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Rechercher : Rémi Hugues. histoire & action française. Rétrospective : 2018 année Maurras

  • ”Anemic cinéma”, par Michel Onfray.

    LES CÉSARS D'UN EMPIRE EFFONDRÉ

    Cette anagramme, Anemic cinema, est de Marcel Duchamp. A ce jour, elle a donc déjà plus d’un siècle… A l’époque où ce bon mot, qui est aussi une bonne idée, se trouve proféré, le cinéma lui-même est vieux d’une vingtaine d’année, c’est donc un art naissant.

    Si l’on en juge par ce qu’en fit Abel Gance dans Napoléon (1927) ou, rions un peu, avec… J’accuse (1919), le cinéma offrait de magnifiques potentialités esthétiques. C’était un art nouveau, au sens littéral du terme, comme le théâtre ou l’opéra le furent en leurs temps reculés, l’antiquité grecque pour le premier, le baroque italien pour le second, il s’agissait dans ce cas de l’Europe industrielle. On était en passe d’en attendre des chefs d’œuvre, il y en eut –la plupart en noir et blanc…

    michel onfray.jpgJ’ai parlé du théâtre et de l’opéra: ce sont des arts qui coûtent cher, au contraire d’une peinture ou d’une sculpture, d’un recueil de poèmes ou d’une partition pour instrument seul. Car, en plus des comédiens, des acteurs ou des chanteurs lyriques, il faut à l’auteur d’une pièce ou au compositeur d’un opéra, le lourd dispositif d’un lieu avec son personnel, des régisseurs, des costumiers, des comédiens, des metteurs en scène, des éclairagistes, des machinistes, des habilleurs, des coiffeurs, des maquilleurs, des directeurs, des administrateurs, des communicants, des publicitaires, des tourneurs –j’en oublie probablement… De sorte qu’un opéra n’est pas qu’un opéra, c’est aussi une aventure commerciale.

    Longtemps ce fut aussi, mais c’est maintenant devenu surtout une affaire commerciale. Car, depuis les pleins pouvoirs donnés au Veau d’or, autrement dit après l’ère post-gaulliste donc post-Malraux, les responsables de productions culturelles n’ont plus aucun souci  de la qualité d’un roman ou d’un opéra, d’un film ou d’une pièce: ils veulent enchaîner et accumuler les affaires rentables.

    Le cinéma, plus qu’un autre art, est une entreprise commerciale dispendieuse: il est à notre civilisation des machines l’équivalent des pyramides ou des cathédrales pour les civilisations des pharaons ou des rois de France. C’est un art Moloch, insatiable, qui exige pour nourriture des millions de dollars.

    Le film qui arrive en tête des ventes mondiales est américain, on ne s’en étonnera pas, il a pour titre: Avengers : Endgame. Les réalisateurs ont pour nom: Anthony et Joe Russo. Il a coûté 356.000.000 $ et rapporté 2.569.125.278 $: il a donc enregistré un rentabilité de 822 %. Qui dit mieux? Les trente films de ce classement mondial sont américains, seul le vingt-et-unième est anglais. Voici donc la mesure. Cette œuvre, disons-le tout de même avec ce mot-là, est classée dans le genre "super-héros"…

    Le cinéma n’est pas un genre neutre, bien au contraire: il est un art de masse qui permet d’imposer la mythologie américaine en lieu et place de la vérité historique.

    Par exemple: ce qui a eu lieu historiquement avec le débarquement du 6 juin 1944 n’a pas grand-chose à voir avec ce que montre Le Jour le plus long en 1962.

    Pour l’histoire: Pearl-Harbour a eu lieu le 7 novembre 1941, Hitler a déclaré la guerre aux Etats-Unis le 11 décembre 1941, le III° Reich travaille à une bombe atomique depuis 1939 et à des avions à réaction, qui effectuent leur premier vol en mars 1944 -l’ingénieur nazi Wernher von Braun qui pilote ce projet  sera embauché après guerre, sans passer par la case prison, par les Etats-Unis qui enverront le premier homme sur la lune grâce à son zèle. Les USA ne veulent pas qu’Hitler exporte cette guerre sur leur sol national. Ils décident donc de la mener en Europe, en commençant par la France, avec pour première hypothèse d’aller jusqu’à Moscou afin d’en finir avec le régime bolchevique. Pour ce faire, ils ont le projet de vassaliser la France: le nom de code du débarquement est Overlord, ce qui veut dire Suzerain. On ne peut mieux annoncer la couleur! Dans ce projet, la France libérée se fait immédiatement occuper par leurs libérateurs avec une politique coloniale ayant pour nom l’AMGOT (l’acronyme d’Allied Military Government of Occupied Territories, autrement dit Gouvernement militaire allié des territoires occupés). L’université de Charlottesville (Virginie) forme les cadres de cette vassalisation des Français; une monnaie est battue, des billets sont imprimés. La France sert donc de tête de pont à une opération militaire plus vaste qui vise à libérer l’Europe du national-socialisme, certes, mais également l’URSS du marxisme-léninisme. Le général de Gaulle réussira à contrecarrer ce projet américain. On connaît la suite, du moins je le suppose... Du vivant du général, la France reste souveraine. Ce qui ne sera plus le cas après son départ des affaires en 1969 et sa mort l’année suivante.

    Pour le cinéma: les Américains aiment tellement la liberté qu’ils auraient mis sur pied, bénévolement, gratuitement, généreusement, gracieusement, la plus grande opération militaire de tous les temps! Ils mobilisent pour ce faire des héros du cinéma: John Wayne, Robert Mitchum, Richard Burton, Henry Fonda, Curd Jürgens, Gert Fröbe, Mel Ferrer, Clint Eastwood, John Crawford, on trouve dans l’équipe des scénaristes Romain Gary et Erich Maria Remarque, l’auteur d’A l’ouest rien de nouveau, la société de production est la Twentieth Century Fox. Pour cette super production, pas moins de quatre réalisateurs sont embauchés -Ken Annakin, Andrew Marton, Darryl F. Zanuck, Bernhard Wicki et Gerd Oswald.

    En même temps, comme dirait l’autre, Bourvil, bien connu pour ses rôles d’abruti sympathique, joue celui du maire de Colleville, qui se trouve accessoirement résistant: neuneu à souhait, sot, niais, le jour du débarquement, après avoir écouté Radio-Londres sur la table de la cuisine, une radio sans fil électrique qu’il place ensuite dans le placard alors qu’elle distille encore ses messages, "Jean a de grandes moustaches" par exemple, le message qui annoncerait le jour du débarquement, Bourvil, donc, fait sauter un série de poteaux électriques en disant, la seconde qui suit, avec le style nigaud et benêt qu’on lui connait: "ça marche!", tout étonné en effet que ça puisse marcher… Une autre scène le montre avec un casque de pompier sur la tête, riant comme un crétin, apportant du champagne aux soldats américains virils qui ne mouftent pas alors qu’ils se trouvent dans le capharnaüm des plages du débarquement… Chacun aura compris que les Français sont des guignols, que les résistants sont des comiques, que les habitants des campagnes sont des arriérés et qu’il était temps que des soldats US viriloïdes arrivent pour remettre de l’ordre dans tout ça…

    De l’ordre, depuis, les Américains en ont remis: ce qu’ils n’ont pas réussi à imposer avec leurs troupes et leur administration empêchés par de Gaulle, ils l’ont obtenu avec leur plan Marshall qui, après leurs tapis de bombes destinés à détruire les villes de Normandie, leur a permis de financer la reconstruction de cette guerre, donc d’engranger des bénéfices considérables, donc de faire marcher à plein la machine économique yankee.

    Ils ont donc réalisé leur projet de vassalisation avec leur plan Marshall, certes, mais aussi, d’une façon magistralement gramscienne, en imposant leur mode de vie, le fameux American Way Of Life, dans lequel le cinéma n’a pas joué un petit rôle! Ajoutons à cela la fabrication du désir des objets de la société de consommation par la publicité: la télévision, la mode, le jazz, le rock, la bande dessinée, les cigarettes blondes, le chewing-gum, le coca-cola, le blue-jean, autrement dit: un Overlord light, un Débarquement cool.

    Qu’on se souvienne de la chanson de Boris Vian, La complainte du progrès, c’était en 1955, il listait les désirs des Français fascinés par le modèle venu d’outre-Atlantique: un frigidaire, un joli scooter, un atomixer, un Dunlopillo, une cuisinière avec un four en verre, des tas de couverts, des pelles à gâteau, une tourniquette pour faire la vinaigrette, un bel aérateur pour bouffer les odeurs, des draps qui chauffent, un pistolet à gaufres, un avion pour deux, une armoire à cuillers, un évier en fer, un poêle à mazout, un cire-godasses, un repasse-limaces, un tabouret-à-glace, un chauffe-filous, un ratatine-ordures, un coupe-friture, un efface-poussière, un chauffe-savates, un canon à patates, un éventre-tomates, un écorche-poulet. C’est avec ce vide-grenier, chacun a pu le voir depuis, que la civilisation occidentale est devenue grande…  

    Le cinéma comme art français inventé à l’époque de l’affaire Dreyfus, est donc devenu un commerce américain qui fournit le paradigme mondial de la profession.

    Certes, il existe deux extrémités à ce bâton sans bois: le cinéma intellectuel, onaniste et cérébral, ennuyeux et narcissique, snob et prétentieux, un cinéma de cinéphiles, celui de Godard s’il faut un nom, ou bien encore de Béla Tarr, et un cinéma de distraction, disons celui des Tuche, méprisé par les amateurs du premier, une situation qui se modifiera  peut-être dans un demi-siècle quand les intellectuels du moment agiront comme Olivier Mongin ou Valère Novarina qui découvrent ces temps-ci la supposée profondeur de Louis de Funès en estimant que Le Gendarme de Saint-Tropez mérite désormais de figurer dans la liste qui commence avec Méliès et Gance… Télérama et France-Inter, France-Culture et L’Obs, si tout ça existe encore, gloussera en citant Les Tuche à l’Elysée -qui sait d’ailleurs, peut-être y seront-ils, l’Etat profond pourra se  permettre de les y placer puisqu’il sait bien que le pouvoir véritable se trouve ailleurs…

    Le cinéma fait donc partie de cet Etat profond qui, avec les médias et les banques, la finance et l’édition, la classe politique et l’université, reproduisent une idéologie sans jamais l’interroger.

    Sur les questions de l’islam et de l’immigration, de la cause LGBT et de la marchandisation des corps, du réchauffisme et du capitalisme vert, de l’écologisme et du marché, de l’abolition des frontières et du gouvernement mondial, en un mot: de la transformation de la planète en vaste marché  dans lequel tout se vendrait, et où, donc, les riches réduits à la portion congrue seraient les rois du pétrole pendant que les pauvres, devenus un sous-prolétariat mondial, vivraient une condition pire que celle des esclaves, sur ces questions, donc, il n’y aurait rien à dire ou à penser, mais tout à réciter sans jamais se demander qui a écrit ce catéchisme ultra-libéral et pour quelles raisons.

    Après la dernière cérémonie des Césars, fut-il dit, plus jamais rien ne serait comme avant: en effet, tout le monde a désormais compris comment fonctionnait ce petit milieu incestueux. La machine s’est trouvée mise à nu, on a vu ses rouages. En vertu du principe hégélien de ruse de la raison, cette catégorie sociétale se fait le porte-voix d’une cause qui les asservit. Ils sont les bourreaux et les victimes -"Héautontimorouménos" aurait dit Baudelaire, le marteau et l’enclume, la gifle et la joue. En effet, ils dénoncent un monde dont ils vivent et se font, de ce fait, les courroies de transmission de l’idéologie du moment en croyant incarner une avant-garde alors qu’ils ne sont que des chiens de garde.

    Sous régime fasciste, sous régime vichyste, sous régime nazi, sous régime communiste, sous régime franquiste, sous régime maoïste, sous régime capitaliste, sous régime libéral, sous régime maastrichtien, sauf rares exceptions, le cinéma est toujours l’un des engrenages de l’idéologie dominante. De la même manière que le cinéma américain est un cinéma de propagande qui défend son idéologie partout sur la planète, le cinéma européen vend la camelote maastrichtienne égocentrée, narcissique, célébrant avec force encens les mantras qui imposent la tyrannie des minorités. Dans un grand geste d’auto-congratulation, cette idéologie se nomme progressiste alors qu’elle n’est que progrès dans le nihilisme.

    J’ai lu avec plaisir un livre enlevé et drôle d’Eric Neuhoff intitulé (Très) Cher Cinéma français (Albin Michel). Dans ce texte voltairien, il dénonce ce cinéma exsangue mieux que je ne pourrais le faire avec force exemples et quantité de détails.

    Le cinéma a cessé d’être un art, faute de combattants ; il est devenu un marché, il a pour commerciaux, des voyageurs de commerce allant de festival en festival, des légions armées; le nom de leurs maréchaux se retrouve dans la liste bidon des Français prétendument préférés des Français.

    Le paradoxe du comédien de Diderot a trouvé sa résolution: un grand nombre de gens qui font profession de changer d’identité tous les jours, plusieurs fois par jour même pour certains, s’offrent une difficile identité en ville à moindre frais. Rien n’est plus simple dans cas cas-là que d’enfiler les idées du jour comme un imperméable dont on se défait le moment venu. Or, ce vêtement est un uniforme -mais, ne leur dites pas, ils l’ignorent sous prétexte qu’il est signé par de grands couturiers…

    Michel Onfray

  • Fatalité républicaine : des partis discrédités, toujours présents.

     

    Par Yves Morel

    On ne parle que de recomposition, de reconstruction, à gauche, à droite, au centre. On fait comme si du neuf pouvait sortir de l’ancien, comme si le régime des partis était améliorable. Sans tenir compte de la désaffectation criante des Français. 

    Assistons-nous à la fin du règne des partis ? On pourrait le croire. À ce jour, seulement 1% de nos compatriotes adhèrent à l’un d’eux, alors qu’ils se comptèrent jusqu’à 20% durant la période 1945-1978, et encore 10% durant les années 1980. 1%, un chiffre bien inférieur à celui des autres pays comparables au nôtre : Royaume-Uni (15%), Allemagne (7%), Italie (8%), Espagne (9,5%). Et surprenant en une nation gangrenée par la contestation permanente et l’idéologie.

    Mais justement, les Français sont saturés de politique et d’idéologie ; à cela s’ajoutent leurs déceptions à l’égard de gouvernements incapables de résoudre les difficultés dont ils souffrent et qui ont fait perdre au pays ce qui lui restait de puissance.

    Réduits au rôle de machines électorales

    À quoi s’ajoute encore l’évolution du rôle dévolu aux partis sous la Ve République. Cette dernière, selon le vœu de son fondateur, s’est, d’emblée, voulue hostile au « régime des partis » et a fait du Président de la République, élu au suffrage universel direct, le personnage clef de la vie politique, doté de tous les pouvoirs. Et, suivant l’expression consacrée, son élection est devenue le « temps fort » de cette vie politique. Dès l’époque du général de Gaulle, les députés du parti majoritaire sont devenus des « godillots », suivant une autre expression consacrée. Et la réforme du quinquennat a accentué cette tendance. Désormais, les législatives, intervenant immédiatement après la présidentielle, ont pour seul rôle de donner au nouveau maître de l’Elysée une majorité parlementaire. Or, les partis s’affrontent bien davantage lors des législatives que pendant la présidentielle, où les candidatures sont personnalisées à l’extrême. Et, de ce point de vue, les « primaires » n’ont rien arrangé, au contraire, puisque ces élections inconstitutionnelles font s’affronter les caciques d’un même parti, mettant en lumière les profondes divisions qui grèvent les partis; les citoyens finissent par penser que ces derniers n’ont aucune cohérence idéologique et politique. Résultat : ils ne croient plus ni aux hommes politiques, ni aux partis. À leurs yeux, ces partis ne sont plus que de simples machines électorales au service de notables ambitieux.

    Une logique républicaine infernale

    De surcroît, nécessité faisant loi, leurs dirigeants, lorsqu’ils exercent le pouvoir, font tous grosso modo la même politique, Ajetant à la corbeille leurs promesses électorales.

    Car il faut bien promettre ce à quoi aspirent les électeurs pour capter leurs suffrages, même si on sait qu’on ne pourra tenir ces promesses. Un homme politique qui tiendrait le langage de la vérité n’accéderait jamais au pouvoir.

    De même les partis, lesquels n’intéressent plus personne, quand ils n’écœurent pas tout le monde.

    Mais cette crise des partis est tout simplement celle de notre démocratie. Elle en révèle l’absurdité foncière. Des problèmes se font jour ; on ne s’entend pas sur les solutions, pas plus que sur un « projet de société » ; donc, on vote, c’est-à-dire qu’on se prononce pour tel parti qui, concurremment avec ses adversaires, propose son programme ; mais, sauf en période faste (et encore), la réalité ne s’accommode pas des idées et des programmes, il faut composer ; on s’incline devant la loi d’airain de la nécessité, et on opte pour un compromis qui revient à poursuivre peu ou prou la politique du prédécesseur qu’on critiquait ; mais il ne faut pas décevoir l’électorat : on prétend donc avoir tenu ses promesses, en usant d’un discours abscons et emberlificoté, et on continue à mentir pour être réélu ; et ainsi, les gouvernements se succèdent en faisant tous la même chose, sans l’avouer… et en ne résolvant aucun des problèmes en suspens, dans la mesure où ils sont bridés par les échéances électorales, lesquelles les privent du temps et des moyens d’agir efficacement.

    Voilà la logique infernale de notre système politique. Il en va de même dans tous les pays démocratiques, mais, en France, ce travers fondamental se trouve aggravé à la fois par notre tradition étatique qui fait reposer toute la société sur l’État, et par notre tradition révolutionnaire, qui renforce puissamment cette tendance et instille en notre nation un esprit permanent de contestation et de revendication.

