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Rechercher : Rémi Hugues. histoire & action française. Rétrospective : 2018 année Maurras

  • L’entreprise de racolage de Macron dézinguée par Finkielkraut

     

    Par Nicolas Gauthier

    Au moment où nous rédigeons ces lignes s'est achevé le débat indigne et sans qualité ayant infligé deux heures et demie d'écoute dégradante et inutile à des millions et des millions de Français. Achèvement de la plus insane des campagnes présidentielles qui ait existé sous nos cinq républiques. Il paraît radicalement impossible qu'un Chef de l'Etat digne de gouverner comme il convient un grand pays comme la France, puisse jamais sortir de telles procédures  - qui laissent le spectateur sidéré, abattu, dégoûté.  Epuisement du régime ? Autres exemples : les deux sujets de cette nouvelle excellente chronique, comme souvent celles de Nicolas Gauthier, parue dans Boulevard Voltaire, hier, 3 mai. Sans autres commentaires.  LFAR  

     

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    La campagne de second tour d’Emmanuel Macron ? Après le grotesque – la récupération de ceux qui font le show –, l’ignoble : l’instrumentalisation des victimes de la Shoah.

    Le grotesque, pour une fois, n’est pas totalement de son fait, mais de celui d’artistes pétitionnaires – au nombre de cent – appelant (quelle surprise) à faire « barrage à Marine Le Pen ». Inutile, chez ces gens, de chercher les têtes d’affiche de leurs arts respectifs, s’agissant plutôt de têtes de gondole destinées aux soldes de printemps ; bref, de troisièmes ou quatrièmes couteaux jouant à se faire peur avec une possible Nuit des petits canifs.

    Leur texte est grotesque à double titre. Par sa formulation hasardeuse, déjà : « Le Front national ne cesse de tirer à boulets rouges sur l’art contemporain, c’est-à-dire sur les formes de l’art sans précédent » [définition pour le moins sujette à caution, NDLR]. C’est pourtant là que réside l’éminente fonction de l’art qu’est la subversion, qui va du léger déplacement au renversement scandaleux. La liberté de penser et de créer, la liberté d’inventer et d’affirmer, la liberté d’interpréter et de critiquer le monde comme il va ou ne va pas, sont choses précieuses, ô combien ! »

    Aussi précieuses que leurs subventions publiques, soit l’argent du contribuable ? Nos anarchistes d’État ne le précisent pas.

    Pis : ces mutins de Panurge, incapables d’aller au bout de leur logique, n’appellent même pas à voter pour Emmanuel Macron, puisqu’il est reproché à ce dernier de vouloir privilégier « mécénat et partenariat privé ». Nos chers zartistes ne devraient pourtant pas faire la fine bouche, à en juger du goût de latrines de milliardaires tels que Bernard Arnault, jamais avare de prébendes. Surtout lorsque distribuées avec un mauvais goût très sûr aux tenants d’un art « conceptuel » aux concepts plus que flous, art volontiers « dérangeant », mais ne dérangeant finalement plus personne : le bourgeois contemporain, au même titre que l’antifâchiste classique, donne aujourd’hui d’indéniables signes de fatigue.

    Après le grotesque, l’ignoble. Et là, les récentes déclarations d’Emmanuel Macron ne prêtent plus à rire, au contraire de la très distrayante pétition plus haut évoquée. 

    Ainsi, ce dimanche 30 avril, après une visite à Oradour-sur-Glane, le jeune Trogneux était-il en marche vers le mémorial de la Shoah, dans le IVème arrondissement parisien, histoire de rendre hommage à « toutes ces vies fauchées par les extrêmes ». Suivez le regard appuyé et l’œil en coin. Les extrêmes ? Le Pen ou Mélenchon ? Quel cadavre planqué dans l’armoire en caleçon à croix gammées ? Ce n’est pas pour rien que sa Brigitte lui a enseigné le théâtre ; de boulevard, semble-t-il. 

    Puis, toujours en roue libre, le même d’assener : « Nous avons aujourd’hui un devoir qui est double, le devoir de mémoire. Nous avons aussi le devoir que cela n’advienne plus jamais, en acceptant en rien l’affaiblissement moral qui peut tenter certains, le relativisme qui peut en tenter d’autres, le négationnisme dans lequel certains trouvent refuge. »

    S’il avait poursuivi de ses assiduités sa prof d’histoire plutôt que celle de français, Emmanuel Macron aurait su que l’un des premiers à s’être historiquement « réfugié » dans le négationnisme n’était autre que Jean-Gabriel Cohn-Bendit, frère de Dany Cohn-Bendit, l’un des premiers soutiens du micro-parti En marche ! Comme quoi « l’affaiblissement moral » se niche aussi dans les meilleures familles, entre aîné révisionniste et cadet appréciant les mains enfantines dans sa braguette…

    Cette visite aux allures de racolage sur des lieux de mémoire a provoqué la sainte colère d’Alain Finkielkraut qui, ce dimanche, sur les ondes de RCJ (Radio communauté juive), lors de l’émission hebdomadaire « L’Esprit d’escalier », présentée par Élisabeth Lévy, s’insurge de la sorte : « C’est le fils de déporté en moi qui hurlait. On ne peut pas faire de l’extermination des Juifs un argument de campagne. Les morts ne sont pas à disposition. Le devoir de mémoire dont on parle tant consiste à veiller sur l’indisponibilité des morts. »

    Pour ce philosophe, dont une grande partie de la famille est morte en déportation, de tels comportements paraissent, à juste titre, relever plus encore de l’obscénité que de l’ignominie : « La question du négationnisme demande tout autre chose qu’une halte rue Geoffroy-l’Asnier [adresse parisienne du mémorial en question, NDLR] pour mobiliser l’électorat juif contre Marine Le Pen, car ce ne sont pas des jeunes militants du FN qui rendent impossible l’enseignement de la Shoah dans les écoles ou qui vont chercher des faits alternatifs aux camps de la mort. De cette terrible réalité, je ne vois guère d’écho dans la campagne d’Emmanuel Macron. Il ne cesse de faire des clins d’œil aux jeunes des banlieues et réserve ses coups à la bonne vieille bête immonde. »

    Il n’empêche qu’à reculons et du bout des doigts, Alain Finkielkraut déposera néanmoins un bulletin Macron dans l’urne ce dimanche prochain, tout en se désolant de la sorte : « Marine Le Pen sera peut-être battue, mais comment se réjouir d’une victoire du faux ? » Il y a, décidément, des pas qu’Alain Finkielkraut peine à franchir, posant de bonnes questions tout en y apportant de mauvaises réponses, tel qu’affirmait jadis Laurent Fabius à propos d’un certain Jean-Marie Le Pen. 

    Journaliste, écrivain
  • Le rejet de la nation, de gauche à droite

     

    Par  Mathieu Bock-Côté

    Cette tribune [13.08] - d'une pertinence toujours égale - est de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il aura été, depuis quelque temps déjà, un observateur lucide non seulement des évolutions politiques des pays dits encore occidentaux mais aussi de leur situation sociétale qui n'est pas de moindre importance.  L'esprit de ces chroniques, comme de celles qu'il donne au Figaro, est, au sens de la littérature et de l'histoire des idées, celui d'un antimoderne, même s'il n'est pas sûr qu'il acquiescerait à cette classification. Il s'est en tout cas imposé, selon nous, comme un esprit de première importance. Mathieu Bock-Côté rappelle ici à propos de la nation et de l'enracinement quelques vérités essentielles lesquelles  sont, d'ailleurs le fond des doctrines qui sont les nôtres.  LFAR 

     

    501680460.5.jpgLe refus de l’enracinement est certainement un des traits caractéristiques de l’idéologie dominante de notre temps. Il trouve des relais à gauche comme à droite. En fait, l'orgueil commun à la gauche radicale « altermondialiste » et à la droite néolibérale globaliste, c’est de regarder la patrie (et plus particulièrement sa patrie) avec condescendance et mépriser ouvertement ceux qui y tiennent, comme s’ils étaient des attardés enfermés dans une époque révolue, et résolus à ne pas en sortir. C’est une forme d’orgueil qui se veut progressiste. Ils sont nombreux à s’en réclamer chez ceux qui se veulent éclairés et à l’avant-garde.

    Lorsqu’ils sont pessimistes et du premier camp, ils spéculent sur une planète qui broierait les frontières et condamnerait les pays à l’insignifiance. C’est une forme de snobisme déguisé en lucidité catastrophiste. Ils prennent la pose, maudissent les étroits d’esprit et administrent leur catéchisme. Ils tonnent : comment peut-on penser à l’échelle nationale quand la solidarité doit être mondiale ?! C’est une phrase creuse mais ils la prennent pour une réflexion profonde. Ils ne comprennent manifestement pas que l'homme a besoin de médiations pour participer au monde. Ils en profitent aussi pour présenter le nationaliste ordinaire comme un petit être mesquin attaché à ses privilèges, sans noblesse, sans humanité. Ils résistent rarement à la tentation de l’accuser de racisme. Il faut dire que le grand pouvoir de la gauche radicale, c'est l'étiquetage idéologique, qui repose sur le pouvoir de l'injure publique.

    Lorsqu’ils sont optimistes et du deuxième camp, ils nous disent qu’un monde mondialisé est riche de tellement de possibles qu’il serait sot de se montrer exagérément attaché à sa patrie – ils n’y voient que la marque d’une psychologie obtuse. L’individu peut être citoyen du monde: n’est-ce pas la plus grande libération de l’histoire humaine ? Ils témoignent alors d’une fausse tendresse vraiment hautaine pour les hommes de « l’ancien monde », attachés à leurs certitudes, et incapables d’oser la liberté, comme s’ils appartenaient encore à l’âge infantile de l’humanité. L’appartenance, chez eux, est strictement contractuelle : elle ne saurait relever de l’héritage. À chaque génération, l’homme doit s’arracher au passé. La révolution technologique, qui est aussi celle des communications, liquiderait les vieilles nations. Au nom de la diversité et de l'ouverture au monde, ils nous invitent à tous nous convertir à l'anglais. Les langues nationales ne seront plus que des reliques.

    Dans les deux cas, ils ne désirent pas masquer leur sentiment de supériorité morale : ils paradent dans l’espace public en le revendiquant. Le cosmopolitisme, chez eux, ne consiste pas à transcender sa patrie mais à la nier, et à en nier le besoin. Ils se disent soucieux de l’avenir du genre humain mais celui qu’ils ne peuvent endurer, c’est l’homme ordinaire, qui aime son pays, qui veut transmettre le monde qu’il a reçu et qui ne voit pas pourquoi il devrait détester les siens pour aimer l’humanité. Ce qu’ils ne peuvent tolérer, c’est l’homme qui a besoin d’une demeure et qui n’a pas honte de vouloir être maître chez lui.  

