aux pouvoirs en place, au point de prédire (mais n’est-il pas bien pour cela ?) une élection présidentielle au second tour semblable à l’élection précédente, avec un même destin électoral… Cette situation et la promesse d’une resucée de 2017 ne sont pas satisfaisantes, et les royalistes ne peuvent s’en satisfaire : je ne m’en satisfais pas.
En tout cas, et malgré les impasses d’une République qui semble autant bloquée que bloquante, et alors même que tout semble confirmer les inquiétudes des royalistes devenus depuis un siècle des « Cassandre malgré eux », le royalisme connaît une marginalisation évidente dans le paysage politique français, aujourd’hui monopolisé par les tenants du « tout démocratique » et du « politiquement correct ». Cette situation gêne évidemment la perception des idées royalistes, trop souvent limitées, dans l’esprit de nos concitoyens, à quelques mondanités ou à des anecdotes, mélanges d’activisme et de folklore... Il est vrai que les royalistes sont parfois responsables de cette image déplorable ou caricaturale, et que leurs incessantes querelles, qu’elles soient dynastiques ou idéologiques, détournent du royalisme maintes bonnes volontés qui, pourtant, peuvent apporter de la « fraîcheur » à un courant d’idées temporellement vieux mais toujours utile, voire nécessaire au débat politique et institutionnel.
Ainsi, au moment où la Ve République doit affronter les défis de la globalisation et de la logique globalitaire (néolibéralisme, idéologie consumériste, démocratisme élitaire et oligarchique...) ; au moment où les intelligences les plus vives ressentent un « malaise de civilisation » (prémisses ou, plutôt, révélateurs d’une crise aujourd’hui bien réelle ?) ; au moment où la maladie au numéro 19 remet en cause quelques unes des certitudes de notre mode de vie « sans limites », l’idée d’une instauration monarchique apparaît bien lointaine (autant dans le passé que pour l’avenir), mais doit revenir dans le champ des possibles : la Monarchie royale, au regard des données politiques et institutionnelles actuelles, reste (et sans doute, de manière plus précise, redevient) nécessaire pour notre nation aujourd’hui moins sûre d’elle-même et fragilisée par des forces externes (diplomatie états-unienne ; montée des puissances « alternatives », de la Chine à la Turquie ; règlementarisme européen...) et internes (ethno-nationalismes séparatistes, communautarismes religieux ou sociologiques,...). Une nation que nous évoquons, non comme une idéologie jacobine (la « Nation » avec un N majuscule) dont les excès centralisateurs se manifestent jusque dans la gestion « parisienne » de la crise sanitaire (les Marseillais en savent quelque chose, mais aussi les Rennais : les préfets sont redevenus les « représentants en mission » d’une République maladroite dans ses réponses à la pandémie), mais comme une forte réalité issue de l’histoire et des liens qu’elle a fondés et entretenus, et comme le fort sentiment de l’appartenance à un « ensemble pluriel et inaliénable ».
Pourtant, la Ve République pensait avoir résolu le problème des institutions en « monarchisant » la République (hommage du vice à la vertu, diraient certains...) mais cette monarchie incomplète qui, en fait, semble plutôt avoir été, du temps du général De Gaulle, une forme française de « monocratie » renforcée par ses successeurs, est aujourd’hui largement remise en cause par les diverses réformes constitutionnelles de ces dernières années, mais aussi par les diverses cohabitations qui se sont succédé depuis 1986 (trois en quinze ans) et que le quinquennat a rendu désormais plus improbables (le mal est déjà fait, pourrait-on ajouter avec regret). En effet, depuis les années 1960, sous la pression conjointe d’une société de consommation de plus en plus mondialisée et d’une construction européiste qui oubliait, en fait, les réalités européennes comme la Nation de la 1ère République avait nié les réalités françaises, cette « pluralité de l’unité », la nation française paraît affaiblie et inquiète d’elle-même sans se résoudre ni à disparaître ni à se grandir à nouveau, et la Ve République est impuissante à se hisser à la hauteur des espérances que l’histoire de France, pourtant, autorise et que nombre de peuples, dans le monde, attendent !
Voici ainsi une bonne raison d’être royaliste et de le faire savoir, avec ferveur mais sans démesure, en cherchant, d’abord, à servir le pays qui est le nôtre, ce « cher et vieux pays » dont les dévastations urbanistiques et les dégradations environnementales nous désolent. Il ne s’agit pas de prendre une douteuse revanche sur une histoire de France guère heureuse pour les derniers rois comme pour leurs partisans ultérieurs, mais de rendre à la nation française sa juste conscience d’elle-même et sa place au regard même de ce qu’elle a été, que cela soit chez elle ou de par le vaste monde. Une France qui ne s’arrête pas aux limites de l’hexagone mais navigue aussi sur tous les océans à travers ses territoires ultramarins, de la Nouvelle-Calédonie (qui vient de confirmer ce dimanche par référendum son appartenance à l’ensemble national) à l’île de Mayotte, notre plus récent département (depuis 2011) et pour lequel toute une génération de royalistes, autour du maurrassien Pierre Pujo et de son hebdomadaire Aspects de la France, a milité, « contre le sens obligatoire de l’histoire »…
Mais être royaliste ne signifie pas être en « exil intérieur », bien au contraire, et, même si certains républicains peuvent en être surpris, nous travaillons en France, sous la République, parfois au sein de sa Fonction publique, sans que cela nous pose souci : il s’agit de servir le pays, sa population et, pour mon cas, ses jeunes générations. Un royaliste a sa place partout en France, partout où il faut servir et non « se servir ». Refuser de le faire serait, d’une certaine manière, appliquer « la politique du pire » qui est, comme le soulignait Maurras, « la pire des politiques ». Cela n’empêche pas, là où nous sommes, d’œuvrer, aussi, pour un État digne de ce nom, un État royal et dynastique qui n’a qu’une passion, qu’une obsession : la France, la France encore, la France d’abord…
Commentaires
Monsieur Chauvin, c'est toujours un plaisir.
