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L’anti-discours de la méthode, par François Reloujac*

Le 5 février dernier, François Hollande s’est présenté au Parlement européen pour y prononcer un discours sur la politique économique de l’Europe et la façon de sortir de la crise. Pensait-il vraiment qu’il allait ainsi forcer la main à Angela Merkel et David Cameron, juste avant le sommet budgétaire européen ? Voulait-il simplement grappiller quelques points de popularité en France ? Dans les deux cas, c’est raté ! Il suffit d’examiner avec un peu d’attention certaines phrases « choc » pour constater qu’il ne pouvait pas en être autrement.  

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C’est peut-être le message qui se voulait le plus percutant du discours mais il n’avait aucune chance d’être entendu. Certes, l’euro est « vulnérable » et « le chômage de masse révèle la profondeur de la crise ». Mais ce n’est pas simplement en « défendant le marché » que l’on résout ces questions difficiles. Elles sont, en effet, de nature différente : la vulnérabilité de l’euro résulte de l’absence d’un véritable système monétaire international - ce qui permet au dollar d’imposer sa domination sur le commerce mondial - tandis que le chômage de masse résulte de la volonté continue des gouvernants européens d’ouvrir toutes les frontières, y compris au-delà de l’Europe, sans remettre en cause les « acquis sociaux » ni la priorité donnée à la lutte contre l’inflation sur tout autre objectif. Faute de s’attaquer véritablement aux causes – personne n’étant prêt à en accepter les conséquences immédiates –, il est vain de penser que le discours va à lui seul redresser la situation. A l’inverse, même, cela risque simplement de faire prendre conscience de l’impasse actuelle. C’est pourquoi on peut considérer que « ce qui nous menace aujourd’hui n’est plus la défiance des marchés, c’est celle des peuples ».

 

« Les pays qui ont des excédents doivent relancer leur demande intérieure »

Le but de cette attaque directement dirigée contre l’Allemagne est de permettre aux autres pays de la zone euro de relancer leur activité. Il s’agit là d’un raccourci un peu hâtif. Le fait, pour un pays, de pousser ses citoyens à dépenser leur argent pour consommer ne signifie pas obligatoirement que ceux-ci achèteront les produits qu’ils fabriquent et exportent ni qu’ils acquerront automatiquement des produits fabriqués par leurs partenaires. Pour le dire plus crûment, pousser les Allemands à consommer ne signifie pas qu’ils vont se précipiter pour acheter des machines-outils allemandes ou des services administratifs français. Ils risquent plutôt d’acheter des appareils électroniques fabriqués en Asie du Sud-Est ou des tissus et vêtements provenant d’Afrique du Nord, ou encore des bananes provenant d’Amérique centrale... Si l’Allemagne relance ainsi sa consommation, elle aura peut-être moins d’excédents mais elle aura aussi moins de moyens pour venir aider ceux de ses partenaires qui en ont le plus besoin. L’excédent d’un pays européen, quel qu’il soit, n’est pas la seule cause de l’atonie de la production économique de ses partenaires. Au lieu de donner des conseils à tel ou tel voisin, tout gouvernant a comme devoir premier de s’occuper de ses propres citoyens en prenant le contexte extérieur comme une donnée sur laquelle il n’a pas directement de prise.

 

l’euro, symbole du triomphe de l’idéologie politique

« Une zone monétaire doit avoir une politique de change », a également expliqué François Hollande. Elle « doit avoir une politique de change », certes. Mais cette politique doit correspondre à ses moyens et tenir compte du contexte dans lequel elle se développe. Or, aujourd’hui, le système monétaire international ne connaît qu’une seule loi : la loi du plus fort. Le G20 s’est d’ailleurs réuni à la mi-février pour essayer non pas d’enrayer la guerre mondiale des monnaies mais pour faire en sorte que les conséquences n’en soient pas trop graves à court terme. Quant à la « zone monétaire » dont parle François Hollande, force est de constater qu’elle est bancale. On a uni les monnaies de pays qui n’ont pas les mêmes politiques sociales, n’ont pas les mêmes impératifs budgétaires ni les mêmes idéologies fiscales ; bref, des pays qui n’ont pas intérêt à avoir le même taux de change vis-à-vis du monde extérieur. L’euro a été le triomphe de l’idéologie politique sur le réalisme économique. Il ne faut donc pas s’étonner que les conséquences de son adoption conduisent à des tensions internes. Et ce n’est pas l’indépendance de la banque centrale qui améliorera la situation : elle n’est en fait que la conséquence de la dégénérescence du rôle  des politiques. Au lieu d’utiliser la monnaie au service du bien commun des populations dont ils ont la charge, ils ont de plus en plus tendance à l’utiliser pour favoriser les intérêts du parti auquel ils appartiennent en privilégiant quelques minorités visibles qui feront bruyamment campagne pour leur réélection.

