Le 8 Mai, prendre conscience !, par Christian Vanneste.
Le 8 Mai sera célébré l’anniversaire de la victoire des alliés occidentaux contre l’Allemagne nazie. La Russie commémore l’événement le 9 par un imposant défilé militaire sur la Place Rouge. Les Français fêtent légitimement cette date du 8 Mai. Ils ont participé au combat contre les puissances de l’Axe, depuis Septembre 1939 jusqu’au désastre de Mai-Juin 1940, cette « étrange défaite » dont parle Marc Bloch, dont personne n’attendait l’ampleur et qui a durablement affaibli l’image et la réalité de notre pays dans le monde.
Mais ils ont surtout continué le combat le 18 Juin 1940 à l’appel du Général de Gaulle. Peu nombreux, au début, quand le gouvernement de Vichy revêtait l’apparence de la légitimité nationale, ils ont, peu à peu, reconquis et restauré la vraie France. Au fond du continent africain, d’abord, avec le premier ralliement, celui de l’Afrique Equatoriale Française. C’est de là que partiront ceux qui sauveront l’honneur du pays, les Larminat, les Leclerc, les Koenig. D’autres amorceront la résistance intérieure avec les Rémy, Passy, Honoré d’Estienne d’Orves. Après le débarquement américain au Maroc et dans les départements français de l’actuelle Algérie, et le sabordage lamentable de la flotte à Toulon, le pays réel aura basculé. Les troupes présentes en Afrique du Nord se joindront aux Français Libres qui se sont déjà illustrés à Bir Hakeim et dans la colonne Leclerc venue du Tchad pour prendre les italo-allemands à revers en Libye. La mobilisation des Pieds-Noirs qui paieront un lourd tribut de vies humaines, le recrutement de soldats musulmans qui feront preuve d’un grand courage, permettront de reconstituer une véritable armée française qui combattra en Italie avec Juin, en France avec la IIe DB de Leclerc et la 1ère armée de de Lattre de Tassigny. Lors de la capitulation allemande, la France sera présente. La prévision lucide de de Gaulle et la promesse de Leclerc à Koufra seront devenues des réalités. Notre pays avait sauvé sa place dans le monde. Sans de Gaulle et ceux qui l’ont rejoint, les Américains, qui avaient dévalué la France en Juin 1940, étaient disposés à en faire, lors de la libération, un territoire sous administration militaire. Non ! La continuité de l’Etat avait été assurée et sa souveraineté restaurée sur le territoire national. La France était à nouveau une démocratie libre. C’est pourquoi il faut saisir cette date du 8 Mai pour se poser une question : le peuple souverain a-t-il le droit de mettre à sa tête des hommes ou des femmes qui n’ont pas l’amour et le respect de la France ou dont l’élection n’aura pas été démocratique ? Le magnifique rétablissement de 1944 a été permis par le patriotisme et l’abnégation d’un petit nombre d’hommes face à la marée habituelle du conformisme.
L’étrange défaite de 1940, le désastre indochinois, le drame algérien, l’actuelle chute de la France risquent d’indiquer le cours réel des événements que les vagues de réaction salutaire en 1940, en 1958, ne feraient que ralentir momentanément. Au long cours, notre pays a connu le désastre de Waterloo en 1815 après la saignée des guerres de la Révolution et de l’Empire puis à nouveau la débâcle de Sedan en 1870 vécue par une population vieillie et moins nombreuse. La victoire laborieuse de 1918 a été obtenue avec des alliés et au prix d’une hécatombe dont la France ne s’est pas remise avant la fin de la seconde guerre, elle-même gagnée par nos alliés plus que par nous-mêmes. Les mésaventures coloniales ont suivi avec la catastrophe de Dien-Bien- Phu, le 7 mai 1954. Ce rappel est un appel à la prise de conscience.
Deux causes se sont rencontrées pour expliquer cette histoire que masquent un peu les commémorations, car il faut saluer le courage et le sacrifice de ceux qui ont tenu l’épée de la nation, même si celle-ci n’a pas toujours été victorieuse. Il faut aussi cultiver la fierté nationale sans laquelle il est difficile de susciter une cohésion porteuse d’avenir. Mais la France des réseaux, des connivences et des combines a entretenu une médiocrité des hommes et des esprits qui a touché l’armée comme la sphère politique. Les militaires n’ont souvent acquis une compétence suffisante que dans la défaite. Les Français ont mal, très mal commencé, les deux guerres mondiales et les ont mieux achevées. Les officiers confrontés à la déroute indochinoise ont gagné la guerre d’Algérie militairement. Ce fut en pure perte, politiquement. L’armée n’est, elle-même, que le reflet de la société française et le produit de décisions politiques. Ce sont les politiciens qui reconnaissent ou non la valeur des soldats et choisissent les chefs au plus haut niveau et leur demandent ensuite de faire face à des situations qu’ils ont créées. L’appartenance à un réseau de copinage compte souvent plus que le savoir-faire d’un esprit rebelle. En 1940, Gamelin commandait et de Gaulle n’était qu’un colonel peu écouté, catholique, et soupçonné de monarchisme. L’autre raison de notre déclin est donc essentielle : c’est le marécage politique, traversé de fulgurances médiatiques, qui tire le pays vers le bas à force de viser le court terme, la gesticulation symbolique, la manoeuvre politicienne, mais aussi les douceurs des ors de la République, la satisfaction des intérêts privés plutôt que le Bien commun de la Nation à long terme. D’où cette succession d’enlisements entre deux faux élans provoqués par des séducteurs cyniques. C’est d’une révolution, une vraie, une révolution conservatrice dont la France a un besoin vital. Elle ne semble pas en prendre le chemin.