Sur le site Sens Critique : avis sur le film "Le Fils d'un Roi".
"Français, parlons avec courage..."
Le Fils d'un roi est un film qui déconcerte. En fait, quoiqu'on en attende, le film de Cheyenne Carron répondra à certaines de nos attentes et pas à d'autres. On est évidemment en droit de trouver ça décevant. Pourtant, pour ma part, je dois dire que j’ai trouvé cela brillant. La surprise est un des points fondamentaux de la découverte de tout film qui se repecte, et on songerait difficilement à le reprocher à un film comme celui-ci.
Film éminemment courageux, Le Fils d'un roi est un excellent film pour un tas de raisons, à tel point qu’il est difficile de choisir par où commencer. Tout d’abord, dans le traitement de son sujet, Cheyenne Carron sait trouver un point d’accroche particulièrement intéressant. En effet, tout part du constat d'un jeune Français d'origine marocaine, Elias, qui remarque que si les Marocains vénèrent leur roi, les Français ne semblent pas fiers du leur. En tous cas, si l’on en juge les manuels scolaires… Lui qui aime sincèrement son roi, il veut comprendre pourquoi les Français ne parlent de leur royauté que pour la dénigrer. Avec l’aide de son ami Kevin, Elias va donc faire un exposé pour prendre à rebrousse-poil l’idéologie républicaine diffusée par son manuel, et interroger ce qu’on lui a toujours présenté comme acquis.
"Sans ordre, sans chef et sans guide,
Le peuple errant n'est qu'un pauvre troupeau,
Le nombre est un tyran stupide
Que les flatteurs mènent à son tombeau."
C'est l'occasion pour la réalisatrice d'interroger le rapport de chaque Français, d'origine étrangère ou non, à la monarchie. Bien au-delà du manifeste monarchiste qu'il n'est finalement pas, Le Fils d'un roi brosse avant tout le portrait de jeunes, pour la plupart issus de l'immigration, qui sont en recherche de quelque chose que la République est incapable de leur apporter. Car l'essence même de la République, c'est la division. Pour exister, la démocratie s’appuie sur la pluralité, elle s’appuie sur la complémentarité supposée de tous les individus composant le corps social. Or, ce que cherchent ces jeunes, bien loin de la pluralité prônée à tous vents, c'est l'unité. C'est quelque chose qui serait en mesure de les porter, de leur donner un idéal commun, de voir au-delà d'eux-mêmes et de leurs misères. Seulement, comment voulez-vous vous élever quand on ne cesse de vous adresser un discours sur vous, sur vos différences censément valorisantes et sur le fait que vous ne devez pas changer ? Bien sûr que tout le monde doit changer, c'est le principe même de société ! Comment voulez-vous être en marche si vous ne changez pas ?
Ce que cherchent avant tout les personnages principaux de ce film, comme ils le disent eux-mêmes, c'est le Beau, c'est le Sacré, c'est quelque chose qui puisse unir tout le monde. Quelque chose qui ne soit pas qu’un simple régime politique qui nous rabaisse toujours le regard vers nos misères et vers nos divisions. Quelque chose comme un régime qui attirerait notre regard vers le haut au lieu de constamment le ramener vers le bas. Comment peut-on prétendre unir tout le monde autour de la différence, autour de la division ? La différence est quelque chose que l’on doit surmonter, le but de la société ne devrait pas être de renforcer les différences, mais de trouver un moyen de vivre malgré elle, et ce moyen, c’est un idéal commun. La grande erreur de la République aujourd’hui, c’est d’avoir érigé la différence en but, non comme un moyen pour se dépasser. Il faut donc toujours plus de différence pour montrer qu’on est une société ouverte… Est-ce ainsi que l’on construit une société durable ?
Tout homme est constamment attiré par quelque chose qui le dépasse, et quand il renonce à cette quête, il se tourne vers lui-même. Ainsi, Kevin et Elias, refusant de s’enfermer, essayent de porter leur regard à l’horizon. Seulement, l’horizon de la République est vide, désespérément vide. C’est pourquoi ils cherchent à trouver un autre horizon. Cheyenne Carron place pourtant intelligemment dans la bouche d’un des professeurs du lycée l’argument selon lequel le Beau et le Sacré existent aussi en République. Réponse redoutable, parfaitement réaliste pour qui connaît un peu les démagos de l’Education Nationale. Mais, précisément, la République ne fait que singer, bien malgré elle, la monarchie, en essayant de réitérer les conditions de son existence. Seulement, bien vite, la République se heurte à ses propres conditions : comment élever l’âme des hommes quand, au nom d’une laïcité contre nature, on leur a retiré tout sens religieux, pourtant fondamental dans la construction de l’esprit humain ? Parodie grotesque de l’Ancien Régime, la République devient dès lors une coquille vide, qui essaie de sacraliser des valeurs incomprises aux yeux de citoyens qui ne sont pas dupes.
