Toujours la quête (L'Ethique de la Reconquête), par Frédéric Poretti-Winkler.
Du héros celte combattant à demi nu au soldat chrétien d’abord nommé « miles » avant de devenir chevalier, une longue tradition s’égrène dans notre mémoire. La pureté même dans la personne de Baudouin IV, roi lépreux, reste l’exemple de la « geste des francs », tandis qu’au loin vient à nos oreilles, les sons mélodieux de la harpe de Carril : « Que ton ombre, ô Carril, soit heureuse au sein de tes tourbillons ! ». Où sont passés les récits de jadis, où errent les bardes de nos forêts profondes où les elfes bataillent les gobelins.
Gardons protégées nos forêts où les daims se reposent sur les doux tapis de mousse au clapotis des sources protégeant la Dame du lac. Laissons nos esprits s’évader dans ces mondes de chimères et merveilleux, ils nous permettent d’enchanter nos quotidiens moroses et affutent nos espérances. Les aïeux nous transmettent l’épée qu’il nous faut découvrir en nous afin d’affronter le mal qui écume le monde. Le chevalier se tourne vers la bienveillance, comme l’esprit de charité, la protection des faibles, le désintéressement. Il accomplit ses devoirs dans l’esprit de la perfection sociale : « Toi, chevalier, Droite épée en l’austère forêt, Tu vas continuer ta marche. Aussi longtemps que durent les hommes, Imperturbable, imaginaire, éternel. » (J. L. Borgès, Eloge de l’ombre)
C’est une quête, une éthique, un idéal, qui le mène vers la sagesse de la connaissance. Il est toujours d’humeur joviale et accorde sympathie pour toute chose. Ses combats et ses luttes sont tournés vers l’intelligence afin de faire régner la lumière de la justice. Ses actions sont droites car elles cherchent à répandre le bien dans l’esprit du seigneur divin. « Nous combattons pour acquérir la sublime sagesse, c’est pourquoi l’on nous nomme guerriers » disent des textes anciens. Ces valeurs le hissent vers "l’aristos", le noble au sens grec, le guerrier, le brave, "l’aristeus" est celui qui tient le premier rang. Chez Homère, la représentation est dans l’entourage des rois (Iliade) : « je suis le chemin et la vérité et la vie » (Jn 14,6)
Il sort par sa « geste » de la médiocrité de l’homme ordinaire, inerte, dominé par ses pulsions et attirances matérielles. Il triomphe de la matière et contrôle ses attirances et toute forme de dépendance, point d’habitude comme de superstitions. « Je peux tout en celui qui me rend fort » (Ph 4,13). Il est hors de toute routine et « prêt à penser », c’est un homme libre. Son regard est humble car il sait être charitable comme être ferme dans la volonté car toujours la vérité, comme le bien et le beau doivent triompher. Mais attention dans les temps modernes où nous vivons, il ne s’agit pas d’être inconscient ou benêt, le guerrier doit vaincre et la stratégie est celle de l’efficacité. Son épée a forme de croix, c’est celle de la justice qui libère et annonce le progrès. Il est socialement l’homme de la perfection. Il est le chevalier de la construction qui ennoblit les actes dans l’accomplissement par le dépassement, lorsque les autres s’arrêtent et faiblissent. Il s’éloigne de la tentation du néant. Il n’épargne aucune fatigue afin d’arriver au but qu’il se donne, ce quelque chose de divin qui le distingue, annonceur et artisan du royaume sacré en lui, parmi les siens. « Mais lui reste debout, viril, au gouvernail. Son bateau est le jouet des vagues et du vent. Les vagues et le vent ne jouent point de son cœur. Il jette un regard de seigneur sur l’abime farouche. Et se fie, pour échouer ou pour toucher au port à ses Dieux » (Goethe). De la hiérarchie homérique à aujourd’hui, la chevalerie est attachée à l’homme, elle n’est pas héréditaire. Elle se transmet par l’exemple que l’on désir suivre mais pas comme un statut à l’image de la noblesse. La chevalerie d’essence guerrière des origines, garde en elle cet esprit, qui lorsque les temps le réclame, se révèle à nouveau. Nous dirons que l’épée est « dormante », l’initiation guerrière est omniprésente dans la virilité permanente de cet état. Il