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  • Jean-Frédéric Poisson : « La prolifération de l’islam ne se nourrit que de la faiblesse de notre propre conviction à déf

    Jean-Frédéric Poisson a été député et maire de Rambouillet dans les Yvelines. Un territoire qui, une fois de plus, a été endeuillé par l’égorgement d’une fonctionnaire de police dans les locaux du commissariat. Quelques mois avant, le même département avait connu l’assassinat du couple de policiers de Magnanville et l’égorgement de Samuel Paty.

    Qui sont les responsables ? Nos principes républicains sont-ils taillés pour faire rempart à la menace islamiste ? La fermeture des frontières suffirait-elle à protéger les Français ?

    Réponses de Jean-Frédéric Poisson au micro de Boulevard .

    Vendredi, la ville de Rambouillet se retrouvait endeuillée. Un clandestin tunisien tout juste régularisé a égorgé une fonctionnaire de police de 49 ans, mère de deux enfants, au sein du commissariat de Rambouillet. C’est la première fois qu’une telle chose se produit dans cette ville.

    C’est la première fois, et si la preuve devait être faite que cela peut maintenant frapper n’importe où n’importe quand et sur n’importe qui, on le savait déjà. On se considère toujours comme un peu à l’écart de ces coups du sort. Il faut avoir en tête que le département des Yvelines n’est pas, non plus, n’importe quel département. C’est le département qui a envoyé le plus grand nombre de en Irak et en Syrie. Dans ce département, il y a des foyers de de l’ conquérant très actifs, des agressions régulières contre les forces de l’ordre et des actes de répétitifs. Les Yvelines ne sont donc pas un département aussi calme et aussi tranquille que ce que nous pourrions croire. Ce département est très bigarré, dans lequel l’ conquérant est extrêmement présent. Les Yvelines ne sont pas épargnées par tout cela. On aurait préféré rester à l’écart de cette folie.

     

    Selon vous, qui est responsable de ce qui s’est passé, vendredi, à Rambouillet ?

    La très belle chanson de Bob Dylan « Qui a tué Davey Moore » est l’histoire d’un boxeur mort sur le ring. Son entraîneur, son adversaire et l’arbitre n’ont pas fait attention et il est mort. Il y a une forme de dilution de la responsabilité. Personne ne peut prétendre sérieusement qu’aucune mesure ne garantira jamais qu’un de cette nature puisse se reproduire. Personne ne peut empêcher quelqu’un de déterminé de donner la mort à quelqu’un d’autre. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas traiter les causes. Je vois deux types de causes.

    La première, c’est la complaisance que nous continuons d’avoir à l’égard de l’islam conquérant, de l’islam tout court comme système politique et comme idéologie. Dans le cœur de l’islam sont inscrits des ferments de violence. Dans la politique de l’islam est inscrite la volonté de dominer tous les esprits et de soumettre, dans la loi islamique, tous les comportements individuels. Dans la diplomatie des États musulmans est inscrit le projet de faire dominer la charia en Europe.

    Le président Erdoğan n’est que le porte-voix d’un certain nombre de pays sunnites qui veulent faire régner la loi islamique sur l’Occident. Nous ignorons tout cela et n’avons pas pris la mesure de ce bras de fer de engagé par l’islam à notre encontre. Nous faisons comme si cette percussion n’existait pas, qu’elle était aimable et comme si elle pouvait être résolue, atténuée ou amortie par des accommodements raisonnables. On nous dit que ces fameux accommodements raisonnables pourraient améliorer la situation. Je n’y crois pas du tout.

    Autant je crois que le dialogue avec les musulmans est indispensable, autant je pense que la conciliation avec l’islam est impossible.

     

    Marine Le Pen face à Gérald Darmanin avait pris grand soin de dissocier l’islamisme et l’islam.

    Cela n’existe pas. Je suis curieux de savoir ce qu’il y a derrière ces termes. Il y a une différence entre l’islam et les musulmans. Il y a l’islam comme système et doctrine d’un côté et, de l’autre côté, le rapport qu’entretiennent les croyants à ce système et à cette doctrine. Politiquement, vous pouvez travailler sur la doctrine si vous engagez un combat culturel contre les idées. C’est cela qui n’existe pas, en France. Malgré les annonces et les coups de menton, la détermination sans faille, etc., on ne voit toujours pas de grands courants orientalistes renaître en France et toujours pas de soutien à ceux qui engagent une critique rationnelle de l’islam en tant que système.

    Par ailleurs, il y a ce qui est à faire contre les foyers de résonance de cet islam conquérant. La loi contre le séparatisme a essayé d’engager deux ou trois choses assez timides. Je ne suis pas certain qu’elles produiront des effets. C’est bien sur cette relation entre les musulmans et le système intellectuel qu’est l’islam qu’il faut travailler. La distinction islam/islamisme n’a aucun sens !

     

    Ce message porté par les gens du printemps républicain démontre que la République telle qu’elle est vue et interprétée aujourd’hui n’est peut-être pas armée pour lutter contre cet islamisme radical ?

    C’est un formidable signe de faiblesse. Quel plus grand signe de faiblesse que de vouloir faire taire celui qui ne pense pas comme vous ? Trouvez-vous que cette attitude est une attitude de force ?

    Pensez-vous que c’est l’attitude de quelqu’un qui est sûr de ses propres principes et qui est à l’aise avec sa propre doctrine ?

    Quelle est cette République, paraît-il, de la tolérance, de la liberté d’expression, de la liberté de croyance et de la liberté d’association ? Quelle est cette République qui, tout d’un coup, se met à interdire ?

    Plus on renonce à traiter cette question et plus on est obligé d’entrer sur un régime d’interdiction, de privation et de contrainte pour expliquer aux musulmans qu’ils ne pensent pas droit.

    On est en train de se rendre compte que ces fameuses valeurs de la République ne veulent rien dire. Pour beaucoup de Français, c’est du vent ! Les valeurs de la République répétées en particulier aux Français musulmans ne leur parlent pas. Je ne dis pas que cela ne parle à personne, je dis simplement que cela n’a aucune efficacité sur le plan de la capacité à refaire corps et à essayer de vivre les uns à côté des autres et, encore mieux, les uns avec les autres.

    Au fond, plus on est faible sur les finalités que l’on doit poursuivre, plus on doit devenir fort sur les procédures et les méthodes. Lorsque vous êtes forts sur les fins que vous poursuivez et lorsque vous savez les énoncer clairement, vous avez besoin de moins de procédures. Je peux comprendre l’agacement des gens qui voudraient voir interdire, une fois pour toutes, le voile dans l’espace public. Mais au nom de quoi ? Je me mets à la place de certains musulmans. Pourquoi des personnes pourraient porter des voiles sur la tête lorsque des processions sont faites dans la rue pour des fêtes religieuses chrétiennes, alors que les femmes musulmanes ne le peuvent pas ? On va me dire que c’est à cause de la civilisation.

    Si vous imaginez la variété des raisons pour lesquelles les femmes musulmanes se mettent à porter le voile, vous seriez surpris. Il n’y a pas qu’une logique de soumission. Il y a aussi une logique de protection, de pudeur et d’affirmation identitaire. C’est parce que nous avons renoncé à notre idéal de civilisation que les gens vont chercher ailleurs. Au fond, la prolifération de l’islam et sa capacité à s’installer en France durablement ne se nourrissent que de la faiblesse de notre propre conviction à défendre notre civilisation.

     

    D’un point de vue très pragmatique, que faudrait-il mettre en place ? Est-ce que la fermeture des frontières et les contrôles d’immigration sont efficaces ?