    Mathieu Bock-Côté

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).

  • Mémoire & Société • Verdun, BlackM : la nuit de l'inculture

    Verdun. Crédits photo: Service Historique de la Défense

     

    Par Vincent Trémolet de Villers           

    Vincent Trémolet de Villers montre ici [Figaro, 17.05] comment, l'affaire BlackM est révélatrice d'une époque de « profanation intégrale » où il n'y a plus ni silence ni recueillement. Une analyse sur le fond des choses.  LFAR

     

    ob_b41265_vincent-temolet-de-villers.jpgIl faut n'avoir jamais arpenté le paysage lunaire où reposent les villages martyrs: Beaumont, Fleury, Cumières… pour envisager de commémorer la bataille de Verdun par un concert de rap. Il faut n'avoir jamais lu une page de Barbusse - « chacun sait qu'il va apporter sa tête, sa poitrine, son ventre, son corps entier, tout nu, aux fusils braqués d'avance » - pour dire comme Black M, le chanteur invité, « on va s'amuser ». Il faut ne rien connaître des paroles de poilus - « c'est vraiment une vision de mort, de destruction acharnée, ce ravin. Des morts partout, dans toutes les positions».  - pour affirmer comme notre secrétaire d'État aux Anciens Combattants que la vague d'indignation qu'a provoquée l'organisation de ce concert est « un premier pas vers le fascisme ». C'est avoir oublié, enfin, que Verdun, c'est 300.000 morts français et allemands dont 100.000 sans sépulture et que seul « le silence des consécrateurs convenait au repos des hommes qui avaient accepté en silence, qui avaient souffert en silence, qui étaient morts en silence » (Montherlant). Plongés dans la nuit de l'inculture, nous devons donc supporter les provocations, les approximations, les manipulations du gouvernement (contre lequel sur ces sujets l'opposition se montre bien timide et laisse le champ libre au Front national). Comme si le souvenir des soldats morts au combat était un moyen de «faire plaisir aux jeunes» et l'Histoire, un outil sondagier circonstanciel. La France a ainsi voté une résolution de l'Unesco déniant tout lien historique entre les juifs et le mur occidental (le mur des Lamentations), voire le temple de Jérusalem !

    Nous avons entendu un ancien ministre de l'Économie devenu commissaire européen affirmer qu'il ne croyait pas « aux racines chrétiennes de l'Europe» transformant ainsi une réalité indiscutable en acte de foi. Nous avons supporté les  mots sidérants d'un secrétaire d'État chargé de la mémoire de nos soldats traitant de « fascistes » ceux qui par les maigres moyens des réseaux sociaux ont voulu empêcher de voir transformer l'ossuaire de Douaumont en arrière-plan d'un divertissement de masse. Tout cela n'empêche pas l'inculture de se montrer arrogante. Nous recueillons les fruits d'un enseignement moral sans fondement, sans hiérarchie, sans profondeur, où le seul impératif est de traquer le « fascisme » renaissant et le retour d'un « ordre moral nauséabond ». Un antiracisme hors-sol qui surveille, punit et ne comprend plus rien.

    Selon cette grille, la civilisation était du côté de Black M et la barbarie du côté des lecteurs de Ceux de 14. C'était un Noir contre les Blancs, un jeune contre des vieux, la modernité contre les réacs. Que le chanteur s'en soit pris autrefois aux «youpins», aux « pédés », aux « kouffars » (les mécréants dans la terminologie de Daech) ne comptait pas. Les mêmes qui traquent « les dérapages » et curent comme un coquillage l'esprit d'Éric Zemmour pour y trouver une pensée criminelle ont pris la défense du rappeur, victime selon eux « du politiquement correct » . Il fallait vraiment être un pinailleur pour ne pas accepter l'évidence: Black M à Verdun, c'est bien, puisque Robert Ménard et Marion Maréchal-Le Pen sont contre !

    « Tout est culture », proclamait Jack Lang il y a vingt-cinq ans, le tag comme une fresque de Piero della Francesca. « Tout est histoire », proclamons-nous aujourd'hui, et rien ne distingue la «plainte d'un blessé dans la nuit glaciale et pluvieuse» (Genevoix) et les rythmes d'un morceau de rap. Les faits, les hommes, les lieux, les dates sont des outils jetables pour politiciens et communicants. Dans nos temps de « profanation intégrale » (Alain Finkielkraut), il n'y a plus ni silence ni recueillement. Ni dignité, même. Tout se vaut et tout se vautre dans la médiocrité.

    « On oubliera, écrit Roland Dorgelès dans Les Croix de bois. Les voiles de deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qui l'aimaient tant. Et tous les morts mourront pour la deuxième fois…»   

    Vincent Tremolet de Villers        

    Vincent Trémolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/Opinions du Figaro et de Figarovox.    

     

     

  • Terrorisme : on ne déclare pas la paix !

     

    Face au fondamentalisme islamiste, l’hésitation est fatale

    Une réflexion de Mathieu Bock-Côté - comme toujours pertinente et profonde . Rappelant des principe de sagesse politique perdue. Et venue de Montréal.  

     

    Mathieu Bock-Coté.jpgLes attentats qui ont frappé la Belgique provoquent chez certains d’étranges sentiments : ils se disent las, ils voudraient que cela cesse par enchantement et ils en appellent surtout à la venue sur terre de la Paix, à la manière d’un principe rédempteur venant civiliser les hommes et les empêchant de s’entretuer. Ils voudraient qu’on déclare la Paix à l’humanité, et que chacun, inspiré par ce grand élan du cœur, range ses fusils et ses bombes. Quand une bombe saute dans un métro, ils publient sur les réseaux sociaux des symboles de paix et chantent Imagine ou Give Peace a Chance. Il y a peut-être quelque chose de beau dans cette conviction sincère que l’amour nous sauvera. Il y a aussi peut-être une forme de naïveté aussi exaspérante que paralysante.

    La paix n’aura pas lieu

    Car en attendant la parousie, en attendant cette sublime délivrance, ce ne sont pas les déclarations de paix qui sauveront les peuples et les protégeront mais la résolution à faire la guerre à un ennemi intérieur et extérieur, l’islam radical, qui s’est décidé quant à lui à humilier et soumettre la civilisation européenne. Devant le fondamentalisme islamiste, ses militants résolus et ses convertis qui sont manifestement attirés par sa fureur guerrière et sa cruauté revendiquée, il faut d’abord compter sur de bons services de renseignement, sur des policiers aguerris, sur des soldats d’expérience, sur des frontières efficaces et sur une ferme volonté de le combattre. En un mot, il faut avoir les moyens de se défendre, de le combattre et de le vaincre.

    La guerre. Pour bien des Occidentaux, c’est un gros mot. Et répondre par la guerre à la guerre, ce serait apparemment une réponse simpliste. Nos bons esprits progressistes qui n’en finissent plus d’admirer leur propre grandeur d’âme voudraient qu’on se penche plutôt vers les racines profondes de l’hostilité entre les hommes et refusent de comprendre, parce que cela offusquerait leurs principes, que la violence est constitutive de l’histoire humaine. On peut la réguler, la contenir, la civiliser même : on ne pourra jamais l’éradiquer et en venir à bout une fois pour toutes.

    Nos bons esprits, en un mot, s’imaginent toujours que la réponse militaire à une agression terroriste est une dérive populiste faite pour alimenter les simples d’esprit. Ils souhaiteraient qu’on parle d’exploitation sociale, de lutte à la pauvreté, de dialogue entre les civilisations. Ils s’imaginent que si chacun s’ouvrait à l’Autre, l’humanité se délivrerait des conflits (sans s’imaginer qu’en connaissant mieux l’autre, il se peut qu’on s’en méfie davantage). Ils veulent se réfugier dans la stratosphère des discours généreux et pacifistes pour éviter d’avoir à sortir leurs canons, leurs fusils et leurs blindés. Ils veulent s’extraire du conflit au nom de la conscience universelle  et surplomber les camps en présence. En d’autres mots, ils veulent fuir le réel qui égratigne leurs principes splendides.

    La violence, en quelque sorte, est un fait anthropologique irréductible, et il est sot de croire qu’un jour, les hommes vivront à ce point d’amour qu’il n’y aura plus entre les groupes humains des conflits à ce point profonds qu’ils puissent dégénérer en conflits armés. La guerre est l’expression politique de la violence. Évidemment, d’une époque à l’autre, la guerre change de visage. Aujourd’hui, elle ne se fait plus vraiment en uniforme. Elle prend la forme d’une guérilla s’appuyant sur une cinquième colonne installée dans des forteresses islamistes comme Molenbeek. On a tort de parler du terrorisme en soi. Le terrorisme n’est que le moyen avec lequel les islamistes nous font la guerre.

     

    La guerre de religion est la plus sauvage d’entre toutes

    On ajoutera qu’il ne s’agit pas d’une guerre classique mais d’une guerre d’éradication qui nous a été déclarée par des fondamentalistes musulmans qui sont prêts à l’ultime sacrifice pour nous rayer de la carte ou nous soumettre à leur Dieu. La guerre de religion est la plus sauvage d’entre toutes parce qu’elle déshumanise radicalement l’ennemi – il est transformé en représentant du diable qui ne mérite pas sa place sur terre. Au vingtième siècle, elle s’est maquillée en guerre idéologique mais il s’agissait encore une fois de rayer de la surface de la planète ceux qui ne communiaient pas à la bonne foi ou de les y convertir de force.

    Entre le fanatisme des enragés d’Allah et le laxisme mollasson des sociétés occidentales, il y a un contraste fascinant et on ne peut que souhaiter que ces agressions à répétition contre des villes et des pays au cœur de la civilisation européenne réveillent leur instinct civique pour l’instant endormi. L’histoire est une source infinie de méditation et de méditations. Ce n’est pas un drapeau blanc qui a stoppé Hitler mais la ferme résolution des alliés à lui faire la guerre pour le vaincre et éradiquer le nazisme. Ce ne sont pas de belles âmes dissertant sur la paix universelle qui ont empêché l’armée rouge d’occuper l’Europe occidentale mais l’armée américaine qui y avait installé ses bases.

    De même, devant l’islamisme, qui bénéficie à la fois de l’appui d’États étrangers et de réseaux bien implantés dans les grandes villes européennes, et qui peut manifestement frapper n’importe quelle cible, qu’elle soit aussi banale qu’une terrasse de café ou stratégique qu’un aéroport, il faudra apprendre à faire la guerre de notre temps. Devant l’ennemi, il faudra moins pleurer et larmoyer qu’être révolté et en colère. Et d’abord et avant tout, il faudra nommer l’ennemi. Non pas « la religion ». Non pas « le fanatisme ». Mais l’islamisme, qui s’est aujourd’hui juré de casser le monde occidental. 