    Au terme du processus – et nous semblons y être arrivés –, notre nation est gavée à vomir, épuisée, exténuée. Et les électeurs boudent les urnes : rappelons que le taux d’abstention grimpa à 25 % au second tour de la dernière présidentielle, à 57 % aux législatives qui suivirent. Nos députés sont les élus d’une minorité. La machine politique tourne à vide. La recomposition de la droite, la recomposition de la gauche qui font les choux gras de la presse, ne donneront rien d’autre que des luttes plus acharnées et des divisions plus violentes. Pour quel résultat ?

    Macron et LREM : renouveau de pure apparence

    Emmanuel Macron et ses troupes ont tiré avantage de cette désaffection. Le triomphe de La République en marche (LREM) en procède, avec ses 308 députés qui ont provoqué un renouvellement de 75 % de l’Assemblée nationale. Mais cela ne dure pas : la popularité du nouveau et fringant président s’effondre à une allure vertigineuse, et les nouveaux élus étalent leur inexpérience ; ils font naître doute et irritation chez les Français, en particulier leurs électeurs, lesquels en viennent à regretter leur choix. Et, quoique limitées à un corps électoral restreint, les dernières sénatoriales attestent de cette tendance.

    C’est que, dans une certaine mesure, leur vote du printemps était protestataire. D’une façon moins évidente que celui des électeurs du Front national ou de la France insoumise, mais certaine. En effet, ce scrutin ne signifiait pas vraiment qu’ils tournaient enfin le dos aux idéologies, aux projets de société et programmes utopiques, aux promesses en l’air, et qu’ils optaient en faveur du réalisme. Cependant, dans le vote Macron, se signalait pareillement un rejet du système des partis dont le bénéficiaire a su jouer à sa façon. Mais rien n’était clair. Certes, les électeurs étaient déniaisés, mais ils ne se soumettaient pas pour autant au principe de réalité. Et, lorsque Macron met en œuvre, conformément à ce qu’il avait annoncé, sa réforme du droit du travail, ou quand il prépare un budget d’austérité ou restreint les aides de l’État aux collectivités locales, les Français manifestent leur exaspération à l’encontre des mesures drastiques qu’ils supportent depuis des décennies. Autrement dit, rien de nouveau sous le soleil. Le grand ménage opéré au sein de la classe politique et de l’Assemblée nationale par Macron et LREM, qui ont évincé les vieux caciques et les partis traditionnels, n’inaugure nullement une ère nouvelle empreinte de raison, de réalisme et de courage. La mentalité des Français n’a pas changé. De même le paysage politique. Après tout, que sont les figures en vue de LREM, sinon des notables PS et LR recyclés ? Et la politique conduite par le présent pouvoir ne diffère pas de celle de ses prédécesseurs.

    On ne choisit ni ne change les contraintes du réel

    Et, là, il convient de clarifier la situation. Pourquoi et en quoi cette politique devrait-elle changer ? Les Français changent de dirigeants chaque fois qu’ils sont mécontents des sacrifices que leur réclame une politique destinée à sortir le pays du marasme. Or, ces sacrifices sont inévitables, et cette politique est nécessaire. De plus, elle ne peut pas produire d’effets bénéfiques sensibles avant de longues années, dont la durée d’ensemble excède de beaucoup le temps d’une législature ou d’un mandat présidentiel. Aussi, chaque président se voit conduit à édulcorer et tronquer sa politique de redressement en raison de la contrainte électorale permanente, tout en ayant soin de donner des gages démagogiques à ceux qui veulent le voir prendre le contre-pied de son prédécesseur. D’où une instabilité permanente au sommet de l’État et une politique incohérente et cahoteuse, même si, sous l’empire de la nécessité et de la contrainte extérieure (l’Europe et la mondialisation), elle va toujours dans le même sens (celui de l’austérité et du bradage continu de notre souveraineté et de notre indépendance dans tous les domaines). Nos hommes politiques, aspirant à conquérir ou reconquérir le pouvoir, évoquent « la seule politique possible » et proclament leur refus des promesses mensongères, tout en annonçant une amélioration rapide de la situation du pays et des conditions de vie des Français, du fait de leurs initiatives. Or, l’indispensable redressement ne peut jamais être entrepris et, de toute façon, son déroulement serait long, et ses fruits ne seraient accessibles qu’à long terme, après que deux générations de nos compatriotes auraient mangé de la vache maigre.

    Une illusion obsédante entretenue par le système

    Notre système interdit l’acceptation de cette vérité, pourtant évidente à l’esprit des Français, même des plus contestataires. Il l’interdit en raison de ses principes et de sa dynamique. Ce système dit en effet au citoyen qu’il a le choix entre plusieurs politiques possibles, plusieurs projets de société, plusieurs programmes, que l’on choisit comme parmi des articles d’hypermarché. Et il ajoute que s’il n’est pas satisfait de l’un d’eux, il peut opter en faveur d’un autre, et que cela est on ne peut plus conforme à la logique et à la bonne santé de la démocratie. En clair, il entretient et stimule sempiternellement le mécontentement, la contestation et la revendication. Partant, il empêche les Français de tirer les conclusions de cette vérité que pourtant ils discernent intuitivement : que la situation dramatique de leur pays appelle une œuvre de relèvement de longue haleine, impliquant des sacrifices durables, et pour laquelle il n’existe aucune autre option moins douloureuse. Il n’y a pas d’alternative, contrairement à ce que l’on fait croire, pas de choix.

    Un pouvoir impuissant, des Français enfermés dans leur révolte et leur obsession contestatrice, voilà le résultat – logique, au demeurant – de notre république fondée sur des principes révolutionnaires, individualistes et égalitaires. Jamais le caractère fondamentalement mortifère de ce système n’est apparu avec autant d’évidence qu’à notre époque de déchéance.

    L’opposition frelatée des partis protestataires

    Et, corollaire de cette incapacité de notre nation à se rassembler autour d’un pouvoir fort pour se relever, les formations politiques protestataires continuent de croître et fleurir sur le terreau du mécontentement, lors même que leurs propres sympathisants les savent dans l’erreur. Le « leader » de La France insoumise, vulgaire bateleur d’estrade, est pourtant perçu comme inapte à gouverner par 66 % de nos compatriotes ; et cette proportion est la même que celle des électeurs qui, le 6 juin dernier récusèrent Marine Le Pen, présidente du Front national, au profit de Macron. Et cependant, ces deux « incapables » – à en croire les Français eux-mêmes – représentent la seule opposition visible à Macron. C’est que tous deux incarnent on ne peut plus l’enkystement des Français dans leur imaginaire républicain. Jean-Luc Mélenchon, dans ses harangues, convoque toute les grandes figures de l’histoire républicaine et des mouvements sociaux, à titre de symboles de la France contemporaine née de la Révolution, debout contre le pouvoir macronien qui voudrait l’enterrer. Marine Le Pen, elle, se veut le dernier défenseur de la vraie France républicaine, à la fois patriote, populaire, cocardière mais généreuse, contre la dissolution de son identité dans l’Europe, le néo-libéralisme sans frontières et le melting pot international. Il est permis de préférer ce qu’il y a de plus réellement national. Bien sûr, et le départ de Philippot resolidifie quelque peu un certain électorat, mais pour aller où ? Le patriotisme se doit d’être éclairé. Rien ne sortira de formes frelatées de patriotisme, qui nous enferment dans notre modèle républicain dont la faillite est patente aujourd’hui, et qui nous étiole complètement, nous condamnant à la cécité volontaire et à la mort par paralysie et immuno-déficience.

    La guérison ? impossible ?

    Les Français d’aujourd’hui ne croient plus ni au pouvoir en place, ni à ceux qui le contestent. Ils devraient s’en débarrasser, faire leur révolution, la vraie ! Ils ne la font pas, car notre système a émoussé leur intelligence et les voue à une oscillation constante entre illusions obnubilantes et fatalisme. Et ainsi, subsistent des partis inutiles et décrédibilisés, la révolution que nous évoquions à l’instant se ramenant à congédier temporairement les plus usés d’entre eux en faveur d’un nouveau mouvement (LREM) qui n’est que leur synthèse. Il est sans doute dur de conclure qu’il n’y a aucun avenir dans le cadre des institutions actuelles. Il faut dès maintenant penser au-delà.   •

    Yves Morel

  • Tout ça pour ça..., par Michel Onfray.

    Source : https://francais.rt.com/

    Quelles conclusions tirer du remaniement ministériel censé apporter un second souffle au quinquennat ? Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il poussé vers la sortie Edouard Philippe, pourtant populaire selon les sondages ? Michel Onfray livre son analyse.

    Il est facile d’entrer dans un cerveau simple. On ouvre une porte, et, comme dans un moulin, on entre et on regarde : ce que l’on voit est simple comme le mécanisme simpliste et simplet d’un jouet d’enfant. Le remaniement ministériel du demi-mandat d’Emmanuel Macron en est un.

    michel onfray.jpgPremière leçon : lui qui a perdu les deux élections intermédiaires de son mandat, les européennes et les municipales, s’est débarrassé de son Premier ministre qui, s’il n’était pour rien dans sa première Bérézina, a emporté son Marengo haut la main dans sa ville du Havre. 

    Qu’on se souvienne des effets de menton et du ton de matamore de Macron sur toutes les ondes : il n’était pas question que le Rassemblement national gagne les européennes, c’eût été le retour d’Adolf Hitler et, pour le Jean Moulin qu’il voulait incarner, une offense personnelle. Or, il a perdu. Qu’a-t-il fait? Il a dit que perdre de si peu c’était gagner… Les journalistes, aux ordres, ont acquiescé et repris ad nauseam les éléments de langage fournis par l’Elysée. Dont acte. 

    Bien sûr, ce jeune garçon qui ne perd pas une occasion de prétendre que le général de Gaulle est l’un de ses modèles n’a rien fait ! Il est certain que, dans la même configuration politique, le général aurait entendu ce que lui disait le peuple et répondu à son propos de façon adéquate : soit un changement de Premier ministre avec remaniement ministériel aux couleurs du parti gagnant ou, plus probable, une démission et une dissolution de l’Assemblée nationale, sinon un référendum, pour reconstituer un pacte entre le peuple et lui. Que fit le gaulliste en peau de lapin qu’est Macron ? Rien… Mais, quand on connaît le personnage, et on ne peut plus l’ignorer tant il s’est répandu, on ne s’étonnera pas qu’entre le courage et la couardise il n’ait pas choisi le premier ! 

    Les sondages étaient bons pour Edouard Philippe. Sa cote de popularité faisait honte à la sienne. Plus le Premier ministre grimpait, plus le chef de l’Etat chutait. L’Edouard caracolait en tête ; l’Emmanuel courait, poussif, derrière le char de son subordonné. Le second était premier ; le premier, très largement son second. Le second crut qu’en jetant l’attelage de son rival au fossé il serait premier à sa place. Le président de la République a trop regardé Ben-Hur et pas assez lu les historiens romains (ce qu’Edouard Philippe, lui, a fait, du moins : il connaît les livres sur Rome de mon vieux maître Lucien Jerphagnon, il l’a écrit…). Il y a du Néron chez Macron et du Marc-Aurèle chez Edouard Philippe. 

    Du Marc-Aurèle ? Oui, car cet homme, dont je ne partage pas la ligne politique, semble avoir une ligne existentielle droite et verticale qui fait plaisir à voir. En plus de deux années d’exercice du pouvoir, il ne s’est rendu coupable d’aucun doigt d’honneur, même par procuration, d’aucune grossièreté, d’aucun mépris, d’aucune vulgarité, d’aucun mensonge, d’aucun narcissisme, d’aucun égotisme, d’aucun travestissement. Feue Sibeth Ndiaye n’a jamais eu besoin de lui tricoter une quantité de panoplies de rechange pour faire avaler l’une de ses insultes, l’un de ses dérapages, l’un de ses propos méprisants, l’un de ses changements de pied… On ignore le visage de sa femme et l’on ne sait rien de sa famille, il ne nous a pas gratifié de publireportages dans Gala ou Voici sur son chien et ses enfants, sa maison de campagne et ses lectures, on ne l’a vu ni en short ni en maillot de bain, il n’a pas tenu par la main son épouse un jour d’obsèques nationales – je songe à celles de Simone Veil… 

    Si Edouard Philippe disposait de cette cote c’est probablement parce que, au-delà de la politique qu’il menait, il a été un homme digne et élégant. Or, depuis Sarkozy et Hollande, les Français en ont assez de l’indignité et de l’inélégance. Ils ne veulent plus forcément changer l’ordre du monde, encore que, mais ils souhaitent que ceux qui les représentent, même s’ils ne peuvent plus faire grand-chose depuis 1992, manifestent de la hauteur, de la grandeur, de l’éducation, de la distinction. Ils ne veulent pas d’un président faisant son footing en short et grimpant les marches de l’Elysée en sueur comme Sarkozy, ils refusent un François Hollande livreur matutinal de pain au chocolat en scooter à sa maîtresse, ils ne désirent pas un Macron validant les photos obscènes qui le représentent aux Antilles dans des postures indignes d’un chef de l’Etat. Ils souhaitent un homme debout. Avec Edouard Philippe, nous avions un homme debout. 

    Et c’est parce que le peuple avait en Edouard Philippe un homme debout que le président de la République, qui n’en est pas un, l’a congédié. A moins, on le saura peut-être un jour, que ce soit le Premier ministre qui n’en pouvait plus de devoir composer avec ce genre de chef de l’Etat et qu’il ait pris l’initiative, lui, de retourner dans sa bonne ville du Havre. 

    Car, on peut légitimement se le demander : pour quelle raison Emmanuel Macron s’est-il séparé d’Edouard Philippe, qui était le seul atout de son gouvernement ? Qu’il se sépare de Castaner, un ministre de l’Intérieur qui donne le baiser mafieux aux délinquants en même temps qu’il accable la police, de Sibeth Ndiaye qui affirme haut et clair que son métier consiste à enfiler les mensonges pour préserver le chef de l’Etat, ou de quelques autres ânes morts de son gouvernement, on le comprend. Mais Edouard Philippe ? 

    La résolution de cette fausse énigme est simple : Macron ne veut pas d’un homme qui lui fait hypothétiquement de l’ombre tout de suite et, pour ce faire, il fait tout ce qu’il faut pour qu’il lui en fasse vraiment demain ! Voire : pas même demain, car, dès cette démission, Edouard Philippe devenait un présidentiable crédible qui rejetait Macron loin derrière – parlons vulgairement : au moins en troisième position après Edouard Philippe et Marine Le Pen aux prochaines présidentielles… 

    Macron croit tuer Philippe, mais c’est lui qu’il frappe. Sauf à ce que ce Philippe ait pris l’initiative de partir, ce qui serait alors le geste d’un Brutus sans poignard qui, élégant une fois encore, tue plus sûrement qu’avec une lame. 

    Personne ne croit à cette mission que le Président lui aurait donnée, pendant les deux années à venir, de constituer une majorité présidentielle en ordre de marche pour travailler à la réélection du chef de l’Etat ! Qui peut croire qu’un subordonné pourrait donner ce genre d’ordre à son supérieur ? 

    Car, c’est la seconde leçon de ce remaniement : à quoi ressemble l’après Edouard Philippe ? A un spectacle de chaises musicales dans la salle polyvalente d’un village de province… Jean Castex est un perroquet qui va répéter le texte que Macron, dans le trou du souffleur, lui dictera. Ce Pyrénéen a beau rouler des épaules en disant qu’il ne sera pas un faire-valoir ou un collaborateur : or, il a été choisi pour ça. Pour quoi d’autre sinon ? Son passé ? Sa trace dans l’histoire ? La renommée de son nom ? Sa réputation au-delà des frontières de la France ? Il va vers soixante ans : qu’a-t-il fait de notable pour la France dans ce dernier quart de siècle ? Emporter la mairie de Prades ? Soyons sérieux, il n’a même jamais été élu député… 

    Quelques jours plus tard, Emmanuel Macron lui inflige son premier camouflet : Castex dit qu’il va parler dans quelques jours, et quand ; Macron le reprend : il parlera après lui, donc après l’allocution du 14 juillet. C’est la première humiliation, il y en aura d’autres. 

    Si Macron avait voulu s’inspirer du général de Gaulle, la chose était simple : soit il estimait, c’est mon cas, que la première leçon était une abstention à 60 % et il décidait alors, pour y répondre, d’une véritable révolution en changeant la constitution pour fonder un nouveau contrat social avec démocratie directe, recours aux référendums, instauration de la proportionnelle intégrale, élection du président de la République au suffrage universel à un tour. Soit il nommait Premier ministre l’un des grands gagnants de cette élection perdue pour lui, franchement perdue pour lui : un écologiste. Cette écologie urbaine et mondaine n’est certes pas la mienne, mais je suis un démocrate et un républicain : ils ont gagné, le président devait leur remettre le pouvoir. 

    La raison noble, gaullienne et gaulliste, l’aurait voulu, elle l’exigeait même : le chef de l’Etat, élu au suffrage universel direct, doit entendre ce que lui dit son peuple d’ici la fin de son mandat lors des élections intermédiaires. Le contrat social rompu par un vote contre lui (une fois aux européenne, une seconde fois aux municipales, et ce en deux ans seulement…) oblige le chef de l’Etat, qui n’a de droits que ceux que les devoirs envers son peuple lui dicte : répondre à la demande du peuple. A défaut de refonder la République, un trop grand chantier pour le petit chef de l’Etat qu’il est, Macron pouvait, devait même, nommer ceux qui, en dehors des abstentionnistes, avaient gagné cette élection : les Verts. 

