Bureaucratie, centralisation, désindustrialisation, 35 heures, culte de l’Etat et du fonctionnariat, par Aristide Renou.
Ce sont les ingrédients de la débâcle actuelle et PAS le « manque de moyens »
« Dans la lutte contre le coronavirus, l’Allemagne semble faire beaucoup mieux que nous. Avec une population de 83 millions d’habitants (67 millions en France), notre voisin ne compte à ce jour «que» 1800 morts contre plus de 10.000 en France (chiffres du 8 avril). Il faut être prudent. La cinétique de l’épidémie outre-Rhin peut être différente. Ce n’est qu’in fine que l’on pourra juger de l’efficacité des politiques sanitaires. Cela étant, il est des chiffres, des éléments objectifs incontestables, qui montrent l’excellence du système allemand.
Avant la crise, le pays disposait de 28.000 lits de réanimation, contre 5000 en France. Aujourd’hui, il a été capable de porter sa capacité à 40.000, alors que nous essayons péniblement d’atteindre les 14.000. Il ne manque pas de masques et parvient à réaliser 70.000 tests par jour (contre 12.000 en France).
Les facteurs d’explication de cette efficience sont multiples. On peut d’ores et déjà en exclure un et en évoquer quelques-uns.
La qualité du système de santé allemand ne résulte pas de dépenses de santé supérieures. D’après l’OCDE, la part du PIB allemand consacré à la santé est de 11,25% contre 11,3% en France. La ressource étant comparable, c’est dans l’organisation qu’il faut rechercher les causes.
La principale raison est la gestion du système de santé et de la carte hospitalière parles Länder. Le ministère fédéral est en charge des règles générales régissant l’assurance maladie et des grandes orientations de santé publique. Mais c’est au niveau local, du ministre-président du Land et de son ministre des affaires sociales que se prennent les décisions concrètes d’investissement et d’allocations des moyens. L’ouverture ou la fermeture d’un établissement hospitalier est directement du ressort de l’échelon de proximité. Le maillage territorial en tire grand avantage.
L’Allemagne dispose en moyenne de 8,2 lits pour 1000 habitants, contre 6 en France. Chez nous, la politique de santé et la carte hospitalière est décidée par les agences régionales de santé (ARS), organes déconcentrés de l’État qui fixent les PRS (projets régionaux de santé). Quiconque les a un peu pratiqués connaît leur dimension bureaucratique et leur obsession comptable. Le mot d’ordre est le regroupement des plateaux hospitaliers. La presse régionale regorge de récits de combats épiques d’élus locaux pour sauver leur hôpital ou leur maternité. La décentralisation effective avec sanction électorale à la clef est le facteur déterminant de l’efficacité allemande.
Ce circuit décisionnel court a le mérite de réduire le poids de la technostructure. En Allemagne, il n’y a que 24,3% des personnels hospitaliers à assumer des missions administratives, contre 35,2% en France. Sur une fonction publique hospitalière française, forte de 1,2 million d’agents, ces 9 points de différence représenterait 100.000 soignants de plus…
La gestion des ressources humaines y est aussi singulièrement efficace. L’hôpital allemand n’a pas eu à souffrir de la désorganisation des 35 heures. La réforme Aubry aurait dû s’accompagner de la création de 37.000 postes. Faute de moyens budgétaires, 10.000 d’entre eux n’ont pas été pourvus et l’AP-HP croule sous les RTT qui déstructurent les services. En Allemagne, les salariés sont sous un régime de droit privé, travaillent 40 heures, mais bénéficient de salaires nettement plus élevés, au moins 20% de plus. Marque s’il en est de la considération apportée à ces fonctions humaines si essentielles, la rémunération des infirmières est de 13% supérieur au salaire moyen, alors qu’il est en France inférieur de 5%.
De plus, ayant échappé au funeste numerus clausus, la démographie médicale y est infiniment meilleure, avec 4,3 médecins pour 1000 habitants (3,4 en France). C’est d’autant plus efficace que la culture du partenariat public-privé, du Sozialpartnerschaft, fait des médecins libéraux des acteurs à part entière des politiques de santé. Leurs représentants siègent dans les instances consultatives des Länder, comme les cliniques privées. Le scandale sanitaire français des cliniques vides de malades alors que les hôpitaux débordent serait inimaginable outre-Rhin.
Enfin, pour répondre au défi spécifique de la crise du coronavirus, l’Allemagne peut s’appuyer sur sa base industrielle et technologique, sur les PME et les ETI qui sont au cœur de son dynamisme. Elle dispose encore d’une industrie chimique puissante, capable de produire en masse des réactifs. Sa plasturgie a modifié ses chaînes pour assurer un approvisionnement efficace en charlottes et surblouses. La société Dräger sera capable de livrer en deux semaines 10.000 respirateurs. Autant d’éléments stratégiques globaux qui permettent de regarder avec une certaine sérénité la vague qui monte.
La part de chacun de ces facteurs devra faire l’objet d’une étude approfondie une fois la crise passée. Mais on peut d’ores et déjà en tirer des leçons. Les maîtres mots devront être décentralisation et débureaucratisation. Demain, les politiques de santé devront être confiées aux départements ou aux régions, comme les anciennes DDE (directions départementales de l’équipement) ont été transférées aux départements. La chasse aux doublons, aux organigrammes compliqués devra être impitoyable, avec priorité absolue donnée aux soignants.
L’exemple allemand est la preuve que l’efficience d’un système ne dépend pas seulement des moyens. Il dépend d’abord d’une organisation, d’un état d’esprit et d’une autorité bien calibrée, au bon niveau. Sans nos héros en blouse blanche qui sont montés courageusement au front, même mal équipés, notre système de santé, prétendument «le meilleur du monde», aurait totalement failli. L’économie sociale de marché allemande est en train de vivre ses plus belles heures. Avec le choix de politiques sociales ciblées sur l’essentiel - la santé, en l’espèce -, avec le mot d’ordre martelé par Gerhard Schröder en 2003, «encourager et exiger», avec le programme de réformer l’État-providence pour le sauver, elle témoigne de sa capacité à assumer la fonction essentielle de la puissance publique, celle de protéger. »