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Trouvères et troubadours, par Frederic Poretti-Winkler.

2737274333.76.jpgLa femme alors était sublimé dans les rapports comme dans les approches et parfois jusqu’à l’excès. C’est alors un véritable « culte » de celle-ci dans un respect profond. Thibaut IV de Champagne écrira des vers inoubliables déposés aux pieds de la reine Blanche de Castille : « Dame quand je fus devant vous. La première fois que je vous vis. Mon cœur allait si bondissant. Qu’il vous resta quand je m’en fus. Alors il fut mené sans rançon. Captif dans la douce prison. Dont les piliers sont de désir. Les portes de belle vision. Et les anneaux de bon espoir. » Plus tard Joinville, champenois, écrira en prose, accompagnant Louis IX (Saint Louis) en croisade en 1248. Vaucouleurs obtint sa charte de franchise lors de son passage, il était alors sénéchal de Champagne.

frédéric winkler.jpg« Cette charte existe encore aux Archives nationales et porte au revers, de la main du chevalier : « Ce fut fait par moy » » (Georges et Régine Pernoud, Le tour de France médiévale, L'histoire buissonnière).
Les trouvères et troubadours furent de toutes les couches de la société du plus grand au plus humble, écoutons Adam de la Halle :
« Or verrai a vostre don. Se courtoisie i est fine. Je vous aim sans traïson…
De biauté sans mesprison. Plus fort cuers s’i enrachine ».
A votre don je verrai. Si la courtoisie y est fine. Je vous aime sans traîtrise…
De beauté sans méprise. Plus fort un cœur s’y enracine.
Ou ce chevalier champenois Gace Brulé :
« De bien amer amors grant sen me baille, Si me trahit s’a ma dame n’agree. La voluntez pri Deu que ne me faille, Car mout m’est bon quant ou cuer m’est entree; Tuit mi panser sunt en li, ou que j’aille, »
De bien aimer Amour me donne grand goût, Et il me trahit si je ne plais à ma dame.
Je prie Dieu que sa volonté ne me fasse défaut, Car cela m’a fait du bien quand elle est entrée dans mon cœur. Toutes mes pensées vont à elle, où que j’aille…
« En baisant, mon cuer me toli. Ma dolce dame gente ; Trop fu fols quant il me guerpi. Por li qui me tormente.
En me donnant un baiser ma douce et gente dame me vola mon cœur. Je ne fus que trop fou quant il me laissa pour celle qui me tourmente… Disait Gui de Pontiaux. Une légende, le « Roman du châtelain de Coucy » (XIIIème s.) que je cite, afin de montrer l’époque et le tableau des mœurs vécues, est celle du châtelain Gui de Coucy, mort lors de la IVème croisade sous les murs de Saint Jean D’Acre, en 1191. Celui-ci avait laissé comme mission à son écuyer d’apporter son cœur à la dame qu’il honorait : la châtelaine Gabrielle de Vergy, sans doute en réalité la Dame de Fayel (ou Faël). Le mari de la dame, prévenu, fit préparer ce cœur lors d’un repas, qui fut mangé avant d’en révéler la vérité. La dame refusa après de se nourrir et mourut…

Tant ai en li ferm assis mon corage. Qu'ailleurs ne pens, et Diex m'en lait joïr !
C'onques Tristanz, qui but le beverage, Pluz loiaument n'ama sanz repentir ;
Quar g'i met tout, cuer et cors et desir, Force et pooir, ne sai se faiz folage ;
Encor me dout qu'en trestout mon eage. Ne puisse assez li et s'amour servir.
Je ne di pas que je face folage, Nis se pour li me devoie morir,
Qu'el mont ne truis tant bele ne si sage, Ne nule rienz n'est tant a mon desir;
Mout aim mes ieuz qui me firent choisir; Lors que la vi, li laissai en hostage
Mon cuer, qui puiz i a fait lonc estage, Ne ja nul jour ne l'en quier departir.

