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Français, vous reprendrez bien une louche de jihadisme ?, par Aurélien Marq.

Abdelhamid Abaaoud, le terroriste derrière les attentats de novembre 2015 à Paris, mort à Saint-Denis © Uncredited/AP/SIPA Numéro de reportage: AP21824688_000063

Source : https://www.causeur.fr/

De la récidive des fous d’Allah

Les fous d’Allah ne sont pas des détenus ordinaires. Parier sur leur réhabilitation après incarcération est notre folie à nous.

Le Figaro vient de publier un excellent article évoquant le taux de récidive extrêmement élevé des jihadistes(1)

Je ne saurais trop en recommander la lecture en préambule : factuel, documenté, il a la lucidité de rappeler que généralement, même les jihadistes qui ne récidivent pas au sens strict, ne renient pas leur idéologie (ce qu’a aussi établi David Thompson dans Les Revenants), et d’évoquer la sauvagerie toute particulière de l’Etat Islamique et de ses affidés, plus terrible encore que ce qui était la norme au temps où Al Qaeda était la référence. Autrement dit, les jihadistes actuellement emprisonnés et qui sortiront dans les années à venir sont pires que ceux sur lesquels porte l’étude dont parle le Figaro….

Rien de tout ceci ne doit nous surprendre. On le sait, les jihadistes ne sont pas de simples délinquants qui utiliseraient l’idéologie comme prétexte : les risques qu’ils prennent imposent au minimum d’écouter sérieusement ce qu’ils disent lorsqu’ils parlent de leur propre combat.

J’aime la mort comme vous aimez la vie

Il faut rappeler le cas emblématique de Mohamed Merah, que beaucoup ont présenté à tort comme une simple « racaille de cité. » Après avoir commis ses meurtres, dont ceux particulièrement abjects des enfants de l’école Ozar Hattorah, il a eu de longs échanges avec le RAID, dont les négociateurs espéraient initialement pouvoir l’amener à se rendre. Lors de ces discussions, il leur a notamment affirmé : « j’aime la mort comme vous vous aimez la vie. » Étonnamment, peu de gens ont pris la peine de réfléchir à la portée de cette phrase, qui fait directement référence à une figure majeure de la « geste héroïque » des premiers temps de l’islam : Khalid ibn al-Walid.

D’après la tradition musulmane elle-même, ce chef de guerre hors du commun était surnommé « le glaive dégainé d’Allah » par le prophète Mohammed en personne. En 633, avant la bataille des Chaînes qu’il livra contre les Perses, il fit parvenir au général ennemi un message disant : « vous avez le choix entre la conversion (à l’islam), la soumission et la mort, car j’arrive avec des hommes qui aiment la mort comme vous vous aimez la vie. » La déclaration de Merah, qui à ce moment avait choisi de mourir les armes à la main, n’était pas une provocation de petite frappe mais la revendication assumée d’une filiation « glorieuse », d’une continuité à travers les siècles.

Changeons notre approche

Gabriel Martinez-Gros l’a clairement montré dans un brillant ouvrage auquel j’ai déjà plus d’une fois fait référence, Fascination du Djihad, fureurs islamistes et défaite de la paix : les jihadistes se voient comme une élite guerrière en rupture avec la morale pusillanime des masses. Dans leur esprit, ils sont en quelque sorte les « chevaliers d’Allah », élus par le Créateur et Seigneur de l’Univers. Qu’ils ne soient en réalité qu’une sinistre imitation, une ombre grinçante de ce que furent les véritables fraternités guerrières, des chevaliers aux samouraïs, ne change pas ce qu’ils se raccontent sur eux-mêmes. Au lieu de les traiter comme de simples délinquants, nous gagnerions à admettre la réalité : ils ont fait consciemment le choix d’être nos ennemis mortels, et d’œuvrer à la destruction de notre civilisation pour la remplacer par un totalitarisme monstrueux.