« Le budget [européen] doit prolonger le pacte de croissance, ce qui suppose d’augmenter les moyens prévus pour l’innovation, les infrastructures, les nouvelles énergies » et de « soutenir les Européens les plus fragiles et les plus exposés à la crise »... On ne peut pas être plus à contre-courant des réalités. Le démenti infligé par ce que M. Cazeneuve a qualifié de « moins mauvais compromis possible », auquel on est arrivé quelques jours plus tard, ne pouvait pas être plus cinglant. Ce qui a été sacrifié à la demande des Britanniques et des Allemands, ce sont les dépenses d’infrastructures, celles censées soutenir les innovations – notamment dans le domaine de l’énergie et celui du haut-débit – et les aides aux populations les plus démunies. Quant à la promesse de défendre « dans la négociation qui s’ouvre (…) un système de ressources qui soit plus juste et plus lisible », on sait ce qu’il faut en penser. Mais il est vrai que personne n’y avait cru et donc que cet engagement était passé inaperçu auprès du grand public.

Quelle idée guide François Hollande ? « Une République dont la promesse depuis 200 ans est de faire que la génération suivante vive mieux que la précédente. » Cette affirmation péremptoire a été le point de départ du discours de François Hollande à Strasbourg, le principe sur lequel il entend asseoir son action. Elle traduit la conception qu’il se fait de tout régime politique : « Une fin en soi, l’incarnation du processus de création de l’ordre social » (G. Bernard, Valeurs Actuelles du 7 février 2013), un concept destiné à promouvoir un progrès sans fin. Ce faisant, il tourne le dos à la conception de la politique selon laquelle sa finalité a pour but de rechercher le « bien commun » dans le respect de la loi naturelle. Faut-il avoir la cruauté de rappeler à François Hollande que les Français nés dans les années 1850, 1890 ou 1920 n’ont probablement pas constaté, arrivés vers l’âge de vingt ans, qu’ils vivaient mieux que leurs parents ? Qu’en sera-t-il de la génération qui naît aujourd’hui, à qui le président de la République propose comme progrès le « mariage pour tous », la recherche sans limite sur les embryons humains, la « location des ventres » et le droit de choisir sa mort ?

 

* Analyse économique parue dans le n° 116 de Politique magazine, Mars 2013.

Commentaires

  • Extraits d'un article de Bruno BERTEZ qui résume bien la situation.


    Hollande est dans la nasse, avec une politique qui ne donne pas de résultats, un pays abaissé, des électeurs déçus, un pays plus que jamais polarisé, une légitimité ébranlée, mais il n’a rien à dire, rien à proposer.
    Il est évident qu’il paie le prix d’une élection mensongère, fondée sur un déni de réalité. Séduire n’est pas produire.
    Il faut une France plus forte, un Président plus Président, il faut décréter l’état d’urgence car la situation est catastrophique. La victoire du clan des suicidaires est une infamie.

    Il y a une règle de base de la communication: quand on n’a rien à dire, il ne faut pas parler.

    C’est cette règle qui conduit les grands communicants comme Mac Do, par exemple, à créer des produits, des événements, afin d’avoir de bonnes raisons de s’exprimer. Ils vendent toujours la même chose, du fast food, mais à chaque fois, ils donnent l’impression de proposer quelque chose de neuf. Ils étonnent, ils séduisent. La communication qui consiste simplement à mettre en scène le locuteur, cela ne marche pas.

    Nous ne citerons que quelques commentaires afin de montrer le bien fondé de notre jugement:

    - La presse française critique « le manque d’audace »

    - Elle juge « fade » la prestation de Hollande

    - Elle déplore « le manque d’annonces fracassantes »

    - L’exercice de « pédagogie soigneusement préparé par les experts de l’Elysée a semblé tourner à vide ».

    Voilà pour l’essentiel, l’intervention, est, il faut le dire, un échec.

    Le Président n’avait rien à dire, voilà le premier et terrible constat.

    Avait-il au moins un message personnel à nous faire passer? Voulait-il reconnaître qu’il avait, certes, échoué, mais qu’il avait compris et qu’il allait changer? Non!

    Non, car il n’y a pas eu de message fort, politique, ni même politicien. Aucune analyse de la division des Français, aucune explication proposée sur la coupure entre le Pouvoir -si on ose employer ce terme– et le pays. Pas question de recentrage, de présidentialisation, de reprise en mains, de changements d’équipe. Hollande est dans la nasse, avec une politique qui ne donne pas de résultats, un pays abaissé, des électeurs déçus, un pays plus que jamais polarisé, une légitimité ébranlée, mais il n’a rien à dire, rien à proposer.