    Le Journal de Montréal

    Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie et chargé de cours aux HEC à Montréal. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l'auteur d'Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire (Boréal, 2007). Mathieu Bock-Côté est aussi chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada.

  • LITTERATURE & SOCIETE • Paris intra-muros

     

    Les maraudes de Sophie Pujas, vues par François-Xavier Ajavon*

    A vrai dire, nous avons aimé cette chronique, faite, dirait-on, tout exprès pour le temps du weekend, fort bien écrite, pleine d'humour, de références littéraires et historiques, d'évocations de lieux de Paris où l'on a déjà flâné et qui parlent à notre mémoire ... Nous en conseillons la lecture aux visiteurs de Lafautearousseau. LFAR

     

    Paris a une forme de côte de veau. Cela n’a jamais échappé à personne. C’est même pour cette raison que les plus grands poètes, à travers l’Histoire, ont chanté la beauté, les mystères, les envoûtements et le charme irrésistible de la ville-lumière – qui attire des humains du monde entier, et même des Belges. Villon a dit la vie de ses étudiants au Moyen-Âge. Baudelaire a chanté son spleen et ses nuits interlopes. Jacques Dutronc ses petits matins nimbés de grâce. Et Apollinaire, Céline, Hemingway ? La capitale, ses rues, Sa Majesté la Seine, ses monuments, le soleil qui se lève sur le Sacré-Cœur, ou qui se couche sur le Génie de la Bastille,  tout est fait pour inspirer le poète. Paris – à l’instar de New-York, Chandernagor et Couilly-Pont-aux-Dames – sera toujours au cœur de la littérature mondiale. Le nouveau livre de Sophie Pujas, Maraudes (Gallimard) en est une brillante démonstration.

    Après un premier opus remarqué consacré au peintre Zoran Mušič (ZM, Gallimard, 2013), qui tenait à la fois de l’essai et du poème en prose, l’auteur revient avec un livre délicat sur Paris, composé d’une multitude de chapitres très courts (de une à trois pages), chacun introduit par le nom d’une rue. Les yeux grand ouverts sur la ville, mais surtout sur les humains qui la traversent, et parfois se hasardent à l’habiter, l’auteur distille des micro-récits qui finissent par composer une mosaïque saisissante de ce majestueux navire battu par les flots, mais qui ne sombre pas.

    Rue Oberkampf, un contrôleur de la RATP appréhende pour la millième fois le contact des voyageurs aux visages méprisants du bus 96. Dans les jardins du Luxembourg, un adolescent tente de dominer sa timidité pour séduire sa première jupe plissée lycéenne. Place de Clichy, une femme recherche le fantôme d’un être aimé. Rue Buffon, une fillette dialogue avec un dinosaure : « Elle a beau être légère, plume, papillon, quand elle lui fait signe, elle se sent encore plus minuscule. Une virgule dans la rue, une esquisse de petite fille. Il est immense, il la regarde depuis la grande fenêtre boisée du Muséum d’histoire naturelle. Le diplodocus, son squelette géant qui surveille la rue ». Rue de l’équerre un street-artiste rhabille les murs d’une peau nouvelle de papier : « Il trace des portraits sans visages. Tous sont un peu de lui et aucun ne lui ressemble tout à fait ». Montmartre est un décor, une installation, « une vue de l’esprit ». À l’Orangerie, dans le Jardin des Tuileries, on revient encore et toujours se saouler à la splendeur des Nymphéas.

    Mais plus que des lieux, Maraudes nous entraîne dans une déambulation bohème, une forme d’errance, d’équipée sur des chemins de hasard ; attitude que l’auteur revendique dès les premières pages de son livre : « Je prends des bus qui ne vont nulle part, et en reviennent, je colle mon front à leurs vitres comme une enfant aux bizarres caprices, sans jamais élucider le pouvoir de cette ville sur moi ». L’idée est de laisser monter la cité en nous, de régler notre pouls sur son rythme. Ailleurs l’auteur confesse : « S’égarer est un art de vivre, une question de principe. Il faut laisser défiler les rues comme on devrait accueillir les êtres, sans rien attendre d’eux, je veux dire rien que l’on ait espéré à l’avance ». On nous avait dit que Paris était une fête, mais Paris est surtout une aventure.

    Mais si l’on devait trouver un fil rouge, dans l’écheveau complexe de ces récits, ce serait certainement celui des laissés pour compte, des enracinés au pavé, des réguliers du macadam, ces fantômes, clochards, marginaux qui habitent les rues, et s’effacent progressivement, à force d’indifférence générale, d’hiver rigoureux, et d’absence de main tendue. Rue de l’Odéon un sans-abri ne se distingue plus de la rue, et s’efface… « Les passants vieillissent et meurent. Il est éternel, pris dans une trappe du temps ». Pont Alexandre III un autre malheureux est emporté par le froid hivernal : « Un froid à pierre fendre, et il n’était qu’un homme. Un froid de canard, de loup, et il n’était qu’un homme. Un froid de gueux ». On comprend que la maraude se fait à hauteur d’homme, avec tout l’humanisme qui manque à l’époque… Les fantômes passent. On salue la mémoire d’un aviateur qui, pendant la libération de Paris, a jeté son appareil dans la Seine, au niveau du pont de Tolbiac, pour épargner la population. Et la lune veille : « Rue de la lune. Un jour, elle avait disparu, simplement pour voir si quelqu’un partirait à sa recherche. Personne. »

    Sophie Pujas dit beaucoup de Paris – et on lira peut-être demain Maraudes avant de visiter la capitale, comme on lit depuis toujours les Promenades dans Rome de Stendhal avant de se rendre dans la ville éternelle. Enfin, soyons honnête, Sophie Pujas ne dit pas vraiment tout ; elle omet notamment d’expliquer pour quelle raison Paris a la forme d’une côte de veau. Ce qui, avouons-le, épaissit encore le mystère. Espérons qu’elle consacrera à cette question cruciale un nouveau livre avec la même sensibilité. 

    Sophie Pujas, Maraudes, Gallimard, collection L’Arpenteur, 2015. 16,00 €

    François-Xavier Ajavon  - Causeur

     

  • Laïcité : le renoncement des Québécois ...

     

    Un projet de loi visant à renoncer à l'interdiction du port de signes religieux du secteur public vient d'être déposé au Québec. Pour Mathieu Bock-Côté*, reléguer l'identité nationale dans le domaine privé et réduire la citoyenneté à ses droits relève de l'illusion. On remarquera son coup d'épingle final aux valeurs universalistes ou aux valeurs républicaines, comme on dit en France.  LFAR

     

    834753111.jpgDepuis 2006, avec la crise des accommodements raisonnables, la question du multiculturalisme s'est invitée au cœur de la politique québécoise et cela, de nombreuses manières. À travers elle, on se demande de quelle manière assurer la meilleure intégration possible des immigrés. La société d'accueil est-elle en droit d'imposer ses références historiques et identitaires à la manière d'une culture de convergence? Encore doit-elle, pour cela, assumer cette identité et ne pas la réduire à un catalogue de valeurs universelles. Ou doit-elle plutôt considérer l'identité de la nation d'accueil comme une identité parmi d'autres, pour éviter de discriminer celle des immigrés ?

    Le précédent gouvernement, celui du Parti Québécois (2012-2014) était de la première école et entendait, avec son projet de Charte des valeurs québécoises, définir un cadre d'intégration reposant sur la valorisation de la laïcité. Mais il ne s'agissait pas d'une laïcité abstraite, désincarnée. À travers sa défense de l'égalité entre les hommes et les femmes, elle s'accompagnait d'une défense des mœurs de la société d'accueil et cherchait, avec plus ou moins de succès, à traduire politiquement le principe suivant: à Rome, fais comme les Romains. Elle reconnaissait aussi le patrimoine historique et religieux particulier du Québec, marqué en profondeur par le catholicisme. La laïcité était considérée comme un outil pour favoriser l'intégration des immigrés à l'identité québécoise.

    La proposition péquiste recevait un appui majoritaire de la population, mais s'est vue sévèrement attaquée par la presque totalité des commentateurs, ralliée à une version ou une autre de l'idéologie multiculturaliste, et convaincue qu'on ne saurait s'en éloigner sans heurter et transgresser les droits de l'homme. Il ne serait plus légitime, dans une société pluraliste et évoluée, d'imposer quelque norme substantielle que ce soit. Si un gouvernement s'y engage néanmoins, on pourra l'accuser de pratiquer la tyrannie de la majorité et de nous faire régresser vers les heures les plus sombres de l'histoire. La démocratie contemporaine reposerait en fait sur la neutralisation de la nation et la déconstruction de tous ses privilèges illégitimes.

    Le gouvernement libéral de Philippe Couillard, élu en avril 2014, est ouvertement partisan du multiculturalisme et entend trouver la solution la moins contraignante possible à la crise de l'intégration. Faut-il permettre aux employés de l'État de porter le tchador? C'est à cette question qu'a cru devoir répondre positivement le gouvernement québécois cette semaine en présentant un projet de loi visant à encadrer de la manière la plus minimaliste qui soit les accommodements raisonnables et autres revendications ethnoreligieuses provenant plus souvent qu'autrement des communautés issues de l'immigration. Le premier ministre Couillard l'a dit: pour peu que les services publics soient offerts et demandés à visage découvert, il sera satisfait. On ne dira certainement plus qu'à Rome, on fait comme les Romains, mais qu'ici, tout est permis.

    Mais une société peut-elle n'être qu'un rassemblement d'individus atomisés seulement reliés par les droits qu'ils se reconnaissent entre eux? Une des grandes illusions de la philosophie libérale consiste à croire que la question du sens, dans le monde moderne, est appelée à se résoudre d'elle-même, en se privatisant. Tout comme la religion a été progressivement reléguée dans le domaine privé, l'identité nationale serait aussi appelée à l'être dans les décennies à venir, et les pouvoirs publics auraient simplement pour vocation d'encadrer le «vivre-ensemble» en balisant les libertés de chacun. Il n'y aurait plus de culture commune, seulement des règles partagées que les tribunaux devront faire respecter.

    Mais le libéralisme ne parvient jamais vraiment à assécher définitivement les passions politiques et à convaincre l'individu d'évoluer seulement dans le domaine privé. Car ce dernier ressent un besoin intime d'appartenance à sa collectivité. L'anthropologie des Anciens nous apprend ici une leçon qui échappe aux modernes: l'homme est un animal politique et désire s'inscrire dans la cité autrement que par un simple lien formel, administratif. Le cœur de l'homme est bouillant et il veut s'identifier existentiellement au monde dans lequel il évolue. Une cité n'est pas une construction purement artificielle, elle s'ancre dans l'histoire, elle est investie de sentiments fondamentaux inscrits dans la nature humaine et qu'elle doit canaliser politiquement.

