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Contre-emploi

 

Une analyse de Dominique Jamet

Une très perspicace rétrospective des positions réciproques de François Hollande pour la France et d'Angela Merkel pour l'Allemagne, dans le déroulé de la crise des migrants. Mais aussi, in fine, une évocation de l'évolution des esprits et des réactions en Allemagne face à l'afflux inouï des réfugiés et la soudaine baisse de popularité de la chancelière. Cet afflux, Dominique Jamet le définit très justement comme « une grande migration qui est autre chose qu’un phénomène saisonnier ». Or, il est douteux que François Hollande et Angela Merkel, qui ne sont en fait ni l'un ni l'autre de grands dirigeants, en aient dès l'origine mesuré l'ampleur. Et peut-être même pas encore aujourd'hui. L'ampleur et les gravissimes conséquences. D'où la pertinence des réflexions de Dominique Jamet.  LFAR 

 

3312863504.jpgUn contre-emploi, dans le spectacle, c’est un rôle qui ne correspond pas à la personnalité, ou en tout cas à l’image, de celui qui l’interprète et, donc, à l’attente de son public.

Face à une grande migration qui est autre chose qu’un phénomène saisonnier, l’Allemagne de Mme Merkel et la France de M. Hollande, également prises au dépourvu, jouent depuis quelques semaines à contre-emploi.

Compte tenu de ses nobles postures, de ses beaux discours, de ses grands élans, de ses traditions, de sa réputation, pour ne pas dire de sa légende, on pouvait s’attendre que la France, la France des droits de l’homme et des zintellectuels, la France lumière du monde et flambeau de la démocratie, la France éternelle de Victor Hugo, de Jean Jaurès, de Stéphane Hessel (mais aussi de Gobineau et de Charles Maurras) ouvrirait largement ses portes et son cœur aux malheureux chassés de leurs foyers par la guerre, l’oppression, la misère et la peur comme elle accueillit, dans le passé, Grecs, Polonais, Arméniens, juifs d’Europe centrale ou Espagnols républicains.

En revanche, ce n’est pas vers l’Allemagne, vers le pays de Bismarck, de Hitler et de Schäuble (mais aussi d’Emmanuel Kant, de Karl Marx et d’Heinrich Heine), vers le pays qui portait comme une tache indélébile la terrible responsabilité de l’extermination des Héréros, de la tentative de génocide des juifs, du massacre de ses prisonniers russes, de la persécution des tsiganes, que l’on pensait voir un jour se tourner les yeux, les regards et les bras de millions de fugitifs quittant l’Asie et l’Afrique au péril de leur vie dans l’espoir d’un accueil chaleureux et d’un monde meilleur. Qu’attendre, au demeurant, d’une chancelière qui gérait sa boutique avec la prudence et la parcimonie d’une petite épicière de quartier ?

Or, dans un premier temps, l’attitude du gouvernement français et celle du gouvernement allemand, à rôles inversés, ont déjoué toutes les prévisions et surpris également professionnels, critiques et spectateurs. Tandis que Mme Merkel déclarait superbement Ja, ich kann, non seulement je peux mais je dois accueillir autant de demandeurs d’asile qu’il en viendra, j’ouvre mes bras et mes frontières à tous ceux qui piétinent aux portes de l’espace Schengen, qu’ils viennent, il y a chez moi de la place et du travail pour tous, tandis que les Allemands se rendaient par milliers dans les gares et les centres de tri, pour y souhaiter la bienvenue à leurs visiteurs éberlués, M. Hollande, les pieds mouillés par la marée montante, faisait de son mieux pour détourner de lui le calice et noyer son refus sous le déluge habituel des grands mots qui ne coûtent rien et des promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent. Deux évidences dictaient sa conduite au président français : un pays, celui dont il a voulu et dont il assume la direction, qui n’est pas fichu d’instruire, d’employer et de loger ses propres ressortissants n’est pas en mesure, à moins de pénaliser encore un peu plus ses nationaux, d’offrir des conditions de vie et de travail acceptables à des centaines de milliers d’immigrants. Son gouvernement en prendrait-il le risque, il ne ferait qu’aggraver encore la très dure sanction qui l’attend au début de décembre prochain. Donc, pas question de charger encore un peu plus un pédalo qui fait déjà eau de toutes parts.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Trois semaines seulement ont passé depuis le choc déclenché par la trop fameuse photo d’un enfant mort sur une plage turque, et chacun des deux partenaires revient tout doucement, insensiblement, à des positions plus proches de son personnage habituel.

De ce côté du Rhin, la gauche, la gauche irresponsable et vertueuse, celle qui continue de faire la pluie et le beau temps dans les médias et à la tribune des assemblées, celle devant laquelle la droite comme il faut, intimidée, finit toujours par s’incliner, empoigne ses mégaphones et prend sa plus grosse voix pour dicter la conduite irresponsable qui s’impose selon elle : les immigrants ne sont pas une charge mais un atout ; 24.000, 120.000, 500.000, peu importe, nous sommes assez riches pour faire face à la demande, il ne serait conforme ni à nos traditions ni à nos intérêts de reprendre le contrôle de nos frontières, la porte de la France est ouverte à qui veut entrer. Et Mme Merkel, dégrisée, joint sa voix au chœur des Bienveillantes : l’Allemagne, murmure-t-elle, ne peut accueillir toute la misère du monde, il faut que la France en prenne sa part.

C’est que sur l’autre rive du fleuve, on a la gueule de bois des lendemains d’Oktoberfest. 44 % des Allemands étaient disposés à héberger les 800.000 et quelques migrants annoncés cette année ; ils ne sont plus que 35 %. L’enviable cote de popularité de Mme Merkel est tombée de 63 à 54 %. Ce ne sont plus seulement la Bavière et la CSU, mais les porte-parole de la CDU, ministres compris, qui ont mis de l’eau dans leur bière. Il n’est pas jusqu’à ses alliés et partenaires de la SPD qui ne crient casse-cou, et PEGIDA, hier marginalisée, voit de nouveau grossir ses rangs.

Comme quoi il est risqué de jouer à contre-emploi. 

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Dominique JametJournaliste et écrivain - Boulevard Voltaire

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