Le religieux dans la cité, par Gérard Leclerc.
Saint-Émilion
© Philippe Lissac / Godong
Quand les chrétiens pourront-ils retrouver le chemin de leurs églises ? Les évêques s’en préoccupent à l’unisson des fidèles. Plus généralement la puissance publique donne-t-elle l’importance nécessaire au souci spirituel ?
Les conséquences qu’ont eu les règles du confinement dans le domaine religieux, et singulièrement pour ce qui concerne la liturgie chrétienne, ont provoqué ici ou là des polémiques que l’on peut comprendre. Vraiment, nous n’avions jamais vécu, pas plus que nos prédécesseurs, cette interdiction de participer à la messe dominicale. L’épreuve a été d’autant plus cruelle qu’elle a affecté la grande semaine de l’année et la célébration de Pâques. Aujourd’hui, l’impatience est grande face à la volonté du gouvernement de reporter la levée de l’interdiction jusqu’au mois de juin. L’épiscopat français, qui a fait preuve d’un civisme rigoureux en acceptant les règles communes, montre désormais qu’il partage ce désir de beaucoup de fidèles pour revenir au plus vite aux célébrations communautaires. Le Pape lui-même a indiqué qu’on ne pourrait longtemps en rester à une participation virtuelle à la messe.
Mais doit-on creuser plus loin cette question de la présence du religieux dans la vie de la cité, alors que la crise générale de la société devrait raviver l’interrogation sur le sens de notre existence ? Pour ma part, je serais enclin à recevoir avec la plus grande attention ce que Pierre Manent, philosophe politique, nous confie avec indignation : « Avez-vous remarqué que, sur la longue liste des motifs autorisant la sortie du domicile, on n’a pas oublié “les besoins des animaux de compagnie” mais qu’il n’est pas envisagé que nous souhaitions nous rendre dans un lieu de culte ? Cela mérite réflexion. Ceux qui nous gouvernent sont des personnes honorables qui font de leur mieux pour surmonter une crise grave. Or, ils n’ont pas perçu l’énorme, l’inadmissible abus de pouvoir qui était impliqué dans certaines de leurs décisions. Comment est-ce possible ? »
Peut-être y aurait-il lieu d’apporter quelques nuances à ce reproche. Je sais des responsables politiques importants qui se sont soucié de munir de masques les prêtres qui se rendaient au chevet des malades, souvent gravement atteints. Mais l’interrogation garde toute sa force. C’est Malraux déjà qui mettait en cause une civilisation qui n’avait su construire « ni un temple, ni un tombeau ».
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 27 avril 2020.