    Lorsqu'on censure cette part de l'homme, inévitablement, elle finit par resurgir. C'est vrai dans toutes les sociétés occidentales. On aura beau vouloir dépolitiser l'identité collective et se contenter d'une forme de citoyenneté strictement réduite aux droits qu'elle offre et garantit à chacun, un pays n'est pas une page blanche non plus qu'un territoire sans profondeur historique. Et on ne saurait non plus réduire le politique au droit. L'immigration massive qui bouleverse les sociétés occidentales les force à redécouvrir leur propre identité historique et à sortir de l'illusion moderniste qui les poussait à se définir seulement par des valeurs universalistes - ou des valeurs républicaines, comme on dit en France. 

    * Mathieu Bock-Côté est sociologue. Il est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal ainsi qu'à la radio de Radio-Canada. Il est l'auteur de plusieurs livres, parmi lesquels « Exercices politiques » (VLB, 2013), « Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois » (Boréal, 2012) et «L a dénationalisation tranquille: mémoire, identité et multiculturalisme dans le Québec post-référendaire » (Boréal, 2007).

     

    Mathieu Bock-Côté FIGAROVOX

     

  • Société • Julien Sanchez, un maire FN face à la « résistance »

     

    par Yves Morel

    Des commerçants musulmans assignent leur maire en justice : les enseignements politiques d’une procédure.

    Julien Sanchez, jeune maire FN de Beaucaire (Gard) connaît, avec la communauté musulmane, des problèmes judiciaires révélateurs de l’incapacité de nos pouvoirs publics à défendre efficacement leurs administrés dans leurs droits et leurs intérêts les plus fondamentaux.

    M. Sanchez avait pris deux arrêtés municipaux datés des 16 et 17 juin derniers interdisant l’ouverture des commerces durant la nuit. Le premier fixait cette interdiction de 23h à 8h du matin à l’intérieur d’un secteur délimité du centre-ville de Beaucaire. Le second réduisait la portée de cette interdiction, la limitant à deux rues du centre-ville (les rues Nationale et Ledru-Rollin) et en faisait cesser l’application à 5h du matin. Ces arrêtés n’étaient d’ailleurs applicables que jusqu’au 31 octobre.

    Le jeune maire motivait sa décision par les plaintes de nombreux riverains (dont certains musulmans, ce que l’on se garde bien de préciser) victimes des nuisances sonores engendrées par cette activité commerciale nocturne. Ces riverains ne pouvaient pas dormir, agressés qu’ils étaient par le tumulte résultant du bavardage et des cris et autres braillements de clients agités et en grande conversation, attroupés à proximité des magasins, les vrombissements et pétarades de véhicules motorisés, le bruit des coups de klaxons et autres agréments de cette joyeuse convivialité. Certains renonçaient à dormir dans leur chambre et s’installaient sur leur canapé situé dans une pièce moins exposée (sans pour autant trouver le calme indispensable à l’ensommeillement), d’autres, exaspérés se disaient sur le point de s’abandonner à des réactions violentes. La décision du premier magistrat de la petite cité du Gard semblait donc bien compréhensible.

    Pas du tout !, ont estimé les commerçants des rues visées par ces interdictions.

    Sous la conduite d’Abdallah Zekri, président de l’Observatoire « national » (défense de rire) contre l’islamophobie au sein du Conseil Français du Culte Musulman (Diantre ! Voilà un homme de poids), six d’entre eux déposèrent une plainte devant le Tribunal administratif de Nîmes pour obtenir l’annulation des arrêtés incriminés, et 3 000 euros d’indemnité (chacun) au titre des préjudices engendrés par leur application. Le Conseil Français du Culte Musulman, lui, se portait partie civile, dans cette procédure. En effet, ces commerçants s’estimaient particulièrement lésés dans la mesure où la période d’application des deux arrêtés couvrait celle du ramadan, qui expliquait la recrudescence des nuisances sonores dont se plaignaient les riverains. A leurs yeux, « les mesures prises par ce maire visent à asphyxier l’activité économique de ces commerçants en raison de leur appartenance à la religion musulmane », pas moins.

    Se prévalant de l’alibi de la tranquillité de ses administrés, le maire poursuivrait donc une politique de « discrimination » à l’égard des musulmans de sa cité. « Force est de reconnaître que ces arrêtés visent substantiellement les commerçants musulmans », est-il spécifié dans la citation à comparaître. Ces commerçants, le maire viserait à les acculer à la faillite ; comme si leur bonne santé économique et financière dépendait uniquement de leur surcroît d’activité au moment du ramadan ; et comme si les Beaucairois justement mécontents (dont certains musulmans, répétons-le) n’avaient qu’à souffrir en silence au nom de la « tolérance », de l’égalité, du refus de toute discrimination ethnique ou religieuse, valeurs essentielles de notre république.

    A la suite du dépôt de plainte des commerçants, Julien Sanchez rapporta ses deux arrêtés. Si bien que, lors de l’audience du 26 août dernier, le Tribunal administratif de Nîmes rendait un verdict de non-lieu sur ce sujet, et, de surcroît, déboutait les plaignants de leur demande d’indemnisation.

    Mais le maire ne renonça pas à faire prévaloir ses décisions. A peine eut-il abrogé les arrêtés en cause que, le 19 août, il en prit deux autres, qui reconduisaient les mesures qu’ils contenaient. Les commerçants et le CFCM déposèrent alors une nouvelle plainte devant le Tribunal correctionnel de Nîmes, cette fois.

    Ces tous derniers jours, jeudi 7 janvier, à l’issue de l’audience, le président du Tribunal correctionnel a mis la décision en délibéré au 10 mars prochain. Nul ne peut préjuger du verdict qui sera rendu.

    Quel que soit le verdict qui sera vendu, cette affaire montre à quel degré d’impuissance est vouée la défense des droits les plus élémentaires de nos compatriotes en nos temps d’aliénation morale et culturelle et de déliquescence politique. Un édile ne peut même plus assurer la simple tranquillité de ses concitoyens sans se voir aussitôt vilipendé, médiatiquement lynché et traduit devant un tribunal par les représentants de telle communauté ethnoreligieuse. Si le tribunal nîmois donne tort à M. Sanchez, les beaucairois des quartiers en lesquels sont implantés des commerces arabes n’auront qu’à se résigner à supporter le supplice du tintamarre provoqué par les attroupements bruyants des clients musulmans de ces échoppes pendant au moins un mois, quitte à être privé de sommeil ; et, bien entendu, ils n’auront pas le droit de se plaindre sous peine de se voir taxer de racisme. De la même façon, les habitants de banlieues populaires des grandes villes doivent se résoudre, la mort dans l’âme, à voir leurs communes ou leurs quartiers hérissés de minarets et émaillés de boucheries halal, de restaurants arabes, de pizzerias turques et autres kebab, de magasins spécialisés dans l’organisation de mariages musulmans et la vente de matériel religieux, et de sièges locaux d’associations d’aides aux immigrés ou de jeunes maghrébins.

    Il est vrai que Yann Moix nous rappelle, sur le ton de l’objurgation, que « c’est le mouvement de l’histoire », que « demain, la France sera peut-être musulmane », et qu’il est aussi vain qu’ »indécent » de s’opposer à une telle évolution. Manifesterait-il la même inclination s’il diagnostiquait un retour de la tradition et de la morale catholique en France ? Non, à n’en pas douter.

    La mésaventure du jeune maire de Beaucaire dément les sombres prévisions de ceux que l’accès au pouvoir du Front national amènerait l’instauration d’une dictature de type pétainiste ou fasciste. En fait, ses opposants entreraient immédiatement « en résistance », suivant leur propre expression et mettraient tout en œuvre pour empêcher le pouvoir d’agir ou faire invalider ses décisions par le Conseil constitutionnel et les tribunaux de tous degrés et de toutes natures. Et on sait que notre constitution et nos divers codes juridiques contiennent quantité d’articles, de lois et de décrets qui concourent tous – tant par leur inspiration ou leur contenu effectif que par les interprétations qu’ils autorisent –à empêcher toute politique de défense de notre nation, de notre identité culturelle et des droits les plus élémentaires de nos compatriotes au nom des « droits de l’homme » et des « valeurs de la République », qui font » l’honneur de la France ». Notre classe politique et notre intelligentsia nous ont collé, durement inscrit dans les textes de loi, un véritable sida politique et moral qui nous prive de toute défense, de toute possibilité de saine réaction contre la décrépitude. Cette petite affaire beaucairoise en est une illustration entre mille. 

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle

  • Brexit : Il se pourrait que l'Europe de Bruxelles soit déjà morte sans le savoir ...

     

    Par Lafautearousseau

     

    logo lfar.jpgAinsi, les bourses avaient voté. Et l’ensemble des médias, la presque totalité des semble élites, et - jusqu’au ridicule - les peurs, les conformismes, les habitudes, les libéraux et les modernes, les idolâtres des marchés, bref les avertis, contre les peuples ignorants. Et, bien-sûr, les fonctionnaires de Bruxelles et leurs relais dispersés à travers l’Europe, bien décidés à défendre âprement leurs rentes, leurs situations, leurs privilèges et leurs retraites. Cela faisait beaucoup de monde, et de grandes forces, dressées contre cette sorte de liberté d’un jour que s’était donné le vieux Royaume britannique – que l’on fût Remain ou Brexit -  de choisir entre son identité et son histoire et sa fusion dans le magma mondialiste dont l’UE n’est qu’une étape, vers la gouvernance mondiale, façon Attali. Telle était aussi, d’ailleurs, la volonté affirmée – un quasi diktat - de Barak Obama, aussi président des Etats-Unis d’Amérique – et demain du Monde – que l’avaient été ses prédécesseurs blancs. Car, derrière le rideau de fumée de l’unité du monde – c'est-à-dire des marchés - se tient, de fait, cet élément moteur, cette ambition de fond, qu’est le nationalisme américain.    

    Avec 1,89% de plus que la barre des 50%, selon la règle démocratique de pure arithmétique, le peuple britannique a choisi non pas de ne plus être une nation européenne – rien ne fera qu’elle ne le soit, éminemment – mais de s’extraire d’une machinerie inefficace et tyrannique, en train d’échouer partout. Résultat que la doxa uniforme s’obstinait tellement à croire inenvisageable que les médias ont annoncé la victoire du Remain contre le Brexit à 52 / 48%, jusqu’à tard dans la nuit du vote. De sorte que le téléspectateur – fût-il tardif – s’est endormi dûment informé de la défaite du Brexit et s’est réveillé au son de sa victoire. Les bourses, les sondeurs, les bookmakers et l’ensemble des conformismes s’étaient trompés. Ni les peurs agitées éhontément, ni même le meurtre inopiné et finalement inutile de Jo Cox, n’auront suffi.