    La raison ignoble et mitterrandienne l’aurait voulu aussi. Car c’eût été, en plus, une bonne opération électoraliste pour lui, mais pas forcément pour le pays : Macron aurait ainsi mis les écologistes urbains au pied du mur et montré à la face du pays leur impéritie à conduire les affaires de l’Etat dans un monde qui est loin d’obéir à leur idéologie simpliste. Il aurait ainsi mis à jour le fait qu’il y a autant d’écologies que d’écologistes ; que le spectre va des écologistes mondains et bobos à la Borloo ou Juppé aux islamo-gauchistes radicaux genre Esther Benbassa, en passant par les apocalyptiques du style Cochet ou les ultra-motorisés allumés genre Hulot, sans oublier les idiots utiles du capitalisme mondialisé tel Cohn-Bendit ; que l’éolien est plus polluant que le nucléaire ; que la religion de l’écologisme indexée sur Greta Thunberg n’a pas grand-chose à voir avec les petits calculs électoralistes des dévots de la trottinette à Paris… C’eût été l’occasion pour Macron de montrer aux écologistes qu’ils n’étaient jamais aussi forts et désirables que dans l’opposition. Il aurait pu ainsi aborder les prochaines présidentielles débarrassé de cette menace que, par son incapacité à faire ce choix, il va nourrir et engraisser pendant deux ans ! Il aurait laissé derrière lui un cadavre exsangue, il aura devant lui un géant aux mains d’autant plus propres qu’il n’aura pas de mains – que les mânes de Péguy me pardonnent le détournement de son image… 

    Or la constitution de ce nouveau gouvernement, la chose a été dite sur toutes les ondes, procède du classique équilibrage de politique politicienne… Celui qui se veut de Gaulle agit comme un vulgaire président du conseil de la IVe République. Macron, c’est Pinay. Guère plus, guère mieux, guère au-delà.  

    Car ce nouveau gouvernement recycle de mauvais ministres (Riester passe de la culture au commerce extérieur, Schiappa passe des femmes à la citoyenneté), il en écarte tout de même de francs mauvais (Castaner, Ndiaye, Belloubet, Pénicaud), il promeut des opportunistes (Pompili qui fut EELV, puis Parti écologiste, puis socialiste chez Valls et Cazeneuve, puis LREM, est enfin macroniste ; la pharmacienne Bachelot, qui fut chiraquienne sous Chirac, sarkozyste sous Sarkozy, fillioniste sous Fillon et désormais macroniste sous Macron, prend la suite de Malraux), il maintient un apparatchik du parti socialiste très efficace en matière de ventes d’armes aux monarchies pétrolifères du Golfe (Le Drian), il confirme des traitres passés des Républicains à Macron (Le Maire, Darmanin), il valide même un ovni qui, contre la règle imposée à tous, a le droit d’être maire et ministre, puis nommé à l’Intérieur bien que poursuivi en justice pour une affaire de viol (Darmanin), il en frustre un qui fut bon en son temps dans son domaine mais qui, en se faisant par trop courtisan, a épousé la chute de son maître en pensant qu’il travaillait à sa nomination à Matignon (Blanquer), il promeut un va-de-la-gueule à la justice (Dupond-Moretti) présenté comme un Jean Valjean défenseur des pauvres, mais qui fut celui du président congolais, de Balkany et de Cahuzac. 

    C’est probablement ce que Macron appelait «se réinventer» et «emprunter un nouveau chemin» ! Mais c’est un chemin qui ne mène nulle part ! 

    Michel Onfray

  • Covid et jacobinisme, par Michel Onfray.

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    Nihilisme & post vérité

    Quoi de neuf depuis la publication de La Vengeance du pangolin, qui rassemblait en septembre dernier les textes que j’ai publiés depuis l’annonce de cette épidémie en Chine neuf mois plus tôt? Réponse: le triomphe généralisé de la post-vérité, autrement dit la domination de l’avis de tout le monde, c’est-à-dire celui de personne.

    Tout s’est trouvé dit et l’inverse, une chose et son contraire, une affirmation et sa négation, une fois blanc une fois noir, ici c’est une grippette là une épidémie majeure, une courbe montre que ça descend une autre que ça remonte, le masque inutile et incertain puis efficace et obligatoire, les enfants épargnés puis les enfants transmetteurs, jusqu’à le covid devenu la covid, comme un signe que la boussole s’affolait et n’indiquait plus rien de fiable…  Des professeurs agrégés, des médecins à la boutonnière rougie de légion d’honneur, des toubibs de plateaux, des médecins de campagne, des syndicalistes de la médecine, des infirmières vêtues comme des comédiennes de film de science-fiction montrées en héroïne du journal de vingt-heures, tout ce monde-là a donné son avis: rien de grave disent les uns, danse macabre disent les autres, ici des chiffres de trépassés gonflés, là des listes de défunts cachés, pour l’un des morts du COVID, pour l’autre des morts avec le COVID, le triomphe de Didier Raoult ou son échec. Des éditorialistes dont on ne nous dit jamais d’où ils viennent et pour qui ils roulent  nourrissent vingt-quatre heure sur vingt-quatre les moulins à paroles des chaînes d’informations continues. Les philosophes maastrichtiens, tout à leur célébration de la liberté libérale, celle du renard libre dans le poulailler plein de poules libres comme chacun sait, nous expliquent qu’il faut en finir avec cette société policière qui tyrannise tout le monde pour quelques vieux, quelques obèses, quelques cardiaques, quelques diabétiques, parfois même quelques vieux obèses cardiaques et diabétiques qui n’ont qu’à laisser leur place en crevant sans faire de bruit - il n’est pas étonnant que ces mêmes philosophes, BHL ou André Comte-Sponville par exemple, aient été moins regardants  sur cette même société policière quand elle tyrannisait les premiers gilets-jaunes . Tout ça est bien logique… 

    Ce que l’on sait donc de manière certaine c’est que plus rien n’est certain - même si ce constat de la fin de la vérité est vrai. Notre époque se manifeste par la fin de l’expertise. Comment l’expertise a-t-elle pu mourir? Depuis que tout le monde est devenu expert! Grâce à internet, chacun peut désormais s’autoriser de lui-même pour donner son avis. Depuis qu’on a confondu la légitime quête de l’égalité avec la religion sectaire de l’égalitarisme, chacun se dit qu’il a bien le droit de donner son avis sans avoir travaillé le sujet en vertu d’un double principe: «A chacun sa vérité» et «Pourquoi pas moi?».  Le blog d’un chercheur ayant passé sa vie sur la relation entre virus et génétique vaut le blog d’un crétin qui, la veille au soir, a appris ce qui distinguait l’ADN de l’ARN, avant de l’oublier le lendemain matin, non sans s’interdire pour autant de donner son avis de façon péremptoire sur ce sujet. L’éducation, la formation ou la connaissance étant désormais assurés par internet, un quart d’heure de navigation sur le net équivaut désormais à une dizaine d’années de recherches effectuées en vue d’un doctorat - équivaut, voire, parfois, vaut mieux, dépasse, surpasse…  

    Cette fausse liberté libertaire, qui s’avère la vraie liberté libérale d’internet, se double de la contrainte dans laquelle se trouvent les chaines d’information continue de constituer chaque jour des plateaux, des débats, des rencontres, et ce des heures les plus matinales aux heures les plus tardives. Le programmateur qui doit trouver des participants tous les jours se trouve obligé de ne pas inviter que du premier choix, il est contraint bien souvent à promouvoir de la marchandise intellectuelle avariée… Mais, là aussi, là encore, la parole autorisée de quelqu’un qui travaille se trouve à égalité avec les propos d’un bateleur qui brasse du vent. L’inculte beau parleur, sinon le bêta au physique d’acteur, mais il peut aussi y avoir des incultes beaux parleurs au physique de comédien, mettent à terre le savant bègue devant un demi-million de téléspectateurs. Qui pourra faire la part des choses et séparer le bon grain de l’ivraie? Plus personne…

    Plus personne ne le pouvant c’est désormais l’idéologie qui fait la loi et non plus la vérité. On se soucie moins du message que de l’émetteur du message: l’un dira c’est dans Le Monde, c’est donc bien vrai, l’autre, c’est dans Le Monde, voilà bien la preuve que c’est faux. Qu’on fasse de même avec tous les supports radio, papier, les quotidiens ou les hebdomadaires, les éditorialistes avec leurs aficionados respectifs : désormais, une information devient vraie ou fausse non pas parce qu’elle aura été validée selon des critères épistémologiquement éprouvés mais par l’émetteur du propos. 

    De sorte qu’en matière de vaccin, ça n’est plus Pasteur qui fait la loi mais l’information reçue un matin sur l’écran de son iPhone qui explique, en gros, que Louis Pasteur travaillait pour les laboratoires pharmaceutiques qui l’ont considérablement arrosé de son vivant! Il était stipendié par les labos et avait une double famille entretenue par cet argent gagné malhonnêtement! J’exagère à peine… Je reçois chaque jour un flot de sottises du même tonneau. La découverte des microbes, les expériences qui mettent à bas des siècles de croyance en la génération spontanée, les processus de mise au point de la vaccine, la différence entre le vaccin et le sérum, la guérison une fois, puis chaque fois, de la rage par l’injection du vaccin? Mensonges, mystifications, galéjades, fumisteries, tromperies… Des preuves? Le témoignage de ma voisine qui connait la cousine d’un frère de mon ami d’enfance qui dit que tout çà est faux car elle a lu sur internet que, etc… La découverte de Pasteur et le témoignage de la voisine sont désormais à égalité - quand le scientifique n’est pas contredit et jeté dans les poubelles de l’Histoire  au nom de ladite voisine! Voilà où nous conduisent d’une part la fin de l’éducation républicaine qui apprenait «Pasteur» à l’école et, d’autre part, son remplacement par le liquide faussement céphalorachidien mais vraiment toxique d’Internet…  

    Dans cette ère de nihilisme généralisé qu’est celui de la post-vérité, le complotisme fait rage! Comme cette notion est également utilisée en dépit du bon sens, nihilisme et post- vérité obligent, elle sert désormais à disqualifier la pensée de quiconque ne pense pas comme le politiquement correct le veut, ce qui veut dire qu’elle ne sert plus à rien, elle est vidée elle aussi de son sens véritable. Si le complotiste est celui qui pense que Macron est arrivé au pouvoir avec l’aide de gens ayant préparé la chose, alors que dire de tous ceux qui estiment que le COVID a été sciemment créé dans un laboratoire chinois avec le soutien des États-Unis afin d’obtenir une dépopulation qui permettra le fameux Reset économique, le tout avec la complicité des laboratoires pharmaceutiques qui fabriqueraient des médicaments pour soigner ceux dont les véritables complotistes nous disent qu’ils devaient mourir? Que leur dire en effet?  

    Ce qui se constate en matière de COVID est simple: le virus touche toute la planète et tous les pays s’en trouvent concernés - j’éviterai l’impacté des bobos! Aucun n’a choisi de ne rien faire, sauf dans les pays sans État qu’on disait jadis du tiers-monde. Tous confinent plus ou moins sévèrement et tous voient leurs économies s’effondrer et ne survivre qu’avec des prêts de l’État, donc avec l’argent du contribuable, dont les remboursements s’effectueront sur des décennies avec la génération suivante. Si une poignée d’illuminati avait voulu une pareille chose dans le bunker d’un gouvernement planétaire occulte, pareils olibrius seraient les descendants des Pieds-Nickelés! 

    Personne n’a créé le virus pour qu’il tue dans le projet d’un changement de paradigme civilisationnel au profit de quelques oligarques planétaires cachés. Voilà qui serait complotisme.

    Cela ne veut pas dire, en revanche, que le capital dont la nature est d’être plastique, n’en profite pas! 

    Que l’occasion soit belle pour les prétendus «progressistes» qui travaillent au gouvernement planétaire de détruire le petit commerce pour faire place nette aux grands groupes monopolistique qui imposeront ensuite leurs produits issus de l’industrie ; de précipiter la fin des librairies qui seront remplacées par les rayons livres des supermarchés dans lesquels ne seront présentés et vendus que les produits formatés par le marché et pour le marché, produits lucratifs que concocteront les éditeurs des grands groupes qui se raréfient en même temps qu’ils se gigantisent; de démanteler le monde de la culture pour en finir avec la liberté des créateurs, des artistes, des indépendants au profit des grosses machines qui auront pu survivre à l’effondrement de leur trésorerie, à savoir les institutions d’État qui disposeront du monopole de diffusion de la culture officielle; d’abolir l’école classique avec sa multiplicité et sa diversité de professeurs en chair et en os (le présentiel!) , actifs dans l’intimité de leur classe, au profit d’une poignée d’enseignants choisis (par qui?) dont les cours diffusés sur le net (le distanciel!) sont visibles par tous, inspecteurs et polices diverses, y compris celles du politiquement correct; de prescrire le traçage numérique nécessaire à l’instauration d’une société orwelienne; d’installer fissa la 5G qui permet de pister plus rapidement et plus sûrement dans ces conditions-là, sous le prétexte fallacieux de ne pas creuser la fracture numérique entre les enfants des villes et les enfants des champs  - depuis quand ce  gouvernement a-t-il le souci de ceux qui vivent en campagne?; d’accélérer la couverture Internet indispensable pour finir d’instaurer la société de contrôle qui s’avère la modalité la plus achevée du totalitarisme contemporain; d’imposer le télétravail qui instaure l’espionnage le plus parfait de l’activité salariale en faisant de l’ordinateur la pointeuse de chaque instant du labeur qui permet de mesurer en direct l’investissement personnel, la rentabilité et la productivité; de précipiter la marchandisation des corps  avec une loi votée entre fin juillet et début août qui permet l’infanticide d’un fœtus de neuf mois, moins l’heure qui précède sa naissance, sous prétexte qu’il ne correspond plus au projet parental (la fameuse Interruption médicale de grossesse, IMG) - que toutes ces occasions soient belles, donc, pour précipiter le vieux monde et accélérer son remplacement, voilà qui ne fait aucun doute…  Mais créer le COVID pour obtenir tout cela ce serait, avouons-le, du bricolage, or ceux qui aspirent au gouvernement planétaire et à l’instauration de l’État universel ne sont pas des perdreaux de l’année…  

    J’ajouterai à cette liste des méfaits infligés à notre république à la faveur du COVID l’effacement des dispositifs démocratiques. Le président de la République gouverne en effet d’une façon de plus en plus personnelle en s’affranchissant des règles de droit. Sous prétexte que nous serions en guerre  (on comprend désormais les raisons politiques de ce choix sémantique), Emmanuel Macron se comporte en chef de guerre et, conséquemment, il s’affranchit des dispositifs démocratiques et républicains de la nation. Il ne gouverne plus avec l’Assemblée nationale, avec le Sénat, avec les corps intermédiaires, avec les partis politiques, avec les présidents de région, avec les élus locaux, ni même avec la totalité de ses ministres, mais avec un Conseil scientifique choisi par lui et lui seul. C’est un genre de Comité central, un Bureau politique, un Soviet suprême, un Comité de salut public qui s’affranchit de toutes les règles pour débattre, peut-être, on ne sait, car son fonctionnement est opaque, mais pour permettre au chef de l’État d’être informé, puis de trancher seul, de décider seul et d’imposer à soixante millions de français ce qu’il aura cru bon de leur ordonner… Il ne s’agit pas ou plus de démocratie. Césarisme? Si l’on veut… D’autres mots conviennent aussi. On verra si le temps nous oblige à les utiliser.

    Michel Onfray

    Source : https://michelonfray.com/

  • La monarchie, c’est la démocratie plus un

    Par Frédéric Rouvillois

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    À en croire certains, ce que détesteraient avant tous les gilets jaunes ne serait autre que la « monarchie républicaine », incarnée par le président Macron.

    D’où ils déduisent, tout fiers de leur raisonnement, qu’il suffirait de dépouiller le régime de ses attributs monarchiques et de le « républicaniser » à nouveau dans le cadre d’une « VIe » parée de toutes les vertus, pour satisfaire les gilets jaunes, et parvenir enfin au meilleur des mondes…

    Pourtant, un amateur de paradoxes (ou un lecteur de Pascal qui constatait qu’en ce bas monde, ce sont ces derniers qui mènent le bal) pourrait leur démontrer qu’ils font fausse route, et que c’est au contraire la dimension « républicaine » du régime qui représente un obstacle infranchissable aux revendications des gilets jaunes. Bref, aussi saugrenu que cela puisse paraître, qu’une monarchie véritable serait, somme toute, mieux à même de satisfaire lesdites revendications.

    Quand Mélenchon était contre le référendum

    Reprenant celles-ci par le début, c’est-à-dire par le fameux « référendum d’initiative citoyenne » (RIC), notre amateur de paradoxes commencerait par noter que, dans une république où tous les gouvernants sont élus, et ce faisant supposés « représenter » le csm_Gilets-jaunes-Referendum-RIC-AFP-KarinePierre-HansLucas_4147874b85.jpgsouverain, le RIC, grâce auquel ce souverain pourrait s’exprimer sans leur aval, a du mal à passer. Permettant au peuple de récupérer son pouvoir, il équivaut pour eux au RIP des cimetières anglo-saxons : « Rest in peace ». Les observateurs constatent à ce propos l’hostilité instinctive des élus à l’égard de toute forme de référendum : d’où, le faible nombre d’utilisations, y compris en matière constitutionnelle, où il s’agit pourtant de la procédure normale. Une hostilité qui, chez les élus, tourne à la fureur lorsque l’« initiative » du référendum leur échappe. Entre 2005 et 2008, ce fut brièvement le cas du référendum automatique de l’article 88-5, qui obligeait à consulter les Français en cas de nouvelle entrée dans l’Union européenne : mais la bronca des parlementaires ne tarda pas à 5b45dbb809fac27e318b4567.jpgs’exprimer, notamment par la bouche de… Jean-Luc Mélenchon, qui se scandalisait alors d’un mécanisme impliquant que « les représentants du peuple auraient […] moins de légitimité que le peuple à s’exprimer » (sic). C’est pourquoi ce référendum obligatoire fut promptement neutralisé, sous l’égide de Sarkozy, lors de la révision constitutionnelle de 2008. Où l’on comprend que, même président, un élu reste un élu, qui estime que c’est à lui qu’appartient le pouvoir : à lui seul, et non à ceux qui l’ont désigné, en vertu de la vieille démonstration de Montesquieu selon laquelle le peuple sait admirablement se choisir des représentants, mais est bien trop stupide pour agir lui-même. Sur ce point, l’avantage paradoxal de la monarchie vient de ce que, si tous les autres représentants sont élus, le chef de l’État, lui, ne l’est pas : ce qui lui permet d’échapper à cette hostilité spontanée à l’encontre de la démocratie directe. Dans une monarchie, le référendum, quel qu’en soit l’initiateur, n’est pas perçu comme une atteinte, ni politique ni symbolique, au pouvoir du monarque. L’exemple du Maroc contemporain nous montre que c’est même le contraire.

    « Tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à mieux choisir »

    Il en va également ainsi du « référendum révocatoire », c’est-à-dire, de la possibilité offerte aux électeurs de se débarrasser, avant le terme de leur mandat, d’élus qui ne font pas l’affaire. Lorsqu’une personne privée confie à un mandataire la gestion d’un studio qu’elle veut mettre en location, le Code civil lui donne la possibilité d’en changer à tout moment si elle s’aperçoit que celui-ci s’avère incapable ou malhonnête. Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi  – alors que les enjeux sont infiniment plus importants – il en irait autrement dans l’ordre politique. Pourquoi le fait d’avoir choisi, un beau jour, un certain candidat pour des raisons souvent incertaines et sans toujours disposer des informations suffisantes, garantirait au candidat vainqueur, en toute hypothèse et quoi qu’il fasse, d’aller sieyes-emmanuel-joseph-351748-2061836-pretre-et-homme-politique-francais-portrait-lithographie-de-delpech-19e-siecle-additional-rights-jeux-na-x5jbac.jpgjusqu’au terme d’un mandat de plusieurs années… Bref, pourquoi le « tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à mieux choisir », interdit par le code dans les rapports privés, serait-il donc intangible et sacré dans un domaine où ses effets pourraient s’avérer tragiques ? À le présenter ainsi, on comprend du reste que cette « représentation élective » n’a rien de spécifiquement « démocratique », comme l’avouait d’ailleurs son théoricien, l’abbé Sieyès (Photo), en septembre 1789. Et qu’elle l’est infiniment moins que le système inverse, où le souverain est en droit de révoquer à tout moment ceux qu’il a désignés.

    Le problème paraît essentiellement d’ordre pratique. Si tous les gouvernants sont élus et que tous les élus peuvent faire l’objet d’une telle révocation, alors l’ensemble du système semble menacé d’instabilité chronique : l’argument, estiment ses adversaires, serait d’ailleurs suffisant pour récuser une telle procédure et en revenir au mécanisme représentatif pur. Cependant, là encore, la situation change lorsqu’il y a au sommet de l’État un chef échappant par nature à l’élection, constituant par là même un pôle de stabilité incontestable au milieu d’une réalité mouvante. Un pôle qui, à l’inverse, permet d’accepter, en dessous, les risques d’une instabilité qui n’est pourtant que la manifestation de la volonté souveraine. Dans les années 1960, on disait de la monarchie qu’elle était l’anarchie plus un. Aujourd’hui, la question du référendum révocatoire pourrait suggérer une correction à la formule : la monarchie c’est la démocratie, plus un.

    C’est parce qu’il n’est l’élu de personne que le roi peut être l’homme de tous

    On reproche à Macron d’endosser les habits taillés par et pour le général de Gaulle, ceux du monarque républicain. Mais notre amateur de paradoxes pourrait objecter que c’est parce qu’il n’est pas pleinement monarque, autrement dit, parce qu’il est élu par une partie du corps électoral avec le soutien de certains groupes, qu’il ne saurait être le « président de tous les Français ». De même qu’il n’y a pas d’enfant sans mère (même avec la PMA), il n’existe pas de pouvoir élu indépendant de ceux qui l’ont fait élire – c’est-à-dire, des féodalités de tous ordres qui lui ont permis d’accéder à sa place, et d’espérer y rester. À l’inverse, c’est parce qu’il n’est l’élu de personne que le roi peut être l’homme de tous. C’est parce qu’au fond il n’est que l’enfant de son père, au même titre que chacun d’entre nous, ce qui le place par rapport aux autres dans une situation à la fois absolument singulière et totalement banale, que le monarque peut assumer cette fonction de père. Sans être dépendant d’une coterie, d’un parti, d’un groupe ou d’un lobby quelconque : et sans que l’on puisse soupçonner ce père de préférer outrageusement tel ou tel de ses enfants, et de défavoriser les autres à leur profit.

    Si l’on continue dans ce registre familial, on constate que le président de la République, lorsqu’il joue au père de la nation, se trouve sans cesse confronté à son propre mensonge : ce père-là, en effet, sait parfaitement qu’il abandonnera bientôt ses enfants, ce que ces derniers n’ignorent pas non plus. Il fait semblant d’être tout pour eux, mais regarde déjà sa montre, fébrilement. Car ce père adoptif est aussi, et surtout, un père temporaire, tout le contraire d’un père véritable. Comment alors lui faire confiance ? Comment imaginer que, chaque matin en se rasant, il ne songe pas à l’« après » ? À ce qu’il sera, à ce qu’il fera, et à tout ce que cela implique « dès maintenant » ? Notre Jupiter, par exemple, n’en a plus aujourd’hui, au mieux (pour lui…), que pour huit ans. En 2027, alors qu’il n’aura que 49 ans, la brève parenthèse que la vie politique aura représentée dans son existence se refermera à tout jamais, et celle-ci reprendra son cours normal. Quittant l’Élysée, le futur ex-président retrouvera son quotidien ordinaire, son milieu et son métier naturels, la haute banque, où il échangera les ors ternis du pouvoir politique contre le lustre inaltérable du pouvoir financier. Rien ni personne ne pourra changer quoi que ce soit à ce destin, ni l’empêcher de le préparer.

    Le temps du roi

    2660057926.jpgLe roi, en revanche, sait que sauf accident révolutionnaire, il sera sur le trône jusqu’à sa mort, et qu’après lui, viendront ses enfants, ou ses neveux. Dans son cas à lui, la parenthèse n’a jamais été ouverte, et elle ne se refermera pas. Par conséquent, il peut envisager les choses sur le long terme. Même à une époque comme la nôtre, le roi n’est pas l’« homme pressé ». Il a le temps, tout le temps qu’il veut, à un moment où celui-ci est un bien rare – et le plus précieux de tous pour qui veut réaliser des projets vraiment ambitieux, comme ceux de la transition écologique, de la réorganisation globale des territoires ou de la réaffirmation de l’identité face à la mondialisation… (Photo : le Comte de Paris, la Comtesse de Paris et leurs enfants). 

    Bref, le roi, lui, peut et doit penser sur le long terme. Ce qui veut dire, entre autres, qu’il n’est pas obligé de donner des gages à de futurs patrons, collègues ou clients, qui sont en outre d’anciens créanciers – comme un certain président qui semble prêt à lâcher sur tout, sauf sur les somptueux cadeaux fiscaux qu’il a faits naguère à ses enfants préférés…

    Frédéric Rouvillois
    Causeur, 18.02.2019     
    Frédéric Rouvillois est écrivain et professeur agrégé de Droit public à l'Université Paris-Descartes, spécialiste du droit de l'État et d'histoire politique. Auteur de nombreux ouvrages, il a notamment publié Crime et Utopie, une nouvelle enquête sur le nazisme (éd. Flammarion, 2014) ; Être (ou ne pas être) républicain (éd. Cerf, 2015) et dernièrement La Clameur de la Terre. Les leçons politiques du Pape François (éd. Jean-Cyrille Godefroy, 2016).     
  • GRANDS TEXTES (6) : Le Roi, l'éternelle solution, par Vladimir Volkoff

              Voici le texte intégral du discours prononcé par Vladimir Volkoff au Rassemblement Royaliste des Baux de Provence de 1997.

              Il est intitulé "Le Roi, l'eternelle solution".

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    Hier soir, nous avons eu une veillée autour d’un feu qui nous a d’ailleurs fort agréablement réchauffés, aussi bien le corps que l’âme, nous avons eu une veillée de chansons. Ces chansons étaient dirigées par quelqu’un qui, lui aussi, a l’autorité dans le sang, forts bien chantées par des jeunes gens et des moins jeunes. Ces chansons, ce feu, cette grande fumée dissimulée, presque clandestine, dans la terre de Provence, m’ont appris des choses.

     

    LES FANTÔMES

    J’ai essayé de chanter, moi aussi, le moins faux possible, et je regardais autour de moi et je voyais presque des enfants, je voyais des jeunes gens, je voyais des personnes d’un âge mûr, je voyais des vieillards et je voyais des fantômes. Je voyais dans ces ombres qui bougeaient autour du feu les chefs de la révolution nationale russe, ces partisans blancs dont vous connaissez si bien le chant. Je voyais l’ombre de mon grand-père, qui a été l’un de ces chefs blancs, fusillé par les bolcheviks. Je voyais DENIKINE. J’en voyais quelques autres qui étaient, d’une certaine manière mystérieuse, parmi nous.

     

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    Anton Ivanovitch Dénikine (1872 - 1947). "Il prit, en octobre 1918, la tête d'une armée blanche d'environ 150.000 hommes, qui, appuyée par les alliés, reconquit sur les bolcheviks toute l'Ukraine et la Russie centrale, s'empara durant l'été 1919 de Kharkov, Kiev, Voronej, Orel, parvint jusqu'aux environs de Toula et menaça Moscou..." (Michel Mourre).
     
     

     

    Je voyais les chouans décharnés et mourants dans les fossés, dans le cadre du génocide vendéen. Je voyais le plus magnifique d’entre eux, Monsieur de CHARETTE. Et je me disais que, si nous chantons encore “Monsieur de CHARETTE a dit”, cela veut dire que Monsieur de CHARETTE n’est pas mort. Il a, sans parler de l’immortalité chrétienne, une immortalité parmi nous. Il est présent. S’il revenait brusquement dans cette grotte de Provence, il se croirait en Vendée. Il se dirait: “je suis vivant, nous sommes vivants, mon idée est vivante, nous sommes toujours là, nous sommes toujours fidèles”.

    Bien sûr, parmi ces fantômes, il en est un encore plus majestueux que les autres: il y avait le fantôme du roi, du Roi et de tous les rois. Ces fantômes étaient présents parce que le roi est l’éternelle solution et qu’il ne pouvait pas ne pas être là puisqu’il y avait une poignée de fidèles qui, contre toutes ces horreurs qui nous menacent, chantaient des chansons dans la nuit. Il y avait là un message d’espoir inextinguible.

    Même si nous devons périr, même si nous devons être vaincus, ce sera un très grand honneur d’avoir été les derniers, non, les avant-derniers car j’ai entendu les jeunes orateurs de ce matin, et je sais que la relève est prête, d’avoir été au pire les avant-derniers porteurs de ce flambeau qui ne veut pas mourir. Ce flambeau brûle dans nos cœurs et il nous dit: le roi est l’éternelle solution.

    Je veux tout de suite dire qu’il y a une objection: nous avons entendu surtout des messages tragiques et je n’ai malheureusement pas de bonne nouvelle à vous donner. Nous ne sommes pas cette année plus nombreux que nous ne l’étions les années passées. Nous sommes, il faut bien que nous en prenions conscience, une poignée de témoins.

     

    QUE FAIRE ?

    Tout à l’heure, j’ai été interviewé par une charmante journaliste de FR3 qui me disait: “Mais, Monsieur, n’avez-vous pas l’impression de prêcher dans le désert?”. Je lui dit: “Mademoiselle, je n’ai pas du tout le sentiment de prêcher. J’ai le sentiment de témoigner et on peut témoigner dans le désert. C’est toujours au moins une satisfaction personnelle et cela peut être une utilité”. L’objection, c’est: “oui, mais que va-t-on faire?”.

    Je me souviens avoir parlé un jour dans une réunion fort brillante à Paris et j’essayais de montrer le caractère sacré de la royauté. Un monsieur en smoking, juste devant moi, s’agaçait beaucoup et, lorsque j’eus terminé, il me dit: “Bon, d’accord, mais le coup d’état, quand est-ce qu’on le fait ?”.

    Je ne sais pas quand on fait le coup d’état. Je ne sais pas quand 95% des Français voteront pour le rétablissement de la royauté. De tout cela, je ne sais rien. Mais je sais aussi que, si la Belgique est encore une nation, c’est grâce au roi. Je crois aussi qu’en Espagne, si la guerre civile n’a pas éclaté de nouveau, c’est grâce au roi. Et je sais que, si nous avons encore un ami en Afrique du Nord et si cet ami conserve encore une paix précaire dans son pays, c’est parce que c’est un roi, le roi du Maroc.

     

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    23 février 1981 : lors de la tentative de Coup d'Etat du Lieutenant-colonel Tejero,
    le Roi d'Espagne apparaît à la télévision pour enjoindre aux militaires de rester -ou de rentrer...- dans leurs casernes.
    "Je crois aussi qu’en Espagne, si la guerre civile n’a pas éclaté de nouveau, c’est grâce au roi."

            

     

    Donc, j’accepte tout à fait l’objection selon laquelle la monarchie n’est peut-être pas pour demain en France mais je récuse totalement l’objection selon laquelle la monarchie ne serait pas moderne. Au contraire, elle me paraît extrêmement moderne.

    Je voudrais vous dire que le rétablissement de la monarchie n’est pas du tout exclu en Russie où je vais souvent et je pense que je connais assez bien le problème . C’est une possibilité, ce n’est pas une promesse que je vous fais. Un autre pays, dont je parle souvent en ce moment, est la Bosnie serbe où la restauration de la dynastie des KARAGEORGES n’est pas exclue non plus, sans parler de la Roumanie, sans parler de l’Albanie, sans parler de la Bulgarie. Tout est possible d’une certaine manière.

    Nous vivons une période où la monarchie sera peut-être récusée mais peut-être prouverons-nous qu’elle est le seul obstacle possible à cette mondialisation, après l’européanisation dont nous avons tant entendu parler.

    Le roi, l’éternelle solution. Les mots sont très bien choisis et je me suis dit que je vais faire un exposé en trois points: le roi - éternelle - solution. Ca va très bien avec mon éducation secondaire: avec trois points, on réussit toujours. Puis, je me suis dit: qui dit solution, dit problème, et peut-être que, plutôt que de faire un exposé un peu bateau, il vaut mieux commencer par les problèmes.

     

    LES HOMMES ONT BESOIN D’ETRE GOUVERNÉS

    Le premier problème qui se pose à toutes les sociétés des hommes, c’est que ce que les chrétiens expliquent par le récit de la chute a eu lieu et que par conséquent les hommes ne sont pas parfaits, qu’ils ne sont pas tous très gentils et qu’ils ont besoin d’être gouvernés. C’est le premier problème politique: les hommes ont besoin d’être gouvernés.

    S’ils ne sont pas gouvernés, ils s’entre-mangent et celui qui a mangé le plus des autres commence à gouverner ceux qu’il n’a pas eu le temps de manger, ce qui est la loi de la jungle, ce qui est une façon de régler le problème, mais il y en a peut-être d’un peu plus civilisées et la monarchie nous apporte une de ces solutions pour régler la seule nécessité que les hommes ont besoin d’être gouvernés. Je ne dit pas que c’est la meilleure mais c’est une des solutions. Le roi est une des solutions à la nécessité qu’ont les hommes d’être gouvernés. Il y a fondamentalement deux sortes de gouvernements :

    * les gouvernements paternels où la personne qui a l’autorité est donnée a priori c’est le père, ce sont les parents qui gouvernent la famille, qui gouvernent leurs enfants. C’est la structure royale, bien entendu. C’est une structure absolument fondamentale.

    * les structures par contrat social.

    J’ai entendu un excellent orateur, Yves-Marie GADELINE, qui exprime la même chose de manière différente. Il dit qu’il n’y a que des gouvernements par institution et des gouvernements par constitution. Une constitution, c’est quand, par exemple, nous nous mettons tous d’accord pour dire que Monsieur X va nous gouverner. Il y a une institution lorsque nous recevons les tables de la loi au sommet du Mont Sinaï ou telle autre manifestation d’une autre autorité qui nous dit: “C’est Monsieur X qui va nous gouverner”. Ce sont deux structures totalement différentes, une structure paternelle héritée d’en haut et une structure d’accord entre nous. Il est bien évident que l’une et l’autre règlent plus ou moins bien ce premier problème auquel je faisais allusion qui est que les hommes ont besoin d’être gouvernés. Je pense que les structures paternelles sont mieux adaptées à la nature humaine déchue que les structures constitutionnelles mais, bien entendu, on peut en discuter.

    Un autre problème, c’est que, la nature humaine est ainsi faite: il y a des forts et des faibles. Cette force et cette faiblesse, à l’époque de l’homme des cavernes, c’était simplement les costauds et les gringalets. Ce sont ensuite les féodaux et leurs serfs. Ce sont les capitalistes et les ouvriers. A notre époque, ce sont les multinationales et leurs employés. Les puissants, ce sont quelquefois les psychocrates, c’est-à-dire ceux qui manipulent tous les mass médias qui nous manipulent à leur tour,. Il y aura toujours et il y a toujours eu une opposition entre les puissants et les moins puissants, les forts et les faibles. Le rôle de tout gouvernement des hommes est nécessairement de limiter quelque peu la puissance des puissants et de protéger les moins puissants contre les plus puissants.