    Il faut faire tout cela en ayant conscience que ce sont des signaux politiques et que cela ne va rien régler du jour au lendemain. Comme je le disais tout à l’heure, le meurtrier de Rambouillet est en France depuis dix ans. Même si vous fermez les frontières maintenant, cela ne réglera rien pour ceux qui sont déjà rentrés. Mais c’est un signal politique et l’affirmation d’une volonté. Si, effectivement, vous cessez les naturalisations pendant un temps, vous envoyez un signal politique. Si vous décidez de faire une vraie bagarre aux clandestins, et peu importe que vous n’en expulsiez que 2 ou 3 %, cela envoie tout de même des signaux politiques. Cela ne traite pas la question des attentats terroristes, mais cela envoie des messages à ceux venant des pays étrangers qui pourraient considérer qu’ils peuvent être les bienvenus en France. Cela ne peut plus être le cas.

    L’attentat de vendredi est encore une manifestation qui fait suite aux dizaines d’agression, toutes les semaines, sur tout le territoire, contre les forces de police. Un de mes amis m’expliquait que, dans la métropole lyonnaise, les forces de l’ordre sont agressées presque tous les soirs. La seule réponse du gouvernement est de dire « on sera ferme ». Mais lorsqu’on est ferme comme au tribunal de Créteil, lorsque les criminels de Viry-Châtillon ont été blanchis pour certains d’entre eux par la , ce n’est pas formidable en termes d’efficacité. Au fond, c’est la réflexion sur les causes de cette violence et sur la désespérance qui atteint le peuple français et sur le fait que nous sommes en train de toucher la limite d’un système matérialiste et d’un système de consommation. Nous sommes en train de toucher la limite de la vision individualiste du corps . Tout cela n’engendre que de la violence. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de régulation spirituelle, et je ne parle même pas de religion. Nous avons renoncé à notre ferment de civilisation, donc nous n’avons plus de régulation spirituelle. Par conséquent, la violence s’installe.

    Il y a quelque chose de presque mécanique. C’est une constante historique que nous voyons à peu près partout. Qui s’apprête à traiter ce sujet politique ? Qui s’apprête à placer le débat sur ce bon niveau politique ? Les autres sont des enjeux de gestion. Je ne suis pas contre la fermeture des frontières, je l’approuve. Je suis d’accord pour que l’on arrête de naturaliser. Je ne peux pas être accusé de complaisance à l’égard de l’islam comme doctrine. Mais la racine de tout cela est le fait que nous ne savons plus qui nous sommes. Nous sommes diversement entendus. Peut-être que, cette fois-ci, nous le serons un peu plus et, malheureusement, la fois d’après, encore davantage.

     

    Jean-Frédéric Poisson

    Président de VIA | la voie du peuple, candidat à l'élection présidentielle de 2022
  • Celui qui n’aime pas l’État, n’aime pas la France, par Dr Charles Saint-Prot.

    Direc­teur géné­ral de l’Observatoire d’études géopolitiques

    L’annonce que le gou­ver­ne­ment libé­ra­lo-macro­niste a l’intention de sup­pri­mer le corps des pré­fets s’inscrit dans une logique de décons­truc­tion qui rejoint la sup­pres­sion de l’École natio­nal d’administration (créée par le géné­ral de Gaulle) ou la haine du régime à l’égard des maires et autres élus locaux.

    6.jpgIl est impor­tant de noter que, dans l’esprit du régime, il ne s’agit pas de sup­pri­mer les pré­fets mais leur corps, c’est-à-dire que des pré­fets pour­ront être nom­més, dans l’avenir, en fonc­tion du sexe, de la cou­leur de la peau ou de leur orien­ta­tion sexuelle… Et non pas, comme l’affirme le pre­mier ministre, pour amé­lio­rer la ges­tion des cadres de l’État « selon une logique fon­dée sur les par­cours et les com­pé­tences » mais bien selon le bon vou­loir du régime et sur des cri­tères com­mu­nau­ta­ristes ! Cela s’appelle la dis­cri­mi­na­tion posi­tive et le spoil sys­tem aux États-Unis, qui semblent être le modèle de réfé­rence de celui qui est aujourd’hui pré­sident de la république.

    Bien sûr, nous n’ignorons pas les dérives du sys­tème répu­bli­cain depuis quelques décen­nies, notam­ment le fait que les pré­fets – comme tous les agents publics civils ou mili­taires- soient nom­més en fonc­tion de leur éti­quette poli­tique ou de leur affi­lia­tion à telle ou telle « socié­té secrète » favo­ri­sant les magouilles les plus éhon­tées. Mais cela ne signi­fie pas qu’il fau­drait jeter le bébé avec l’eau du bain. Com­ment ne pas voir que le régime actuel a pour véri­table obses­sion d’abaisser l’État, donc la nation.

    Car, il faut bien consta­ter que ceux qui s’ingénient à démo­lir l’État ont pour seule ambi­tion le déclin de la France. La sou­ve­rai­ne­té de l’État ne garan­tit pas seule­ment les liber­tés des citoyens, mais plus encore elle per­met de pré­ser­ver l’indépendance natio­nale qui est la plus pré­cieuses des liber­tés. Depuis plu­sieurs siècles, l’État-nation est le socle de l’ordre inter­na­tio­nal. Comme l’a­vaient déjà conçu Hen­ry IV et Sul­ly avec leur concept de «  Grand Des­sein »  visant à mettre un terme au dés­équi­libre géo­po­li­tique euro­péen incar­né par la super­puis­sance des Habs­bourg[1],  l’État-nation sou­ve­rain devient la plus haute auto­ri­té du droit inter­na­tio­nal, en 1648, avec les trai­tés de West­pha­lie qui met­tront en pièce la notion d’empire avec l’abaissement du pou­voir des Habs­bourg et l’émiettement de l’empire ger­ma­nique car celui-ci ne pou­vait se conso­li­der que contre la France. Accom­plis­sant les objec­tifs de la poli­tique tra­di­tion­nelle de la monar­chie fran­çaise, la paix de West­pha­lie, qua­li­fiée par Bain­ville de « chef-d’œuvre poli­tique du XVIIIe siècle », fit en sorte que l’É­tat-nation sou­ve­rain devint la plus haute auto­ri­té de ce droit inter­na­tio­nal moderne qui vit le jour à cette occa­sion. Les trai­tés de West­pha­lie, réaf­fir­més par le Congrès de Vienne de 1815, fixèrent le cadre de la sou­ve­rai­ne­té abso­lue des États comme prin­cipe fon­da­men­tal du droit inter­na­tio­nal. L’É­tat-nation étant le socle de l’ordre juri­dique qui se met en place, les petits pays obtiennent les mêmes droits que les grands. À la place d’une rela­tion entre domi­nant et domi­né au sein d’empires arti­fi­ciels, la coopé­ra­tion entre des États égaux en droit devient la règle. Les trai­tés de West­pha­lie ont sur­tout recon­nu que l’empire uni­ver­sel était chi­mé­rique. Ils portent condam­na­tion de tout pro­jet supra­na­tio­nal dont la mor­ti­fère construc­tion euro­péenne qui est l’expression même du mythe d’une mon­dia­li­sa­tion ren­voyant à la thé­ma­tique libé­rale, laquelle repose sur le mythe du « doux com­merce » venant se sub­sti­tuer aux conflits guerriers. 

