Héritiers de la pensée de Gustave Thibon Gustave Thibon, un vrai modèle, par Robin Nitot.
Source : https://www.france-catholique.fr/
Gustave Thibon n’a pas laissé de disciples ni fondé d’école de pensée. Mais aujourd’hui encore, de jeunes intellectuels s’en inspirent pour penser le monde actuel autrement. Dans cette source ancienne, ils puisent du neuf.
Aphorismes, essais, poèmes et pièces de théâtre, Gustave Thibon a multiplié les casquettes, offrant plusieurs voies d’accès à son œuvre. C’est peut-être cette diversité d’écrits qui permet la diversité des profils de ceux qui s’en réclament, ou plus simplement, qu’il inspire près de 20 ans après sa mort.
Si l’on croise peu de philosophes « thiboniens » à proprement parler, son apport à la discipline est souligné par Martin Steffens, professeur de philosophie. « Thibon fait partie d’une certaine tradition française méprisée dans le milieu universitaire qui consiste à avoir une pensée très balancée et subtile et dans une langue extrêmement claire, sans aller chercher des concepts lointains, des néologismes ou des mots allemands. Comme Bergson ou Louis Lavelle : c’est un vrai modèle, difficile à ranger dans une case, qui explique sa pensée par des mots de tous les jours. »
Mais le Thibon que nous connaissons ne serait sans doute pas le même sans son amitié avec la mystique Simone Weil, qu’il a accueillie dans sa ferme au cours de la Seconde Guerre mondiale. « Ce que Thibon doit à Simone Weil, c’est d’être un penseur de la contradiction », reprend Martin Steffens. « Thibon, comme Weil, n’a pas peur de rassembler des choses, les idées, les textes : il y a dans son œuvre à la fois Maurras et Victor Hugo. »
Pour l’essayiste Paul-François Schira, Thibon partage avec Weil « une même façon de voir le monde, en s’intéressant à la personne humaine dans toutes ses composantes. La personne est vue dans tous ses aspects et ni comme un simple facteur de production (comme le ferait le marxisme) ou de consommation (à la manière du capitalisme). Ce qui compte, c’est une dépendance affective qui fait que l’homme a besoin d’appartenir à quelque chose qui lui apporte une reconnaissance. C’est la différence entre le Bien Commun et le totalitarisme ou le collectivisme. »
Philosophe des racines
Chantre de la vie paysanne, défenseur des racines – humaines comme végétales – Gustave Thibon fut aussi un précurseur de l’écologie intégrale, dont se revendique la revue Limite. Le directeur de la revue, Paul Piccarreta, retient de Thibon davantage le « paysan-professeur » que le « paysan-philosophe » : « J’ai lu Thibon au lycée et j’ai tout de suite aimé, c’est un auteur qui avait la particularité d’avoir une approche poétique de questions philosophiques. Outre la profondeur de sa pensée, c’est la beauté de sa plume qui est fascinante. Thibon est un véritable poète de la pensée. Aujourd’hui, il pourrait apporter à l’écologie son sens de la mesure, de la limite, de la mort… La thèse profonde de sa pièce Vous serez comme des Dieux, où il imagine un monde dans lequel la mort ne fait plus partie de la vie, c’est que ne pas pouvoir mourir, c’est ne pas pouvoir donner sa vie, donc ne pas pouvoir aimer. »
Paul-François Schira insiste également sur l’intérêt de Thibon pour l’écologie : « Le relire aujourd’hui peut permettre un nouvel écologisme, qui est celui de l’enracinement et de la contemplation. C’est en ça que Thibon est d’abord un poète ! La façon poétique de voir la nature est aussi une façon différente de faire de l’écologie. Mais il ne s’agit pas de romantiser la nature, car Thibon est un bâtisseur, ce n’est pas un poseur romantique. »
Le cercle Chez Gustave
Parmi les héritiers de Gustave Thibon, on trouve l’association chrétienne Ichtus, qui promeut l’action des laïcs dans la vie de la Cité, et qui a lancé un « cercle de conférences politiques et culturelles autour de bons produits du terroir » : Chez Gustave. Un parcours de dix soirées, offrant un regard croisé entre les grands classiques et les esprits libres de notre époque, de Socrate à Thibon.
Le directeur d’Ichtus, Benoît Dumoulin, rappelle que Thibon était applaudi par les catholiques partout où il passait : « C’était un véritable anticonformiste, qui arrivait à sortir les catholiques de leur moule, à leur dire que les choses sont plus compliquées qu’elles en ont l’air… Il a bâti toute sa pensée sur le retour au réel, quelque chose qui parle beaucoup pour la cité catholique d’Ichtus. Il a été un des premiers à montrer que l’idéologie moderne poussait à se déconnecter du réel, que ce soit d’une façon toute simple par l’exode rural qu’il voit depuis Saint-Marcel-d’Ardèche : il est le philosophe des racines. »
Lorsqu’on demande à ses lecteurs ce que Thibon aurait à dire sur les événements de notre temps, les réponses fusent. Pour Martin Steffens, Thibon lirait l’époque avec sa sévérité et son humour habituels : « Il y verrait une confirmation de la victoire de "l’individualisme contractuel" », qui consiste à demander à l’État de nous protéger… en perdant peut-être définitivement les mœurs villageoises, c’est-à-dire le savoir qu’on dépend les uns des autres. Thibon nous dit que dans les villages d’autrefois, les personnes n’étaient pas meilleures, mais étaient liées. Il racontait que sa voisine mettait autant d’énergie à dire du mal de lui qu’à lui apporter son repas quand il était malade. C’est ce sens de la communauté qu’il est question de retrouver. »
Thibon, un facteur d’union
Pour les plus jeunes lecteurs de Thibon, comme Foulques-Antoine d’Argoeuves, fondateur du cercle Chez Gustave, Thibon n’est pas qu’une figure paradoxale, c’est aussi un facteur d’union : « Ce qui est drôle chez Thibon, c’est que c’est l’une des rares figures contemporaines qui fasse autant l’unanimité chez les conservateurs, que chez les écologistes décroissants, les cathos… C’est une figure qui réunit des gens divisés et qui auraient beaucoup à se dire : on gagnerait à le mettre plus en avant et à s’en servir comme un vecteur d’unité, et à le relire. »