BLOGS & SOCIETE • Le djihadisme : un humanisme, par Aristide Renou*
Des réflexions et de l'humour sur un sujet grave ...
La suggestion de créer, pour les « Français » de retour de djihad, des centres de « déradicalisation » ressemble fort à l’un de ces lapsus qui révèlent sur vous bien plus que vous ne voudriez en dire. L’une des prémisses fondamentales du progressisme affleure à la surface de cette proposition : le postulat de la bonté essentielle de l’être humain. Alors que le conservateur est, entre autres choses, celui qui voit en l’homme une créature dangereuse, seulement à demi-sociable, le progressiste croit en la fraternité naturelle du genre humain et considère la paix et la coopération comme la condition normale de l’humanité.
Dans le débat public, cela donne au progressiste un certain ascendant moral sur le conservateur, qui sera caricaturé comme un misanthrope aigri, rempli de préjugés d’un autre âge ; mais, intellectuellement, cela place aussi le progressiste dans une position inconfortable. Dans la mesure où l’histoire des peuples apparaît plutôt comme le vaste recueil de toutes les folies, de tous les vices et de toutes les horreurs dont l’homme est capable que comme la marche fraternelle et paisible du genre humain vers un avenir radieux, le progressiste doit expliquer pourquoi la condition normale de l’humanité n’est pas sa condition habituelle.
Une des manières les plus simples de l’expliquer est de supposer que, au fond d’eux-mêmes, les hommes sont tous des sociaux-démocrates en devenir : gentils, coopératifs, tolérants, craignant la guerre par-dessus-tout, et que seules des circonstances malheureuses les empêchent d’exprimer leur bonté native.
L’aveuglement
Dès lors, tous les comportements qui ne correspondent pas à cette fiche de poste deviennent des « problèmes sociaux », des aberrations provoquées par la société elle-même et qui ne peuvent donc pas vraiment être imputées à ceux qui les commettent. Sûrement, quelque chose doit expliquer ces horreurs, quelque chose qui permette de disculper leurs auteurs. En voyant, sur les réseaux sociaux, des hommes masqués et vêtus de noir égorger d’autres hommes aux mains liées dans le dos au nom d’Allah, le progressiste frissonne intérieurement. Mais, à part lui, il soupire aussi : « Voilà ce qui arrive lorsque de jeunes déshérités n’ont pas accès aux services sociaux adéquats… »
Certains progressistes concéderont, peut-être, la responsabilité individuelle des auteurs de ces actes, mais s’empresseront de leur trouver de nobles motifs : soif d’idéal, révolte contre l’injustice, besoin de retrouver ses « racines », etc. Dans un cas comme dans l’autre, l’important pour traiter ces comportements aberrants sera de bien être persuadé qu’ils sont aberrants. Ce que l’on pourrait faire, concrètement, pour « déradicaliser » des assassins fanatiques n’est pas le plus important puisque, comme tous les hommes, ils sont essentiellement bons. Et cette bonté ne demande qu’à réapparaître, pourvu qu’on leur montre un peu de sollicitude. D’ailleurs, n’ont-ils pas dû beaucoup souffrir pour s’éloigner autant de leur nature et en arriver à de telles extrémités ?
C’est ainsi que le progressiste, qui se flatte d’aimer la diversité humaine, finit par ne voir dans les autres hommes que d’innombrables exemplaires de lui-même, qui ne diffèrent que par leurs vêtements ou leurs spécialités culinaires. C’est ainsi que le progressiste, qui se veut le défenseur de l’humanisme, de la tolérance, de la paix et de la démocratie, finit par trouver des excuses et des justifications à la barbarie, au fanatisme, à la violence et à la tyrannie. C’est ainsi que le progressiste, qui s’enorgueillit d’être du côté des « victimes », finit par porter toute sa compassion et sa sollicitude du côté des criminels et des bourreaux.
Plutôt que de huer ou de ridiculiser ceux qui ont émis cette idée des centres de « déradicalisation », nous devrions les remercier : il est rare que la face sombre du progressisme se laisse voir aussi nettement. •
* Retrouvez Aristide Renou sur son blog