    En consé­quence, le pre­mier sou­ci d’un pro­jet véri­ta­ble­ment natio­nal doit consis­ter à res­tau­rer l’au­to­ri­té de l’É­tat natio­nal, lequel doit retrou­ver son rôle, à com­men­cer par un enga­ge­ment public réso­lu dans les domaines réga­liens. Michel Onfray qui vient de publier La nef des fous (col­lec­tion Bou­quins) notait récem­ment que les rodo­mon­tades du ministre de l’intérieur ne doivent pas nous trom­per, il y a un déli­te­ment de l’État et la France est de plus en plus mena­cée par la guerre civile. On a vu par exemple lors de la crise sani­taire que M. Macron et son équipe pré­fère l’idéologie à la réa­li­té, refu­sant de fer­mer les fron­tières au nom du dogme ultra­li­bé­ral du lais­ser-faire, lais­ser pas­ser. N’oublions pas que les mêmes rêvent d’une armée euro­péenne, la vieille ren­gaine de la CED, c’est-à-dire d’une Europe alle­mande qui ne rêve de réduire l’arsenal mili­taire fran­çais (sur­tout le nucléaire) qui est le seul atout de la France face à une Alle­magne de nou­veau sure d’elle, domi­na­trice et arrogante.

    En résu­mé, il parait dif­fi­cile de défendre la France et les Fran­çais quand on s’ingénie à détri­co­ter l’État et qu’on adhère à tous les mythes supra­na­tio­naux – dont le sinistre mythe euro­péiste – qui ont tous pour leit­mo­tiv de vou­loir faire le sau­ter le ver­rou de la nation. L’État fran­çais ne sau­rait se lais­ser subor­don­ner à un super-État dont la concep­tion ne peut naitre, écri­vait Charles Benoit, que « chez des peuples qui n’ont ni voi­sins, ni rivaux, ni enne­mis, ni his­toire… » Les prin­cipes de la sou­ve­rai­ne­té de l’É­tat et de l’indépendance de la nation ren­voient tout uni­ment à l’idée de liber­té, laquelle serait per­due, dit Renan, « si le monde n’avait qu’une loi et qu’un maître ». Cette règle, héri­tée de la civi­li­sa­tion grecque mais igno­rée du pou­voir macro­niste, est l’une des idées fon­da­men­tales de la pen­sée fran­çaise, laquelle a tou­jours oppo­sé la mesure, garante de la dimen­sion humaine, au gigan­tisme, ten­dant au totalitarisme.

    [1] Jacques Bain­ville, His­toire de France, ch. X, Paris, Nou­velle Librai­rie natio­nale, 1924, nom­breuses rééditions.

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • JOSEPH RATZINGER DANS LA TOURMENTE DE VATICAN II, par Blandine Delplanque.

    Alors même que progressistes et conservateurs se déchirent et sont aussi insatisfaits les uns que les autres, le futur Benoît XVI commence à affirmer que l’Église ne doit pas s’adapter au monde mais le transformer, comme les chrétiens des origines.

    Le 20 novembre 1962 marque un tournant pour le concile Vatican II qui s’est ouvert à l’appel du pape Jean XXIII le 11 octobre précédent. Au centre des discussions des 2450 pères assemblés lors de la première session, le texte de la Curie sur la doctrine de la Révélation.

    C’est un thème de prédilection du principal conseiller du cardinal de Cologne, Joseph Ratzinger, dont Peter Seewald brosse la vie dans une importante biographie [1]. Le projet des évêques allemands et de leurs alliés rénove de fond en comble l’approche théologique du texte de la Curie romaine. Mais leur désir de réformer l’Église de l’intérieur va aussi créer un précédent et se conjuguer avec une influence grandissante des médias qui ne tarderont pas à mettre en cause l’autorité de l’institution.

    Une première session décisive

    En toile de fond se dessine l’opposition des cardinaux allemands et de leurs alliés, évêques de langue allemande mais aussi évêques de France et de plusieurs autres pays, face à un Saint Office tenu par leurs collègues italiens. Le débat porté par le vieux cardinal Frings, qui passait pour un conservateur aux yeux des médias allemands, s’appuie sur le nouveau texte de Joseph Ratzinger. Il va créer un précédent historique : c’est la première fois qu’un texte émanant de la Curie est soumis au vote puis retiré.

    Ce jour-là, pour contrer le projet de réforme des Allemands, le Secrétaire général Pericle Felici appelle les pères à voter non sur le texte lui-même mais sur la poursuite ou non de sa discussion. Une manipulation de la question à fronts renversés qui fonctionne : avec 68 % de placet, la Curie emporte la majorité des deux tiers requise et retire son texte, renvoyant sa discussion à une commission interne.

    La minorité réformatrice se sent pousser des ailes : « La roue avait tourné, commentera Joseph Ratzinger, au lieu d’une position négative et anti(-changement), une possibilité nouvelle et positive émergeait, permettant de sortir de la défensive pour adopter une attitude chrétienne positive et offensive ».

    En novembre 1962, Joseph Ratzinger devient officiellement peritus, c’est-à-dire expert en théologie pour le Concile. Joseph Ratzinger jouera un rôle primordial tout au long du concile tout en restant en retrait, et ce rôle restera volontairement minimisé par lui jusqu’à ce que des recherches historiques récentes le mettent en lumière.

    Non loin de lui siège un certain Karol Wojtyla qui, contrairement à ce jeune théologien de 7 ans son cadet, ne se réjouit pas du tout : ces victoires contre le camp de la Curie lui font penser aux attaques perpétrées en Pologne par l’administration communiste contre l’Église, la principale force d’opposition. L’évêque polonais souhaiterait plutôt voir le Concile aborder les questions du célibat, de la réforme de la liturgie et du bréviaire, du dialogue œcuménique et… des besoins pastoraux dans les domaines du sport et du théâtre.

    Le cardinal Ottaviani, prenant acte du retrait de son texte, s’incline avec dignité ; les critiques fusent, notamment de la part des traditionnalistes français, à l’encontre de Joseph Ratzinger et de son ami le théologien Karl Rahner. Tous deux seront même accusés d’être francs-maçons. Le 8 décembre 1962, les portes de la première session du Concile se referment.

    De Bonn à Münster, un public acquis

    Joseph Ratzinger revient à Bonn. À l’instar du Spiegel, les médias allemands s’emparent de ce qui s’est passé à Rome et soulignent le rôle prépondérant de son principal conseiller dans la nouvelle attitude du cardinal de Cologne. La prestigieuse université de Münster, la plus grande faculté catholique d’Europe, propose un poste au jeune théologien, mais il hésite. Il étouffe à Bonn où il sent en permanence le poids du pouvoir auquel il doit sans cesse se plier. C’est un esprit libre, non conventionnel, et il sent intuitivement qu’il doit partir pour respirer, et quitter la théologie pour le champ d’études plus vaste que lui offre la dogmatique. Il se décide à accepter la seconde offre de l’université de Münster en février 1963.

    Titulaire de la chaire depuis le 1er avril, il commence à enseigner la dogmatique et l’histoire des dogmes le 28 juin 1963 devant un amphithéâtre bondé, des haut-parleurs relayant son discours dans les salles adjacentes pour d’autres étudiants et des gens de la ville. Son discours porte sur la Révélation et la Tradition. Lorsqu’il a fini de parler, il est applaudi à tout rompre. Maintenant Joseph Ratzinger sait qu’il est arrivé à un point où il n’a plus à craindre les réactions hostiles.

    Tous les matins, à 6 heures et demie, il célèbre la messe dans la chapelle de la maternité voisine. Quand il corrige les copies de ses élèves, il pratique le dialogue avec eux et les laisse faire les corrections eux-mêmes. À midi, il retourne dans la maison qu’il partage avec sa sœur Maria et des étudiants qui sous-louent les chambres restantes. Comme sa mise, son attitude très simple est bien éloignée des professeurs de son rang. Il parle volontiers avec ses étudiants dont il est très aimé parce qu’il arrive à parler de théologie d’une façon très concrète. Il rit de bon cœur.