"Nés sur le sol qu'ont rassemblé nos rois,
Nous recevons en héritage
Le champ moins riche et moins grand qu'autrefois.
C'est pourtant bien la même graine,
La même terre aussi pourtant.
Qui donc a pillé le domaine ?
Il faut savoir, il est grand temps."
Ainsi, contrairement à ces générations tributaires des délires de Mai 68 qui nous gouvernent, les jeunes générations cherchent autre chose. Leurs parents et grands-parents ont détruit, eux veulent construire. Ce besoin d’un cadre se manifeste merveilleusement devant la caméra de Cheyenne Carron, tout d’abord par le club théâtre auxquels participent Elias et Kevin, réunissant des jeunes gens de milieux défavorisés autour d’une chose que même l’école ne leur apporte pas (ou pas assez) : un beau langage, la rigueur d’un apprentissage littéral de ce texte riche et la restitution appliquée au travers du jeu. Le théâtre peut se résumer en trois verbes : apprendre, assimiler, transmettre. Trois choses auxquelles la République a renoncé…
Ce club théâtre pousse d’ailleurs Kevin à rencontrer un jeune Egyptien fasciné par les croyances ancestrales : comment prendre au sérieux ce jeune homme qui connaît toutes les antiques mythologies par cœur, et semble croire au dieu Thot ? Mais c’est bien ce qui va pousser Kevin à se questionner : l’homme n’a-t-il pas toujours eu besoin de foi ? Une foi en des réalités qui lui sont supérieures ? La royauté n’est-elle pas la forme la plus aboutie de ce besoin de transcendance ? Pourquoi séparer le politique et le religieux, si ce n’est pour saper les bases de la société et placer le peuple en situation de soumission ? La religion n’est-elle pas ce qui s’approche le plus de la liberté ? Sans religion, l’homme s’idolâtre lui-même, il se referme, il s’enferme. La religion pousse l’homme à chercher le meilleur de lui-même, à vivre en totale liberté avec les autres. Sans transcendance, l’homme n’est rien. La politique sans religion ne vaut rien, elle s’affadit et perd tout son sens. Portée par le religieux, la politique acquière toute sa beauté, son sens profond qui la rend utile, efficace et véritablement bonne. 15 siècles de royauté ont fait la France, 2 siècles de république l’ont prostituée. Qui s’intéresse un tant soit peu à l’actualité ne peut oser prétendre le contraire.
"Assez de sang et de scandales,
Hommes petits qui criez de grands mots."
Le Fils d'un roi peut décevoir parce qu'il ne répond jamais à ses questions, il se contente de les poser et de voir comment ses personnages tentent d'y répondre. Mais en fait, c’est ce qui est particulièrement génial dans ce film : le spectateur, lui aussi, est appelé, consciemment ou non, à répondre à toutes ces questions. Personne ne peut rester indifférent face à ce spectacle. Tous, nous sommes appelés à nous positionner. Car tous, nous en avons envie. Et les questions posées sont exactement les bonnes. Cheyenne Carron n'essaie pas avant tout de faire un film pour ou contre le royalisme. Visiblement, elle a une certaine sympathie pour lui, certes, mais ce qu'elle essaie de montrer, c'est comment des personnes peuvent vivre avec ça encore aujourd'hui, et son angle d'approche est incroyable de justesse.
D’ailleurs, le tour de force de ce film est de réussir à nous plonger littéralement dans le système de pensée de chacun des personnages, sans le juger de prime abord. Ce qui est brillant, c'est le fait de réussir à nous montrer la société, et chaque personne individuellement, dans une vérité que le cinéma ne réussit à capter que très rarement. On est souvent déçu par le manque de répartie de tel ou tel personnage, mais en fait, c'est exactement ça : dans le feu de l'action, on oublie toujours de dire certaines des choses les plus importantes, on est souvent bien en-dessous de ce qu'on aurait été si on avait préparé notre discours, c'est ce qu'arrive à mettre en scène la réalisatrice de manière admirable.
Notamment, la vision des enseignants est d’un réalisme absolu. C’est un milieu que je connais bien et je peux garantir que ce qui est représenté dans le film est impressionnant d’authenticité. Alors, certes, la classe montrée est bien trop sage (on est dans une ZEP) et l’enseignant d’histoire trop mou. On se demande comment la classe peut être aussi sérieuse avec un professeur manquant à ce point d’autorité, mais là n’est pas la question. Ce qui est très intéressant, c’est la vacuité des enseignants de la République. Ils sont vides, parce que l’Education Nationale les a vidés. On ne donne plus d’idéal aux élèves, car on nous l’interdit. Les discussions entre collègues le montrent très bien : la République, c’est la censure. On interdit l’expression d’idées contraires au régime, mais pourquoi ? Si ces idées étaient véritablement infondées, elles seraient inoffensives. Soutenues par l’Histoire, elles deviennent redoutables : car que peuvent 2 siècles de désordre face à 15 siècles d’ordre ? Au nom de la liberté de pensée, la République interdit de penser…
"Le roi seul fort protégeait les petits.
