L’État en question : l'analyse d'Hilaire de Crémiers dans Politique Magazine
Il règne en France une atmosphère délétère. Comme une annonce de fin de régime.
C’est l’État qui est en question. Chacun le sent confusément. Les plus perspicaces – et ils sont peu nombreux – commencent à s’en inquiéter. Michèle Alliot-Marie dans un article du Figaro du lundi 23 août a mis en garde : à force de ne respecter rien ni personne, ni fonction ni décision, l’État lui-même, la République, dit-elle, risque aujourd’hui de se dissoudre dans cette mare acide de critiques systématiques de tout, à propos de tout.
Ce que note Michèle Alliot-Marie, avec finesse et pertinence, s'est déjà produit au cours de notre Histoire; se moquer de tout, "démolir" tout, critiquer tout systématiquement, cela est déjà arrivé; et on sait comment cela a fini.....
De la tentative de réforme la plus nécessaire comme celle des retraites à la moindre décision de police quand les quartiers brûlent, tout est toujours critiqué. Hommes et résolutions, rien n’est épargné, rien ne subsiste.
La critique systémique
Ce que ne précise pas Michèle Alliot-Marie, c’est que ces critiques systématiques émanent pour la plupart de journalistes de radios et de télévisions d’État qui sont payés par l’État ou par des organismes patronnés par l’État ; quant aux moyens d’information autres que ceux de l’État, ils relèvent, pour le plus grand nombre et pour les plus puissants, de groupes qui ne vivent que de l’argent « capitaliste » avec l’aide directe ou indirecte de l’État, car tel est le système en France. Jusqu’aux sites en ligne les plus engagés qui reçoivent des subventions – c’est-à-dire de l’argent de l’État, donc des contribuables – et dont l’unique objet est d’attaquer, voire de détruire le pouvoir.
On a parlé de « hold-up » de Sarkozy sur les moyens d’information et de communication ; et, certes, il a voulu le faire, ce « hold-up », comme il en a fait d’autres, d’ailleurs. Il s’amusait même à tenir tout ce monde de la presse en haleine ; il allait leur faire la leçon à ces journalistes et patrons de presse et il la leur a faite effectivement comme aux États généraux de la presse ! Oui, il se faisait même fort de les sauver d’eux-mêmes et de s’assurer en outre et en direct, sans hypocrisie , les nominations des directions à la radio, comme à France-télévision avec, encore tout dernièrement, la désignation de Rémy Pflimlin. Contrôle garanti, croyait-il, mais rien n’y fait. Non seulement le ton ne change pas, il s’aigrit de plus en plus. Sa volonté de sauvetage – parfaitement inutile – se retourne contre lui inéluctablement !
Aucun souci du bien commun
Pas une once de gratitude ; il s’agit d’un univers totalement inhumain, réduit, comme c’est le cas maintenant toujours et partout, à des affaires de pouvoir et d’argent. Les équipes journalistiques, toutes formatées sur le même moule, se déchaînent d’autant plus. Sans doute pour afficher ou revendiquer hautement leur liberté de parole. Il arrive que ce soit du n’importe quoi. Quant aux directions, elles ne maîtrisent rien du fond. Leur souci : encore et toujours l’argent, le pouvoir, la technique, surtout celle qui ajoute encore au pouvoir !
Aucun souci du bien commun. Jamais ! Bien sûr, il reste encore quelques journalistes de talent et de renom, vraiment libres, mais ils sont comme des prophètes dans un désert. Rarisimes. Et encore confessent-ils en a parte qu’ils ne peuvent pas écrire ou dire tout ce qu’ils pensent. Très heureusement, il y a aussi tout ce qui arrive à vivre en dehors du monde officiel écrasant et c’est très intéressant et réjouissant. Mais comment ouvrir une brèche dans le système uniforme de la désinformation officielle, tel que l’ont admirablement décrit un Volkoff et un Sévillia ?