    Il connaît son niveau intellectuel mais se fait petit à dessein. Sa voix est fluette, mais il émane une force de sa personne et, lors des confrontations, il n’y a pas de place pour le compromis. Ses conférences de l’Avent à la cathédrale Saint-Paul de Münster sont extrêmement courues : il y a là 1500 personnes, essentiellement des jeunes gens, qui viennent écouter ses méditations sur les Saintes Écritures. Ses cours magistraux sont suivis par 600 élèves pour 350 inscrits et ses assistants ont dû mettre en place une petite imprimerie dans les sous-sols de l’université pour répondre à la demande de polycopiés. Sa façon très personnelle d’enseigner, sans jamais se mettre en avant tout en insistant sur l’âme et la relation personnelle à Dieu plutôt que sur une approche strictement intellectuelle et théorique, n’est pas le moindre de ses paradoxes et entraîne une adhésion constante de son auditoire.

    La grande désillusion

    Le 3 juin 1963, la mort de Jean XXIII est un choc pour Joseph Ratzinger. À l’annonce de la nouvelle, il interrompt son cours à l’université de Münster et lui rend hommage. Le cardinal qui va lui succéder sous le nom de Paul VI, l’Italien Giovanni Battista Montini, a été le proche collaborateur de Pie XII de 1937 à 1954. Au sein de la Curie, il est proche du courant réformateur. Il décide la reprise du Concile dont la deuxième session s’ouvre le 29 septembre 1963, et met l’accent sur la rénovation mais aussi sur la tradition de l’Église.

    Joseph Ratzinger écrit à propos du texte De Ecclesia sa satisfaction de voir « 90 % du texte qui dataient des 19e et 20e siècles réécrits pour laisser place dans des proportions équilibrées aux trois époques patristique, médiévale et contemporaine ».

    Les tensions se poursuivent entre les cardinaux conservateurs et réformateurs et il en sera ainsi tout au long des 3e et 4e sessions qui se succèdent jusqu’à la clôture du Concile le 8 décembre 1965. Paul VI marque plusieurs fois son autorité : il publie le décret Lumen gentium qui marque une fois pour toutes que le pape est seul successeur de Saint-Pierre lorsque les progressistes tentent d’imposer l’idée d’une conduite collégiale des évêques avec le pape et l’Église ; il passe outre la pétition d’évêques américains qui lui demandaient une déclaration sur la liberté de religion ; et au grand dam des évêques allemands, il marque par le titre de Mater Ecclesiae une reconnaissance du rôle de Marie en tant que protectrice de l’institution qu’est l’Église catholique, fermant la porte à un rapprochement avec les protestants.

    Le premier commentaire écrit de Joseph Ratzinger fait état d’« une grande désillusion » : est-ce à dire qu’il souhaitait ardemment à l’époque une réunion avec ses frères évangéliques ? Ce qui est certain, c’est qu’il avait déjà commencé à prendre ses distances avec les progressistes vers la fin de 1964 ou le début de 1965. Ainsi, le 18 juin 1965, il fait une conférence sur le thème de « la fausse et la vraie rénovation dans l’Église ». Il se demande devant ses étudiants de Münster « si les choses sous le régime de ceux qu’on nomme conservateurs, n’allaient pas mieux que sous l’empire du progressisme ». Il appelle à une nouvelle simplicité et considère que le contraire du conservatisme selon le Concile n’est pas le progressisme mais l’esprit missionnaire, et que c’est là le vrai sens de l’ouverture au monde. Une ouverture qui ne signifie pas pour les chrétiens un conformisme mondial sur fond d’une culture de masse à la mode, mais qui au contraire exige d’eux un non-conformisme dans l’esprit de la Bible. « Ne vous appropriez pas la manière du monde [2] », devait-il écrire plus tard.

    Il commence dès ces années-là à lutter contre la déformation opérée par les médias qui s’appuient sur des théologiens en quête de renommée, à l’instar du théologien suisse Hans Küng qui se prête à leur jeu, se pavanant au volant d’une Alfa Romeo, et avec lequel il prend ses distances tout en poursuivant paradoxalement le dialogue : « Derrière cette tendance au règne des spécialistes se profilait l’idée d’une souveraineté du peuple de l’Église, idée selon laquelle c’est le peuple qui décide ce que l’Église doit comprendre ». En 1966, nouvelles critiques dans ses cours magistraux : « l’Église a certes ouvert ses portes au monde, mais le monde n’a pas afflué dans cette maison grande ouverte, il la harcèle encore davantage ». « Bien sûr j’étais pour un progrès », confie t-il à Peter Seewald, mais « à l’époque cela ne signifiait pas faire exploser la foi de l’Église, cela visait à mieux faire comprendre et vivre la foi des origines ». 

    Illustration : Professeur de dogmatique et de théologie fondamentale à Freising en 1959, © KNA/SIPA.

    [1] . « Bendikt XVI. Ein Leben », Peter Seewald, Eds Droemer, mars 2020.

    [2] . « Das neue Volk Gottes », Joseph Ratzinger, Düsseldorf, 1969.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Idées • Jean Sévillia dans le dernier numéro du Figaro magazine : Charles Maurras, à lire avant de juger


    Par Jean Sévillia

    « Réprouvé pour ses prises de position dans les années 30, le penseur royaliste est tombé dans l'oubli. Préfacée par Jean-Christophe Buisson, une monumentale édition de ses textes majeurs permettra à chacun de se faire une opinion sur l'œuvre d'un polémiste et philosophe politique qui marqua profondément la IIIe République. » C'est ainsi que la dernière livraison du Figaro magazine présente l'intéressant article qui suit, de Jean Sévillia.  Tombé dans l'oubli, Maurras ? Telle n'a pas été notre impression ces dernières semaines ... Il a marqué profondément la IIIe République ? Il nous paraît qu'il a surtout profondément marqué les deux suivantes, avec Charles De Gaulle, Georges Pompidou, François Mitterrand ou Patrick Buisson, qui fut le principal conseiller de Nicolas Sarkozy. Il a surtout profondément marqué et, volens nolens, imprégné la pensée politique tout court. Il est M le soi-disant maudit.   LFAR 

     

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    Le 28 janvier dernier, le ministère de la Culture annonçait le retrait de la notice consacrée à Charles Maurras, né il y a cent cinquante ans, dans le Livre des commémorations nationales de 2018, à la suite de protestations contre la mention dans ce document officiel d'un écrivain réputé pour son antisémitisme. « Commémorer Maurras, ce n'est pas le célébrer », répliquaient les historiens du Haut Comité des commémorations nationales, avant que dix des douze membres de ce comité ne présentent collectivement leur démission. Pendant plusieurs semaines, le nom de Maurras alimenta la polémique. « Doit-on republier l'infâme ? », s'interrogea Libération (2-3 février 2018), à propos de la parution d'une anthologie de Maurras. Dans Le Nouveau Magazine littéraire (mars 2018), Claude Askolovitch vitupéra sur quatre pages « le retour d'une icône fasciste ».

    Déroulées mécaniquement, ces charges laissaient cependant l'impression que certains se donnaient bonne conscience en vilipendant un personnage dont, en réalité, ils ne savaient rien. Peu après l'entrée de François Hollande à l'Elysée, en 2012, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait été la porte-parole de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, avait déjà fait le coup en mettant en cause Patrick Buisson, le conseiller du candidat battu, l'accusant d'avoir travaillé non au succès du président sortant, mais d'avoir voulu « faire gagner Charles Maurras ». Si on avait demandé à l'ancienne ministre d'expliquer en détail qui était celui-ci, sans doute aurait-elle été embarrassée.