Mon coeur lui est profondément attaché.
Je ne pense à nulle autre. Dieu ! Être un jour avec elle !
Jamais Tristan, lui qui but le philtre, n'a aimé sans réserve d'un amour plus loyal.
Je m'y donne tout entier, cœur, corps, désir, force et pouvoir. J'ignore si c'est folie,
pourtant que je doute encore que ma vie soit assez longue. Pour la servir et pour l'aimer.
Ma conduite, je l'affirme, n'a rien d'insensé, même si son amour me mène à la mort,
car je ne trouve au monde ni plus belle ni plus sage. et personne autant qu'elle ne comble mon désir ; J'aime mes yeux qui surent la remarquer. Au moment où je l'ai vue, je lui ai laissé mon cœur en otage; depuis il ne l'a pas quittée, jamais je ne chercherai à le reprendre…

D’autres chevaliers malheureux se retrouvèrent dans cette légende, écoutons Colin Muset :
Li chastelains de Couci ama tant. Qu'ainz por amor nus n'en ot dolor graindre;
Por ce ferai ma conplainte en son chant, Que ne cuit pas que la moie soit maindre.
La mort mi fet regreter et conplaindre. Vostre cler vis, bele, et vostre cors gent;
Morte vos ont frere et mere et parent. Par un tres fol desevrement mauvés.

II. Por qui ferai mes ne chançon ne chant, Quant je ne bé a nule amor ataindre
Ne jamés jor ne quier en mon vivant. M'ire et mon duel ne ma dolor refraindre?
Car venist or la mort por moi destraindre, Si que morir m'esteüst maintenant!
C'onques mes hom n'ot un mal si tres grant. Ne de dolor au cuer si pesant fais.

Le châtelain de Coucy aima si profondément que jamais personne n'éprouva, à cause de l'amour, une plus grande douleur; aussi dirai-je ma complainte en reprenant son chant : je ne crois pas que la mienne soit moindre. La mort me fait regretter et plaindre votre clair visage beau, votre gentil corps. Frères, mère et parents vous ont mise à mort, par une très folle et mauvaise séparation.
Pour qui ferai-je désormais chansons et chants quand je n'aspire plus à atteindre aucun amour, quand je n'aspire plus, jusqu'à la fin de mes jours, qu'à maîtriser mon ire, ma tristesse et ma douleur? Que la mort vienne pour me délivrer! Si seulement il fallait que je meure maintenant ! Jamais homme n'eut un mal aussi grand, ni de douleur au cœur un si lourd fardeau.
Il est intéressant de lire dans le poème courtois de Conon de Béthune les valeurs de la chevalerie, dans ses chansons de croisade lorsqu’il dit :

Ahi ! Amours, con dure departie. Me convendra faire de la meillour
Qui onques fust amee ne servie ! Deus me ramaint a li par sa douçour
Si voirement que m'en part a dolour ! Las! qu'ai je dit ? Ja ne m'en part je mie!
Se li cors vait servir Nostre Seignour, Li cuers remaint du tout en sa baillie.

Pour li m'en vois souspirant en Surie. Quar nus ne doit faillir son Creatour.
Qui li faudra a cest besoig d'aïe. Sachiez que il li faudra a greignour ;
Et saichent bien li grant et li menour. Que la doit on faire chevalerie,
Qu'on i conquiert paradis et honor, Et pris et los et l'amour de s'amie.

Dieus est assis en son saint hiretage ; Or i parra se cil le secourront
Cui il jeta de la prison ombrage, Quant il fu mors en la crois que Turc ont.
Sachiez cil sont trop honi qui n'iront, S'il n'ont poverte u vieillece ou malage ;
Et cil qui sain et joene et riche sunt. Ne pueent pas demorer sans hontage...

Qui ci ne veut avoir vie anuieuse, Si voist pour Dieu morir liez et joieus,
Que cele mors est douce et savereuse. Dont on conquiert le regne precïeus,
Ne ja de mort nen i morra uns seus, Ainz naisteront en vie glorieuse.
Qui revendra, mout sera eüreus : A touz jours maiz en iert Honors s'espeuse.