    XVMf0ab72b2-3a30-11e6-9245-4c55b4cb147c.jpgFaut-il croire à une opposition aussi radicale qu’on nous l’a seriné dans notre microcosme franco-français, entre les partisans du maintien et ceux du départ ? La violence de leurs débats ne nous empêche pas d’en douter. A vrai dire, la politique de Cameron et celle de Boris Johnson différaient par les moyens, non par l’objectif. De sorte que - l’extraordinaire force symbolique du retrait britannique mise à part, et elle n’a rien de négligeable - les suites du maintien et celles du départ, ne devaient pas être très différentes, même si les médias brossent tous les scénarios catastrophe les plus extravagants à la charge du Brexit. Cameron avait imposé à l’UE, en février 2016, les dérogations nécessaires et, sans-doute, suffisantes, pour la Grande Bretagne, de sorte que, selon son habitude, elle ait en toute hypothèse, comme nous l’avons écrit ici-même, un pied dedans, un pied dehors. Qu’elle détermine elle-même sa politique économique, sociale, migratoire et qu’il soit bien entendu qu’en aucun cas elle ne laisserait toucher à sa souveraineté. Dans de telles conditions, on était déjà sorti – n’étant d’ailleurs jamais vraiment entré – et l’on pouvait rester sans trop de gêne. Les partisans du Brexit vainqueur ont préféré la solution nette. Le prochain cabinet, dont il est très possible que Boris Johnson soit le Chef, fera en sorte que la Grande Bretagne conserve néanmoins, sur le continent européen, tous les liens qui lui seront utiles et que la nature des choses maintiendra ou rétablira assez vite. Les bourses, compulsives ces temps derniers, se calmeront, les marchés s’organiseront, la Grande Bretagne restera la puissance européenne et mondiale qu’elle est - avec ou sans l’UE - depuis quelques siècles.

    Quant à l’Europe de Bruxelles, il se pourrait bien, comme on l’a dit ici et là qu’elle soit déjà morte sans le savoir, sans même qu’on s’en soit encore rendu compte. Il est possible, a contrario, que le départ britannique ravive quelques velléités fédéralistes. Mais l’opposition des peuples et de nombreux Etats membres de l’UE, est sans-doute devenue aujourd’hui trop forte pour leur laisser de réelles chances d’aboutir. Il est bien tard pour une telle offensive.

    Pour ouvrir la réflexion sur un champ plus large – mais sans y entrer ici – la victoire du Brexit nous paraît être, en un sens, celle du Sang sur l’Or. Celle de l’Histoire et des identités sur l’utopie postnationale, universaliste, consumériste, multiculturaliste, etc. Faute d’avoir voulu reconnaître ses racines, fixer ses frontières, affirmer son identité et son indépendance, cette Europe-là se condamnait par avance à une telle issue. Y aura-t-il encore des forces, des idées, des volontés, pour relever le projet sur de justes bases ? 

    Lire aussi ...

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    Qu'ils restent ou qu'ils partent, les Britaniques ont de toute façon un pied dedans, un pied dehors ...  

    [Lafautearousseau 22.06]

  • La dhimmitude au quotidien [2]

    Publié en 1983, Le Radeau de Mahomet annonçait dans une large mesure les problèmes à venir. Un ouvrage mal accueilli par la caste journalistique, largement acquise à une islamomanie acritique.

    PAR PÉRONCEL-HUGOZ

    Œuvrant en terre d'Islam depuis 1965 (administrateur civil, correspondant ou envoyé spécial du Monde, directeur de collection éditoriale et, à présent, chroniqueur au 360, un des principaux quotidiens marocains en ligne), Péroncel-Hugoz n'est sans doute pas le plus mal placé pour décrire le sort des chrétiens vivant sous autorité musulmane.

     

    IMG - JPEG - Copie.jpg« J'ai pu toucher du doigt la condition de demi-citoyens des coptes et autres chrétiens, les discriminations quotidiennes dans la rue, à l'école, dans l'administration... » 

    Je n'avais pas non plus encore examiné in vivo la dhimmitude au quotidien. En Égypte, je fus peu aidé en cela par le mutisme des coptes, sans doute par honte vis-à-vis d'un chrétien « libre », et par crainte de représailles de la part de musul­mans glosant haut et fort, eux, devant les Occidentaux, sur la « tolérance » de leur reli­gion, alors que nous, nous avions eu les Croi­sades, l'Inquisition, le Colonialisme, le Nazisme et tout le saint-frusquin... Aidés par une puissante cohorte d'intellos marxistes, huguenots, juifs, cathos de gauche, etc., ceux des mahométans son­geant déjà à une Reconquista à l'envers de l'Europe latine, avaient vite compris qu'en culpabilisant leurs adversaires potentiels, ils les affaibliraient d'autant. La « cohorte », elle, comptait secrètement sur le pouvoir électoral des « masses musulmanes » - et ça continue sous nos yeux en France, Espagne, Belgique, etc. - pour installer durablement au gouvernement la gauche socialiste... 

    ANAOUATI ET 8OUIROS-GHALI 

    Cc furent, au Caire, au milieu de la décen­nie 1970, le père Georges Anaouati, fameux érudit dominicain égypto-levantin, conseiller culturel de Jean-Paul II, et un autre érudit oriental, Mirrit Boutros-Ghali, fondateur de la Société d'archéologie copte, qui m'ouvrirent définitivement les yeux sur la terrible réalité de la dhimmitude. Désor­mais, en Orient, je passai une partie de mon temps à parcourir quartiers et villages mixtes où je touchai mille fois du doigt la condition de demi-citoyens des coptes et autres chrétiens, les discriminations quoti­diennes dans la rue, aux champs, à l'école, dans l'administration, etc. C'est en outre parmi les coptes que je trouvai les pauvres des pauvres, même si la misère frappait aussi de nombreux musulmans. Comme je rapportais mes tristes constats à Anaouati, il me donna une sorte d'ordre : « Écrivez tout ça ! ». Et ce fut, en 1983, Le Radeau de Mahomet, où je développais ce que j'avais déjà esquissé dans Le Monde sur la situation de la Chrétienté orientale. Si j'eus le soutien de mes supérieurs hiérarchiques, type André Fontaine ou Michel Tatu, nombre de mes confrères, au Monde et ailleurs, au nom d'un « Islamo-progressisme » imaginaire, nièrent les faits que je rapportais... 

    DE MORSI A SISSI 

    En Égypte, bien sûr, mais là où me conduisaient aussi d'autres reportages : Libye, Soudan. Yémen Pakistan, Brunei, et même dans les soi-disant États « laïques » de Syrie, Irak ou Turquie, je découvrais, peu à peu, la condition dihimmie : pas de mariage ni même de flirt avec une « vraie croyante » alors que tout mâle musulman a le droit d'épouser juives ou chrétiennes dont les enfants seront obligatoirement islamisés ; pour celles de ces épouses ayant conservé leur foi native, en cas de veuvage, aucun héritage ni aucune garde des enfants; impossibilité pour les dhimmis d'accéder à certaines professions « délicates », comme la gynécologie ou bien à des postes poli­tiques réellement importants : le célèbre Boutros Boutros-Ghali, au rôle diploma­tique mondial, ne dépassa jamais chez lui le rang de « ministre d'État » qui, au Caire, équivaut à « secrétaire d'État ».

    Le « laïc » Nasser aggrava encore la dhimmitude en interdisant aux chrétiens d'enseigner l'arabe, « langue du Coran » ; en contrepartie, si on peut dire, il interdisit à ses coreligionnaires les manifestations festives trop bruyantes lors des conversions de coptes à l'Islam. Subsistèrent les mille mesquineries paperassières, légales ou non, imposées aux constructeurs de la moindre chapelle tandis que le gouver­nement continuait à encourager l'édification de nouvelles mosquées.

    Sous Sadate les attentats antichrétiens se multiplièrent tandis que le pape copte qui avait eu le toupet de se plaindre était assigné à résidence...

    Lors du renversement du président islamiste élu, Morsi, en 2013, par le maréchal Sissi, des musulmans passèrent leurs nerfs en détrui­sant en deux jours plus de cent édifices chrétiens dans la vallée du Nil, soit plus que durant toute la conquête arabe de cette région en 639... J'avais un jour demandé à un jeune prêtre cairote comment tant de ses coreligionnaires avaient pu résister depuis plus de 1000 ans à l'islamisation, laquelle, d'un coup, simplifie la vie. Il me répondit sans hésiter : « Nous prions ! ».

    (A suivre)

    Lire ...
     


    Repris de La Nouvelle Revue d'Histoire avec l'aimable autorisation de l'auteur

    LA NOUVELLE REVUE D'HISTOIRE • 43 Hors-série n° 12 • Printemps 2016

     

  • Brexit : Il se pourrait que l'Europe de Bruxelles soit déjà morte sans le savoir ...

     

    Par Lafautearousseau

    [Publié le 27.06, actualisé ce jour]

    logo lfar.jpgAinsi, les bourses avaient voté. Et l’ensemble des médias, la presque totalité des semble élites, et - jusqu’au ridicule - les peurs, les conformismes, les habitudes, les libéraux et les modernes, les idolâtres des marchés, bref les avertis, contre les peuples ignorants. Et, bien-sûr, les fonctionnaires de Bruxelles et leurs relais dispersés à travers l’Europe, bien décidés à défendre âprement leurs rentes, leurs situations, leurs privilèges et leurs retraites. Cela faisait beaucoup de monde, et de grandes forces, dressées contre cette sorte de liberté d’un jour que s’était donné le vieux Royaume britannique – que l’on fût Remain ou Brexit -  de choisir entre son identité et son histoire et sa fusion dans le magma mondialiste dont l’UE n’est qu’une étape, vers la gouvernance mondiale, façon Attali. Telle était aussi, d’ailleurs, la volonté affirmée – un quasi diktat - de Barak Obama, aussi président des Etats-Unis d’Amérique – et demain du Monde – que l’avaient été ses prédécesseurs blancs. Car, derrière le rideau de fumée de l’unité du monde – c'est-à-dire des marchés - se tient, de fait, cet élément moteur, cette ambition de fond, qu’est le nationalisme américain.    

    Avec 1,89% de plus que la barre des 50%, selon la règle démocratique de pure arithmétique, le peuple britannique a choisi non pas de ne plus être une nation européenne – rien ne fera qu’elle ne le soit, éminemment – mais de s’extraire d’une machinerie inefficace et tyrannique, en train d’échouer partout. Résultat que la doxa uniforme s’obstinait tellement à croire inenvisageable que les médias ont annoncé la victoire du Remain contre le Brexit à 52 / 48%, jusqu’à tard dans la nuit du vote. De sorte que le téléspectateur – fût-il tardif – s’est endormi dûment informé de la défaite du Brexit et s’est réveillé au son de sa victoire. Les bourses, les sondeurs, les bookmakers et l’ensemble des conformismes s’étaient trompés. Ni les peurs agitées éhontément, ni même le meurtre inopiné et finalement inutile de Jo Cox, n’auront suffi.