    IMG - Copie (3) 2.jpgDans Le Monde du 18 novembre 1952, deux jours après la mort de Maurras, André Fontaine écrivait ces lignes : « Devant cette tombe ouverte, devant le corps d'un homme qui, cinquante ans durant, a honoré les lettres et le génie français, ne serait-il plus possible de tenter d'être juste ? » Pour le centième anniversaire de sa naissance, le même journal, le 20 avril 1968, consacrait une double page à Charles Maurras, avec un article critique de l'académicien Pierre-Henri Simon (« Puissance et fissures d'une pensée »), et un autre de Gilbert Comte, un journaliste maison, qui invitait à redécouvrir, au-delà du « Maurras intraitable des quinze dernières années, durci par le malheur, figé dans son orthodoxie », le « jeune prophète conquérant du renouveau royaliste ». En 2018, là est le paradoxe : l'aversion à l'égard de Maurras est inversement proportionnelle à son éloignement dans le temps.

    Admiré par Proust, Bergson, Péguy, Bernanos, Lacan

    Journaliste, philosophe politique, critique littéraire et poète, Maurras a été pendant la première moitié du XXe siècle une figure de la vie intellectuelle française. Proust, Apollinaire, Péguy, Malraux, Gide, Claudel ou Montherlant ont salué son talent. Outre Léon Daudet et Jacques Bainville, ses compagnons de l'Action française, la liste est longue de ceux qui ont été un jour maurrassiens : les philosophes Jacques Maritain, Gustave Thibon, Louis Althusser et Pierre Boutang, les historiens Pierre Gaxotte, Philippe Ariès et Raoul Girardet, les romanciers Georges Bernanos, Roger Nimier, Michel Déon et Jacques Laurent, les acteurs Pierre Fresnay et François Périer, le psychanalyste Jacques Lacan ou le linguiste Georges Dumézil. Si Maurras avait incarné le mal absolu, pourquoi ces esprits brillants se seraient-ils reconnu une dette envers lui ?

    L-Avenir-de-l-intelligence-et-autres-textes.jpgTout penseur doit être soumis à un bilan critique, ce qui suppose de connaître son œuvre. Entreprise malaisée, dans le cas de Maurras, auteur de milliers d'articles et d'une centaine de livres introuvables ailleurs que chez les bouquinistes. Or, voici enfin la possibilité de le lire grâce à la publication, dans la collection « Bouquins » de Robert Laffont, d'un volume de près de 1300 pages reprenant un choix de ses textes philosophiques, littéraires et politiques, et de ses poèmes. Cette édition, établie et présentée par Martin Motte, directeur d'études à l'Ecole pratique des hautes études, est préfacée par Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint de la rédaction du Figaro Magazine, qui signe une utile introduction à la vie et à l'action d'un homme souvent cité, mais si peu connu.

    Simultanément, les Editions Pierre-Guillaume de Roux rééditent un essai du journaliste Jacques Paugam, L'Age d'or du maurrassisme, centré sur les débuts de Maurras. Dans ce livre, initialement paru en 1971, l'auteur, gaulliste et chrétien-démocrate, faisait « une formidable démonstration d'honnêteté intellectuelle », observe Michel De Jaeghere, directeur du Figaro Hors-série et du Figaro Histoire, qui préface cette réédition en ne négligeant chez Maurras « ni les zones d'ombre ni - c'est plus exceptionnel - les traits de lumière ».

    Né à Martigues, près de Marseille, en 1868, dans une famille de petite bourgeoisie, Charles Maurras, orphelin de père à 6 ans, grandit avec sa mère et son frère à Aix-en-Provence où il entreprend ses études au collège catholique. A 14 ans, atteint d'une surdité incurable, il est tenté par le suicide et perd la foi. Un de ses professeurs, l'abbé Penon, futur évêque de Moulins, prend en charge la direction morale du jeune homme : leur correspondance est une clé indispensable pour comprendre la vérité personnelle et privée de Maurras. Après son baccalauréat, en 1885, il gagne Paris où, sa surdité lui interdisant l'université, il passe des heures dans les bibliothèques et se lance dans la critique littéraire, se liant avec Maurice Barrès, Anatole France, Frédéric Mistral.

    Au cours des années 1891-1895, ayant vaincu son nihilisme, il fonde sa pensée sur l'idée que l'homme n'est pas la mesure de toute chose : il y a un ordre du monde auquel il doit se soumettre. Parallèlement, fondateur en poétique de l'Ecole romane, avec Jean Moréas et Raymond de la Tailhède, il élabore une esthétique classique. A travers le cas de George Sand et Alfred de Musset, Maurras dénoncera, dans Les Amants de Venise, l'amour romantique, dérèglement d'un sentiment qui n'a d'autre fin que lui-même.

    En 1896, il visite la Grèce et l'Italie. De ce voyage, il retient que la beauté n'est pas dans le nombre, qui peut s'accroître à l'infini, mais dans la composition. Le jeune écrivain, dont les racines sont méditerranéennes, voit a contrario dans la philosophie allemande la source des barbaries modernes. Contre Luther, Maurras pense que le libre examen est un principe anarchique ; contre Kant, que la loi morale ne peut être déterminée par la conscience individuelle ; contre Rousseau, que la base de la société n'est pas l'individu, mais la famille. Agnostique, il loue le catholicisme qui, selon lui, organise l'idée de Dieu, l'Eglise catholique restant à ses yeux un fondement de la civilisation occidentale.

    L'affaire Dreyfus

    Dès son arrivée à Paris, ayant souffert de la séparation d'avec la Provence, il avait fondé le Jeune Félibrige avec son ami Frédéric Amouretti, affirmant sa première idée politique : la nécessité de la décentralisation pour libérer le pays du carcan parisien. De Grèce, il était revenu avec deux certitudes. Primo, puisque la lutte des partis a précipité la fin d'Athènes, la démocratie n'est pas le meilleur des régimes. Secundo, le XXe siècle sera celui des nationalismes qui se sont exprimés aux nouveaux Jeux olympiques auxquels il a assisté à Athènes.

    L'affaire Dreyfus est la première bataille politique à laquelle Maurras prend part. Persuadé de la culpabilité du capitaine et de la régularité de sa condamnation, il estime que la France, son armée et ses lois doivent être au-dessus des malheurs d'un individu. Il résumera son sentiment par une boutade : « Si Dreyfus est innocent, il faut le faire maréchal de France, et fusiller ses dix premiers défenseurs.»

    En 1899, il rejoint L'Action française, une revue mensuelle au sein de laquelle il prend l'ascendant, gagnant ses fondateurs à ses propres idées. Devenu royaliste, Maurras entreprend en 1900 une Enquête sur la monarchie, d'abord auprès des représentants du prétendant au trône, le duc d'Orléans, puis auprès de personnalités nationalistes, recevant des adhésions, comme celle de Jacques Bainville, ou échouant à convaincre d'autres amis, comme Maurice Barrès, qui restera républicain.

    Pour Maurras, la République parlementaire, jouet des groupes de pression et de la démagogie électorale, n'assure pas le bien commun de la nation, instituant un Etat faible autour du personnel du régime, le «pays légal», qui se superpose au «pays réel» dont la représentation devrait être assurée au sein d'instances régionales, professionnelles et morales diversifiées. « L'autorité en haut, les libertés en bas », assure le nouveau théoricien royaliste.

