La patrie à la semelle de ses souliers ? par Christian Vanneste
Carlos Gosn a dans sa main un brelan de nationalités, française, brésilienne et libanaise. Il use de ces cartes pour jouer au poker avec la justice japonaise, passer les frontières, et choisir l’espace le plus approprié pour se refaire une santé médiatique, sinon judiciaire. Aucun de ces trois pays n’extrade ses nationaux. Mme Belloubet prétend que rien ne peut interdire le retour des djihadistes français dans « leur » pays, la France étant un Etat de droit qui ne peut renier ses ressortissants, lesquels ont en l’occurrence, pour certains d’entre eux, plusieurs nationalités. Enfin, le sinistre clown Bellatar, franco-marocain, né en France, se livre à un délit de faciès caractérisé à l’encontre de Jean Messiha, en insistant sur son visage « de chameau » et sur sa naissance au Caire. Apparemment, ces trois faits d’actualité sont sans rapport. Pourtant, ils illustrent l’une des évolutions les plus dangereuses de notre époque : la substitution de la nationalité de papier à l’appartenance, charnelle et spirituelle à la fois, à une nation.
On peut certes se féliciter de l’équilibre qui a paru un moment s’établir entre la personne jouissant d’une certaine autonomie mais reconnaissant ses devoirs à l’égard de la nation dont l’Etat protège ses droits. Un peu de lucidité amenait à penser que cette réciprocité ne pouvait être abstraitement juridique, comme le pense le philosophe allemand Habermas, avec son absurde « patriotisme constitutionnel », fruit véreux de la repentance, pour le coup justifiée de l’Allemagne. Dans le rapport entre le citoyen et la cité, et notamment dans l’accomplissement de ses devoirs envers celle-ci, il faut non seulement de la raison, c’est-à-dire du calcul qui mesure l’intérêt individuel avant tout, mais aussi de la passion, cet amour de la patrie qui est le pendant de la fierté que l’on ressent à lui appartenir. C’est ce couple qui suscite des sacrifices. Le franchissement d’une frontière pour payer moins d’impôts à l’étranger, ou pour aller combattre pour une cause à ce point contraire à des intérêts nationaux qu’elle peut conduire à affronter l’armée de son pays, montre le renversement qui s’est produit.
On peut certes se réjouir de la liberté plus grande de passer d’un pays à un autre en fonction de ses intérêts, de ne sortir de son jeu que la carte d’identité qui convient au moment opportun, de participer comme élu ou comme ministre à la marche de l’un des pays dont on est citoyen. Mais cet avantage pour un petit nombre est de peu de poids face aux inconvénients pour la majorité : quelle protection peut-on exiger d’un Etat que l’on a fui, qu’on refuse de servir, voire que l’on a trahi ? Quelle égalité subsiste-t-elle entre la multitude des citoyens que leurs trop faibles moyens assignent à résidence, et ceux qui sont des citoyens du monde, c’est-à-dire de nulle part ? Le parlementaire ou le ministre qui possède plusieurs nationalités aura-t-il le sens de la préférence nationale que lui impose sa fonction, ou au contraire sera-t-il pour le coup le cheval de Troie de ce « parti de l’étranger » dont parlait de Gaulle ? Il ne peut y avoir de démocratie que s’il y a un « démos », c’est-à-dire un peuple dont l’identité est assez consciente et l’homogénéité suffisante pour que ses choix démocratiques se fassent au nom du bien commun, de l’intérêt supérieur de la communauté nationale. On voit par exemple le rôle déterminant qu’a joué le vote « étranger » dans l’élection désastreuse de Hollande. On peut imaginer ce que la France deviendrait si la part des immigrés récents, des personnes répondant à d’autres allégeances nationales ou communautaires, devenait décisive lors des élections.
La nationalité n’est pas un détail comme le suggère l’idéologie dominante actuelle. Elle doit correspondre étroitement à la citoyenneté, c’est-à-dire au droit de cité, inséparable de devoirs exigeants. Elle doit donc être difficile à acquérir. Jean Messihah est certes né à l’étranger, mais il a voulu être français et a voulu les conséquences de son choix, en étant un patriote attaché à la culture de son pays d’adoption. Bellatar est un enfant du droit du sol et possède deux nationalités. Son comportement et ses propos à l’égard de Zineb El-Rhazaoui, qui avait échappé à la tuerie de « Charlie », de Laurence Saillet, ou du ministre Blanquer, montrent qu’il parle « d’ailleurs », avec un racisme, un sexisme, un communautarisme, que son altérité légitime à ses yeux. On arrive avec lui à ce paradoxe que c’est « l’autre » qui prétend faire la loi, interdire le droit à la parole ou à la présence de ceux qui participent plus que lui à l’identité nationale, et notamment à cette liberté d’expression qui fut longtemps l’honneur de la France. La nationalité ne devrait être acquise que par l’héritage ou la volonté, l’automatisme du droit du sol étant exclu. Elle doit pouvoir aussi être retirée à ceux qui ne la méritent pas. La déchéance de nationalité devrait frapper tous ceux qui sont allés combattre avec l’ennemi islamiste. Quant à la double nationalité, ou plus, elle devrait être étroitement limitée à ceux qui ont rendu d’éminents services à la France. Elle est inutile, injuste voire dangereuse dans la plupart des autres cas. L’acquisition d’une autre nationalité devrait faire perdre la nationalité française de même que sa conservation devrait empêcher d’obtenir la nôtre.