    XVMf0ab72b2-3a30-11e6-9245-4c55b4cb147c.jpgFaut-il croire à une opposition aussi radicale qu’on nous l’a seriné dans notre microcosme franco-français, entre les partisans du maintien et ceux du départ ? La violence de leurs débats ne nous empêche pas d’en douter. A vrai dire, la politique de Cameron et celle de Boris Johnson différaient par les moyens, non par l’objectif. De sorte que - l’extraordinaire force symbolique du retrait britannique mise à part, et elle n’a rien de négligeable - les suites du maintien et celles du départ, ne devaient pas être très différentes, même si les médias brossent tous les scénarios catastrophe les plus extravagants à la charge du Brexit. Cameron avait imposé à l’UE, en février 2016, les dérogations nécessaires et, sans-doute, suffisantes, pour la Grande Bretagne, de sorte que, selon son habitude, elle ait en toute hypothèse, comme nous l’avons écrit ici-même, un pied dedans, un pied dehors. Qu’elle détermine elle-même sa politique économique, sociale, migratoire et qu’il soit bien entendu qu’en aucun cas elle ne laisserait toucher à sa souveraineté. Dans de telles conditions, on était déjà sorti – n’étant d’ailleurs jamais vraiment entré – et l’on pouvait rester sans trop de gêne. Les partisans du Brexit vainqueur ont préféré la solution nette. Le prochain cabinet, dont il est très possible que Boris Johnson soit le Chef, fera en sorte que la Grande Bretagne conserve néanmoins, sur le continent européen, tous les liens qui lui seront utiles et que la nature des choses maintiendra ou rétablira assez vite. Les bourses, compulsives ces temps derniers, se calmeront, les marchés s’organiseront, la Grande Bretagne restera la puissance européenne et mondiale qu’elle est - avec ou sans l’UE - depuis quelques siècles.

    Quant à l’Europe de Bruxelles, il se pourrait bien, comme on l’a dit ici et là qu’elle soit déjà morte sans le savoir, sans même qu’on s’en soit encore rendu compte. Il est possible, a contrario, que le départ britannique ravive quelques velléités fédéralistes. Mais l’opposition des peuples et de nombreux Etats membres de l’UE, est sans-doute devenue aujourd’hui trop forte pour leur laisser de réelles chances d’aboutir. Il est bien tard pour une telle offensive.

    Pour ouvrir la réflexion sur un champ plus large – mais sans y entrer ici – la victoire du Brexit nous paraît être, en un sens, celle du Sang sur l’Or. Celle de l’Histoire et des identités sur l’utopie postnationale, universaliste, consumériste, multiculturaliste, etc. Faute d’avoir voulu reconnaître ses racines, fixer ses frontières, affirmer son identité et son indépendance, cette Europe-là se condamnait par avance à une telle issue. Y aura-t-il encore des forces, des idées, des volontés, pour relever le projet sur de justes bases ? 

  • Le droit de grâce, ce droit royal...

     

    par Jean-Philippe Chauvin 

     

    arton8470-7b8cd.jpgLe président de la République a la fibre républicaine (ce n’est pas forcément un compliment dans ma bouche), dit-on avec une certaine raison, et la dernière preuve en date (mais non l’ultime) est cette mesure de « remise gracieuse » de la peine de Mme Sauvage, mesure « mi-chèvre mi-chou » qui n’est pas exactement une grâce en tant que telle, et qui, à bien y regarder, dépend encore de la bonne volonté d’une Justice qui en a souvent le nom sans en avoir le sens véritable. 

    Pourquoi cette réticence à user du droit de grâce de la part de M. Hollande ? C’est encore et toujours ce vieux réflexe républicain de dénoncer tout ce qui peut paraître trop royal, ce droit étant un héritage de la Monarchie d’Ancien régime qui faisait que le roi, porteur de la main de justice depuis le sacre de Reims, pouvait ainsi gracier qui lui plaisait de sauver de la pendaison ou de la roue, mais aussi du bannissement ou de la prison. Droit peu démocratique opposé à la décision d’un jury populaire d’assises, considérée, elle, comme éminemment démocratique, avec tous les avantages et travers de la Vox populi : « le peuple a tranché ! », pourrait-on dire au soir du jugement, et l’expérience prouve que celui-ci est souvent moins conciliant que les souverains, en particulier en France, au regard de l’histoire.

    Je ne me prononce pas, ici, sur le bien-fondé ou non de la condamnation de cette femme, et je reste persuadé que le droit de tuer ne peut être attribué aux particuliers, quelles que soient les (bonnes ou mauvaises) raisons de l’acte fatal. Au-delà de la légitime défense (qui n’est pas un droit en tant que tel, mais plutôt un devoir ultime, en des circonstances particulières, heureusement rares), je ne ferai qu’une exception, mais là encore avec beaucoup de précautions, c’est celle d’une résistance à une occupation étrangère ou à une tyrannie avérée (même s’il faut, là aussi, rester prudent sur l’usage de ces notions, trop souvent galvaudées…), et cela tout en insistant sur le fait que tout n’est pas acceptable, même pour les meilleures raisons du monde. Ainsi, je suis plus proche d’un Monsieur de Bonchamps qui, en pleine panique vendéenne, ordonne, contre l’avis de ses hommes affolés devant la violence républicaine, la grâce pour les prisonniers « bleus » que d’un Thiers qui, au moment de la Commune, fait abattre tous les insurgés, souvent eux-mêmes incendiaires de Paris et fusilleurs d’otages, sur la seule présence de quelques poussières sur les mains… Et je n’oublie pas que ce massacre parisien, de par sa violence même, sera le véritable argument des républicains pour assurer ensuite leur République, désormais présentée comme la seule capable de garantir l’ordre, ou plutôt sa sinistre caricature… 

    Oui, le droit de grâce est éminemment royal, ce que l’on traduit par « régalien » en République, comme un hommage du vice à la vertu. Oui, ce n’est pas un acte démocratique mais j’oserai dire qu’il est, pratiqué, un acte profondément salvateur (et pas seulement pour la personne graciée…) pour toute société digne de ce nom car il inscrit la possibilité du pardon (une logique toute catholique, diraient certains) dans l’exercice de l’Etat, contre la seule logique de la légalité, d’une Loi qui, parfois, s’autojustifie en oubliant les particularités des situations humaines. La grâce n’est pas l’oubli en tant que tel, elle est le dépassement du passé et la possibilité de rompre avec une fatalité parfois malheureuse, elle montre la capacité de l’homme-souverain à « en finir avec de vieilles querelles », et le roi Henri IV, qui pourtant avait eu à souffrir des pires insultes et menaces, en usa de la façon la plus royale qui soit envers ses ennemis, rappelant en cela qu’il était bien le roi, celui qui décide, non pour le seul instant présent, mais pour les suivants… 

    Que nos républicains sourcilleux n’aiment guère ce droit de grâce se comprend mieux au regard même des histoires comparées de la Monarchie et de la République, et de leur conception d’un Peuple qui serait « un et indivisible », seule source de la Loi et seul souverain reconnu. Mais que le président n’ose assumer ni la grâce monarchique ni le vote populaire des jurés, dans une sorte de compromis étrange et assez lâche en définitive, montre à l’envi que, décidément, la République n’a plus à sa tête que des marchands de sable et non des hommes d’Etat susceptible de comprendre la nature propre de l’Etat et de sa légitimité indispensable, parfois même au-delà de la seule légalité… 

    Dans cette question de la grâce du Chef de l’Etat (président ou roi, selon les époques), je n’oublie pas les victimes de ceux qui sont (ou peuvent être) graciées, et je sais qu’il est des souffrances qui ne s’apaisent jamais, des questions sans réponse, des doutes affreux… Je ne les néglige pas, et je ne les écarte pas d’un revers de main. Je sais que le droit de grâce du souverain, qui lui aussi est faillible (ne commet-il pas une injustice, si le gracié est coupable ?), peut choquer et que les débats seront encore nombreux sur cette question : mais j’aime aussi à me souvenir de ce qui est rappelé à chaque messe de l’Eglise catholique : « pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »… Si le Chef de l’Etat lui-même ne sait pas pardonner, même la pire des offenses faites à la vie, qui osera le faire ? 

    Dans ses hésitations de dimanche, M. Hollande était bien le symbole d’une République qui rechigne toujours à dépasser ses principes d’une légalité « une et indivisible » et à assumer l’autorité légitime qui n’hésite pas, parfois, à être « au-delà » de la seule démocratie d’opinion : c’est l’éternel conflit entre Créon le légaliste et Antigone, qui se réfère à des lois plus hautes et, somme toute, plus humanistes... Il ne me semble pas inutile de le rappeler. 

    Le blog de Jean-Philippe Chauvin

  • Religions & Cultures • Adonis apostrophe l'Islam

     

    Par Péroncel-Hugoz

    En lisant l'essai ultra-percutant du plus fameux poète arabophone vivant, paru à Paris fin 2015, Péroncel-Hugoz a hésité entre « coup de dent » et « coup de chapeau » …

     

    peroncel-hugoz 2.jpgÉtabli en France de longue date, le Syrien Ali-Ahmed Saïd-Esber, alias Adonis, patriarche des lettres arabes (il est né en 1930), observait depuis quelque temps un silence accablé devant les malheurs de son Levant originel, auquel il doit le pseudonyme d'Adonis, symbole de Nature et Beauté dans le monde païen d'avant l'Islam. 

    Or voilà que cette auguste plume arabe vient de publier, en France, en français, un provocant livre de dialogues avec la psychanalyste maghrébine Houria Abdelouahed, maître de conférences à l'Université Paris-Diderot et auteur de « Figures du féminin en Islam » (PUF, Paris, 2012). Et ces entretiens, novateurs mais d'une rare brutalité, et toujours très crus, jettent le lecteur entre admiration pour l'époustouflante énergie du vieux poète et indignation ou stupéfaction devant ce qui, en définitive, est surtout une démolition en règle de l'Islam d'hier et d'aujourd'hui. 

    Certains lecteurs se sont demandés si n'avait pas joué, dans les motivations de l'auteur, son appartenance native au noçaïrisme ou alaouitisme, filière religieuse issue du chiisme, à laquelle appartient également le clan Assad au pouvoir à Damas depuis le putsch de 1970. Cependant, Lalla Houria, qui joue un rôle très actif au fil des 200 pages de ce volume est, elle, née sunnite et a été éduquée au Maroc. 

