«Une mesure à la fois radicale, nécessaire et difficile !», par Frédéric de Natal.
Source : http://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/
Encore sous le choc de l'annonce de l'exil du roi Juan-Carlos, éclaboussé par une affaire de blanchiment d'argent, l'Espagne se réveille ce matin, dans une étrange atmosphère d'incompréhension. Le geste du souverain, roi de la transition et restaurateur de la démocratie, a t-il sauvé la monarchie de ses oppositions ? Auteur de divers ouvrages, journaliste et professeur d'Espagnol, spécialiste reconnu de l'Espagne, Nicolas Klein nous évoque le roi et analyse pour le site «Monarchies et dynasties », les conséquences de cette décision.
Que retenir du règne de Juan Carlos et, au-delà, de son action en Espagne ? Il est évident que la réponse à cette question est fortement conditionnée par les récents événements judiciaires qui l’ont affecté directement ou indirectement. Nos considérations à ce sujet sont en effet tributaires des dernières années qu’il a passées sur le trône, particulièrement à partir de la révélation des détournements de fonds de son gendre, Iñaki Urdangarin, et de sa fille, l’infante Christine. Beaucoup n’oublieront pas non plus sa partie de chasse au Botswana, qui s’est achevée sur un piteux rapatriement en Espagne et sur une opération de la hanche. La dégradation physique du monarque a accompagné la crise économique et sociale qui a touché tout le pays à partir de 2008, de même que la divulgation en « feuilleton » de ses frasques personnelles, supposées ou réelles.
Étrange destin que celui de cet homme que rien ne prédisposait à régner, qui s’est peu à peu défait de ses pouvoirs absolus hérités de Francisco Franco à compter de 1975 et qui a accompagné la transition démocratique espagnole jusqu’à son terme, en 1982. C’est que, comme chacun de nous, Juan Carlos est fait d’ombres et de lumières. Évidemment, nous ne sommes pas tous soupçonnés d’avoir touché des commissions illégales et nous n’avons pas tous eu affaire à une tentative de coup d’État. Mais ce que je veux dire par là, c’est que l’on a probablement trop idéalisé le « héros » du 23 février 1981 pendant de nombreuses années avant de se rendre compte que la réalité était plus complexe – et elle l’est toujours. Et ceux qui l’avaient adoré hier le vouent aujourd’hui aux gémonies, si l’on veut caricaturer à l’extrême.
Qu’est-ce qui pèsera le plus dans la balance ? Sa fin de vie compliquée ou ses décisions en tant que souverain ? Difficile à dire pour le moment, d’autant que nous n’avons pas encore tout le recul nécessaire pour en juger de façon totalement pertinente. Je crois néanmoins que son départ d’Espagne, qui ne signifie en rien qu’il se soustrait à la justice de son pays (son avocat l’a encore réaffirmé le 3 août dernier), est une mesure à la fois radicale, nécessaire et difficile. J’ai conscience que nombre de monarchistes, outre-Pyrénées ou dans d’autres nations, le soutiennent bec et ongles et n’approuveront pas ce que je dis présentement. Pourtant, je crois que la crise institutionnelle au centre de laquelle se trouve l’ancien roi ne doit pas venir se rajouter (ou en tout cas pas trop) à la crise socio-économique et sanitaire que connaît aujourd’hui l’Espagne. Juan Carlos le sait pertinemment, tout comme il sait que sa situation était intenable en raison des pressions du gouvernement socialiste. Il est également conscient du fait que le parfum de scandale qui l’entoure rejaillit fatalement sur son fils et successeur. C’est à la fois pour le pays et pour Philippe VI qu’il a agi de la sorte. Cela ne suffira probablement pas à éteindre l’incendie (et toute la lumière doit être faite sur son passé, quelle que soit l’issue de l’enquête le concernant). Il s’agit cependant d’une décision probablement inévitable et que je crois « positive » à moyen et long terme pour l’actuel monarque.
L’on prête à l’exécutif composite de Pedro Sánchez la volonté de renverser la monarchie pour installer une république – et, par conséquent, de s’appuyer sur les problèmes judiciaires de Juan Carlos pour y parvenir. C’est possible, même si je crois l’actuel chef du cabinet moins obsédé par la question que certains ne le disent. Bien entendu, Podemos ne se prive pas d’exploiter l’épisode et c’est « de bonne guerre ». En tout cas, il fallait s’y attendre. Toutefois, des changements institutionnels de cette ampleur demanderaient une vaste réforme constitutionnelle qui devrait nécessairement passer par plusieurs étapes : la rédaction d’un texte amendé, l’approbation de cette nouvelle loi fondamentale par une très large majorité des deux chambres du Parlement, une dissolution de ce dernier avec des élections générales anticipées à la clef, un nouveau vote parlementaire et, enfin, un référendum.
