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Pour réintégrer Maurras dans le paysage politique français : réponse à quatre reproches (IV/V)

3. L'antisémitisme

L'antisémitisme est un autre des grands griefs faits à Maurras.

Il n'est pas un thème central dans son œuvre et dans sa pensée - comme il le fut pour Edouard Drumont dont l'influence avait été considérable à la fin du XIXème siècle et au début du XXème.

C'est pourtant à l'antisémitisme que l'on réduit souvent Maurras dans les débats d'aujourd'hui. 

Une évidence s'impose ici : on ne comprendra rien à l'antisémitisme de Maurras, celui de son temps, très répandu en tous milieux, si, par paresse d'esprit ou inculture, l'on se contente de le considérer et de le juger avec des yeux qui ont vu, des mémoires qui savent, ce que vécurent les Juifs d'Europe entre 1930 et 1945, ce qu'était devenu l'antisémitisme en une époque barbare. 

Dans la jeunesse de Charles Maurras et encore longtemps après, l'antisémitisme fut une opposition politique, culturelle et si l'on veut philosophique à l'influence excessive que leur communautarisme natif - singulièrement apte à "coloniser" - conférait aux Juifs de France.

À propos de cet antisémitisme politique de Maurras, Éric Zemmour propose une comparaison tirée de l'Histoire : "Son antisémitisme était un antisémitisme d'État, qui reprochait aux Juifs un pouvoir excessif en tant que groupe constitué, à la manière de Richelieu luttant contre "l'État dans l'État" huguenot." (Eric Zemmour, dans Le Figaro magazine du 2/02/2018).

Avant la seconde guerre mondiale, il n'y avait pas là motif à rupture personnelle ou sociale, ni même un motif d'inimitié. Le jeune Maurras est lié à Anatole France. Il fréquente le salon de l'égérie de France, Madame Arman de Cavaillet, née Lippmann; il est l'ami de Marcel Proust, plus qu'à demi Juif (sa mère est née Weil). Ils resteront amis, quoique Proust ait été dreyfusard, jusqu'à la mort de l'auteur de la Recherche. Proust l'a écrit, aussi bien que son admiration pour Maurras, Bainville et Daudet.  

On se souvient que Léon Daudet, disciple de Drumont bien davantage que Maurras ne le sera jamais, fit obtenir à Proust le prix Goncourt pour A l'ombre des jeunes-filles en fleur, en 1919...

L'un des plus vifs admirateurs de Charles Maurras et son ami jusqu'à sa mort après la Seconde Guerre mondiale (1962, dix ans après Maurras), sera l'un des Juifs les plus éminents du XXème siècle, Daniel Halévy, dont, pour la petite histoire, mais pas tout à fait, la fille épousera Louis Joxe, résistant, ministre du général De Gaulle, et père de Pierre Joxe. De Daniel Halévy, l’auteur d’Essai sur l'accélération de l'Histoire, Jean Guitton écrira : "Il avait un culte pour Charles Maurras qui était pour lui le type de l'athlète portant le poids d'un univers en décadence." (Jean Guitton, dans Un siècle, une vie, Robert Laffont, 1988)

L'antisémitisme politique de Maurras, au temps de sa pleine gloire, ne le sépara pas des grandes amitiés que nous avons citées et de l'admiration que lui portèrent, de Malraux à Bernanos, les plus illustres personnalités de son temps.

Maurras eut-il le tort de ne pas comprendre que la persécution des Juifs au temps du nazisme rendait toute manifestation d'antisémitisme contestable ou même fautive ? Impardonnable ? On peut le penser, comme Éric Zemmour. C'est ignorer toutefois deux points essentiels :

1. ce que souffrirent les Juifs lors du conflit mondial ne fut vraiment connu dans toute son ampleur qu'après-guerre...