    Désormais, la doctrine de Maurras est fixée, et sa vie se confond avec l'Action française, mouvement politique et journal quotidien à partir de 1908. Le volume de la collection « Bouquins » permet de suivre l'approfondissement de cette pensée, notamment ses points forts, comme L'Avenir de l'intelligence, essai où Maurras médite sur la situation des intellectuels à « l'âge de fer » du XXe siècle, ou Kiel et Tanger, livre qui inspirera la politique étrangère du général de Gaulle et que citera Georges Pompidou lors d'un discours à Sciences-Po, en 1972, et dans lequel Maurras expliquait que le rôle de la France était de fédérer les nations petites et moyennes pour équilibrer les coalitions réalisées autour des grandes puissances.

    Lire Maurras, cependant, c'est aussi rencontrer ses limites, ses apories, ses aveuglements et ses mots qui choquent, part indéfendable dont l'anthologie « Bouquins » ne dissimule rien. Elu à l'Académie française en 1938, n'ayant cessé de mettre en garde contre l'Allemagne (« Le racisme hitlérien nous fera assister au règne tout-puissant de sa Horde », avertissait-il en 1939), Maurras se ralliera au maréchal Pétain en 1940, persuadé que le maintien d'un Etat français laissait la possibilité d'un relèvement futur. Mais, enfermé dans cette position au fur et à mesure que Vichy perdait les éléments de souveraineté que lui avait laissés l'armistice, mal informé de la marche du monde, le vieil homme allait se discréditer en paraissant passif devant une occupation allemande qui lui faisait pourtant horreur, quand nombre de ses disciples s'engageaient dans la Résistance. Ces années noires vaudront à Maurras, en 1945, d'être condamné à la réclusion à perpétuité, arrachant ce mot au gaulliste François Mauriac : « Intelligence avec l'ennemi ? C'est bien la seule forme d'intelligence qu'il n'ait jamais eue.»

    Les préfaces respectives des deux ouvrages qui paraissent aujourd'hui analysent l'antisémitisme de Maurras qui, pour n'être pas stricto sensu racial - en octobre 1918, l'écrivain s'inclinera devant le sacrifice de Pierre David, « héros juif d'Action française » - et si peu consubstantiel à son système politique qu'il est absent de la pensée de son ami l'historien Jacques Bainville (mort en 1936), n'en relève pas moins, écrit Michel De Jaeghere, « d'un préjugé étrange, qu'on s'étonne de trouver si persistant et si vivace dans un esprit aussi large, aussi profond.»

    Mort en 1952, Maurras s'éloigne. Le lire, c'est distinguer chez lui l'essentiel et l'accessoire, l'inacceptable et ce qui, dégagé de la gangue de son temps, pourrait être fécond s'il était accordé aux enjeux de notre époque. Jean-Christophe Buisson souligne que Maurras est « un prophète du passé », mais que la modernité n'a pas englouti celui-ci puisque certains sujets qu'il a abordés « résonnent dans notre monde contemporain avec une troublante familiarité ».   

    A lire dans Lafautearousseau ...

    Nouvelle « affaire Maurras » : Pour en finir avec le temps où les Français ne s'aimaient pas ...

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  • Italie : Retour sur le coup de force de Mattarella

     

    Par Yves Morel

    Un coup de force qui est une nouvelle preuve du mépris des l’Europe et des marchés pour la souveraineté des peuples. 

    Un déni de démocratie

    Une nouvelle crise politique en Italie ? Non, un scandale, cette fois-ci. Le président de la République italienne a invalidé le suffrage de ses compatriotes, en s’opposant au choix du ministre de l’Economie, et en poussant, de la sorte, Giuseppe Conte à renoncer à former le gouvernement. Si l’acte de Sergio Mattarella ne viole pas la lettre de la constitution italienne, il en viole l’esprit, il viole même l’esprit de toute démocratie. En démocratie, c’est le suffrage populaire qui prévaut. Le peuple ne gouverne pas, ne décide pas, mais il choisit ceux qui vont gouverner et décider. Et, lors des élections générales du 4 mars 2018, il a récusé le Parti Démocrate (de gauche), la Démocratie Chrétienne (de centre droit), et même, Forza Italia de Berlusconi, mettant en tête le Mouvement Cinq Etoiles (populiste de gauche, tenant à la fois de notre FN et de notre France insoumise), avec 33% des voix, et la Ligue (Lega), de Matteo Salvini (à la fois anti-européenne, populiste et régionaliste), avec 18%.

    L’alliance logique du Mouvement cinq étoiles et de la Ligue

    Aucune formation ne disposant de la majorité absolue, et une alliance entre le Parti Démocrate et le Mouvement Cinq Étoiles étant impensable, tout comme une alliance entre la Ligue, Forza Italia et la Démocratie Chrétienne, c’est une alliance entre le Mouvement Cinq Étoiles et la Ligue qui devait prévaloir, fondée sur la défense des laissés pour compte du système, l’euroscepticisme et la protection des Italiens contre les excès de l’immigration et les empiétements des instances européennes et des lobbies économiques sur la souveraineté italienne. MM. Luigi Di Maio et Matteo Salvini s’accordèrent donc sur un programme de gouvernement à la fois social, national et relativement indépendant à l’égard de l’Europe, qui devait être mis en œuvre par un ministère que dirigerait M. Conte. On pouvait discuter de la composition de ce cabinet, de son programme, et présager, présumer ou préjuger de son action à venir, mais ce gouvernement était le plus légitimement démocratique qui fût.

    Le complot des Eurocrates

    Las ! C’était sans compter avec la classe politique, prête à tous les coups de force au nom de son credo européen, au nom d’une Europe technobureaucratique ennemie des nations et des peuples ; c’était sans compter, également, sur la Bourse, les marchés financiers, les lobbies industriels, qui, eux, se jouent, depuis toujours, des souverainetés populaires. L’installation d’un gouvernement national, qui aurait sans doute pris ses distances avec les règles budgétaires de la Communauté européenne, était inadmissible à leurs yeux. S’ils avaient eu raison du ministère Berlusconi en 2011, ce n’était pas pour admettre, sept ans plus tard, un gouvernement indépendant à l’égard de Bruxelles. Et, en effet, certaines des mesures les plus importantes envisagées par la coalition Ligue/Cinq Étoiles étaient incompatibles avec les règles de l’orthodoxie budgétaire européenne : institution d’un revenu minimal universel, abaissement (dans certains cas, et sous condition, il est vrai) de l’âge de la retraite, augmentation des pensions, tout cela était inacceptable pour la Commission européenne. La baisse des impôts paraissait plutôt nocive, dans le cas de l’Italie. Quant à l’expulsion massive des clandestins, cela était diamétralement opposé tant au dogme libéral qu’à l’orthodoxie « humaniste » et « droit-de-l’hommiste » européenne.

    Les manœuvres de Sergio Mattarela, l’homme lige des eurocrates

    Voilà pourquoi Sergio Mattarella, président de la République depuis trois ans, a tout fait pour empêcher la formation du gouvernement issu de cette coalition, et pour obliger ses compatriotes à retourner aux urnes.