     

    LE ROI CONTRE LES FÉODAUX

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    A Bouvines, Philippe Auguste - qui a soutenu partout le mouvement communal, contre les féodaux - s'adresse ainsi à ses troupes, avant la bataille : "Je porte la couronne mais je suis un homme comme vous... Tous vous devez être rois et vous l'êtes, par le fait, car sans vous je ne puis gouverner"...

            

    C’est l’un des domaines où la monarchie doit vraiment recevoir de bonnes notes dans tous les pays du monde parce que les monarques ont toujours essayé de limiter les droits des féodaux, les droits des forts, les droits des riches, parce que c’était leur intérêt même, sans parler d’altruisme ou de générosité. C’était l’intérêt des monarques de s’appuyer sur la masse des faibles (les faibles sont toujours plus nombreux que les puissants).

    Les rois de France ont assis leur puissance sur la petite bourgeoisie et le peuple contre les grands féodaux. Voyez RICHELIEU. Je pense aussi à l’histoire de Russie où IVAN le Terrible a assis son pouvoir sur le peuple contre les boyards. Je pourrais bien penser aussi à JULES CÉSAR, à AUGUSTE et on peut remonter dans la nuit des temps. Le monarque a toujours été le protecteur du faible contre le fort. Pourquoi ? Pour obtenir un certain équilibre dont lui-même tirait certains avantages.

     

    DROITE ET GAUCHE

    Autre problème: la notion de droite et la notion de gauche. Ces expressions sont récentes. Elles ont deux cents ans à peu près. Mais l’idée qu’il y a une droite, des partis de droite, qu’il

  • Vous pensez qu'une République coûte moins cher qu'une Royauté ? Vous avez tout faux : c'est tout l'inverse !...

    Sur notre Page Facebook, Ciboulette Ludivine nous a envoyé un message très court, mais assez virulent, dont l'essentiel consiste à dire qu'elle ne veut pas d'une Royauté parce que "en plus ça coute très cher aux contribuables ! Alors monarchie en France en 2013 ? inutile. Vous révez ! Et en France ? On a pas assez de la crise et du chomage de masse..." etc.. etc... 
    Que Ciboulette ne veuille pas d'une royauté, c'est son affaire. Mais qu'elle dise et croie le contraire de la vérité, à savoir que la royauté coûte très cher, alors qu'en fait c'est notre République qui est une ruine, cela mérite au moins qu'on lui dise, juste, qu'elle se trompe... 
     
    Herman-Matthijs.jpg1. D'abord, nous la renverrons au rapport publié en avril 2012 par Herman Matthijs, professeur d’administration et de finances publiques à l’Université de Gand (c'était son sixième !) sur le coût des chefs d’Etats européens, dont un de nos lecteurs (de Belgique) nous a envoyé quelques extraits :

    * Le président de la république française est le chef d’État le plus coûteux d’Europe : en effet, le budget de la présidence de la république française s’élevait, à la parution du rapport, à 111,7 millions d’euros. Le budget de la présidence de la république fédérale d’Allemagne, s’élevait, lui, à 30,7 millions d’euros.

    Par ordre décroissant, voici ensuite le budget des différentes royautés européennes :


    - pour la couronne néerlandaise : 39,4 millions d’euros ;
    - pour la couronne britannique : 38,2 millions d’euros ;
    - pour a couronne norvégienne : 25,2 millions d’euros ;
    - pour la couronne belge : 14,2 millions d’euros ;
    - pour  la couronne suédoise : 13,9 millions d’euros ;
    - pour la la couronne danoise : 13,2 millions d’euros ;
    - pour la la couronne luxembourgeoise : 9,2 millions d’euros ;
    - pour la couronne espagnole : 8,2 millions d’euros.

    Habituellement, dans ces royautés, les souverains ne partent pas à la retraite, tandis que la république française doit pourvoir à la retraite de trois anciens présidents qui ont coûté chacun 1,5 millions d’euros en 2012.

    En outre, il faut ajouter que, dans les pays où il y a un roi ou une reine, la succession est réglée à l’avance, tandis qu’en France elle fait l’objet d’élections dont le coût s’avère absolument exorbitant : pour les élections présidentielles de 2012, il a atteint 228 millions d’euros.

    Si les budgets annuels restent à peu près stables, et malgré le décret de la fin août 2012 qui a réduit de 30% la rémunération du président de la république française, le coût du quinquennat de François Hollande s’élèvera à près de 809 millions d’euros, en tenant compte des élections présidentielles et des retraites.

    Selon les mêmes conditions et pour la même période, la royauté néerlandaise devrait coûter 197 millions d’euros; la royauté britannique, 191 millions d’euros; la royauté norvégienne, 126 millions d’euros; la royauté belge, 71 millions d’euros; la royauté suédoise, 69,5 millions d’euros; la royauté danoise, 66 millions d’euros; la souveraineté luxembourgeoise, 46 millions d’euros; et la royauté espagnole, 41 millions d’euros.

    Ainsi donc, alors que la présidence de la république devrait coûter aux Français quelque 809 millions d’euros sous le quinquennat de François Hollande, dans le même temps les huit principaux souverains européens réunis ne devraient coûter que 807,5 millions d’euros à l’ensemble de leurs sujets, c’est-à-dire qu’à eux huit ils atteignent à peine le coût total de l’actuel président et des trois présidents retraités, en France !

    Avec un budget annuel de 40 millions d’euros par an, un Roi de France reviendrait donc 75% moins cher que l’actuel président de la république.…

    10 BONNES RAISONS.jpg2. Ensuite, nous lui conseillerons la lecture de l'excellent petit ouvrage 10 très bonnes raisons de restaurer la monarchie, de Renaud Dozoul et Laurent-Louis d'Aumale. Le livre est très court (99 pages, écrites très gros) et se lit donc très facilement; en plus, il est "pétillant", plein d'esprit et  d'humour, et, comme il bouscule pas mal d'idés reçues (donc, fausses, évidemment...), c'est un vrai régal. Et, si Ciboulette veut, on ira même jusqu'à le lui offrir !...  

    Que lit-on, pages 88/89, au chapitre 10 : Parce que ça marche, paragraphe Et c'est moins cher ! : 

    "Malgré les apparences, la monarchie anglaise coûte beaucoup moins au Trésor britannique que la Présidence française aux Contribuables Associés.

    Cinquante-quatre millions d'euros par an pour la couronne contre cent vingt-deux pour l'Élysée : deux fois et demi plus cher ! Ce chiffre intègre les quatre-vingt-deux millions d'Euros du coût net de l'Élysée, et les deux cents millions d'Euros dépensés tous les cinq ans pour les élections présidentielles (les élections législatives suffisant à définir une majorité de gouvernement). Nous jetterons un voile pudique sur le coût du clientélisme électoral (en réalité très difficile à évaluer), qui pousse le président en campagne à arroser un peu de tous les côtés, afin de faire fleurir des voix dans les terres les plus arides.

    D'ailleurs, au-delà des frais de la présidence et de ses générosités, on peut méditer sur le poids symbolique de l'État. En l'absence du roi, et le président étant voué à changer régulièrement, l'État est le seul outil d'incarnation permanente de la république. C'est par la taille de l'État que celle-ci assure sa fonction symbolique en France. Un État gros et lourd donne une impression de puissance et de pérennité. Or ce poids a un coût. Les pays où la fonction symbolique est assurée par une famille royale peuvent sans doute plus facilement limiter l'État à sa vocation de gestion de la cité, en faisant un outil plus souple et par conséquent plus efficace."

     

    Et, si l'on rajoute à tout ceci le simple rappel de la dispendieuse sur-administration, avec ses doublons, triplons et quadruplons ! 243 sous-préfecture, depuis plus de deux siècles, cela en fait de l'argent gaspillé, qui aurait été mieux employé dans la Recherche, par exemple; une douzaine de Préfets pour les grandes Régions, comme l'Aquitaine (Préfets, Préfet de Région, Préfet maritime, Prefet de police...); et ce nombre faramineux de députés, comparés aux Etats-Unis, cinq fois plus peuplés que nous ! Et ce Sénat, délicieux fromage pour ceux qui en profitent et pour qui - le mot est de Raffarin... - "le tour de taille n'est pas un problème !", mais qui ne sert à rien, sauf à nous ruiner un peu plus...! Et ces centaines de milliers de fonctionnaires en plus, par rapport aux Allemands, alors que nous sommes 20 millions de moins qu'eux; et cette ENA, unique en Europe et qui ne produit que... des énarques, justement, plaie et calamité de notre siècle...

    Voilà ce que l'on peut - liste non limitative... - très rapidement, répondre à Ciboulette, en lui retournant le compliment : si celà lui plaît d'avoir un Système qui nous coûte beaucoup, beaucoup trop cher...

  • Il faudra pourtant bien en sortir....(4/4) : Le point de vue de Michel de Jaeghère...

            En ce qui concerne l'immigration, nous recevons régulièrement des messages qui, pour être tous très différents les uns des autres, posent en réalité tous le même problème et qui, même avec des formulations parfois très éloignées les unes des autres, en reviennent toujours à la même question centrale : comment en est-on arrivé là, que proposez-vous, que faire pour "en sortir"... ? 

             Pour essayer de répondre, non pas à tout le monde à la fois et d'un seul coup - c'est "mission impossible"...- mais, peut-être et au moins en partie, à l'essentiel des préoccupations de celles et ceux qui écrivent, nous allons tâcher de proposer ici un rapide survol qui s'efforcera d'abord de résumer la situation dans ses grandes lignes, et par redire, pour commencer, comment on en est arrivé là; puis nous évoquerons les remèdes dérisoires que propose le Pays Légal pour règler (?) des problèmes qu'il a lui-même, tel un apprenti sorcier, follement créés; ensuite, nous reprendrons ce que nous avons déjà écrit ici-même, à savoir qu'une des solutions pour "en sortir" pourrait être de mener ce que l'on pourrait appeler une politique des trois tiers ; et, pour ceux qui seraient sceptiques, on lira, comme une sorte de conclusion provisoire, l'opinion de Michel de Jaeghere...  

              Nos lecteurs pourront évidemment poursuivre le débat, en continuant à écrire ou en postant des commentaires; ils pourront aussi se référer à notre PDF "Contre la France métisse..."  :

    http://lafautearousseau.hautetfort.com/list/documents/conference_contre_la_france_metisse___pdf.html

             Aujourd'hui ....(4/4) : Le point de vue de Michel de Jaeghère...         

            A ceux qui douteraient de la faisabilité de cette politique des trois tiers, nous nous permettrons de communiquer cet article de Michel de Jaeghere, dont nous extrayons juste les quelques lignes suivantes mais que vous lirez dans son intégralité ici :

               Michel de Jaeghere.pdf

                 "...Au regard de ces principes, les lois de la nationalité que je vous ai décrites ne sont pas des lois. Elles devront donc être révisées et rien ne s’oppose à ce que certaines dispositions aient parfois un effet rétroactif.

                Il est évident qu’il faudra faire preuve de prudence et d’humanité dans l’examen des cas. Il ne s’agit pas de considérer que toutes les acquisitions de la nationalité française depuis 1945 ne valent rien et de mettre tout le monde dehors. Il faudra faire une révision des listes de nationalité qui prenne en considération les fraudes.

                Il était prévu par la loi qu’on ne pouvait pas acquérir la nationalité française en cas d’indignité, par exemple. Quand on pourra prouver qu’une personne qui a acquis la nationalité française était un délinquant, entré clandestinement (donc illégalement) sur le territoire, il me paraît clair que l’on devra pouvoir réviser son acquisition de la nationalité française. La même remarque s’applique au défaut d’assimilation, qui n’a pas été pris en compte en pratique, alors même que c’était prévu. Il me semble qu’il n’y aurait rien de choquant à ce que l’on conteste la nationalité d’un Français d’acquisition qui ne parlerait pas notre langue.

                La loi française prévoit par ailleurs que la nationalité puisse être retirée à ceux qui l’ont obtenue par fraude ou par mensonge, ou encore à ceux qui auraient porté atteinte aux intérêts de la nation. Seulement, elle n’est pas appliquée (depuis 1990, on n’a compté que trois décrets de déchéance de la nationalité). On pourrait commencer par la mettre en oeuvre avant de l’étendre à ceux qui ont gravement porté atteinte à la paix civile ou à l’ordre public...."

                En effet - et puisqu'il vaut mieux prendre les choses du bon côté - il suffira de suivre l'excellent exemple donné par les juges bobos/gauchos/trotskos du Syndicat de la Magistrature, qui passent leur temps à libérer les clandestins - par définition transgresseurs des lois qu'ils sont censés, eux, les juges, faire respecter - sous pretexte de Vices de forme.

                La voilà, la voie à suivre, sur laquelle il faut résolument s'engager, en remerciant les juges pervertis (et le diable, qui porte pierre...) : les vices de forme !

                Que l'on passe au peigne fin les listes depuis 1975 et les décrets Chirac, et que l'on annule tout avantage, toute allocation, tout statut, toute naturalisation etc... sur laquelle la moindre virgule, le moindre iota ne sera pas conforme....

                Le ménage dans la Maison France en sera grandement facilité !..... (fin).

  • Le jeune Staline...

               Dans le Politique Magazine de décembre (n° 69), Yvan Blot a consacré à l'ouvrage de Simon Sebag Montefiore Le jeune Staline (1), la note de lecture que nous reproduisons ci-dessous.

               Comme nous le disait Jean-François Mattéi lors de son intervention à la soirée du 21 janvier 2008 (2) la révolution française a bien perturbé, non seulement la France bien sûr, mais aussi toute l'Europe et même le monde, ne s'arrêtant pas à la Russie mais allant nourrir aussi, jusqu'en extrême-orient, un Mao, un  Ho Chi Minh, un Pol Pot.

             

    "La révolution française a vraiment nourri la sensibilité des communistes bolchéviques..... le mouvement bolchévique ne tire pas du tout ses racines intellectuelles de la Russie mais bien de l'Occident et singulièrment de la révolution française."

               "Voila une plongée dans les eaux du communisme soviétique à ses débuts. Staline, jeune séminariste en Géorgie, fils d'un père violent et alcoolique, Besso Djougachviili dit "le dingue", devient très vite chef de bande avec une spécialité : le braquage des banques ! Pas n'importe quel braquage : le braquage sanglant la plupart du temps. Lorsque sa première épouse meurt de tuberculose ou de typhus, il déclare qu'il n'a désormais plus de sentiment pour l'humanité ! Staline tuera 39.000 personnes (nombre de condamnations à mort qu'il aurait signées) et par sa politique, il fait des dizaines de millions de victimes (famine qu'il organise en Ukraine notamment). Le jeune Staline (le livre va jusqu'à la révolution de 1917) est un personnage vraiment étrange : braqueur de banque que Lénine apprécie (il a toujours besoin d'argent pour la révolution), tueur sans scrupules, véritable Don Juan comme beaucoup de ses complices, il est aussi un dévoreur de livres et poète à ses heures. Là encore, le français devra battre sa coulpe : c'est en lisant Victor Hugo et Emile Zola qu'il devient socialiste de coeur; Karl Marx, dont il connaît l'oeuvre à fond, apporte l'armature doctrinale. Il déclare qu'il est devenu athée en lisant Darwin. Bref, Staline est intellectuellement, non pas un prouit de la Russie mais de l'Occident : la France, l'Allemagne et l'Angleterre lui ont donné ses bases idéologiques. Dans les multiples réunions et commémorations auxquelles il participe, il est frappant de voir que le chant qui retentit est la Marseillaise ! La révolution française a vraiment nourri la sensibilité des communistes bolchéviques !

                On s'étonnera peut-être du mélange de gangstérisme et de communisme du milieu géorgien, juif et russe dans lequel Staline commence sa carrière. En fait, Lénine l'apprécie justement pour cela : il est un des rares à être un doctrinaire marxiste de haut niveau (avec une spécialité : la théorie des nationalités) et un praticien de hold-up et de l'assassinat politique. C'est ce mélange détonnant qui fait qu'il est apprécié. C'est un organisateur hors pair totalement dévoué à sa passion révolutionnaire. Glacial envers ses semblables, il est très affectif en même temps : lorsque sa première femme meurt, il ne veut plus quitter le cercueil sur lequel il s'est jeté ! Il adore la poésie, les chants géorgiens et la musique classique. Emprisonné ou exilé en Sibérie, il montre une fermeté à toute épreuve. C'est un criminel de roman : exilé en Sibérie, il trouve le moyen de séduire une fille de paysan de 13 ans ! On voit d'ailleurs que le régime tsariste est plus anarchique que dictatorial. Les exilés en Sibérie sont en réalité peu surveillés. Il est vrai qu'avec moins 30 l'hiver, il leur est difficile de s'échapper. La police secrète -l'Okhrana- semble partout et pourtant, la plupart du temps, Staline lui échappe : il est le roi du déguisement. Son coup favori semble être de se couvrir de pansements comme un grand blessé et de se recroqueviller dans un coin ! Les policiers qui perquisitionnent laissent libre ce moribond. Ils rendent compte et reçoivent l'ordre de le chercher : entre temps Staline a disparu !

                Le personnage montre très tôt ses travers criminels : c'est ce qui lui permet de faire carrière ! On voit bien ici le côté criminel de ces milieux révolutionnaires , mais en même temps, le marxisme est pour eux une véritable religion. On est vraiment dans le monde si bien décrit par Dostoïevski dans Les Possédés !

                Le livre fourmille d'anecdotes. Il apporte des informations précieuses, non seulement sur Staline mais sur le milieu révolutionnaire de bandits qui l'entoure et montre qu'en fait, le mouvement bolchévique ne tire pas du tout ses racines intellectuelles de la russie mais bien de l'Occident et singulièrement de la Révolution française !"

     

    (1) : Le jeune Staline, de Simon Sebag Montefiori. Calmann-Lévy, 500 pages, 25 euros.