    Il est évident qu’il paie le prix d’une élection mensongère, fondée sur un déni de réalité. Séduire n’est pas produire. Collectionner les minorités ne fait pas une majorité. Il est incapable de trouver le fil, le fil conducteur logique, qui permettrait de renouer, de raccorder les promesses d’avant l’élection, à la misérable situation présente.

    Il ne peut, ou ne veut s’excuser, d’avoir menti, mais plus grave, il est incapable de se porter en avant, de s’élever par l’audace et l’initiative au-dessus des contradictions de son élection. La seule solution aurait été le dépassement, l’Aufhebung.

    Au lieu de dépassement -élévation- il a choisi l’abaissement, la régression dans le « bricolage»!

    Quelle incroyable erreur de communication que cette comparaison avec « la boîte à outils ». Elle est étroite, étriquée, dévalorisante de la fonction. Les clous de cette boîte à outils clouent le Président de la France sur la croix de la médiocrité. Cela est pire que le Président normal, beaucoup plus grave. Le Président normal était une erreur colossale d’imbéciles intoxiqués par leur propre propagande sur l’égalité et autres balivernes, d’imbéciles qui n’ont rien compris à la nature du Pouvoir, et voila qu’ils font plus que récidiver, ils enfoncent le clou du petit bricolage.

    Le Président, sous l’angle de la psychologie personnelle, pas celle du café du commerce, est prisonnier au plus profond de son complexe, de son nœud œdipien ; il refuse, ne peut assumer le rôle du père. Il récuse la Loi dont il devrait être, non pas l’ordonnateur, mais le médiateur. Il ne peut choisir, entériner un statut castrateur certes puisque détruisant des possibles, mais libérateur pour l’action. On retrouve la structure qui conduit à soutenir le mariage homosexuel, à nier les différences, à nier l’institution du mariage comme choix définitif qui prive de toutes les autres femmes, c’est à dire de la mère. Le mariage comme renoncement à la toute puissance infantile.

    Unité profonde des socialistes et du socialisme, on retrouve la même structure enfouie chez DSK.

    Le problème du Président avec la Présidence, c’est le problème du Père, le problème de la triangulation. Pas étonnant que les anti-œdipe se retrouvent de ce côté. Le message électoral de Hollande, c’était et il continue: regardes maman comme je suis beau, brillant, j’ai fait l’ENA et maintenant je suis président. Président avec un petit « p ».

    Les Français savaient depuis de nombreux mois que le Président n’était pas à la hauteur de la situation, il est venu, lui-même le leur confirmer. Etait-ce bien nécessaire? Bien sûr que non.

    On attendait de la hauteur, de la présidentialisation et on a eu une profession de foi de médiocrité, d’humilité. Hollande a peur des coups, il se couche de peur de monter au créneau et d’en recevoir.

    Profil bas, tel était le choix. Un choix qui correspond à une personnalité, à une identité.

    On mesure l’incroyable erreur de la fameuse innovation politique française: les primaires partisanes.

    Elles sont étriquées, elles désignent des chefs de partis qui se placent au centre de leur petit échiquier politique partisan. Elles sont incapables de désigner des Présidents pour la France entière.

    Les primaires, c’est le règne des magouilles, des petites séductions, des combines. Comment retrouver la hauteur à partir de tant de bassesses? Comment passer de la fange au piédestal?

    Un Président n’est pas un chef de parti, c’est quelqu’un qui a compris quelque chose de la France, des courants qui la traversent, quelqu’un qui, à un moment donné, est en phase avec le pays. Ce n’est pas un bateleur. Or, des primaires, à droite comme à gauche, cela ne peut que désigner des clowns de cour d’école. Le futur Président doit s’imposer aux Français, pas aux partis, pas aux factions.

    C’est la négation de la fonction et la garantie de sa dépréciation que d’organiser des primaires pour désigner les futurs candidats. Surtout en période crise où il faut unir, réunir, vite, très vite, afin de bénéficier de la légitimité fragile et éphémère de l’élection. Le candidat ne doit pas avoir à changer de costume, troquer son petit costume partisan étriqué contre la tenue de vrai Président, il n’en a pas le temps. Et dire que la droite, qui n’a ni idée ni analyse, s’apprête à imiter la gauche sur ce point des primaires.