Car la France d’aujourd’hui, « c’est ça » ! Et pire, c’est à travers « ça » qu’elle est perçue à l’étranger. La droite – ou prétendue telle – a toujours laissé la Culture, l’Éducation et l’Information à la gauche comme ses territoires attitrés, ses apanages historiques qui lui revenaient de droit. Elle se donnait ainsi bonne conscience, elle montrait son républicanisme conséquent, elle respectait le pacte républicain : on ne touchera pas aux bijoux de famille !
Ce qui prouve que cette droite du système n’a jamais compris où était le vrai problème : elle ne s’intéressait qu’à l’argent et au pouvoir. Ce n’est pas que la gauche s’intéressât davantage au sort des pauvres gens, à la misère morale, intellectuelle, économique ; la gauche dans le système ne connaît, elle aussi, que l’argent et le pouvoir ; il suffit de voir ses hiérarques ! La misère, c’est leur argumentaire qui leur permet de guigner le pouvoir et de toucher l’argent.
Et la France, la dedans ? Si un jour, oui un jour, une vraie réforme devenait possible, il faudrait commencer par celle-là. En attendant, il ne faut pas s’étonner que Nicolas Sarkozy passât pour un pantin et ses ministres pour des fantôches. Caricatures ? Oui, mais au fond consenties ! En France, tout journaliste d’un peu d’envergure se prend pour un dieu qui fait et défait les gouvernements : 1830, 1848, 1870… et puis la suite indéfinie... Ça leur monte à la tête : il n’est que de relire Balzac.
La mécanique destructrice
Ce que n’a pas précisé non plus Alliot-Marie, c’est que le système institutionnel français favorise cet état d’esprit délétère. Qu’il le veuille ou non, le chef de l’État n’est qu’un chef de parti. Tous les esprits sont déjà dans la présidentielle de 2012 ; et lui-même forcément aussi. Quelque décision que prenne Nicolas Sarkozy, elle sera toujours soupçonnée de ce qu’elle est nécessairement : un plan électoral. Comment faire autrement ? Éric Zemmour a des manières bien drôles de le faire comprendre ! Une nomination de préfet, une intervention musclée pour une remise en ordre de quartiers, des décisions de faire appliquer la loi à des groupes qui ont pris l’habitude de ne pas la respecter, tout est sujet à discussion, à dénonciation, à rhétorique véhémente.
L’essentiel se perd.
Le vrai tort de Nicolas Sarkozy, c’est de parler précisément à tort et à travers de tout ce qu’il fait ou croit faire, même avec les meilleures raisons. Dans son esprit, tout est dans la communication : erreur ! Un chef d’État ne doit agir et ou se manifester que dans la mesure, la force, l’efficacité et la majesté. Brevitas imperatoria ! On parle peu, on fait. Et surtout on laisse aux autorités déléguées le soin de porter le fer.
L’agitation du candidat
Sarkozy au fond est comme Chirac, quoique Chirac fût moins prolixe et plus prompt aux reculades : ils n’ont connu, ils ne connaissent la politique que comme candidats. Toujours candidats, c’est leur vie, leur unique conception du monde ; ils ne tiennent de discours que de candidats. Tous les autres politiques, d’ailleurs, ou peu s’en faut, leur ressemblent. Aucune vue historique, aucune conception de l’État, aucune formation sérieuse, aucun amour profond de la France réelle, aucun véritable projet d’avenir, sinon améliorer leur système, des dossiers, qui du coup, ne sont traités, sauf exception d’État tout de même, que de points de vue techniques et électoralistes. D’où une fébrilité de tous les instants dans une tension permanente avec le pouvoir, ce pouvoir à prendre, à reprendre, à gagner, à regagner, à s’approprier et à se réapproprier.
L’agitation du candidat est toujours là qui désacralise la fonction de l’autorité suprême.