    (2) : Voir la note du mercredi 6 février 2008 "Les trois vidéos intégrales du 21 Janvier 2008 à Marseille...." dans la catégorie "Documents Vidéo".

  • Sarkozy: papiste ou gaulliste ?

              Pour celles et ceux qui l'auraient "laissé passer", voici la copie de l'article publié dans "Le Monde" du mercredi 23 Janvier par Mezri Haddad et Jean-François Mattéi, sous le titre "Point de vue: Sarkozy, papiste ou gaulliste?"

              Par-delà la vive polémique qu'il a suscitée, le discours du Latran inaugure une ère nouvelle dans les relations, historiquement méfiantes, entre l'Église et l'État. Nous assistons à un changement hautement symbolique de la politique française dans ses rapports au fait religieux en général et au christianisme en particulier. Celui-ci, avec les autres grandes traditions religieuses y compris l'islam- à condition qu'il procède à son propre aggiornamento - n'est plus exclu au nom de la déesse Raison et de la sacro-sainte spécificité française, mais accueilli au sein d'une laïcité positive capable de les absorber dans un vaste pacte républicain et de les impliquer dans un dessein à la hauteur de la France : une politique de civilisation. 

              Il ne s'agit donc pas, comme cela a été écrit, d'une altération grave des principes fondateurs de la laïcité, encore moins d'une remise en question de la loi de 1905, ce "monument inviolable", selon Jacques Chirac. Il s'agit au contraire d'un retour aux sources authentiques de la morale laïque. A l'instar des laïcités anglo-saxonnes ou germaniques, qui ont entretenu des rapports confluents et non conflictuels avec le religieux, la laïcité française, "enfin parvenue à maturité", se normalise en se mettant au diapason des nouveaux défis du siècle : choc des civilisations, apothéose du matérialisme et de l'hédonisme, néant spirituel, métastase de l'intégrisme, mondialisation du terrorisme... 

              Ces défis ont frappé de caducité le laïcisme qui, au nom du postulat marxiste ("la religion est l'opium du peuple"), a juré la mort de Dieu et l'extinction de la religion. A l'origine, en effet, la laïcité n'entendait pas extirper du corps social toute survivance religieuse, mais limiter l'hégémonisme spirituel et temporel de l'Église. La séparation de l'Eglise et de l'Etat a été l'aboutissement d'un long processus de sécularisation qui a commencé au Moyen Âge, s'est raffermi grâce aux Lumières, a trouvé sa première traduction politique dans le radicalisme révolutionnaire de 1789 pour rencontrer ensuite sa première phase libérale et républicaine dans le Concordat napoléonien de 1801. 

               Avec la loi de 1905, c'est l'idéal laïc qui est imposé en France comme norme juridique et paradigme absolu du rapport entre foi et loi. En restituant au politique et au religieux leur autonomie réciproque, la loi de 1905 a été une rupture refondatrice, une destruction constructive. Théoriquement, la laïcité ne devait donc pas s'opposer à la religion, mais lui aménager une sphère qui lui est propre. Que s'est il passé en pratique ? La religion chrétienne a été stigmatisée, culpabilisée, et progressivement rayée, pas seulement des controverses politiques ou intellectuelles, mais également du débat moral et éthique. 

            "Le cléricalisme ? Voilà l'ennemi !", rugissait Gambetta. En fait, la lutte de la laïcité contre le cléricalisme a tourné au combat de l'athéisme contre le christianisme. Dans ce combat où la fille aînée de l'Eglise a perdu une partie de son âme, la laïcité a sacrifié un élément constitutif de sa philosophie : la tolérance. C'est ainsi que la France, terre du baptême de Clovis, est passée de la religion d'Etat, le gallicanisme, à l'athéisme d'Etat. Dopée par sa victoire sur le traditionalisme catholique, leurrée par le mythe rationaliste suivant lequel le religieux, le sacré même sont voués à la disparition, la laïcité française a baissé la garde en tombant dans un sommeil profond... jusqu'à l'irruption fracassante d'un islam conquérant et d'un islamisme guerroyant. L'eschatologie wébérienne du désenchantement du monde, reprise par Marcel Gauchet, a fait long feu. 

              C'est dans ce contexte nouveau qu'il convient de lire les discours présidentiels à Rome, symbole du catholicisme, et à Riyad, symbole de l'islam. La laïcité positive à laquelle il appelle est en rupture avec le laïcisme français dont la dernière manifestation politique fut l'opposition d'inclure, dans le préambule à la Constitution européenne, toute référence aux "racines chrétiennes de l'Europe". Changement de génération ou régénération de la laïcité française, Nicolas Sarkozy ose affirmer que "les racines de la France sont essentiellement chrétiennes". 

              Plutôt que d'y voir une trahison de la "laïcité républicaine", ne peut-on reconnaître dans la laïcité positive des symptômes plus profonds ? Peut-être les prémices de la politique de civilisation dont le président vient, à Riyad, de préciser le contenu : "C'est une politique qui se donne pour but de civiliser la globalisation
    (et) qui intègre la dimension intellectuelle, morale, spirituelle..." Peut- être la volonté de renouer avec cette philosophie d'essence thomiste qui a été longtemps marginalisée en France au profit exclusif du marxisme et de l'existentialisme. N'oublions pas que le personnalisme d'Emmanuel Mounier a été une réponse à l'existentialisme sartrien ; de même que l'humanisme intégral théorisé par Jacques Maritain fut une réaction à l'humanisme marxiste. Par-delà ce ressourcement philosophique et ces premiers balbutiements d'une politique de civilisation, n'y a-t-il pas dans le repositionnement sarkozyen un retour au gaullisme ? De Gaulle, en effet, qui a gravé la laïcité de l'Etat dans la Constitution, ne déclarait il pas, le 31 mai 1967 à Rome : "L'Église est éternelle et la France ne mourra pas. L'essentiel, pour elle, est qu'elle reste fidèle à ce qu'elle est et, par conséquent, fidèle à tous les liens qui l'unissent à notre Église." C'est encore lui qui affirmait, le 11 février 1950 : "Nous sommes un pays chrétien, c'est un fait. Nous le sommes depuis longtemps... Eh bien, nous n'avons pas besoin de nous méconnaître et cette flamme chrétienne, en ce qu'elle a d'humain, en ce qu'elle a de moral, elle est aussi la nôtre." 

    Mezri Haddad, philosophe.
    Jean-François Mattéi, philosophe.

  • Poutine à Versailles : j’y étais, je vous raconte

     

    Par Gabrielle Cluzel

    Voici un récit de la rencontre de Versailles vécue par Gabrielle Cluzel pour Boulevard Voltaire, publié hier mardi. Par ses référence historiques, mais aussi littéraires, ses réflexions d'ordre politique mais aussi culturel, on le verra, cet article de choses vues et les remarques qu'elles induisent, intéressera le lecteur royaliste, ou seulement patriote, de Lafautearousseau.  Rappelons pour ceux qui l'ignoreraient que Gabrielle Cluzel a participé - d'ailleurs brillamment - au colloque du Cercle de Flore « Refonder le bien commun », du 13 mai dernier, à Paris (Illustration ci-dessous)LFAR 

     
    g cluzelle - Copie.jpgHier, Emmanuel Macron a reçu Vladimir Poutine à Versailles. Ils y ont tous deux donné une conférence de presse dans l’après-midi. J’ai eu la joie et le privilège d’y participer pour Boulevard Voltaire.

    Un journaliste de la presse alternative dans ce genre de rassemblement, c’est un peu Proust chez la duchesse de Guermantes. « C’est pour quel média ? », claironne, à l’entrée, la dame qui compulse ses listes d’un doigt mouillé, telle l’aboyeur à l’entrée du bal. « Boulevard Voltaire », chuchoté-je, en regardant à droite et à gauche comme si j’avouais être vendeuse dans un sex-shop. Non, tout va bien. Le cameraman, devant, me tient encore la porte. Il n’a pas dû entendre.

    Mais oui, j’ai pu rentrer. Mais non, on ne m’a pas refusé mon accréditation. Dites donc, on ne vit pas en Union soviétique, quand même… pour rester dans le registre géographique de la journée.

    Les journalistes sont invités à attendre dans la galerie des Batailles. Le cadre est somptueux, les murs sont couverts d’immenses tableaux chantant l’épopée militaire française sous l’Ancien Régime. Ils sont virils, guerriers, figuratifs, regorgent d’étendards dorés, d’uniformes chamarrés et de fierté française glorifiée : tout ce que déteste la gauche, mais on n’a rien trouvé de mieux pour en imposer au dirigeant d’une grande puissance avec lequel on souhaite négocier.

    « Il n’y a pas une culture française, mais des cultures françaises », a dit Emmanuel Macron, mais c’est pourtant celle-là – la grande, l’éternelle, la belle, la seule qui incarne notre pays dans l’imaginaire étranger, à défaut de peupler encore celui des Français – qu’il a choisie. Eh pardi ! Je le comprends : le premier qui réussit à inspirer le respect à qui que ce soit à l’ombre d’un plug anal vert pomme, assis dans l’entonnoir du vagin de la reine, me prévient.

    Si la ponctualité est la politesse des rois, on se souvient vite qu’en dépit du cadre, on est en république. Les journalistes poireautent, poireautent, poireautent. Les plus à plaindre sont les chaînes d’information continue. Elles se refilent le micro pour commenter, sur l’air d’une pièce de Beckett En attendant Macron. « Les deux présidents ont passé une heure à discuter ensemble, ils avaient beaucoup de choses à se dire. » Certes. Ils ont aussi passé une heure à table. Ils devaient avoir très faim, hein ? 

    Les présidents arrivent enfin.

    Macron évoque dès le début Pierre le Grand, et Poutine Anne de Kiev. Tous deux une amitié franco-russe qui n’a jamais cessé. Hollande, devant sa télé, doit s’étrangler. Poutine avoue être très impressionné par Versailles, qu’il n’avait jamais visité. Macron cite son ministre de la Culture, éditeur, qui a publié Tchekhov et Dostoïevski. L’un et l’autre annoncent un partenariat culturel, dans lequel les jeunesses des deux pays auront grande part.

    Puis vient le tour de la Syrie : la priorité absolue est la lutte contre Daech, et elle passe par la coopération des deux pays. Ils parlent même – à l’initiative d’un journaliste de l’AFP – de la rencontre entre Poutine et Marine Le Pen. Poutine ne renie rien, bien au contraire – « Marine Le Pen a toujours œuvré pour le rapprochement avec la Russie ». Macron ne lui en fait pas grief puisque, finalement, c’est lui qui a gagné.

    Le parcours d’Emmanuel Macron aurait été d’ailleurs presque sans faute… sans la question d’une journaliste de Russia Today : celle-ci s’étonne de l’ostracisme dont son média a fait l’objet durant sa campagne. « RT et Sputnik sont des organes d’influence, pas des journalistes », s’emporte-t-il, se prenant de ce fait légèrement les pieds dans le tapis : parce que tous ces braves gens de la presse française ici présents ont toujours été, peut-être, à l’endroit de Vladimir Poutine, d’une parfaite neutralité ?

    On retiendra cependant un mot de son discours : « Je suis un pragmatique », qui laisse enfin espérer un retour salvateur à un peu de realpolitik. On peut être de la presse alternative et constater les évolutions positives, non ?   

    Ecrivain, journaliste
     
    Voir aussi dans Lafautearousseau ...
     
     
    [Vidéo du colloque et intervention de Gabrielle Cluzelle à partir de 2 h 50']
  • L'aventure France en feuilleton : Aujourd'hui (116), Des Versailles partout, au XVIIIème siècle...

    1525222289.jpg

    ...Quand l'Europe était "française", et que ses élites, partout, parlaient français....

    Le mérite de cette carte ne réside évidemment pas dans son esthétique, franchement désastreuse...


    Il est de nous donner une idée de l'influence française au XVIIIème siècle, lui-même prolongeant le XVIIème, au point qu'on devrait presque parle "des" Grands siècles, le XVIIème et le XVIIIème formant un ensemble inséparable, du point de vue culturel, au cours duquel la France a exercé une prépondérance et une fascination qu'elle ne devait plus retrouver par la suite.

    Le roi de Prusse, le grand Frédéric, pourtant adversaire acharné de la France, ne s'exprimait qu'en français, et ne lisait que des auteurs français. Bainville explique (dans "L'Allemagne") que si, d'aventure, il lui arrivait de lire un auteur allemand, il se le faisait traduire, d'abord, en français !... C'était l'époque où les écrivains russes, non seulement employaient des mots français dans leurs romans, mais même des phrases entières...
    Même le si funeste et si anti-français Traité de Vienne de 1815 fut intégralement rédigé en français, et signé par chacun des souverains coalisés contre nous, es-qualité, en français !...
    Cette prépondérance culturelle, qu'on a du mal à imaginer aujourd'hui, s'est traduite, du point de vue architectural, par une sorte de frénésie d'imitations du palais-temple du Roi soleil : on pourrait parler, sur le ton de la plaisanterie, d'une véritable épidémie de "Versaillite aigüe"....
    C'était le temps où la France donnait le ton, dans tous les domaines; c'était le temps de "l'Europe française"...

    1. C'est en Allemagne que l'on compte le plus grand nombre d'imitations de Versailles, presque chaque potentat local se faisant construire le sien.
    Les plus célèbres sont :
    * à Bonn, les châteaux d'Augustusburg et de Falkenlust;
    * à Brühl, celui de l'archevêque-électeur de Cologne;
    * mais aussi ceux de Mannheim, Ludwigsburg, Schwetzingen, Karlsruhe...
    * Herrenhausen à Hanovre;
    *Schleissheim près de Munich; * Nordkirchen, près de Coesfeld, édifié pour le prince-évêque de Münster;
    * la Residenz de l'archevêque de Würzburg;
    * le Wilhelmshöhe, à Cassel, construit en 1786 par Wilhelm IX, Landgrave de Hesse-Kassel.
    Et, bien sûr les palais de Sans souci à Potsdam et de Charlottenburg, près de Berlin, et ceux de Louis II de Bavière, qui commanda la construction du château de Herrenchiemsee, sous la forme d'une copie presque à l'identique de Versailles, et la petite réplique de Linderhoff...

    2. En Autriche-Hongrie, le château de Schönbrunn, à Vienne, reprend les volumes et l'équilibre de la façade côté jardin de Versailles.
    Mais on peut citer, aussi, le château d'Esterházy, en Hongrie.

    3. En Belgique, Charles de Lorraine se fit construire un palais à Bruxelles, vers 1760.
    Le mouvement devait durer, puisque la plupart des réalisations du roi Léopold II de Belgique, réalisées autour de 1900, sont d'inspiration française. Et, en 1892, le duc Engelbert-Marie d’Arenberg, suite à l’incendie d'une partie de son palais sur le Petit Sablon, commanda aux architectes français Flanneau et Girault une reconstitution du célèbre escalier des Ambassadeurs, construit pour Louis XIV à Versailles entre 1672 et 1679, et malheureusement détruit sous Louis XV...

    4. En Espagne, Philippe V (le duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV et premier roi Bourbon d'Espagne) fit construire le palais de La Granja près de Madrid, qui lui rappelait le Versailles de son enfance et que les Espagnols appellent toujours "el pequeno Versalles" (le petit Versailles) ....

    5. Au Portugal, c'est le palais royal de Queluz (près de Lisbonne) qui reprend les canons versaillais...

    6. En Italie, Luigi Vanvitelli, construisit, à partir de 1752, le palais de Caserte près de Naples; mais on peut citer aussi Colorno près de Parme et Stupinigi à l'extérieur de Turin...

    7. En Pologne, le palais de Wilanów fut édifié au sud de Varsovie pour le compte de Jean Sobieski, roi de Pologne: mais on peut citer aussi Lazienki, et le palais de Branicki à Bialystok...

    8. En Russie, le Tsar Pierre 1er, qui s'était rendu à Versailles à l'occasion de sa "Grande Ambassade" fit construire, dans les faubourgs de Saint-Pétersbourg, le complexe de Peterhof, entouré de jardins et de parcs.

    9. En Suède, on peut citer le château de Drottningholm à Stockholm.

    10. Enfin, la Grande-Bretagne vit s'édifier Chatsworth House, et le palais de Blenheim, construit comme monument national pour l'adversaire de Louis XIV, le duc de Marlborough...

    En France même, la réplique la plus célèbre, et la plus réussie, est le château de Lunéville, en Lorraine (d'ailleurs, souvent appelé "le Versailles lorrain").
    Le château de Saverne dans le Bas-Rhin, qui fut résidence principale des princes-évêques de Strasbourg jusqu'à la Révolution Française, est, lui aussi, directement inspiré, de Versailles...

    Pour retrouver l'intégralité du feuilleton, cliquez sur le lien suivant : 

    L'aventure France racontée par les Cartes...

     

    lafautearousseau

  • Annie Laurent : « la conscience d’une identité européenne s’est largement forgée dans la confrontation avec l’islam »

     

    Annie Laurent nous a fait l'amitié de nous signaler l'important entretien qu'elle vient d'accorder au site ami Le Rouge et le Noir. Les lecteurs de Lafautearousseau en prendront connaissance avec grand intérêt. Eventuellement pour le commenter et en débattre.  LFAR 

    Titulaire d’un doctorat d’Etat en sciences politiques, Annie Laurent s’est spécialisée dans les domaines touchant aux questions politiques du Proche-Orient, à l’Islam, aux chrétiens d’Orient et aux relations interreligieuses. Auteur de plusieurs livres sur ces sujets, elle fut aussi nommée experte par le pape Benoît XVI au Synode spécial des Évêques pour le Moyen-Orient qui s’est tenu à Rome en octobre 2010.