2. Peut-être est-il triste ou cruel de le rappeler mais le sort des Juifs ne fut pas le souci principal ni même accessoire, des alliés pendant la guerre.  Ni Staline, lui-même antisémite, ni Roosevelt, ni Churchill, ni De Gaulle, ne s'en préoccupèrent vraiment et n'engagèrent d'action pour leur venir en aide, nonobstant leurs appels au secours.  Le souci premier de Charles Maurras était la survie de la France et son avenir. S’il s’en prit nommément à des personnalités juives bien déterminées pendant l’Occupation (comme à nombre d'autres), c’est qu’elles lui semblaient conduire des actions selon lui dangereuses et contraires aux intérêts de la France en guerre. 

L'antisémitisme moderne, sans remonter à ses sources chrétiennes, pourtant réelles, trouve de fait son origine et son fondement dans les Lumières et l'Encyclopédie. L'on aurait bien du mal à exclure de la mémoire nationale toutes les personnalités illustres, françaises et autres, qui l'ont professé. Dont, en effet, Charles Maurras qui louait Voltaire de participer du "génie antisémitique de l’Occident".

Ce génie était de résistance intellectuelle et politique. Il n'était pas exterminateur.

L'évidence est que les événements du XXème siècle ont jeté une tache sans-doute indélébile sur toute forme - même fort différente - d'antisémitisme. Cela est-il une raison pour reconnaître aux communautés juives de France ou d'ailleurs plus de droits d’influence qu’au commun des mortels ? Deux des présidents de la Vème république ne l'ont pas cru et ont parfois été taxés d'antisémitisme : le général De Gaulle, après sa conférence de presse de 1965 et ses considérations à propos d'Israël; mais aussi François Mitterrand refusant obstinément – et en quels termes ! - de céder aux pressions des organisations juives de France, qu’il trouvait tout à fait excessives, pour qu’il présente les excuses de la France à propos de la déportation des Juifs sous l'Occupation (Jean-Pierre Elkabbach, François Mitterand, conversation avec un Président, 1994).

Ce que feront ses successeurs…

(à suivre demain)

Commentaires

  • Votre analyse est convaincante parce qu'elle explore l'environnement intellectuel de Charles Maurras. Depuis le haut Moyen-Âge, les juifs sont à part. Ils sont mis à part et identifiés par le pouvoir séculier autant qu'ils sont ostracisés par le pouvoir religieux. Mais d'eux-mêmes, ils se mettent à part de la société. On verra de grandes communautés juives fermées prospérer en Septimanie jusqu'à la croisade et même après.
    Au XXè siècle, les Juifs sont toujours à part, identifiés comme tels, soit par habitude sociale, soit de leur propre chef.

    Charles Maurras ajoute à ce trait civilisationnel banal de ségrégation sociale, adoucie par des compagnonnages de rencontre, un rejet culturel des origines de la nation juive. Pour l'helléniste c'est une barbarie, comparée à l'éclatante civilisation classique gréco-romaine. Qui pis est, l'avatar christique reste entaché de ses origines barbares : "un convoi de bateleurs, de prophètes, de nécromants, d'agités et d'agitateurs sans patrie" (ils parlent des apôtres). Il faut relire Le Chemin de Paradis et Anthinea où Maurras n'a pas besoin de ruser avec ses sentiments antisémites provoqués par les "vapeurs bitumineuses du Jourdain" (le mot est de Bainville). Il peut risquer de compromettre une stature sociale qui n'est pas établie encore. Il est "cash" dirait-on aujourd'hui et Il est foncièrement antisémite, à la notable exception de tous ceux qui se sont rachetés par leur génie littéraire.

    Les Juifs sont toujours à part dans notre société, Pour preuve, ils ont bâti des associations fermées à tous les niveaux sous le chapeau du CRIF dont le lobbying est permanent et public. L'amalgame [antisémitisme-antisionisme] instrumentalisé par le CRIF et l'Etat hébreu continue de nos jours à répandre l'antisémitisme dans les couches de la société sensibilisées au sort des Palestiniens.

    Pour en terminer de ce commentaire trop long, l'antisémitisme n'est pas un phénomène historique ; il est rémanent dans nos sociétés parce que toutes les parties y concourent. Maurras le serait in petto tout autant aujourd'hui.

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