Tout le problème politique français est là. Les gens qui pensent un peu, même ceux du monde politique, le savent bien. Mais ils ne le disent que pour en stigmatiser leurs adversaires. Nul n’ose en avouer la vérité de fond générale. Elle est trop éclatante et les briserait tous d’un seul coup.
Non seulement le chef de l’État se trouve rivé à ce quinquennat de malheur qu’il ne peut vouloir que renouveler, mais – et ça aussi, Michèle Allio-Marie ne l’a pas dit – c’est toute l’organisation sociale et politique française qui entraîne automatiquement et de plus en plus vite cet horrible enchaînement de surenchères de plus en plus violentes. C’est sa raison d’être, son seul « bidule » qui justifie son existence et sa mécanique, dont le motif principal n’a rien à voir, malgré les apparences, avec la moindre appréhension du bien commun. Il ne s’agit que de courses au pouvoir, aux postes, aux élections, partis et syndicats logés à la même enseigne. Au fait, lequel d’entre eux a ouvert son lit ou prêté son jardin personnel au moindre « rom » de passage ? Lequel ? Voilà la question publique qu’il faudrait leur poser à la télévision !
Leurs universités d’été ? Des tremplins pour démagogues, un point, c’est tout. Eva Joly, candidate à la présidentielle : il y a de quoi rire, franchement !
Une crise systémique ?
Le gouvernement durcit-il un tantinet à droite (et, d’ailleurs, sans doute « maladroitement » !), aussitôt ce sont des cris d’orfraie, toute la rhétorique habituelle, la reductio ad Hitlerum archi-connue… mais, aussi bien, il y aura toujours à droite quelqu’un de plus à droite pour dénigrer pareillement. Et vice-versa, côté gauche. On n’en sort plus ! Rien ni personne de sérieux ne résiste à de pareils jeux qui sont des jeux de gamins. Regardez-les : ce sont des gamins – et tous des gamins bien portants, dodus et frais ! – qui jouent à perpétuité à la guéguerre, sans risque ni péril, pour se donner un rôle, une importance. Quelle suffisance, quelle boursouflure. Villepin, pour ne prendre que celui-là, mais il est grotesque. Ils sont tous grotesques ! Il paraît qu’il en est qui font du travail sérieux. On voudrait savoir où ? Par ci, par là quelques hommes politiques, quelques hauts fonctionnaires ou magistrats dotés du sens de l’État, de la République au sens étymologique du terme, mais, en confidence, ils vous diront qu’ils sont très seuls.
Voilà des syndicats qui ne représentent presque rien et dont Sarkozy a renforcé la représentativité légale en s’imaginant améliorer le système, qui ne pensent qu’à empêcher toute réforme. Voilà des partis qui ne représentent pas grand-chose et dont Sarkozy a aussi cru bon de renforcer l’importance légale, et qui ne sont devenus que des machines à élection, toutes tournées vers les prochaines échéances électorales.
Pitoyable ! Aucune autorité, aucune direction ne peut durer longtemps dans un pareil système voué nécessairement à l’échec. On va vers une fin : 2012 en donnera les prolégomènes.
Michèle Alliot-Marie prendrait-elle le pouvoir à Matignon d’abord, à l’Élysée ensuite, la donne ne changerait pas, contrairement à ce qu’elle pense. La dégradation est trop profonde et le mal, commun à bien d’autres pays, est chez nous trop inviscéré.
À la crise économique et à la crise financière qui peut s’aggraver très vite, s’ajoute dès maintenant une crise politique. Elle était prévisible. Ce sera une rude épreuve supplémentaire. On parle de « crise systémique » en matière financière et économique. Sera-t-il possible de caractériser du même adjectif la crise politique ? « Crise systémique » ? Alors, si elle est perçue comme telle, il sera possible un jour de restaurer l’État sur un principe de légitimité stable qui donne à la représentation nationale le sérieux qu’elle mérite. ■