    Elle a bien voulu accorder un entretien fleuve au Rouge & le Noir à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, L’Islam - pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore) publié aux éditions Artège en avril 2017. 288 pages.

     

    1435703774.jpgR&N : Quelles sont les principales questions que soulève la présence de l’islam en Europe ?

    Annie Laurent : « Naguère, nous rencontrions des musulmans, aujourd’hui nous rencontrons l’islam ». Cette phrase prononcée par le cardinal Bernard Panafieu, archevêque émérite de Marseille, dans une conférence qu’il donnait il y a une quinzaine d’années, illustre bien le changement de perspective qui s’est opéré, dans notre pays. Après la Seconde Guerre mondiale, les premiers immigrés musulmans étaient pour l’essentiel des hommes qui venaient en célibataires pour des raisons économiques et aspiraient à rentrer dans leurs pays d’origine une fois qu’ils auraient les moyens de faire vivre leurs familles chez eux. Ils n’avaient donc aucune revendication d’ordre religieux ou communautaire. Tout a changé à partir des années 1970 au cours desquelles divers gouvernements ont opté pour le regroupement familial (en France, ce fut en 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing), puis pour des assouplissements en matière de nationalité (droit du sol plutôt que droit du sang) et, enfin, la possibilité accordée aux étrangers de fonder des associations de la loi 1901. Des évolutions de cette nature se sont produites dans la plupart des pays d’Europe, certains optant même officiellement pour le multiculturalisme, comme en Grande-Bretagne.

    Ainsi, peu à peu, le Vieux Continent a eu affaire à une immigration de peuplement, donc définitive. Les musulmans en Europe veulent vivre selon les principes de leur religion et de leur culture. Il faut savoir que l’islam porte un projet qui est aussi social et politique puisqu’il mêle le spirituel et le temporel. Et cette conception repose sur une volonté attribuée à Dieu, à travers le Coran, et sur l’exemplarité de Mahomet, qualifié de « beau modèle » dans ce même Coran (33, 21).

    Or, les fondements de la culture islamique sont étrangers à ceux de la culture européenne, qui repose essentiellement sur le christianisme. Par exemple, l’islam ignore le concept de « personne », qui est d’origine biblique et s’enracine dans la réalité du Dieu trinitaire. La Genèse enseigne en effet que “Dieu créa l’homme à Son image, à l’image de Dieu, Il le créa, Il les créa homme et femme” (Gen 1, 27). Ainsi comprise, la personne humaine est dotée d’une dignité inaliénable et inviolable. Or, le récit coranique de la création occulte cette merveilleuse réalité. Allah reste étranger à l’homme, Il ne partage rien avec lui. Le mot « personne » est d’ailleurs absent du vocabulaire arabe. C’est pourquoi les chrétiens arabisés du Proche-Orient ont conservé l’usage du mot « ouqnoum », qui signifie « personne » en araméen, la langue que parlait le Christ. Dans l’islam, l’individu trouve sa dignité en tant que « soumis » à Dieu et membre de l’Oumma, la communauté des musulmans, éléments qui le privent d’une vraie liberté, notamment dans le domaine de la conscience et de la raison.

    Il s’agit là d’une divergence fondamentale entre le christianisme et l’islam concernant la vision de l’homme et de sa vocation.

    En s’établissant en Europe, les musulmans auraient pu bénéficier de la conception chrétienne en matière d’anthropologie. Mais l’islam s’installe chez nous alors que nous avons perdu de vue les racines de cette vision sur l’homme et de tout ce qui constitue les fondements de notre civilisation, notamment la liberté, dévoyée en libéralisme absolu, et l’égalité, dévoyée en égalitarisme ; alors aussi que nous sommes pervertis par l’athéisme et le laïcisme. Ayant délaissé notre héritage chrétien, nous sommes incapables de transmettre aux musulmans ce que nous avons de meilleur. En outre, ces derniers rejettent notre culture actuelle, alors qu’il y a encore un siècle elle leur paraissait attrayante et digne d’imitation.

    Pour répondre plus précisément à votre question, l’islam en Europe heurte de plein fouet une société décadente qui, non seulement la rend incapable de relever le défi existentiel représenté par cette réalité nouvelle, mais la prépare à se soumettre à un système où Dieu et la loi divine ont la première place. Le problème est donc avant tout spirituel et culturel.

    Quel statut l’islam donne-t-il au texte du Coran ? Comment l’islam accepte-t-il (ou non) la critique littéraire et historique de son texte et de sa formation ?

    Selon une définition dogmatique fixée au IXe siècle, au temps du califat abbasside régnant à Bagdad, le Coran est un Livre « incréé ». Il a Dieu seul pour auteur. Il fait même partie de l’être divin puisque, dans sa forme matérielle, il est la copie conforme d’un original, la « Mère du Livre », conservé auprès d’Allah de toute éternité (Coran 13, 39), donc préexistant à l’histoire. Contrairement à la Bible, qui se présente comme un recueil d’œuvres écrites par des hommes sous la motion de l’Esprit Saint (doctrine de l’inspiration), la créature humaine n’a joué aucun rôle dans l’élaboration et la rédaction du Coran. Pour accréditer cette thèse, les musulmans ont toujours dit que Mahomet était illettré et ils l’ont présenté comme le transmetteur passif.

    A cause de son statut divin, le Coran est intouchable. Il ne peut être soumis à une exégèse faisant appel aux sciences humaines, selon les critères historico-critiques appliqués à la Bible dans l’Église catholique. Il n’est pas interdit de s’interroger sur « les circonstances historiques de la Révélation » ; cette science est reconnue par les écoles qui ne s’en tiennent pas à une lecture littéraliste, mais elle ne peut contredire le caractère éternel du Coran dont le contenu est anhistorique. De même, les savants musulmans admettent le rôle du troisième calife, Othman, dans la composition du Coran tel qu’il existe encore. Mais ils ne s’interrogent pas, par exemple, sur les raisons qui ont motivé l’ordonnancement du texte. Les sourates et les versets ne sont pas classés par ordre chronologique de leur « descente » (mot servant à qualifier la transmission du Coran à Mahomet par l’ange Gabriel) ni par ordre thématique. L’ordre retenu est la longueur décroissante des sourates, la première mise à part, qui est très brève. Si bien que la deuxième est la plus longue tandis que la dernière, la 114è, est la plus courte. S’il en fut ainsi c’est que Dieu l’a voulu. La critique littéraire est également impossible. Le Coran se présente comme ayant été dicté en langue arabe (41, 2-3 et 43, 3). Or, des recherches effectuées par des philologues, malheureusement non musulmans, montrent que ce texte contient des emprunts à d’autres langues sémitiques comme l’araméen et le syriaque.

    Il faut espérer que des musulmans oseront un jour se lancer dans des recherches scientifiques sur tous les aspects relatifs aux origines du Coran et de leur religion. On observe cependant de nos jours une prise de conscience chez certains de leurs intellectuels du fait qu’il y a un mal interne à l’islam et que la crise actuelle, d’une gravité sans précédent, ne trouvera pas de solution tant qu’une autorité reconnue n’aura pas le courage de soutenir d’authentiques travaux scientifiques sur le Coran.

    « Ce n’est pas ça l’islam », entendons-nous régulièrement après un attentat islamique. Les mouvements djihadistes se situent-ils en marge de l’islam ?

    Il est de bon ton d’affirmer que l’islamisme, au sein duquel le djihadisme constitue la forme violente, est étranger à l’islam, qu’il en constitue une perversion ou un accident de l’histoire. Cela est faux. D’ailleurs, jusqu’au XXe siècle, en Occident, la religion des musulmans était appelée « islamisme ». Désormais, on veut distinguer l’islam compris comme religion de l’islamisme compris comme idéologie. Mais les deux dimensions sont étroitement mêlées.

    Le Coran comporte des dizaines de versets dans lesquels Allah demande aux musulmans de combattre, de tuer, d’humilier, etc. Je n’en citerai ici que deux : « Combattez : ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ; ceux qui ne déclarent pas illicite ce que Dieu et son Prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre [juifs et chrétiens selon le Coran], ne pratiquent pas la vraie religion. Combattez-les jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut après s’être humiliés » (9, 29). Et celui-ci : « Que les incrédules n’espèrent pas l’emporter sur vous ! Ils sont incapables de vous affaiblir. Préparez, pour lutter contre eux, tout ce que vous trouverez de forces et de cavalerie, afin d’effrayer l’ennemi de Dieu et le vôtre » (8, 59-60).

    Les djihadistes se conforment donc à ce qu’ils croient être des ordres divins. Et ils anathématisent ceux qui, parmi leurs coreligionnaires, refusent de pratiquer la violence. Pour eux, ce sont de mauvais musulmans qui méritent donc également la mort.

    On ne doit certes pas enfermer tous les musulmans, pris indistinctement, dans un cadre idéologique légitimant la violence, mais prétendre que les djihadistes trahissent l’islam est une erreur. Le problème est qu’aucune autorité ne peut vraiment les condamner, sauf à considérer le Coran comme condamnable.

    Le concept de taqiya existe-t-il réellement dans l’islam ou est-ce une invention récente ?

    Précisons d’abord le sens de ce mot arabe : taqiya signifie « dissimulation ». Or, là aussi, contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas d’une perversion de l’islam. Certes, le Coran interdit formellement de renoncer à leur religion, sous peine de châtiments divins et de malédictions éternelles (cf. 2, 217 ; 3, 87 ; 4, 115 et 16, 106). Les musulmans ne peuvent donc en principe dissimuler leur identité et travestir leurs croyances. Cependant, le Coran évoque deux types de situations où il est possible, voire recommandé, de pratiquer la taqiya. D’une part, en cas de contrainte extérieure, le musulman peut renier Dieu extérieurement tout en conservant sa croyance dans le cœur (16, 106). D’autre part, en cas de rapports de forces défavorables, lorsque le fait de s’opposer aux infidèles présente du danger, il est possible de prendre ceux-ci pour alliés (3, 28-29) alors qu’en principe cela n’est pas autorisé (3, 118 ; 5, 51 ; 9, 23 ; 60, 13).

    On est loin ici de la doctrine chrétienne, pour laquelle aucun prétexte ne doit servir à dissimuler sa foi en Jésus-Christ ou son identité baptismale, ce qui peut évidemment conduire au martyre.

    Cela dit, historiquement, la taqiya a d’abord été pratiquée dans les communautés minoritaires ou dissidentes (chiites, druzes, alaouites, alévis). Mais aujourd’hui, elle est admise chez les sunnites, surtout lorsque ceux-ci sont en situation de minorités comme c’est le cas en Europe.

    Les catholiques sont invités à imiter le Christ et les saints. Quel modèle Mahomet est-il pour le musulman ? L’islam donne-t-il à ses fidèles d’autres exemples à suivre ?

    Pour les musulmans, Mahomet est le « sceau des prophètes ». « Pas de prophète après moi », aurait-il dit, selon la tradition islamique. Il est donc le plus grand, le préféré d’Allah qui lui a accordé une bénédiction spéciale, et son comportement est édifiant. Toute critique à son égard est dès lors considérée comme blasphématoire. On l’a vu avec les réactions violentes qui ont suivi les caricatures de Mahomet.

    Du fait de cette excellence, cela ordonne de lui obéir car cela revient à obéir à Dieu (3, 132 ; 4, 80). Tout ce que Mahomet a dit, a fait ou n’a pas fait, en telle ou telle circonstance est donc normatif, digne d’imitation. Les récits rapportant tous ses actes, ses recommandations et ses ordres ont été recueillis par des témoins, puis rassemblés dans des volumes qui constituent la Sunna, la tradition prophétique. Celle-ci a tellement d’importance qu’elle est la deuxième source du droit musulman. Elle complète ce qui manque au Coran dans l’ordre législatif. En Occident, on a trop tendance à minimiser l’importance de la Sunna. Ce qui me frappe, c’est que les musulmans savent que Mahomet a tué, a menti et a rusé, a pillé des caravanes, a spolié les juifs de Médine de leurs biens, a été polygame, autrement dit n’a pas eu une vie morale exemplaire. Mais ils ne s’interrogent pas sur son comportement et ne se lancent pas dans une comparaison avec celui de Jésus tel qu’il est rapporté dans les Évangile. Au contraire, le fait que Mahomet ait eu une vie comme celle de nombreux hommes sert l’apologétique islamique : elle permet de montrer que les musulmans ne considèrent pas Mahomet comme un dieu, sous-entendu comme le font les chrétiens avec Jésus.

    Pour l’islam, Jésus n’est qu’un prophète, chargé d’une double mission : apporter l’Évangile pour rectifier les erreurs que les juifs auraient introduites dans la Torah de Moïse, annoncer la venue de Mahomet comme « sceau des prophètes ». C’est en cela qu’il est digne de respect. Mais il n’est ni le Fils de Dieu, ni Rédempteur. Ignorant la réalité du péché originel, l’islam ne conçoit pas la nécessité d’un salut.

    Un personnage occupe une place privilégiée dans le Coran. Il s’agit de Marie, à laquelle la sourate 19, qui porte d’ailleurs son nom, consacre de beaux passages. Certes, son identité est floue car elle est présentée à la fois comme la mère de Jésus et comme la sœur de Moïse et d’Aaron, lesquels avaient bien une sœur portant le nom de Mariam. Mais des générations séparent les deux Marie. Selon le Coran, Marie est honorée pour avoir donné naissance au prophète Jésus, conçu miraculeusement. Sa virginité perpétuelle est également reconnue. Mais, après la naissance de son fils, elle disparaît, on ne parle plus d’elle. Cependant, elle est décrite comme une parfaite musulmane, soumise à Dieu. C’est en cela que les musulmans sont i

  • Erdogan ou l’islamo-nationalisme en marche, par Antoine de Lacoste.

    Du XVIe siècle au XXIe, la Turquie n'a cessé de décroître. Erdogan, conscient que son pays est un pivot entre l'Europe et l'Asie, veut lui redonner une place prépondérante. La faiblesse de l'Union européenne favorise ses desseins de nostalgique ottoman.

    antoine de lacoste.jpgLe sultan Erdogan rêve souvent de l’Empire ottoman. Durant plusieurs siècles, cet empire régna sur d’immenses territoires comprenant le Proche-Orient, la péninsule arabique et une partie de l’Afrique du nord où il avait dominé les tribus arabes ou supplanté des califats déclinants. L’Europe fut aussi sa proie avec les Balkans et plus au nord jusqu’aux portes de Vienne. Rome fut un moment un objectif avoué. Après avoir transformé Sainte-Sophie en mosquée, pourquoi ne pas faire la même chose avec Saint-Pierre de Rome ? Le triomphe serait complet.

    La Méditerranée n’échappait pas à la voracité ottomane et, soit directement soit par le biais des barbaresques, les galères d’Allah faisaient régner la terreur. C’est pourtant là que le déclin commença avec l’échec du siège de Malte en 1565 puis la destruction de la flotte turque à Lépante en 1571.

    La défaite devant Vienne en 1683 amorça le reflux définitif et, jusqu’à la première guerre mondiale, l’Empire ottoman traîna sa misère d’« homme malade de l’Europe ». Les convoitises étaient multiples. Les Russes rêvaient de reconquérir Constantinople et de refaire de Sainte-Sophie la grande basilique du monde orthodoxe. La funeste guerre de Crimée les en empêcha.

    Mais l’histoire s’accéléra au XXe siècle. Les Italiens conquirent la Libye en 1911, puis Rhodes et le Dodécanèse. Les guerres balkaniques de 1912-1913 entraînèrent le départ définitif de cette région. Enfin, le Traité de Sèvres en 1920 dépeça totalement la Turquie, cœur de l’Empire. Les Français reçurent la Cilicie ; les Grecs, Constantinople, la Thrace et l’Anatolie égéenne ; l’Italie, le sud-ouest de l’Anatolie. La création d’un État arménien à l’est compléta le tableau et la Turquie fut réduite à l’Anatolie centrale avec Ankara.

    Un homme va inverser le cours de l’histoire : Mustapha Kemal. Depuis son réduit, il part à la reconquête des territoires perdus et profite de la mollesse des Occidentaux en traitant avec eux séparément. Les Français notamment abandonnent la Cilicie et les chrétiens qui la peuplaient. Seuls les Grecs se battent, mais ils sont vaincus et doivent quitter l’Anatolie égéenne après des millénaires de présence. Leur ville, Smyrne, est détruite et deviendra Izmir.

    Parallèlement, Mustapha Kemal proclame la république et entreprend une politique de laïcisation à marche forcée : interdiction du voile et de tout costume religieux, abolition des tribunaux coraniques, occidentalisation généralisée. Malgré plusieurs révoltes religieuses menées notamment par les Kurdes et différentes confréries religieuses, Kemal tient bon et réprime durement. Il s’appuie sur son immense aura de sauveur du pays.

    À sa mort, il laisse un État-nation laïque et une armée puissante, chargée de veiller à la laïcité du pays. Au fond, Kemal n’aimait pas l’islam, religion arabe dont les Turcs auraient dû selon lui rester à l’écart.

    La révolution religieuse d’Erdogan

    Ce rappel historique était nécessaire si l’on veut comprendre l’ampleur de la révolution religieuse voulue par Erdogan.

    Ce militant islamiste de la première heure va patiemment tisser sa toile et enchaîner les mandats : maire d’Istanbul en 1994, premier ministre de 2003 à 2014, puis président de la République. Seul accroc : quelques mois de prison en 1998 pour propos islamistes (« Les minarets seront nos baïonnettes »). C’est l’armée turque qui avait organisé la procédure, comme la constitution le lui permettait, et Erdogan lui vouera une haine profonde.

    Le coup d’État kémaliste de 2016 et son échec seront l’occasion pour Erdogan de se venger et d’épurer l’armée de ses éléments laïques. L’islamisation de la société turque s’accélère alors.

