SOCIETE • La plèbe du Net veut du sang. Tout savoir, tout dire… mais pour quoi faire ?
Telle est la question que Benoît Rayski pose dans Causeur et à laquelle, selon nous, il répond fort bien.
« L'ère de la transparence » ou « l'ère du vide » ? Il est bien vrai que le Net peut être les deux. Et beaucoup plus souvent le vide que la transparence. Et aussi - parce que la transparence n'est pas en soi une valeur - la vulgarité, l'impudeur et le sang. Et c'est d'ailleurs pourquoi, soit dit en passant, cette ère de la communication universelle qui serait censée élever, rapprocher, uniformiser, pacifier la planète entière, nous paraît bien suspecte d'être fort incapable de tenir ce genre de promesses. Elle pourrait bien être le contraire de ce qu'il est commun de dire et de croire à son sujet ... Reste que le Net peut aussi servir à la diffusion de contenus utiles. Et que ceux qui ont ou croient avoir quelque chose à dire dans cet ordre d'idées se doivent de s'en servir. C'est pourquoi Lafautearousseau existe et tente de servir non l'individualisme contemporain, mais son pays, la France, et un projet politique, une France royale. LFAR
Dans les arènes de Rome, la plèbe voulait du sang. Et on lui en donnait à flot pour étancher sa soif. Dans les arènes modernes, c’est-à-dire sur le Net, la plèbe veut la même chose. Une différence de taille : au Colisée ils étaient quelques dizaines de milliers, sur la toile ils sont quelques dizaines de millions. Et la aussi il faut que ça saigne. Tout le monde à poil ! On appelle ça la vérité toute nue. On veut tout savoir. Et en même temps on se shoote au « on nous cache tout, on nous dit rien ».
La démocratie de l’instantané, celle du clic et du clip, n’a pas été conçue en effet pour faire travailler le cerveau. La toute dernière contorsion du Net concerne Robert Capa. Des chercheurs – en d’autres temps on aurait dit des fouille-merde – ont longuement enquêté sur le plus célèbre photographe de tous les temps. Et ils ont trouvé ce qu’ils voulaient. Capa n’a pas dit la vérité ! Oh joies ineffables ! Le photographe affirmait avoir passé une heure trente sur les plages du débarquement en 1944 : il ne serait resté en réalité que trente minutes sur le sable normand. Qu’est-ce qu’on est content… Capa disait avoir pris une centaine de clichés : dix ou douze seulement après enquête. On est très, très content. Car le minus lobotomisé scotché à son écran adore quand quelqu’un d’illustre est convaincu de mensonge. Ça met les géants à la portée du nain qu’il est.
Autre révélation alléchante qui date d’il y a quelque temps. La « vérité » sur une photo aussi célèbre que celles du débarquement. Le cliché du « Baiser de New York ». Prise le jour de la victoire en mai 1945 l’image montre un marin américain en train d’embrasser goulument sur la bouche une jeune et jolie infirmière renversée en arrière. Honte aux symboles !
Des années, des dizaines d’années après, des chercheurs ont dénoncé l’horreur qui se cachait derrière cette photo. L’infirmière n’était pas consentante : le marin l’avait embrassée sans lui demander son avis. Quasiment un viol ! De quoi se pourlécher les babines. L’infirmière devenue une très vieille dame n’a quand même pas déposé plainte. Sur le Net, cette grandiose affaire a eu autant de succès que l’histoire concernant Robert Capa. On appelle ça « l’ère de la transparence ». Le sociologue Gilles Lipovetsky la définit très bien : « l’ère du vide ». •
Benoît Rayski - Causeur
* Photo: Pixabay.
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