"le royalisme connaît une marginalisation évidente dans le paysage politique français..." dites-vous, jusqu'à s'invisibiliser. Quoi de plus invisible qu'une idéologie qui a pénétré un tunnel ne débouchant pas ? Le dernier éditorial de M. Marcilhac appelant à "liquider l'Europe" (LFAR 2020/10/06) est un morceau de bravoure pétaradant certes, mais inaudible au fond de ce tunnel sans lumière ! Nous ne déconstruirons pas l'UE. Avec quelques soutiens venus de l'Est et de la Mer du Nord nous pourrons un jour réformer les institutions de l'intérieur, mais au grand jamais nous extraire de cet organisme d'où notre propre circulation sanguine est dérivée. Le Brexit s'agite sous nos yeux comme la marotte du bouffon Johnson mais détacher une grande île qui préside une thalassocratie mondiale n'a rien à voir avec un Frexit continental. Rien n'assure d'ailleurs que des provinces françaises de contact ne décideront pas de faire sécession. Mais c'est une autre histoire...
Ceci pour dire que les grandes incantations stériles ne servent à rien, sauf à briller dans des conférences à 50, et que le combat monarchiste mérite mieux. Vous et quelques autres insistez souvent sur le chapitre écologique couplé d'ailleurs à la réforme des rapports sociaux de production. Il y a beaucoup de matériau, c'est du sérieux ! Ce travail mériterait une plus large diffusion avec des moyens augmentés. Un plan, un agenda, un appel à cotiser ?
Les chapelles royalistes seraient mieux inspirées de s'investir dans les vrais problématiques de demain plutôt que d'allumer les vieilles vessies dans un musée-tunnel tout noir qui n'attire que des chauves-souris.
Merci Jean Philippe Chauvin de votre lucidité et de votre intelligence ; Maintenant, peu importe qu'il y ait en France 1% ou 01% ou 0,01% ou 10 % de royalistes affichés, peu importe qu'ils soient peu visibles, l'étaient -ils en 1814? Si Talleyrand n'avait pas envoyé une amie dire vive le Roi à Paris avant l’ 'arrivée des Alliés, à Paris, qui l‘aurait dit, sinon. ? ; Ce qu'il faut voir et dire , c'est que le régime républicain tourne totalement à vide et comme Obertone le montre, ne protège plus personne mais nous rend otage des bandes plus ou moins criminelles, plus que moins, avec des complicités dans certains partis. ;.. On le voit ou on ne le voit pas.
Fuite en avant dans sa catastrophe ou arrêt sur image; Bref il faut quelques décideurs disent ; on arrête les frais, on arrête . Par exemple on ne liquidera pas Soljenitsyne comme l'a demandé à l’époque Andropov en 1973 ou 1974, le régime a fait assez de dégâts comme ça, a-t-il dû se dire ? Cela m’a été confirmé à la dernier exposition sur l’œuvre de ce très grand homme, à la mairie du 5 il y a deux ans ? Oui Soljenitsyne a finalement été protégé au cœur de l’'Etat soviétique. Et non liquidé comme cela aurait été logique.
Revenons en France, le constat est implacable :, école en souffrance police, tétanisée, , banlieues en insurrection permanente, périphéries vitrifiés ( Guilly) dictature sanitaire incohérente, politique étrangère qui ressemble bien à celle « du chien crevé au fil de l'eau, » et j'en passe. Sur la décomposition sociétale ! L’Etat s’en va et nous nous nous en allons- pour parler comme Ronsard- ou plutôt nous nous décomposons. Il y a urgence d’arrêter le processus mortifère ,
Seules des personnes bien placées, quelques soient leur passé, leur opinions mais gardant un peu d'amour de leur pays peuvent dire « finita la Commedia ", on revient à autre chose, c'est à dire bien sûr au Roi, je ne vois pas d’autre alternative à notre système..
D'ici là les royalistes entretiennent la flamme, nous aident réfléchir, résistent, mais ce n'est pas par leur mouvement ou parti probablement persécuté, que Roi reviendra, mais par une conversion des cœurs et de l'intelligence ou de l'intelligence qui prépare la conversion des cœurs; Talleyrand 1810 n'était pas un petit saint, mais il avait compris qu'il fallait arrêter la fuite en avant, Fouché le régicide en 1815 avait aussi compris qu'il fallait sauver la France de la fureur des alliés et des Prussiens, et de l’hubris de Napoléon dès 1810, et lui avait envoyé une lettre pour lui dire d’arrêter. lui , qui avait été au cœur du système avait pu le comprendre, ( voir le livre de Waresquiel sur les cent jours) . L'intelligence est aussi une ascèse, une vertu chrétienne quand elle n'est pas dévoyée au sommet de l’Etat, de la pire manière comme nous le voyons aujourd’hui quand on est autiste.
A nous de susciter et préparer par une vraie ascèse continue aussi cette vraie intelligence, qui est aussi celle du cœur, qui permettra de faire tomber les « écailles des yeux » , qui donne sens et poids à notre communauté de destin, Bon courage Jean-Philippe .
En effet , les articles de Monsieur Chauvin sont bien instructifs et montrent de grandes perspectives .
Pour ce qui est des vieilles lanternes , il en faut pour tous les goûts et le phénomène générationnel est une constante . Normal de garder les repères de sa jeunesse ; normal aussi que de nouveaux , prenant en compte des situations nouvelles , mettent le royalisme à la façon qui le fasse perdurer .