    Parallèlement, Erdogan déploie une politique étrangère particulièrement hégémonique, ce qui est tout à fait nouveau depuis un siècle.

    Certes, la Turquie avait été très active auprès des musulmans bosniaques qu’elle arma, finança et islamisa dans les années 90 mais c’était avec la bénédiction des États-Unis dont l’obsession était de détruire la puissance serbe. L’expansion n’était en rien le cœur de la diplomatie turque. Erdogan va s’y atteler, là aussi avec méthode.

    La guerre en Syrie, qui éclate en 2011, va être le premier acte de cette omniprésence. Soutenant les milices islamistes turkmènes, et celles liées au Qatar, la Turquie ne ménagera pas ses efforts et son argent pour tenter de renverser Bachar el-Assad. Ce dernier, alaouite donc proche des chiites, sera l’objet d’une haine toute particulière. Au-delà des principes religieux, il y a l’enjeu du gaz. Le Qatar a joué un rôle actif en Syrie avec pour objectif d’y installer un régime sunnite permettant de faire un jour passer des gazoducs. C’est pour l’instant impossible car, alliée de la Russie, elle aussi exportatrice de gaz, la Syrie ne permettra jamais au Qatar de faire passer son gaz chez lui.

    La Turquie et le Qatar ont des liens étroits car leur idéologie relève de la même obédience, celle des très politiques Frères musulmans. Cette confrérie, récente mais fort active dans le monde musulman, est en conflit ouvert avec les wahhabites saoudiens, et lorsque Mohamed ben Salman (MBS), prince héritier d’Arabie Saoudite, décrètera un blocus terrestre et maritime contre le Qatar en 2017, Erdogan volera au secours de son frère en islamisme. Aujourd’hui, un important contingent turc campe au Qatar, lui assurant une solide protection. En échange, le Qatar investit beaucoup en Turquie et a aménagé chez lui un port en eau profonde afin de permettre à la marine turque d’y mouiller.

    Grâce à la Russie, l’opération syrienne va échouer malgré les efforts d’Erdogan qui laissera passer sur son sol des dizaines de milliers de volontaires de Daech en route pour le grand djihad syrien. Il finira, sous la pression des Occidentaux, par bloquer les accès, et Daech l’en punira par une série d’attentats sanglants perpétrés sur le sol turc.

    Profitant des multiples rebondissements de cette guerre sans fin, la Turquie va envahir le sol syrien à plusieurs reprises : au nord-ouest, dans la province d’Idleb, pour protéger les milices turkmènes, et au nord sous prétexte de lutter contre Daech et d’empêcher les Kurdes, considérés comme terroristes, de créer un territoire autonome au nord de la Syrie.

    Seuls les Russes aujourd’hui contrôlent l’invasion turque. Au nord, Poutine a clairement signifié à Erdogan de ne pas aller plus loin et à Idleb, la partie turque a été rognée à deux reprises en 2019 et 2020 par des attaques russo-syriennes qu’Erdogan n’a pu empêcher. Des dizaines de soldats turcs ont été tués et Erdogan a compris qu’il avait trouvé un adversaire supérieur.

    Russie forte, Europe faible

    Ce n’est pas le cas des Occidentaux bien sûr. La guerre en Syrie a provoqué l’afflux de plusieurs millions de réfugiés (on parle de 3 à 4 millions). Le désordre qui prévaut dans la région fait qu’à ces Syriens (bien souvent islamistes) se sont ajoutés des Irakiens, des Afghans, des Iraniens, des Kurdes, des Pakistanais et d’autres encore.

    Cette Tour de Babel est, il est vrai, un poids très lourd pour la Turquie, mais elle est surtout une bombe à retardement pour l’Europe occidentale. Les négociations entre l’Europe et Erdogan se sont résumées à un chantage éhonté de la part de ce dernier qui a reçu quelques milliards d’euros (on parle de 6 ou 7, et ce n’est sûrement pas fini) en échange du contrôle de ses réfugiés. Et lorsque le chèque tarde, Erdogan envoie quelques milliers d’entre eux vers la Grèce. La dernière tentative s’est toutefois soldée par un échec grâce à l’énergie des Grecs (dont on ferait bien de s’inspirer chez nous) qui ont bloqué les réfugiés à leurs frontières. La violence avec laquelle ces derniers ont attaqué la police grecque en dit long sur leur état d’esprit…

    Tous ces épisodes ont convaincu Erdogan de deux principes : la Russie est forte et l’Europe est faible. Ses initiatives suivantes prouveront qu’il sait très bien s’adapter.

    Il a d’autant plus intérêt à soigner sa relation avec la Russie que la Turquie souffre d’un déficit énergétique très coûteux alors que ses besoins sont en croissance constante et les finances du pays médiocres. Les deux ennemis en Syrie se sont parfaitement entendus sur cette question et un gazoduc appelé Turkstream partant de Russie, traversant la Mer Noire et finissant son trajet près d’Istanbul a été solennellement inauguré début 2020.

    Mais cela ne suffit pas. C’est pourquoi Erdogan s’intéresse de très près aux affaires gazières de Méditerranée.

    Depuis quelques années, plusieurs gisements de gaz ont été découverts en Méditerranée orientale. Israël, l’Egypte, la Grèce et Chypre en sont les heureux bénéficiaires. Ils s’entendent si bien qu’ils ont créé en 2019 le Forum du gaz de la Méditerranée orientale (FGMO) en invitant en outre la Jordanie, l’Autorité palestinienne et l’Italie. L’idée est de construire un gazoduc appelé Eastmed qui partirait de Chypre, longerait la Crète puis la Grèce pour finir en Italie.

    Tous ces pays ont décidé d’écarter la Turquie pour un bon motif : elle ne peut prétendre à aucun gisement faute d’eaux territoriales concernées par les gisements et surtout d’entente avec les autres pays. L’occupation illégale de la partie nord de Chypre ne saurait être créatrice de droits. L’affaire aurait tout de même pu s’arranger par le biais de négociations. En effet, au-delà des eaux territoriales, il y a les ZEE (Zones économiques exclusives), tracées à la suite de négociations entre États.

    Erdogan ne peut accepter d’être ainsi mis à l’écart. Il faut donc bien comprendre que l’activité de la Turquie en Méditerranée n’est pas seulement liée à une volonté d’expansion mais aussi à la tentative de forcer les pays du FGMO à l’inclure dans le partage du gâteau. Ceux-ci n’étant guère décidés à faire des concessions à l’ombrageux ottoman, ils subissent régulièrement des coups de force de la marine turque qui procède à des forages illégaux ou à des agressions contre d’autres navires de forage.

    De ce fait, l’implantation en Libye relève quant à elle de cette double ambition : redonner à la Turquie un statut de grande puissance et diminuer sa dépendance énergétique

    En intervenant militairement en Libye, Erdogan a sauvé le premier ministre Sarraj qui, en échange, a accepté de parapher avec son sauveur une ZEE parfaitement illégale car elle ne tient compte que des droits maritimes de la Libye et de la Turquie. Toutes les îles grecques ont coulé, en quelque sorte !

    La “diplomatie religieuse” turque

    Le bras de fer maritime ne fait que commencer et il s’agrémente de livraisons d’armes massives à la Libye protégées par la marine de guerre turque. Cette violation d’un embargo d’ailleurs peu respecté a entraîné une réaction pour une fois courageuse de la France, qui dut cependant reculer devant la pression américaine. Le secrétaire d’État Pompéo a subtilement rappelé à cette occasion que le seul ennemi en Méditerranée était la Russie qui ne devait pas s’implanter en Libye.

    C’est pourtant chose faite. Poutine soutient Haftar, vaincu en Tripolitaine par les Turcs et les islamistes syriens arrivés dans leurs bagages, mais tenant l’est de la Cyrénaïque. Les champs de pétrole libyens se trouvent entre les deux, près de Syrte et il est frappant de constater que les hommes d’Erdogan se sont arrêtés juste avant Syrte, alors que les hommes d’Haftar étaient en déroute.

    Turcs et Russes se partagent donc aujourd’hui la Libye, excepté le sud (Fezzan) où, de ce fait, un retour de Daech est observé.

    On mesure en passant l’invraisemblable stupidité de l’intervention franco-anglo-américaine de 2011 : avoir détruit l’État libyen pour laisser les Turcs et les Russes se le partager ensuite, cela laisse pantois. Vraiment cette guerre est « rationnellement inexplicable » selon le bon mot de Bernard Lugan.

    Quoi qu’il en soit, les deux adversaires/partenaires se retrouvent à nouveau face à face. Il faut bien reconnaître que si en Syrie les succès turcs sont modestes, en Libye ce fut une réussite qui permet à la Turquie de posséder un solide point d’appui en Méditerranée.

    Il faut enfin aborder un aspect moins connu de l’expansion turque que l’on pourrait baptiser (si l’on ose dire) « diplomatie religieuse ». Ce terme délicat recouvre habituellement la façon dont l’Arabie Saoudite a financé à travers le monde des mosquées, des imams et des écoles coraniques d’obédience wahhabite. Les Turcs font exactement la même chose dans les Balkans, en Afrique de l’Est, au Liban et en Europe, particulièrement en Allemagne et en France (dernier exemple, la grande mosquée de Strasbourg avec l’aide de la municipalité).

    On en parle peu et on a tort. Un nombre inconnu d’imams turcs prêchent dans des mosquées financées par la Turquie ; ils sont souvent fonctionnaires turcs et leurs propos relèvent d’un islamo-nationaliste turc dont on ferait bien de se préoccuper. Parallèlement, le mouvement des « Loups gris », composé de nationalistes turcs, s’implante en France et certains de ses membres ont attaqué cet été un rassemblement arménien à Décines, près de Lyon.

    C’est peut-être moins spectaculaire que les drones turcs en Libye ou en Syrie, mais peut-être plus dangereux à long terme. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’Erdogan se donne la peine de faire de nombreuses réunions publiques en France et en Allemagne dès qu’une élection a lieu en Turquie.

    La politique hégémonique turque mise en place par Erdogan ne fait que commencer et son caractère islamo-nationaliste ne doit échapper à personne.

     

    Illustration : À Varna, en Bulgarie, le navire d’assaut amphibie turc Sancaktar, capable de transporter blindés, troupes et barges de débarquement.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Insurrection de l’esprit ! par Christian Franchet d'Espèrey

    Le diable porte pierre : nous pressentons devoir quelque jour tresser des couronnes au couple improbable que forment François Hollande et Christiane Taubira.

     

    La droite serait-elle restée au pouvoir qu’elle aurait fait adopter un statut d’union homosexuelle d’apparence bénigne, lisse comme un miroir, conçu de manière à ne provoquer que quelques vaguelettes. Celui-ci n’en eût pas moins entraîné dans son sillage, au profit de ces nouveaux « contractants », la possibilité de s’offrir un enfant par insémination médicale et, le cas échéant, par location d’utérus à prix tarifé – le fameux duo PMA-GPA – qu’aurait inéluctablement imposée la jurisprudence européenne. Le tout serait passé comme une lettre à la poste, dûment tamponnée par le Conseil constitutionnel.

     

    Mais voilà : avec les socialistes au pouvoir, l’inattendu est survenu ! La provocation – rapace chez elle, bêtasse chez lui – de la loi Hollande-Taubira a eu pour effet de déclencher dans l’opinion une prise de conscience de plus en plus nette de la pente tragique sur laquelle nous nous trouvons engagés.

     

    Felix culpa ! Ce choc en retour, tout à fait stupéfiant par son ampleur, est mesurable notamment à la violence des réactions hostiles qu’il provoque. Il est significatif que la première victime expiatoire de cette hostilité fût un rabbin. Pour ses dénonciateurs, les « plagiats » dont le grand rabbin de France a été accusé n’étaient évidemment pas une découverte. Mais ce n’est que lorsqu’il transgressa le désordre établi, avec un argumentaire fondé à la fois sur un bon sens imparable et une irréfutable théologie biblique, qu’il fut jugé, condamné, exécuté. (On ne se souvient pas que Jacques Attali, convaincu en 1982 d’un « délit » identique, ait dû démissionner de son poste de conseiller à l’Élysée.)

     

    Mais que dire de cet étonnant mouvement, sans précédent et sans équivalent dans le monde ? De quelle nature procède-t-il ? Au-delà de la diversité des motivations qui ont amené cette foule, peu encline aux démonstrations de rue, à se mobiliser, quelle force tellurique secrète, quel ébranlement sismique intime a fait d’elle, radieuse et déterminée, cette « grande armée » en marche ?

     

    La lecture que nous en faisons mérite d’être précisée, et soumise à nos lecteurs. Nous y voyons une réponse enfin donnée à la solennelle apostrophe lancée par Georges Bernanos, le 7 février 1947, dans le grand amphithéâtre archicomble de la Sorbonne. Le doigt pointé vers son auditoire, paraissant « le procureur de la Chrétienté »[1], Bernanos s’exclama : Dieu veuille que la France donne au monde ce message qu’il attend, et qui sonnera partout le signal de l’insurrection de l’esprit ! [2]

     

    Le monde, tel que nous le voyons, est en train de faire exploser la confiance illimitée, accordée, en toute inconscience, à la science, à la technique et à l’économique pour assurer le progrès indéfini de l’humanité. Sous nos yeux encore incrédules, la planète est en cours d’éclatement. Les ententes internationales les mieux intentionnées ont du plomb dans l’aile, et les plus douteuses, comme l’Organisation mondiale du commerce ou l’Union européenne, sont en voie de liquéfaction, peut-être de liquidation. Déjà, les étendards cyniques du chacun-pour-soi claquent dans le vent de l’histoire. Le plus ancien pays du monde, la Chine, retrouve son identité multimillénaire, tout en se laissant miner par ses emprunts à l’Occident, commettant les mêmes erreurs historiques, développant une classe de pauvres, un prolétariat, appelé aux mêmes révoltes que le nôtre. Et l’Occident lui-même paraît entré dans une irrémédiable décadence intellectuelle, morale, et sans doute matérielle. En attendant qu’il soit contraint de faire, au sein de ce progrès technique qu’il a lui-même conçu, l’inventaire de ce qui est durable – dans l’art de communiquer ou les pratiques médicales par exemple –, et de ce qui l’entraîne vers l’abîme. 

     

    Cela fait un siècle, pourtant, que nous avons été prévenus. Un siècle précisément cette année. C’était au début de 1913, dans ses Cahiers de la Quinzaine, que Charles Péguy a publié L’Argent. Dix-huit mois plus tard, il était fauché par la mitraille allemande, devenant en quelque sorte la première victime du XXe siècle naissant, qui en fera des dizaines de millions d’autres. Gigantesque holocauste offert à des dieux morts : deux guerres mondiales, Auschwitz, le Goulag... Avant que ne se déchaînent les orages d’acier, Péguy n’avait eu que le temps de désigner le coupable : l’argent. Non pas la monnaie utile aux échanges, mais l’argent sacralisé, intronisé en veau d’or, Mammon, l’autre nom du Diable, expression suprême du lucre, du désir matériel divinisé, avec ses religions, ses rites, ses cultes et ses grands-prêtres. Dans ce texte de circonstance, l’air de rien, l’air de parler d’autre chose, Péguy avait débusqué l’ennemi. Il l’avait fait sortir de sa tanière, et l’avait flingué. Mais la bête aux mille têtes, l’animal de cauchemar, après s’être vengée, a resurgi partout, bien décidée à nous submerger.

     

    C’est à l’issue des grands massacres de 1939-1945 que Bernanos – peu avant, lui aussi, que sa voix ne s’éteigne – poussât le cri que nous venons de citer : Dieu veuille que la France donne au monde ce message… Et voilà qu’en ce printemps de 2013, en ce printemps français de 2013, Dieu a bien voulu que le cœur de la France s’éveille, que, face au monde, il exprime sa colère. Et que l’âme de la France fasse éclater à la face du monde le signal de l’insurrection de l’esprit.

     

    Surcroît de grâce, signe supplémentaire, est survenue, en ce même printemps, cette étonnante coïncidence : l’élection du pape François. Un Américain – hors-normes, il est vrai –, Henry Miller, disait un jour qu’il ne s’arrêtait pas une seconde à l’idée que François d’Assise pût avoir quoi que ce soit à apprendre de notre mode de vie.[3] Le crédit que le pape François accorde à l’univers de la spéculation sans frein et des vanités mondaines, on le connaît déjà : il ne pèse pas lourd… Ce pape vient encore de dénoncer avec vigueur le lien entre « l’adoration de l’antique veau d’or », « le fétichisme de l’argent » et « la profonde crise anthropologique, la négation du primat de l’homme »[4].

     

    Très Saint-Père, la France vient déposer à vos pieds le plus beau cadeau qu’elle pouvait vous offrir : le signal d’une insurrection spirituelle ! Vous n’aurez pas de mal à y reconnaître la signature d’un homme que vous aimez, Léon Bloy, le révolté de Dieu, pour qui celui qui ne prie pas le Seigneur prie le Diable, et dont Bernanos disait qu’il était le dernier prophète du peuple des Pauvres. Très Saint-Père,voyez le peuple de France : il recommence à voir le Ciel, et pour ses seuls vrais biens, il se bat sans retour !

     [1] Selon le témoignage de Jean de Fabrègues, La France catholique, 3 avril 1953

    [2] Le texte de cette conférence figure, sous le titre Révolution et Liberté, dans La Liberté, pour quoi faire ? (Bernanos, Essais et écrits de combat, t.2, La Pléiade, 1995, p.1322). Et son esprit domine le recueil d’articles de l’après-guerre Français si vous saviez, qui sera publié en 1961 (Ibid. p. 1071.)

    [3] Préface à La merveilleuse aventure de Cabeza di Vaca, d’Haniel Long (éditions P.J. Oswald)

    [4] Pape François, Discours à quatre ambassadeurs remettant leurs lettres de créance le 16 mai 2013.