    Finalement, j'ai opéré un choix, forcément arbitraire, des citations d'Adonis qui m'ont paru les plus significatives de cet ouvrage, laissant le lecteur, surtout s'il est musulman, juger par lui même. 

    *

    ARABES

    - « Il n'y a pas aujourd'hui de culture arabe »

    - « Il n'existe pas de problématiques arabes parce que l'Islam a dominé la vision du monde arabe»

     

    CHIISME

    - « Lorsque j'ai écrit « Le fixe et le mouvant » [en arabe, Beyrouth, 1973], les universitaires m'ont accusé d'être un chiite déformant l'Histoire. Ils se sont attaqués à mon lieu de naissance [Cassabine, près de Lattaquié, en pays chiite-alaouite] (…) Depuis 15 siècles, la guerre arabo-arabe n'a pas cessé »

     

    DAECH

    - « Daech répète seulement le côté obscur de l'Histoire »

    - « Daech ne répète pas Averroés, Ibn-Arabi ni l'audace spéculative des moutazilites [qui disaient que le Coran est créé et non pas incréé] »

    - « Je vois en Daech la fin de l'Islam »

     

    DEMOCRATIE

    - « La démocratie vient de la sphère occidentale. La liberté n'existe pas dans le Texte [coranique], ni dans le contexte islamique »

     

    FEMMES

    - « Les Fémens ? Je ne suis pas contre ! »

    - « Le premier ennemi de la femme ce n'est pas l'homme. C'est la religion. »

    - « Les Algériennes ont été victimes de la mentalité archaïque qui continue à régner »

    - « L’État wahabite a détruit la maison de Fatima, fille de Mahomet, en 2006, à La Mecque, comme vestige de la rébellion féminine »

    - La femme est réduite à un champ de labour pour l'homme »

     

    HOMMES

    - « L'homme de l'Islam est un libertin »

    - « L'Islam a déformé la sexualité »

    - « L'homme tunisien préfère épouser une Algérienne ou une autre Arabe, car la Tunisienne est trop exigeante [suite aux lois féministes de Bourguiba] »

     

    ISLAM

    - « La culture arabe est une décadence si on considère ce qui lui était antérieur »

    - « L'Islam, puisqu'il est né parfait, combat tout ce qui lui était antérieur et tout ce qui est venu après »

    - « L'Islam, dès le début, a adopté les violences des guerres et conquêtes »

    - « L'Islam a tué la poésie »

    - « Les grands poètes comme Abou-Nouwas, El Moutanabi et El Maâri étaient contre la religion officielle »

    - « La mystique a toujours été marginalisée au sein de la culture musulmane »

     

    OCCIDENT

    - « L'Occident a œuvré pour empêcher l'éclosion d'une véritable gauche arabe »

    - « L'Occident politique soutient les fondamentalistes »

    - « L'Occident traite les Arabes comme des poupées ou des marionnettes »

    - « L'Occident ne cherche plus la culture, la lumière, l'avenir, le progrès. Il cherche l'argent »

    - « L'Islam est dans son essence anti-Occident »

     

    PRINTEMPS ARABE de 2011

    - « Ce n'est pas une révolution mais une guerre, devenue elle-même une autre tyrannie. Une guerre confessionnelle, tribale et non civique, musulmane et non arabe »

    - « Le recours à la religion a transformé ce Printemps en enfer. C'est une régression totale » 

     

    EN GUISE DE CONCLUSION…

    La psychanalyste Houria Abdelouahed, partenaire d'Adonis pour construire l'essai « Violence et Islam », cite une réflexion peu connue du penseur français gaulliste André Malraux, qui fut ministre des Affaires culturelles au début de la Ve République : « C'est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique. Sous-estimée par la plupart de nos contemporains. Aujourd'hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème de l'Islam » (3 juin 1956). 

    Bibliographie

    - Adonis. « Violence et Islam », entretiens avec Houria Abdelouahed, Seuil, Paris, 2015

    - Adonis. « El Kitab », œuvres poétiques en français, Seuil, 3 volumes

    - Haouès Seniguer. « Petit précis d'islamisme : hommes, textes, idées », l'Harmattan, Paris, 2013

    Peroncel-Hugoz

    Repris du journal en ligne marocain le 360 du 15.01.2016

  • Notre vieil « ennemi héréditaire », l'Angleterre ...

     

    En deux mots.jpgSi l'on doutait que les journalistes - notamment de radio et de télévision - fussent attelés sans relâche et sans vergogne à une fonction de pure et classique propagande, l'affaire du Brexit, la façon très monolithique, très « formatée » dont elle n'a cessé d'être présentée, en donne une illustration tout à fait claire. Le bourrage de crâne parle chez nous un langage moins brutal, plus doucereux, que celui des régimes totalitaires d'autrefois ou même d'aujourd'hui, mais le résultat est le même. Sans qu'on soit sûr qu'il ne soit pis.

    Les médias n'ont pas désarmé avec le temps. France Inter annonçait encore samedi matin, sous une forme à peine hypothétique, la fonte à venir des effectifs de la City. Ces derniers n'ayant plus d'autre choix que de gagner Frankfort ou ... Paris.

    À ce que l'on dit dans les cercles éclairés, Paris, en effet, ambitionnerait même de ravir à la City sa place de premier rang. On ne demanderait pas mieux dans ces colonnes, si c'était sérieux. Il est permis, peut-être même normal, d'essayer. On ferait bien, toutefois, à notre avis, de ne pas trop y compter. La place et le potentiel de la City dans les opérations financières du monde lui est acquise depuis si longtemps, les liens qu'elle a tissés partout sont si étroits, les habitudes si ancrées, que le plus probable est qu'elle la conservera.

    On se plaît encore à Paris, Bruxelles, et ailleurs, à supputer que le Brexit pourrait bien ne pas aller à son terme, que les Anglais pourraient, en langage gaullien, « caler» , faire machine arrière ; que les négociations de sortie de l'U.E. pourraient ne pas aboutir avant longtemps ; que l'économie anglaise en supporterait de si funestes conséquences qu'elle s'en repentirait assez vite... Bref, toutes espèces de circonstances de nature catastrophique devant amener, en matière européenne, l'opinion britannique à s'inverser.

    Cela nous paraît méconnaître la situation, notamment économique, de l'Angleterre post-Brexit, en réalité nettement plus florissante que la nôtre en ce moment, tout autant que la psychologie du peuple anglais et de ses gouvernants.

    L'Histoire nous enseigne plutôt que les Anglais - peuple et Institutions - après avoir longtemps débattu, s'être affrontés âprement sur la ligne à suivre, une fois la décision prise, s'y tiennent jusqu'à avoir atteint leurs objectifs. De l'entêtement des Britanniques, l'Histoire nous donne maints exemples : la période napoléonienne qui ne s'achève qu'à Waterloo, comme la Seconde Guerre mondiale que l'Angleterre a menée seule, face aux puissances de l'Axe, après le défaut de la France en juin 40, et jusqu'à ce que Russes et Américains entrent dans le conflit. De Gaulle dira qu'elle fut l'âme de cette guerre, finalement gagnée, et c'est sans doute vrai.

    51dW11FzjZL._SX195_.jpgL'actuel ministre des Affaires Etrangères de Grande Bretagne, Boris Johnson, l'ancien maire de Londres, a écrit sur Winston Churchill un gros livre foisonnant, écrit à la va comme je te pousse, construit le plus anarchiquement du monde, mais bourré de faits, d'anecdotes, de mots d'esprit et surtout rempli d'admiration pour le courage, l'héroïsme même, le patriotisme et le profond loyalisme monarchique de son grand homme, dont il est patent qu'il est son modèle et son exemple. Son livre enseigne ces vertus.

    Typique du fonctionnement des institutions britanniques, auxquelles les Français entendent généralement fort peu de chose, une sorte de maturation en cours chez les tories et, probablement, chez l'intéressé lui-même, semble en ce moment devoir pousser Boris Johnson vers le 10 Downing street, où il pourrait bien un jour assez proche succéder â la pâle mais décidée Thérèsa May. Sans-doute est-elle aussi parfaite patriote anglaise que lui, mais sans son panache.

    Ainsi, les fonctionnaires de Bruxelles devraient avoir affaire dans les mois qui viennent â de redoutables et efficaces négociateurs, tandis que les acteurs réels de toutes les formes d'activité européenne, économique et autres, seront - sont déjà - pressés de mettre en place les accords - désormais bilatéraux - qui permettront de la poursuivre. Avec ou sans Brexit, l'Angleterre ne cesse pas d'exister, les réalités de transcender les bouts de papier et les idéologies.

    La France ne devra pas être en reste, n'aura pas avantage à s'enfermer dans son tête à tête de plus en plus inégal avec l'Allemagne. L'égoïsme anglais, quoique sous d'autres formes, n'est pas moindre que celui de notre grand voisin d'Outre-Rhin. Face à cet égoïsme, celui de notre vrai et vieil « ennemi héréditaire », nous aurons souvent à dresser le nôtre, à défendre nos intérêts bec et ongles. Mais, en la circonstance, nous devrions avoir, avec l'Angleterre - et en tirer quelque parti - ce point de convergence fondamental : son obstination à conserver sa souveraineté.  •

    Retrouvez l'ensemble de ces chroniques en cliquant sur le lien ci-dessous

    En deux mots, réflexion sur l'actualité

  • Gouvernement : le « risque zéro » pour feuille de route, par Elisabeth Lévy.

    Source : https://www.causeur.fr/

    Big Mother is watching you

    Un pays dont le gouvernement affirme que préserver la santé des citoyens « est la première préoccupation » devrait davantage nous inquiéter.

     

    2.pngImagine-t-on le général de Gaulle dire aux Français « prenez soin de vous » ? Que le Premier ministre ait conclu sa conférence de presse par ces mots autrefois réservés à la vie intime, en dit long sur l’évolution de notre rapport à l’État, une évolution à l’œuvre depuis longtemps, mais que l’épidémie pousse dans ses retranchements. 

    Nous l’acceptons et en redemandons, l’État est aux manettes, de notre vie collective et de nos existences individuelles : pas l’État autoritaire, oppresseur, pour tout dire patriarcal, mais l’État nourricier et consolant, un État maternant, que le psychanalyste et écrivain Michel Schneider a baptisé Big Mother dès 2002. Cet État qui se manifeste moins par l’autorité que par la bonté répugne à montrer ses muscles quand cela serait nécessaire. En revanche, toute mère angoissée étant à ses heures abusive, il a la sollicitude étouffante et volontiers sermonneuse, comme le montre le zèle avec lequel policiers et gendarmes se sont mis à surveiller et punir des criminels en baskets et autres indisciplinés du confinement. 