Car les jihadistes ne sont pas des nihilistes, mais des utopistes. Ils servent un idéal – viscéralement pervers – qui est celui de l’islam théocratique. Leur mort telle qu’ils l’envisagent n’est pas une plongée dans le néant, mais une communion à l’absolu. Leur projet est simultanément simple, voire simpliste, et démesuré : ils veulent le royaume de Dieu sur terre. C’est un exemple presque caricatural d’hubris, cette arrogance sans limite que dénonçaient les Grecs. Les jihadistes, et plus généralement ceux qui partagent leur idéologie, sont dans une très large mesure semblables aux foules de l’Allemagne nazie dont C.G. Jung disait en avril 1939 : « ils sont tous possédés par un dieu barbare » (2). Dans un pays islamiste (et pas seulement musulman) les choses sont évidemment différentes, puisque cette idéologie y est la norme, mais en Occident ceux qui œuvrent activement au service de l’islam théocratique (que ce soit par la violence, par l’influence culturelle, financière ou médiatique, par le militantisme, par l’entrisme politique, par le « jihad judiciaire », etc) ne sont absolument pas de simples « rouages » pris dans ce que Hannah Arendt appelait la « banalité du mal ». Il faut plutôt voir en eux l’équivalent de ces dignitaires SS qui communiaient activement au mysticisme malfaisant d’Heinrich Himmler dont Wewelsburg était le centre. Ce n’est pas le désir du néant qui les pousse, mais l’exaltation de se sentir habités par la présence agissante du dieu qu’ils ont choisi de servir. La jouissance de devenir les instruments vivants et les réceptacles terrestres de sa volonté, la pure extase de ne plus faire qu’un avec elle. Mohammed Merah n’a pas seulement assassiné ses victimes : elles étaient des sacrifices humains qu’il offrait au dieu dont il était devenu à son tour « le glaive dégainé ».

Chimérique déradicalisation

Souvenons-nous de ce qu’écrivait Voltaire au sujet d’autres fanatiques religieux : « Ces gens-là sont persuadés que l’esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre. Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »

Comment imaginer que les tentatives de « déradicalisation » qui furent à la mode aient pu avoir le moindre effet ? Lorsqu’un jeune en quête d’absolu s’enivre presque quotidiennement de la conviction d’être le bras armé d’un dieu, lui demander s’il ne préférerait pas plutôt faire des stages de sport ou devenir employé de bureau, ou penser lui faire peur en le menaçant de quelques années de prison, n’a rigoureusement aucun sens.

On ne peut éventuellement le détourner de son idéal qu’en lui proposant un autre idéal, à condition que cet autre idéal puisse lui aussi susciter l’exaltation, que ce soit donc un idéal qui mérite d’être défendu. Plus, même : qui mérite que l’on se batte pour le défendre.

N’oublions pas qu’aux yeux des jihadistes et de leurs compagnons de route idéologiques, notre tolérance n’est qu’un refus d’assumer nos valeurs, et ils y voient la preuve que ces valeurs ne valent rien : elles ne valent pas la peine qu’ils y croient, si même nous qui en faisons la promotion nous montrons par notre attitude qu’elles ne valent pas la peine que nous nous battions pour les défendre.

Penser à notre salut d’abord

Sans doute certains jihadistes peuvent-ils être sauvés, mais posons-nous la question : combien de nazis convaincus ont-ils été « réinsérés » ? Certains adeptes de l’islam théocratique peuvent être accessibles à des sursauts de lucidité sur la monstruosité qu’ils servent, accessibles à la raison, touchés par un sursaut de sens moral, frappés par l’amour qu’ils éprouveront pour une personne plus importante pour eux que la doctrine (mais combien sont prêts à sacrifier leurs propres enfants pour la cause ?), confrontés à la terreur, à l’humiliation de la défaite, à une détermination plus grande que la leur. Il leur faudra alors surmonter la culpabilité, la peur instillée en eux depuis longtemps (peur du regard des autres, de la colère divine, de l’enfer), et redonner un sens à leur existence. Certains l’ont déjà fait.

Mais il est probable que dans la grande majorité des cas leur salut relève de rien de moins que d’un miracle, que compter dessus soit collectivement suicidaire, irresponsable au vu des risques, et même criminel vis-à-vis des générations futures qui auront à subir leur totalitarisme si nous les laissons faire. Il nous faut renoncer aux illusions réconfortantes et réapprendre à regarder la vérité en face : bien souvent, ceux qui ont choisi de vouer leur vie à un dieu-tyran et de nous combattre jusqu’à la mort ont tout simplement choisi, réellement, de vouer leur vie à un dieu-tyran et de nous combattre jusqu’à la mort. Puisse-t-il s’agir de la leur.

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