Abandonné, l'ouvrier peine,
Esclave hier, forçat demain,
Entre les dictateurs de haine
Et ceux du capital sans frein."
Toutefois, au-delà du politiquement incorrect courageusement véhiculé et transmis par ce film, ce qui frappe, dans Le Fils d’un roi, c’est aussi la force de son histoire. Dieu sait jusqu’où le cinéma social a pu tomber en France, pourtant, Cheyenne Carron redonne toute sa noblesse à cette branche du cinéma qui, bien utilisée, peut être magnifique. Ainsi, le récit de Kevin et de son père, famille très modeste luttant contre une administration refusant de les indemniser pour l’accident de leur mère est poignant, car il est vrai. Quoique pas assez développé car pas au centre du récit, ce fil narratif est le fondement même de l’histoire, car il explique parfaitement ce qui peut pousser des jeunes banlieues à se révolter. Révolte violente comme on y assiste tous les jours à la télévision, ou révolte pacifique et intelligente comme celle – malheureusement imaginaire – qui nous est montrée dans le film. Révolte contre un monde où l’injustice règne en souveraine. Révolte contre la République…
Brassant un (trop) grand nombre de sujets, c’est là que Le Fils d’un roi touche parfois ses limites. On voudrait creuser chacun des fils narratifs de l’intrigue, mais Cheyenne Carron ne fait parfois que les ébaucher. On voudrait en savoir plus sur cette famille française d’origine marocaine qui ne cherche qu’une chose : s’assimiler, devenir pleinement Français, ce que la République leur refuse, on voudrait connaître le déroulé du procès de la famille de Kevin contre une administration bornée, on voudrait en savoir plus sur ces enseignants, pas idéologues mais endoctrinés, qui se découvrent impuissants face à la réalité des choses et à la maturité de leurs élèves. C’est à la fois la force et la faiblesse de ce film : il nous laisse creuser tous ces sujets par nous-mêmes. Ceux qui aiment se laisser guider jusqu’au bout en seront pour leur frais. Ceux qui aiment réfléchir en seront enchantés.
Film fait avec très peu de moyens (c’est d’ailleurs le fonds de commerce de Cheyenne Carron), Le Fils d’un roi est pourtant très soigné. Certes, la mise en scène se rapproche parfois du documentaire et le montage est par moments maladroits. L’extrait mis en ligne sur YouTube sur la salle des profs a été bêtement rogné, alors que la version complète de la scène est mille fois plus intéressante que ce qui est montré dans le film (et qui est déjà très intéressant). On voudrait pouvoir remonter certains passages du film, remixer le son dans des scènes où certaines répliques passent à la trappe. Mais malgré cela, Le Fils d’un roi s’appuie sur un casting absolument incroyable : les acteurs sonnent tous d’une justesse qu’on n’attendait pas. C’est ce qui permet au récit d’acquérir toute sa puissance malgré les imperfections du film, et de traiter son sujet avec une vérité que peu de films peuvent prétendre atteindre.
"Le pouvoir n'est plus que la proie
Que se disputent les partis ;
Pour sauver la France qu'ils broient,
Autour du chef, soyons unis."
Ainsi, Le Fils d’un roi réussit à merveille à dédiaboliser un sujet délicat, souvent confisqué par certains milieux par trop fermés. Ici, rien de tout ça : parler du monarchisme en milieu ouvrier est sans nul doute la meilleure manière d’en parler, car loin du conservatisme qu’on aurait pu reprocher à la réalisatrice si le film s’était déroulé dans un milieu catholique, traditionnaliste et conservateur, Le Fils d’un roi s’avère profondément moderne. Au lieu de montrer la royauté comme un régime du passé qu’il s’agirait de restaurer dans son intégralité, Cheyenne Carron l’envisage comme un régime d’avenir, qui rétablirait l’égalité, la liberté, la fraternité qui régnaient en France jusqu’à 1789 et que la Révolution française a bafouées, instaurant jusqu’à aujourd’hui (et jusqu’à quand ?) le règne de l’injustice, de la censure et de l’individualisme au travers d’une République, hypocrite et incapable par essence.
Ce qui fait la réussite du Fils d’un roi, ce n’est pas qu’il est un film royaliste, un film contestataire et intelligent. Ce qui fait sa réussite, c’est qu’il réussit à capter l’âme d’un peuple, l’âme qu’un gouvernement injuste tente en vain d’étouffer.
La réussite du Fils d’un roi, c’est qu’il est un film français.
Profondément français.
"Les rois ont fait la France, elle se défait sans roi."