    SOS Français en détresse, j’écoute !

    Puisque, comme nous l’a appris Agnès Buzyn, il n’y a plus de différence entre père et mère, disons qu’Édouard Philippe s’est montré très parental, donc un peu professoral sur les bords. Comme tous les parents, il répète pour que ça rentre – « lavez-vous les mains », « le 11 mai ne sera pas le 16 mars ». Et tel un prof soucieux de ne pas perdre le dernier de la classe, il souligne, en les redoublant, les phrases importantes : « la rentrée des classes sera progressive… La rentrée ne se fera pas en un jour ». Comme tout bon parent, nos gouvernants s’inquiètent pour nous. Olivier Véran nous a conseillé d’aller chez le psy si on se sentait mal. Le gouvernement va-t-il ouvrir une ligne « SOS Français en détresse » ? On pense à L’arrache-cœur, ce roman de Boris Vian dans lequel une mère, folle d’angoisse à force d’imaginer les dangers qui guettent ses bambins, finit par les mettre en cage. Allons-nous demander à l’État de nous mettre en cage pour nous protéger ? 

    Et puis, il y a eu cet aveu : « Préserver la santé des Français est notre première préoccupation ». En conséquence, assurer la continuité de la vie de la nation est seulement la deuxième. Bien entendu, il n’y a rien de choquant à ce qu’on s’inquiète de la santé des Français. Ce qui interroge, c’est que cette préoccupation jouisse d’une primauté de principe : n’est-ce pas la marque de peuples soucieux de sortir de l’Histoire ? Si de Gaulle avait pensé que la santé est plus importante que la continuité de la vie de la nation, il n’y aurait pas eu d’appel du 18 juin. La santé n’est pas une fin en soi, mais une condition du développement individuel et collectif (même si on peut être génial et malade). 

    Le risque porté disparu

    Cependant, il serait injuste de reprocher au gouvernement sa sollicitude. Elle répond en effet à une demande sociale irrésistible et folle de sécurité illimitée. Selon une étude CEVIPOF/Le Monde, 44 % des Français préfèreraient moins de démocratie mais plus d’efficacité

    Dimanche, pendant de longues minutes, ce titre s’est affiché sur BFM : « Écoles : peut-on rouvrir sans risque ? ». Eh bien non, on ne peut pas. Mais, sauf à vivre sous protection intégrale, donc sous perfusion, il faudra bien les ouvrir. Accessoirement, la comparaison avec les soldats qui sortaient des tranchées est un brin indécente. Du reste, il faut se demander pourquoi, à l’inverse des professeurs, les plus âgés refusent, eux, d’avoir la vie sauve au prix de l’assignation à résidence. « Laissez-nous vivre », clament-ils. Ce qui signifie aussi « laissez-nous risquer de mourir ». 

    Il ne s’agit évidemment pas de laisser agir l’épidémie sans rien faire. Que nous ayons sacrifié l’économie à la santé des plus fragiles témoigne en effet de notre humanité. Que nous refusions aujourd’hui de prendre le moindre risque témoignerait de notre lâcheté : avons-nous demandé aux caissières si elles voulaient risquer leur santé ? 

    Le gouvernement, pour le coup, ne nous a pas raconté de craques. Il nous a bien expliqué que nous pouvions ralentir l’épidémie, pas l’arrêter. Entretemps, nous avons dimensionné notre système hospitalier de sorte qu’il puisse accueillir tous les malades. Désormais, comme l’a rappelé Edouard Philippe, nous devons vivre avec le virus. Autrement dit, tous ceux qui ne présentent pas de facteur aggravant vont devoir courir un risque – raisonnable, pas nul. 

    La peur est légitime. Mais l’histoire humaine est faite de peurs surmontées, de risques affrontés et déjoués. Qu’on soit infirmier, professeur, vendeur ou banquier, on ne peut pas aller travailler sans risque. Et on ne peut pas non plus tomber amoureux, acheter une voiture d’occasion, découvrir l’Amérique ou un vaccin contre la rage sans risque. 

    Vivre tue. Ce n’est pas une raison pour arrêter. 

  • Le mammouth en marche ?

     

    Par Edouard de Saint Blimont

    Récemment, deux économistes ont donné une conférence à l’Ecole de guerre intitulée Le Jour d’après - le titre est évocateur - sur l’inéluctable crise économique qui vient, du fait notamment de l’effondrement de la démographie des pays occidentaux. Il convient donc, ont-ils souligné, que nos gouvernements s’engagent dans une politique nataliste vigoureuse, qu’ils ne rognent pas le budget de la défense car ce monde en crise sera nécessairement turbulent et qu’ils préparent les cerveaux à affronter « le jour d’après ». Si sur les deux premiers points, les acteurs politiques sont loin du compte, les mesures éducatives prises par Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale, ne vont-elles pas dans le bon sens ? 

    Demi-mesures ?

    Celles-ci semblent bien tourner la page du laxisme et de l’anarchie promues en principe de politique éducative par Belkacem. Elles manifestent d’abord le souci de restaurer l’ordre et la discipline : les portables qui transforment quotidiennement les élèves en autistes resteront dans les casiers, le port de l’uniforme est sérieusement évoqué et le redoublement serait à nouveau institué. Le ministre laisse le soin aux acteurs locaux de décider ou pas de la pertinence des activités périscolaires. Le travail est remis à l’honneur et les mesures prises rompent avec le vieux fantasme socialiste d’une école qui serait surtout un lieu de vie : les classes bilangues sont rétablies, l’enseignement du latin et du grec à nouveau promu, on veillera même à ce que les devoirs soient faits.

    Certes, on pourra toujours considérer qu’en recherchant surtout le consensus, le ministre sape ces mesures dans leur fondement. Deux exemples : le port de l’uniforme qu’il faudrait imposer par voie d’autorité serait laissé à la libre décision  des établissements mais alors si la diversité vestimentaire subsiste, l’uniforme cesse d’uniformiser ! On pourrait croire que l’opération devoirs faits invaliderait définitivement la thèse de ceux qui voulaient supprimer les devoirs à la maison au motif que ceux-ci amplifient les inégalités. En réalité, si les circulaires considèrent que les devoirs sont indispensables à une qualité de l’apprentissage … elles donnent aussi raison à « ceux qui y voient un risque d’accroissement des inégalités sociales. » C’est pourquoi, on les fera dans l’établissement. Le ministre pose ainsi des actes mais en laissant la possibilité au camp adverse de les discuter. Libéralisme quand tu nous tiens ! Ces mesures ont cependant pour elles d’introduire la possibilité d’une autre logique éducative.

    Neurosciences vs considérations sociologiques.

    Si Jean-Michel Blanquer souhaite obtenir le consensus sur des mesures qui répugnent à la sensibilité de gauche des acteurs éducatifs, il aspire en même temps à imposer comme une vérité transcendant tout débat les mesures en matière de lecture et d’orthographe. Exit la méthode globale : on remet à l’honneur la méthode syllabique. On a assez badiné avec l’orthographe. Dorénavant, une dictée par jour. Pour en convaincre définitivement les enseignants, le ministre s’appuie sur les travaux de Stanislas Dehaene, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France. Ce dernier, chargé de présider le conseil scientifique de l’Education nationale, considère qu’un apprentissage de la lecture par la méthode syllabique facilite très tôt le déchiffrement en libérant le cerveau pour d’autres tâches : « ce n’est que lorsque le décodage des mots devient automatique que l’enfant peut se concentrer sur le sens du texte », affirme Dehaene. Les recherches de Dehaene prouvent ainsi que la méthode syllabique est un instrument plus approprié que la méthode globale pour permettre à l’enfant d’acquérir des compétences authentiques en lecture. Blanquer rassure : il s’agit de convaincre, pas d’imposer.

    Retour du scientisme ? s’effraient les sociologues qui considèrent que cette approche revient à transformer l’enfant en rat de laboratoire, en faisant l’impasse sur sa psychologie, le contexte social dans lequel il se trouve, contexte qui détermine son désir d’apprendre. Lelièvre, Lussault, Meirieu, dont les inspirateurs sont, entre autres, les marxisants Bourdieu et Passeron, reviennent en force dans le débat pour défendre des positions dont la logique mène à l’inexorable abaissement du niveau.

    Quelle issue ?

    Il n’est donc pas certain que le mammouth se remette si facilement en marche. On peut craindre qu’il ne connaisse à nouveau un « grand hiver », pour reprendre le titre du beau roman d’Ismaël Kadaré, si ceux qui ont contribué à son perpétuel enlisement ne reprennent in fine le pouvoir, en faisant valoir que leur position est plus humaine que celle des neurosciences. Il est vrai qu’on ne peut faire valoir la suprématie des thèses neurocognitives si, dans le même temps, on admet la possibilité pour des thèses alternatives, pour ne pas dire contraires, de faire valoir leur point de vue. Il est urgent de sortir du consensus ou d’une logique strictement scientifique pour s’arrimer à une analyse philosophique qui fera apparaître les tenants de la pédagogie moderne pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des imposteurs, coupables d’avoir fait régresser les écoliers de France. Pour cela, il est urgent de définir les voies d’un redressement. Un ultime exemple le fera comprendre : Jean-Michel Blanquer veut qu’on donne à nouveau des repères chronologiques en histoire. Certes, mais à quoi servent les repères si on ne définit pas une direction ? On le sait mieux avec les travaux de Paul Ricoeur,  qui constitue une référence pour Emmanuel Macron : la narration historique s’effectue en lien étroit avec les attentes du présent. Or quelles sont-elles aujourd’hui pour nous, chrétiens soucieux de préserver notre civilisation des dérives qui la menacent ? Préserver notre civilisation de l’aventure islamique ? On lira alors avec profit Aristote au Mont Saint Michel de Sylvain Gouguenheim qui effectue une mise au point salutaire : ce sont les penseurs chrétiens qui ont été dans l’histoire les dépositaires, les traducteurs et les passeurs de la pensée grecque, sans laquelle notre civilisation ne serait ce qu’elle est. Les « penseurs » musulmans n’y sont pour rien. Veut-on écarter définitivement le spectre de la résurgence d’une révolution dévastatrice ? Tournons-nous vers Stéphane Courtois qui dresse la figure monstrueuse de Lénine ou vers  François Furet qui insiste sur les aberrations de 1789.

    Ce sont des travaux de savants… au même titre que ceux de Stanislas Dehaene, dans son domaine. J.M Blanquer serait bien inspiré de demander aux auteurs de manuels (puisqu’il favorise leur retour) d’intégrer les leçons de ces scientifiques pour construire un récit national qui nous soit enfin profitable. Et puis, cela nous évitera de tomber dans la stupide commémoration de 68 qu’on nous prépare.