Achever la bête, par Etienne Auderville.
Source : https://lincorrect.org/
Orwell affirme qu’en ces temps de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire.” On connaît également le mot de Péguy : “Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Face au marasme de l’époque, à une oligarchie financière reproduisant depuis dix ans les pratiques qui la firent dérailler en 2008 – avec la sereine assurance de voir à nouveau les peuples payer ses excès –, face à une situation démographique qui fait craindre le pire pour l’Occident, face à l’enlisement de l’action publique et à la médiocrité de la classe politique, nombre de ceux qui se croyaient du bon côté du manche n’ont rien voulu voir. Arrimé à l’illusoire certitude de faire partie du happy few, le socle électoral de la macronie s’est crevé les yeux pour mieux suivre son maître : de même qu’il aurait fallu plus de communisme pour sauver le communisme, il fallait plus de social-démocratie pour sauver la social-démocratie, plus d’économie de marché pour sauver l’économie de marché, et bien sûr plus d’Europe pour sauver l’Europe.
En cette période pascale qui – pour les Chrétiens – est un temps de Révélation, l’épidémie est épiphanie : il aura suffi d’un pangolin pour que les certitudes se lézardent, pour que les dogmes économiques volent en éclat, pour qu’une vérité simple et limpide saute à la gueule de tous, y compris de ceux qui ne voulaient pas voir : tout va mal.
Face à un germe à la fois très virulent et peu létal, la puissance publique est aux abois. Quand la Corée du Sud dépiste, confine les malades – seulement les malades ! – et les traite, la France peine à fournir masques, blouses et gants à ses infirmiers.
Étranglé par une dette en deutschmarks qu’il ne peut révoquer par la dévaluation ni par l’impôt, livré pieds et poings liés à l’austérité germanique, l’État français sombre avec fracas. Il avait pourtant tout fait pour “gagner en efficience”, appliquant scrupuleusement les ordonnances bruxelloises et offrant à ses ministres des abonnements TGV Paris-Berlin, histoire de “présenter les réformes” au suzerain.
Las ! la servilité ne paie guère, pas plus aujourd’hui qu’en 40.
Las ! la servilité ne paie guère, pas plus aujourd’hui qu’en 40, et si nos réformes du Code du Travail et autres plans de restructuration hospitalière ont été validés par Angela Merkel, il en eût fallu davantage pour éponger le sacro-saint “service de la dette”. Au siècle dernier, les Européens magnanimes se sont assis sur leur créance vis-à-vis d’un pays qui les avait par deux fois saignés ; il ne fallait pas attendre que celui-ci leur rende la pareille.
Aujourd’hui, l’Europe est un charnier à ciel ouvert. Madame Von der Leyen s’en lave les mains au son de Beethoven. Tant pis si elle et ses prédécesseurs avaient demandé à soixante-trois reprises aux pays membres de réduire leurs dépenses de santé. Chez nous, cela s’est traduit par l’embauche de bureaucrates grassement payés : moins de médecine et plus d’audits. Le génie français de la planification a laissé place à une dictature de comptables scrupuleux, capables de rogner sur tout – sauf sur leurs salaires, bien entendu.
Il y a quelques semaines, à la frontière turque, le valeureux peuple grec venait à l’appui de son armée, afin de montrer porte close aux neurochirugiens pakistanais désireux d’exercer sur le Vieux Continent. La risible “Mission Frontex” n’a rien fait. Les commissaires européens se sont couchés devant le sultan Erdogan, en le suppliant d’accepter un bakchich supplémentaire pour qu’il retienne une partie – seulement – des physiciens quantiques et des ingénieurs en biochimie. C’est le peuple grec et son armée qui, seuls, ont remporté la bataille.
L’Union c’est la paix : il fallait laisser négocier les technocrates et ne pas trop perturber la tutelle otanienne.
D’autres nations autrement plus puissantes auraient pu leur venir en aide, faire front commun sous la bannière étoilée, mais comprenez bien que l’Union c’est la paix : il fallait laisser négocier les technocrates et ne pas trop perturber la tutelle otanienne. Un corps diplomatique de chapons, des négociations molles, l’humiliation du rançonnage : triptique de l’Europe-puissance. On aurait pu intimider le sultan, montrer un peu les crocs. Hélas ! pour la clique bruxelloise, le déshonneur vaut toujours mieux que la guerre ; il est même préférable à l’hypothèse d’une escarmouche. Car le conflit – qu’il soit économique, diplomatique ou militaire – c’est l’Histoire. Or l’Histoire, l’Europe n’en peut plus. L’Europe n’en veut plus. C’est même pour cela que l’UE perdure. Elle vit dans le perpétuel traumatisme des fosses communes et se rassure par la pensée magique : le doux commerce et les Droits de l’Homme la maintiendront dans la prospérité. Pensée performative de névrosé funambule, tremblant au-dessus de l’abîme, condamné à choir un jour sous les secousses du Réel.
Après cet énième échec géopolitique, l’Union Européenne avait une ultime occasion de montrer qu’elle pouvait servir à quelque chose. C’est raté. Encore. Pas de mutualisation de la dette : les rentiers de la Forêt Noire et du Bénélux ne lèveront pas le petit doigt pour leurs “frères” latins, pas plus qu’ils ne le firent pour leur “mère” athénienne – en 2009 comme en 2020. Les Latins paieront donc, France comprise : dans l’illusoire “couple franco-allemand” – expression dont Coralie Delaume rappelle avec justesse qu’elle n’existe que de notre coté du Rhin – la France conserve le rôle de la femme battue. Ses élites choisiront sans doute de se tourner vers le M.E.S., afin qu’on lui prête une partie de sa propre contribution – cent quarante-deux milliards, une bagatelle.
Pourtant, si l’Europe nous en fout plein la gueule, rien ne nous oblige à virer masochistes. En cette période de lutte contre les violences conjugales, sortons la Patrie du joug de son bourreau, sauvons notre mère la France, achevons le monstre bruxellois qui a déjà la pâleur du cadavre. Du courage ! Car ceux qui n’auront su donner le coup de boutoir paieront les frais d’enterrement.
Étienne Auderville