    Psychologiquement, Hollande n’est pas Président, il ne sent pas plus Président que Sarkozy à ses débuts, voila le constat, un constat qui fait peur. Il n’a pas de vision, pas de conviction, sa parole est vide, elle n’est capable que d’égrener un catalogue. Ah, cette mode des 110 propositions pour ceci et des 20 mesures pour cela, cette mode qui escamote les articulations logiques de la pensée et de l’action. Cette mode ENAniste de l’analyse positive qui permet de réussir le concours du plus médiocre lèche-botte! Cette mode, qui nie le réel, le saucissonne sans comprendre, sans effleurer son unité profonde, dialectique, contradictoire, mais vivante. Hollande manie la pensée morte, celle qu’on lui a appris et qui explique la déchéance du pays, sa coupure d’avec la réalité, la division de son peuple.

    Un constat qui fait peur car la situation est grave, et là, nous nous plaçons sur le plan extérieur.

    La situation est tellement grave que nous exhortons les partis, les commentateurs, les médias, à bien réfléchir avant de tirer sur l’ambulance.

    Au sein de l’Europe, il y avait un mythe, celui du couple franco-allemand. Un attelage qui, sinon s’équilibrait, du moins se neutralisait dans ses vices et ses dérives. Dérive laxiste, hédoniste, infantile pour la France, dérive autoritaire du peine à jouir pour l’Allemagne. En clair, il y avait d’un côté la rigueur névrotique allemande, laquelle débouche sur l’austérité éternelle et, de l’autre, le perpétuel attrait de la facilité, du refus du choix et des limites des Français. Et cet attelage formait, en quelque sorte, les béquilles de l’Europe, de cet infirme, né infirme, qui prétendait courir et jouer dans la cour des grands. Le couple s’est séparé, l’ensemble boite. L’Allemagne, laissée à ses démons de flagellation… des autres, a tiré l’attelage de son côté, elle a gagné. Elle a gagné, la France a perdu.

    Lors du dossier chypriote, les pays du Nord ont imposé leur vue. L’aide, l’entraide, coûte cher, il faut que cela cesse, il faut que les soi-disant coupables paient et peinent. Donc, chaque système bancaire doit se sauver, en interne, en bail-in. Le temps des bail-out est fini. Voilà ce que signifie l’affaire chypriote. On avait esquissé cela lors du refus allemand de prendre en compte, de mutualiser les erreurs bancaires du passé, on a franchi une étape. Le rêve de croissance dans l’austérité, le rêve de la solidarité, tous ces rêves infantiles ont été balayés par la coalition de la Finlande et de l’Allemagne. La honte, la claque, la voix de la France avec son Président normal et ses 30% de popularité, n’a pas été écoutée, inaudible. La réalité est que ce qui s’est passé ces dernières semaines, c’est le ravalement de la France au rang de puissance secondaire, périphérique, au rang de mendiant d’un ultime délai pour continuer à s’acheter sa drogue sociale, à financer sa dérive, sa déchéance à crédit.

    Il faut une France plus forte, un Président plus Président, il faut décréter l’état d’urgence car la situation est catastrophique. La victoire du clan des suicidaires est une infamie. C’est la victoire des forces de mort, d’abaissement, de déclin, sur ce qui subsiste de forces de vie, de dynamisme, en Europe. C’est la victoire de la bourgeoisie vieillissante de la pire espèce sur les jeunes, sur les groupes sociaux qui incarnent le possible renouveau.

    Il faut faire de Hollande un vrai Président, le forcer à monter sur le pavois, le forcer à entrer dans l’arène afin qu’il dise aux Allemands: non. Pas nein, non, en français.

    Ou vous faites machine arrière, ou nous sortons. Il faut relever la tête.

    L’Allemagne use et abuse. Elle détourne les règles du non-jeu à son profit.

    - Elle est la seule à avoir un chômage plus faible qu’avant la crise

    - Elle bénéficie d’un euro faible grâce à la situation des éclopés européens

    - Elle bénéficie des largesses de la BCE, laquelle utilise l’alibi des difficultés des périphériques pour soutenir les banques allemandes, pourtant en faillite comme les autres.

    La France dispose de l’arme atomique, c’est plus qu’une image, ce n’est pas un hasard si elle a été voulue par De Gaulle qui, lui, n’avait pas de problème d’œdipe mal résolu. Pour peu qu’elle ait un Président, tout juste un peu crédible, il lui suffit de dire: c’est assez. De faire comprendre aux Allemands que la culpabilisation, c’est fini, que la France relève la tête. Nous sommes dans le géopolitique, dans l’histoire, pas dans la petite cuisine française dont on est médiocrement si fier. C’est dans pareil sursaut que réside l’unité nationale et c’est dans ce mouvement que se retrouvent la fierté d’abord, la volonté ensuite.



    Bruno Bertez
    Agefi

    http://www.lesobservateurs.ch/2013/03/29/hollande-quand-on-a-rien-a-dire/

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