La procédure est longue et complexe. Pedro Sánchez risquerait-il sa majorité actuelle pour complaire à Pablo Iglesias et aux siens ? S’aventurerait-il à porter la question devant les Espagnols, dont rien ne semble dire (contrairement à ce que certifient les républicains intransigeants) qu’ils soient vraiment en faveur de l’instauration d’une Troisième République ? Je n’en suis pas certain, même si l’avenir me démentira peut-être. Quoi qu’il en soit, une page se tourne pour l’Espagne. Une de plus depuis 2008. Les transformations à l’œuvre chez notre voisin pyrénéen à partir de cette date n’ont certainement pas encore produit tous leurs effets. Et rien ne dit que ces répercussions seront nécessairement bénéfiques aux forces politiques qui, aujourd’hui, tentent d’affaiblir l’État-nation espagnol à travers la monarchie.
Ne nous y trompons pas, en effet : derrière le débat autour de Juan Carlos et de son fils se dissimule (bien mal) une volonté de déstabiliser l’Espagne telle qu’elle existe actuellement, notamment au profit des forces centrifuges qui la travaillent. L’on peut être un républicain sincère et opposé au fédéralisme ou à l’indépendance de la Catalogne (il y en a plus qu’on ne le croit souvent en Espagne, bien qu’ils ne soient pas majoritaires au sein du républicanisme) mais aussi comprendre ce qui se joue en ce moment. Philippe VI a encore du pain sur la planche, mais que Pedro Sánchez et Pablo Iglesias se méfient : rien ne leur garantit à eux non plus un futur radieux…
Copyright@Frederic de Natal
Tous mes remerciements à Nicolas Klein
Commentaires
Une fois la monarchie rétablie sur le sable "de toutes les Espagnes" et après le coup d'Etat manqué du colonel Tejero, Don Juan-Carlos s'est hissé au sommet de la fonction puis est redevenu lui-même.
Jusqu'à l'investiture aux Cortes de 1975, il passait pour un playboy cavaleur dans les fils de la phalange franquiste, celui qui protègerait les fortunes faites pendant la guerre civile et accessoirement les positions acquises.
Ce discours de 1975 aux Cortes fut fondateur. Les Espagnols ont découvert un homme grand, bien bâti, malgré une lippe malgache qui laissait présager une fragilité aux observateurs attentifs, mais à la voix mâle et assurée. Il livra à son auditoire les mots attendus par tous ou presque. Standing ovations ! Ce fut un immense soulagement par tout le pays de comprendre que la transition forcée par le dictateur défunt allait fonctionner et que les Espagnols seraient bientôt comme les "autres".
Puis dans le désoeuvrement propre à la monarchie constitutionnelle mise en place par la classe politique espagnole (demander l'avis du duc d'Aranjuez), l'homme dans ses appétits primaires a pris le dessus sur le roi. L'occasion, l'herbe tendre et une soif immodérée d'argent, comme le confie son "amie-de-coeur" à la presse, qui signale avoir vu une machine à compter les billets à la Zarzuela où tous débours se faisaient en cash (on n'est pas obligé de la croire), ont commencé à ronger la statue du commandeur de l'intérieur !
Don Juan Carlos aurait dû quitter les affaires et le pays dès le lendemain de son abdication. L'exil est dans les gènes des Bourbons d'Espagne. La continuation de leur affichage (Sofia et lui) a porté ombre sur l'image des jeunes souverains qui se démènent sans compter depuis leur investiture pour le job. La reine émérite Sofia continue de cultiver une popularité qui est surtout dans sa tête sans vouloir comprendre qu'elle affaiblit le prestige de la reine Letizia. Mais a-t-elle jamais compris quelque chose, même venant d'une dynastie déposée par sa propre nation ? Apparemment ça ne lui parle pas, elle se voit dans Hola! et tout va bien.
La monarchie de Bourbon est menacée par les républicains encore nombreux en Espagne surtout dans les provinces rebelles, qui font de sa ruine la pierre d'angle de leur projet. La constitution de 1978 complique à l'envi le changement de régime et il est probable que le canal légal ne sera jamais emprunté, mais l'insurrection générale peut y parvenir (c'est le "par-tous-moyens" maurrassien). Les Podemos aux autres gauchistes radicaux, les Catalans et les Basques oeuvrent à cette destruction. Don Felipe doit montrer maintenant qu'il est au niveau requis par les circonstances. Il ne suffira pas d'inaugurer les chrysanthèmes avec sa charmante épouse et ses deux filles adorables. Il faut penser à préserver Leonor.