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Economie libérée et souveraineté nationale par François Reloujac

Trois jours avant le second tour des élections législatives, le nouveau président de la République, François Hollande, est intervenu pour appeler les électeurs grecs (!) à bien voter ; c’est-à-dire à voter pour des personnes désignées par des partis politiques favorables à l’euro.

 

        Que ces partis aient conduit la Grèce à la faillite avec constance et qu’ils soient, aujourd’hui, devenus les exécuteurs des instances financières internationales pour imposer aux Grecs une austérité insupportable, ne semblait pas gêner outre mesure le nouveau président. Mais ce qui est le plus choquant, c’est le principe même que le président d’un état se permette d’inciter les citoyens d’un autre pays à voter en ne tenant d’ailleurs compte que de la situation économique de partenaires de moins en moins solidaires.

        Certains objecteront que, le même jour, le FMI et l’Union européenne menaçaient les Grecs de ne pas leur verser l’aide promise s’ils votaient mal ; que les Etats-Unis font de même partout dans le monde ; que ce sont des agences de notation américaines qui ont dans le même temps dégradé la note de l’Espagne de trois crans ; que, pendant un temps, Nicolas Sarkozy avait recherché le soutien de Madame Merkel pour s’imposer face à son rival… Bien plus, ces mêmes personnes trouvent normal que, dans un monde où toutes les économies sont interpénétrées, on ne puisse pas agir sur un plan national sans tenir compte des répercussions sur les peuples voisins. Tout cela n’est que confusion ; lorsque l’on se mêle de tout, on ne s’occupe de rien. Le système volontairement mis en place en Europe depuis une trentaine d’années (depuis ce que l’on a appelé l’Acte unique) est purement et simplement un renoncement à la souveraineté nationale au profit d’un système protéiforme lui-même imbriqué dans un tissu de relations automatiques qui ne tient pas compte des hommes mais seulement des « flux » économiques. Cette évolution européenne est elle-même en conformité avec les règles mises en place par l’ONU et l’OMC.

          On en est arrivé à un système tellement complexe que plus personne ne le maîtrise, mais qui permet aux appareils des partis en place de se maintenir grâce à une manne financière discrètement distraite des flux financiers internationaux. Tout prétexte est désormais bon pour donner lieu à des flots de paroles qui n’ont pas pour but d’expliquer la situation aux citoyens mais de les faire réagir de façon spontanée… et donc de « bien » voter. Les citoyens sont de plus en plus noyés sous une masse de chiffres qui n’expriment plus rien. On assiste à une valse de milliards qui n’évoquent rien, sinon l’énormité des difficultés et l’impossibilité pour le citoyen de comprendre ce qu’il faut faire. Chacun est prié de faire confiance à ceux qui ont confisqué les pouvoirs et d’excuser leur incompétence à le sortir rapidement d’embarras.

 

Les « grands champions nationaux » détenus par des capitaux étrangers

 

       Heureusement, dit-on, la France a de « grands champions nationaux », ces grandes entreprises que le monde entier envie et qui portent des noms prestigieux. Quand on y regarde d’un peu plus près, on constate que ces grands champions nationaux dont le capital est coté à la Bourse de Paris, sont en fait en grande partie détenus par des fonds de pension étrangers, que leurs principaux dirigeants sont de nationalités diverses, qu’ils payent en France proportionnellement beaucoup moins d’impôt que les petites entreprises – optimisant leur fiscalité par des mouvements « internes » avec des filiales bien situées dans des « paradis fiscaux », ce qui permet de faire apparaître le bénéfice dans le pays où il est le moins imposé –, qu’ils sont les premiers à réclamer des subventions dès que leur chiffre d’affaires baisse (primes à la casse !) et qu’ils n’ont aucun scrupule à délocaliser leur production si cela est plus avantageux pour eux. Où est l’intérêt national dans un tel système ? Et que peut faire un gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, pour diriger le pays ? Augmenter les impôts sur les entreprises n’est pas une solution car les plus importantes d’entre elles seront heureuses de voir le gouvernement britannique ou un autre leur dérouler le « tapis rouge », pour utiliser l’expression qu’a osée David Cameron en marge de la réunion du G20.

        Quoi qu’il en soit, toute politique d’assainissement finit toujours par peser sur le citoyen de base, que ce soit directement par l’impôt, les baisses de salaire (comme en Grèce) ou l’augmentation du chômage (cas de l’Espagne). Qu’une société qui a longtemps vécu à crédit, soit un jour amené à payer ses dettes, cela est normal même si c’est douloureux. Mais que cela entraîne un enrichissement indû de certaines institutions financières internationales (fussent-elles des fonds de pension destinés à payer des retraites dans d’autres pays du monde), cela est insupportable. Ces institutions se conduisent alors comme les usuriers du xixe siècle qui profitaient de la misère des paysans et des ouvriers pour s’enrichir sur le dos des plus pauvres. Que cela se produise aujourd’hui à une échelle internationale ne change rien à l’affaire. Sauf que l’on ne peut espérer en sortir qu’au sein de chaque société organisée et solidaire par des mesures acceptées par tous et non imposées de l’étranger. 

 

« En l’europe nous ne croyons plus »

 

        La politique fondée sur le tout économique et sur une intégration toujours plus poussée par les marchés a fait faillite. Même l’ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Espagne, Ana Palacio, a du le reconnaître lorsqu’elle a publié dans Le Figaro du 20 juin 2012 un article intitulé : « En l’Europe nous ne croyons plus » ! Dans chacun des pays concernés, ce n’est même plus ni le règne de l’étranger ni la domination d’une administration apatride mais l’anarchie masquée derrière une fuite en avant qui cherche simplement à faire gagner du temps. Mais pour quoi faire ? Pour continuer à laisser les grosses institutions financières anonymes faire croître leur bilan en épuisant le tissu social de tous les pays développés ?

Dans de telles conditions, que faut-il faire ? La solution est d’abord nationale, car la douloureuse solidarité qui sera nécessaire pour en sortir met en jeu les valeurs communes dans lesquelles se reconnaissent les peuples ; de plus, elle n’est pas simplement économique. Si l’on en reste sur cet unique terrain, on ne pourra au mieux que mettre en œuvre quelques palliatifs pour le seul bénéfice des partis en place. C’est le bienheureux Pie IX qui avait déjà posé le diagnostic et indiqué en même temps la solution lorsqu’il écrivait en 1864 dans son encyclique Quanta Cura : « Qui ne voit et ne sent parfaitement qu’une société dégagée des liens de la religion et de la vraie justice, ne peut plus se proposer aucun autre but que d’amasser et d’accumuler des richesses, ni suivre d’autre loi dans ses actes que l’indomptable désir de l’âme d’être esclave de ses propres passions et intérêts ? » A son époque, Jeanne d’Arc avait résolu la crise du Royaume de France en mettant en œuvre une méthode, « Bouter l’étranger hors de France », au service d’un but : « Messire Dieu premier servi ». La leçon est toujours valable.  

 

(Analyse parue dans le numéro d'été, juillet/août, de Politique magazine)

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