Dieus! tant avom esté preu par huiseuse ! Or i parra qui a certes iert preus.
S'irom vengier la honte dolereuse. Dont chascuns doit estre iriez et honteus
Car a no tanz est perdus li sains lieus. U Dieu soufri pour nous mort angoiseuse.
S'or i laissom nos anemis morteus, A touz jours mais iert no vie honteuse.

Las! Je m'en vois plorant des ieus du front. La u Dieus vuet amender mon corage ;
Et sachiez bien qu'a la meillour du mont penserai plus que ne di au voiage.

Hélas! Amour, comme il sera dur de me séparer de la dame meilleure qui fût jamais aimée et servie! Que Dieu me ramène à elle, dans sa douceur, aussi vrai que je me sépare d'elle avec douleur! Pauvre de moi! Qu'ai-je dit? Je ne la quitte pas vraiment. Si le corps s'en va servir Notre Seigneur, le cœur demeure du tout en son pouvoir.
A cause d'elle, je m'en vais en soupirant en Syrie, car nul ne doit manquer à son Créateur. Celui qui, en ce besoin, lui faillera, sachez qu'il lui faillera en plus grand; et sachez bien, les grands et les petits, que c'est là que l'on doit faire chevalerie, que là on conquiert paradis et honneur, prix et louange et l'amour de son amie.
Dieu est assiégé en son saint héritage. Maintenant il apparaîtra comment le scourront ceux qu'Il jeta hors de la prison ténébreuse quand Il fut mis à mort sur la croix, que les Turcs ont. Sachez que ceux-là sont honnis qui ne partiront pas, à moins qu'ils soient dans la pauvreté ou la vieillesse ou la maladie ; et ceux qui sont sains et jeunes et puissants ne peuvent rester ici sans honte…
Qui ne veut vivre ici-bas une vie pleine d'ennuis, qu'il aille mourir pour Dieu dans la liesse et la joie, car la mort est douce et savoureuse, par laquelle on conquiert le royaume précieux; et pas un seul ne mourra de mort, mais tous naîtront à une vie glorieuse; celui qui reviendra sera très heureux: à tout jamais Honneur sera son épouse.
Dieu! Nous avons longtemps été preux par oisiveté ! Maintenant il apparaîtra qui sera preu en vérité, et nous irons venger la honte douloureuse dont chacun doit être irrité et honteux, car en notre temps a été perdu le lieu saint où Dieu souffrit pour nous une mort d'angoisse; si maintenant nous y laissons nos ennemis mortels, notre vie en sera honni à jamais.
Hélas! Je m'en vais, pleurant des yeux de mon front, là où Dieu veut amender mon cœur; et sachez bien qu'à la meilleure (femme) du monde je penserai en ce voyage plus que je ne dis.
Pardonnez cette citation un peu longue mais elle représente l’esprit de nos ancêtres, comme leurs priorités dans leur vie d’homme. L’essentiel alors était l’invisible et non les fruits du matérialisme comme aujourd’hui. Il serait intéressant d’analyser d’ailleurs si cela rend plus heureux les hommes, permettez-moi d’en douter. Il ne serait pas long d’observer autour de soi, la réalité de notre monde contemporain avec sa misère morale, dont le taux de suicide, tabou sociétal, doit être caché…

Et li chevaliers qui l'a escoutee mist pié fors d'estrief, descent en la pree, devant li se mist a genouz : «Bele, vez ci vostre ami douz.». Merci, merci, douce Marote, n'ociez pas vostre ami douz !
Quand il l'a entendue,le chevalier hors de l'étrier a mis le pied. Dans la prairie, il est descendu, devant elle, il s'est agenouillé. - Belle, le voici, votre ami doux. Pitié, pitié, douce Marote, ne tuez pas votre ami doux ! (A la Fontenele)

F. PORETTI-Winkler (L'Ethique de la Reconquete, à suivre...)

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