    Ce Sicilien, avocat et spécialiste de droit constitutionnel, est un enfant de la balle, en politique ; son père, Bernardo, fut plusieurs fois ministre. Toutefois, lui-même n’entra vraiment dans la lice qu’en 1983, à l’âge de 42 ans, lorsqu’il fut élu député. Pendant longtemps, il resta peu connu, mais joua un rôle important. Ainsi, il fut le principal artisan de la loi électorale de 1993, qui introduisit une forte dose de scrutin majoritaire pour les élections des parlementaires (pour les trois quarts des sièges), et qui fut en vigueur jusqu’en 2005. Et il exerça, par la suite, diverses fonctions ministérielles importantes : Instruction publique, vice-présidence du Conseil des Ministres, Défense nationale, avant d’être élu président de la République le 31 janvier 2015. Comme tous les démocrates-chrétiens, il est un Européen convaincu. A son esprit, l’Europe passe avant tout. Il doit d’ailleurs son élection à la magistrature suprême à une coalition d’eurocrates et d’euromanes de tous bords : la Démocratie chrétienne, certes, mais également le Parti Démocrate (équivalent approximatif de notre PS), le parti Gauche, Écologie et Liberté (SEL), l’Union du Centre, Choix civique pour l’Italie (autres formations centristes), et le Nouveau Centre Droit. Il fut l’élu des européens contre les anti-européens qu’étaient (et que restent) la Ligue et le Mouvement Cinq Étoiles, et contre Forza Italia, européen et libéral, mais trop indépendant à l’égard de Bruxelles. Autant dire qu’il n’allait pas s’accommoder de voir ses adversaires, en tous points opposés à lui, s’installer au Palais Chigi. Et qu’il allait pouvoir compter sur le soutien actif de ceux qui l’avaient élu, de Bruxelles et de tous les pays ouest-européens, sans parler des milieux financiers. Il s’affaira donc à faire échouer les discussions entre les partis, en s’efforçant d’intégrer des membres du Parti Démocrate, de la Démocratie chrétienne, du Nonveau Centre Droit ou de Forza Italia au nouveau gouvernement, et en chargeant le nouveau président de la Chambre, Roberto Fico, et la nouvelle présidente du Sénat, Maria Elisabetta Alberti Casellati, de négociations impossibles en vue d’aboutir à une improbable coalition majoritaire associant la Ligue, Forza Italia et les partis de droite, ou le Mouvement Cinq Étoiles et le Parti Démocrate. Puis, lorsqu’il eut désigné, à regret, Giuseppe Conte, soutenu par le Mouvement Cinq Étoiles et la Ligue, il mit son veto à la nomination de l’eurosceptique Paolo Savona au ministère de l’Economie, poussant ainsi Conte à renoncer à ses fonctions.

    Résultat : à ce jour, trois mois après avoir élu leurs parlementaires, les Italiens n’avaient toujours pas de gouvernement, et étaient invités à retourner dans l’isoloir en septembre prochain. Finalement, M. Mattarella a accepté la formation d’un nouveau gouvernement Conte. Mais le ministre de l’Économie et des Finances, Giovanni Tria, quoique proche de la Ligue est un fervent partisan du maintien de son pays dans l’euro ; et le ministre des Affaires étrangères, Enzo Moavero Milanesi, a un passé européen propre à rassurer M. Mattarella et Bruxelles, puisqu’il fut sous-secrétaire d’État aux Affaires européennes (1994), commissaire européen (1995-2000), et vice-secrétaire général de la Commission européenne (2202-2005). À Bruxelles, et dans toutes les capitales ouest-européennes, on a dû souffler un grand coup.

    Les marchés et l’Europe, tyrans des peuples européens

    Une fois de plus, l’Europe, cette Europe matérialiste du marché planétaire sans contrôle ni tutelle, donne la preuve de son absolu mépris des peuples, dont elle n’hésite pas à bafouer le suffrage, alors même qu’elle fait de la démocratie une religion et une éthique. On l’avait déjà constaté en d’autres circonstances. Ainsi, en juin 1992, les Danois votèrent « non », par referendum, à l’adhésion de leur pays au Traité de Maastricht. Que firent les Européens ? Ils dirent, en substance : « Pardon ? Nous avons mal entendu ». Et, après trois mois de menaces voilées, d’imprécations, d’objurgations, de harcèlement et de tractations, les Danois, fermement invités à revoter, se prononcèrent pour le « oui », lors d’un second referendum. Au printemps 2005, ce furent la France, puis les Pays-Bas, qui rejetèrent, par referendum, toujours, le Traité Constitutionnel Européen. Qu’à cela ne tînt : les dirigeants européens mirent aussitôt en chantier le Traité de Lisbonne, qui, signé en décembre 2007, reprenait l’essentiel du texte récusé. Aujourd’hui, les Italiens, qui avaient accordé leur préférence aux partis eurosceptiques sont floués de leur vote, puisqu’il est clair que le gouvernement Conte restera sous la coupe de Bruxelles. Les peuples ne sont admis à voter que pour plébisciter les décisions de leurs élites, qui savent, mieux qu’eux, ce qui est bon pour eux. On appelle cela, paraît-il, « la démocratie représentative ». En son temps, Léonid Brejnev appelait « souveraineté limitée » la faible autonomie qu’il laissait aux républiques socialistes d’Europe de l’Est, et qui excluait la possibilité, pour elles, d’abolir le régime communiste et de prendre leurs distances avec l’URSS. Présentement, en Italie, c’est vis-à-vis de l’Europe que les Italiens n’ont pas le droit de prendre leurs distances. M. Mattarella l’a bien dit : s’il a récusé la nomination de M .Savona au ministère de l’Economie, c’est parce que la politique de ce dernier allait « amener la sortie de l’Italie de l’euro », et que lui, en tant que président de la République, est « le garant du respect des traités européens ». Autrement dit, l’Europe passe avant la souveraineté de l’Italie, et a le droit de fouler au pied celle-ci et la liberté des Italiens. Les marchés et l’Europe sont les maîtres du jeu politique et les modernes tyrans des peuples européens.   

     Yves Morel

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • Religions : Ouvertures arabes

     

    Par Annie Laurent

     

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    Le cardinal Raï était au Qatar en avril, après avoir été en Arabie-Séoudite en novembre 2017, suivi le mois dernier par le cardinal Tauran, représentant le Saint-Siège. Ces visites dans le berceau de l’islam sont des premières : vont-elles inaugurer une situation nouvelle pour les chrétiens sur place qui ne bénéficient d’aucun lieu de culte ? Analyse. 

    Du 22 au 26 avril dernier, le cardinal Béchara-Boutros Raï, patriarche d’Antioche des Maronites, dont le siège est au Liban, s’est rendu à Doha, capitale de Qatar, pour une visite pastorale d’où la politique ne fut cependant pas absente. Le but principal de ce voyage était de poser la première pierre d’une église qui sera dédiée à saint Charbel. Cet édifice catholique voué au rite syriaque voisinera avec l’église latine Notre-Dame du Rosaire, consacrée en 2008, et avec d’autres lieux de culte chrétiens relevant de rites orthodoxes (grec, copte, syrien, indien) et protestants. L’ensemble est regroupé dans un complexe bâti sur des terrains qui ont été offerts aux Eglises par l’émirat, suite à l’établissement de relations diplomatiques avec le Saint-Siège, intervenu en 2003. Certes, l’endroit est situé loin du centre de Doha et, de l’extérieur, aucun signe - ni croix ni clocher - n’indique l’identité des bâtiments. Mais les 150 000 chrétiens, dont 60 000 catholiques – ils sont tous étrangers puisque, dans toute la péninsule Arabique, la nationalité se confond avec l’islam - qui vivent et travaillent dans ce petit et riche pays riverain du golfe Persique, peuvent désormais pratiquer leur religion, alors que l’idéologie officielle est le wahhabisme, comme dans le royaume voisin d’Arabie-Séoudite, qui en est le berceau.