suffit de relire les héros d’Homère, comme la Chanson de Roland, les vertus sont nombreuses et variées, vaillance et courage, honneur et fidélité, mépris des richesses, charité et courtoisie…Toute une tradition y est intégrée, comme le rite de l’adoubement, la symbolique de l’épée, l’honneur du blason ou écu. Les chevaliers surgissent dans les temps incertains et troubles d’où naquit la féodalité : « Elle (la féodalité) n’est pas née d’un coup de force, mais de la dégradation progressive du pouvoir central lors des derniers rois carolingiens. Livrés aux périls d’une anarchie de plus en plus menaçante, sans plus de recours à l’Etat, les hommes se sont choisi des protecteurs tout près d’eux. Protections et secours contre les ennemis et les brigands en échange d’un serment de fidélité et de services. La féodalité n’est rien d’autre que cet éparpillement de l’autorité, édifice peu à peu reconstruit en forme de pyramide, tel maître devenant à son tour l’homme, le vassal, d’un plus puissant » (J.Heers). La chevalerie est l’extrême noblesse de l’homme, dont le blason est composé des valeurs essentielles, courtoisie et service, fidélité à la parole, générosité et panache… Le tout dans un environnement composé de symboles où l’invisible possède une part importante. Dans cet univers, tout possède sa signification, la musique comme les couleurs, les actes comme les pensées. Pour l’exemple le blanc était la couleur de la victoire tandis que le rouge était pour le chevalier celle du sacrifice, il est d’ailleurs intéressant de voir que beaucoup plus tard les Français verront en Amérique dans les tatouages et couleurs de guerre chez les Amérindiens des significations presque similaires, même dans les actes de bravoure…
Les chevaliers sont aussi appelés des gentilshommes aux temps classiques. La noblesse est la quintessence de ce qu’un peuple donne de meilleur dans son sang, par la filiation des ancêtres. Ils sont la terre et le sel, se transmettent par les enfants donc éternels. Ce chemin initiatique, fruit d’une volonté intérieure comme d’une réforme du plus profond de soi, éclos dans les actes quotidiens qui sont l’expression de cette recherche.
« Tout ce qui est grand périt si ceux qui en héritent sont petits » (Oswald Spengler)
Il faut acquérir d’instinct cet esprit chevaleresque, comme en prendre l’habitude, afin que celui-ci devienne son être total. Ce qui compte et comptera, ce n’est pas les futilités d’un temps mais la détermination de chaque jour à avancer nos certitudes. Nous n’attendons pas que les autres fassent ce que nous devons faire, par démission ou incertitude. Nous faisons parce qu’il faut que cela soit fait. La France et le monde seront en fonction de ce que nous serons et ferons. On est hors de tout conformisme. Sortir de l’abêtissement insufflé par un pouvoir corrompu est la marque de l’esprit critique menant à l’intelligence. Cela devient un idéal de vie, une aventure hors des chemins tracés par le commun des mortels. « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez » (Lc 11,9). Le chevalier doit respecter les autres, comme les accompagner en soulageant leurs souffrances et protéger les malheureux.
« La grâce de Dieu et la réussite humaine ne sont pas données au savoir, mais à l’être ; ni à la parole, mais à la force. La Chevalerie médiévale fut une force mesurée par une vie intérieure » (Jean Louis Lagor, Une autre Chevalerie naitra).
L’unité guerrière fut amenée dans l’idéal chevaleresque, époque où la foi était vécue et où celle-ci permit sur les cendres païennes, d’amener un peu de civilisation dans une époque troublée et violente. Le clerc servait l’Eglise par l’action, pendant que les hommes d’Eglise le faisaient souvent dans la contemplation. Ceux-ci étaient en droite ligne des héros de l’Antiquité et les chansons de geste seront d’ailleurs, en quelque sorte, la suite des poèmes d’Homère. Les écrits montraient à la société, cette élévation à suivre, cette voie pour les jeunes vers le salut des âmes, le service…
F. PORETTI-Winkler (L'Ethique de la Reconquete, à suivre...)