    Pour les 30 000 Libanais, majoritairement chrétiens, établis dans l’émirat qatariote, la nouvelle est donc bienvenue. Le chantier de la future église vient peut-être récompenser ces résidents auxquels l’émir Tamim ben Hamad El-Thani, à l’issue d’un entretien avec le patriarche Raï, a rendu hommage pour leurs « efforts continus et discrets pour le développement du pays », tandis qu’un de ses ministres, dans une allusion à leur discrétion, déclara apprécier l’attitude de ces chrétiens qui « se conforment à la loi et connaissent leurs limites ». Des immigrés exemplaires donc !

    Pour le chef de l’Eglise maronite, ce voyage s’inscrivait dans une démarche plus stratégique destinée à consolider le rôle des chrétiens, et donc leur pérennité, au Proche-Orient. Il n’a pas manqué de souligner l’importance qu’il attache à la bonne santé spirituelle de ses fidèles. Durant la cérémonie religieuse, commentant le choix de l’ermite libanais, mondialement connu et vénéré, comme patron de la future paroisse, il a déclaré : « Les saints rapprochent les gens. L’émir sait que saint Charbel renforcera les liens d’amitié entre le Liban et Qatar ». Une façon de montrer que les chrétiens ne doivent pas vivre isolés de leur environnement arabo-musulman. S’il s’est prêté de bonne grâce à la visite guidée du Musée islamique de Doha, le prélat maronite a par ailleurs offert à la nouvelle Bibliothèque nationale, inaugurée le 15 avril, un ouvrage intitulé Les racines du christianisme.

    A Beyrouth, des observateurs ont fait le lien entre ce déplacement et la visite officielle – passée inaperçue en France - du patriarche Raï à Riyad, capitale de l’Arabie-Séoudite, les 13 et 14 novembre 2017, à l’invitation du roi Salman ben Abdelaziz. Contrairement à Qatar, où son prédécesseur, le cardinal Nasrallah-Boutros Sfeir, s’était rendu en 2008, et à d’autres pays du golfe Persique, où l’un et l’autre sont déjà allés, aucun haut dignitaire religieux chrétien n’avait posé le pied en Arabie depuis Mahomet, soulignait alors un journaliste libanais (1). « Je n’imaginais pas pouvoir venir un jour ici », avait confié le patriarche à ses compatriotes réunis à l’ambassade du Liban à Riyad. Et d’ajouter : « Nous allons maintenir une amitié forte entre l’Arabie-Séoudite et le Liban » (2).

    Il est vrai que celui que la presse séoudienne a désigné comme « le chef de l’Eglise libanaise » était reçu avec tous les honneurs par le « custode des deux saintes Mosquées » (La Mecque et Médine). Les médias locaux ont d’ailleurs consacré à cet événement une place de choix. Les croix pectorales portées par le patriarche et l’archevêque maronite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, qui l’accompagnait, étaient bien visibles sur certaines photos. Une façon de montrer l’ouverture d’un islam dont nul n’ignore pourtant l’intransigeance, sans omettre les injustices qu’il inflige aux 1, 5 millions de chrétiens de diverses provenances (parmi lesquels 100 000 Libanais) qui, par leur labeur et leurs sacrifices, contribuent amplement à la prospérité du royaume sans bénéficier du plus élémentaire droit dans le domaine religieux (3). Sur le fond, l’accent a été mis par les Séoudiens sur la nécessaire collaboration entre les religions et les cultures pour lutter contre la violence et le terrorisme, promouvoir le pardon, la sécurité et la paix. « Le patriarche au royaume de la tolérance et de la modération : main dans la main pour rejeter l’extrémisme », titrait le journal El-Riyad (4).

    Il s’agissait donc véritablement d’une visite historique et hautement symbolique, sans doute rendue possible par le nouveau contexte qui résulte du programme de modernisation sans précédent, le plan Vision 2030, inauguré par le jeune prince héritier, Mohamed ben Salman (« MBS », 32 ans) (5). « Dans ce pays, qui n’a aucune relation officielle avec le Vatican, où la liberté religieuse n’existe pas, où il est interdit de construire des églises, cette invitation officielle revêtait un caractère exceptionnel », soulignera le cardinal Raï après son retour. Pour lui, ce voyage a ouvert une histoire nouvelle entre une Eglise arabe catholique et ce royaume musulman ultrareligieux. « J’ai eu le sentiment que la méfiance pouvait faire place à des rapports sincères nouveaux entre nos deux religions » (6). Le prélat veut croire en la détermination de l’équipe dirigeante actuelle « de faire sortir le pays du conservatisme religieux et d’ouvrir l’islam à la modernité ». Lucide, il ne s’attend toutefois pas à des changements rapides. « Les sceptiques et ceux qui tirent avantage de l’immobilisme actuel seront difficiles à convaincre. Ils freineront les réformes » (7).

    Pour l’heure, alors que le programme d’éducation religieuse du pays maintient ses enseignements péjoratifs sur les religions non musulmanes, y compris le christianisme et le judaïsme, en octobre 2017, Salman, sans doute inspiré par « MBS », a signé un discret décret royal créant un « Centre des Hadîths du Prophète Mohamed » chargé « d’expurger les compilations des faux hadîths, de ceux qui sont en contradiction avec le Coran ou de ceux qui sont utilisés pour justifier et alimenter le terrorisme ». Les hadîths, récits relatant les paroles et gestes du prophète de l’islam, collectés plus de deux siècles après sa mort, constituent la deuxième source de la charia après le Coran. C’est dire leur importance. Ira-t-on alors jusqu’à considérer comme inauthentique ce propos rapporté par Aïcha, l’épouse préférée de Mahomet : « Deux religions ne peuvent pas coexister en Arabie », qui justifie l’impossibilité d’édifier des églises sur cette terre ?

    La discussion sur ce point a été ouverte par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, durant le séjour – là aussi une première - qu’il a effectué à Riyad à la mi-avril. S’exprimant devant le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, cheikh Mohamed El-Issa, qu’il avait reçu au Vatican en septembre 2017, il a plaidé en faveur de la réciprocité en matière de lieux de culte, rappelant aussi que « chacun doit être laissé libre d’embrasser la religion qu’il veut » (8).

    Dans le prolongement de la visite patriarcale, la monarchie séoudienne serait prête, selon des sources libanaises non encore confirmées (9), à autoriser, sur le site d’une antique église d’Arabie datant de 900 ans en attente de restauration, l’ouverture d’un « Centre international permanent pour le dialogue interreligieux ».

    Enfin, comme à Doha en avril, le patriarche Raï avait situé son voyage à Riyad dans un cadre stratégique, celui d’une redéfinition du sens de la présence arabe chrétienne au Levant. Pour lui, les disciples du Christ, surtout ceux du Liban, à cause de leur expérience, ont un rôle pacificateur à jouer entre l’Arabie et l’Iran, donc entre sunnites et chiites.

    Le chroniqueur libanais Antoine Courban veut croire à ces perspectives heureuses. « Recevoir fastueusement un prélat chrétien, arabe, qui est aussi un haut dignitaire de l’Eglise romaine, est un signe adressé au monde entier comme quoi quelque chose bouge et change au sein de l’islam ». Et de s’interroger : « Quelles seront les conséquences d’un tel bouleversement ? Nul ne peut le prévoir mais on serait de mauvaise foi de ne pas y voir un signe majeur de changement radical » (10).  

    1. L’Orient-Le Jour, 13 novembre 2017.

    2. Ibid, 14 novembre 2017.

    3. A. Laurent, Les chrétiens d’Orient vont-ils disparaître ?, éd. Salvator, 2017, p. 105-106.

    4. Cité par L’Orient-Le Jour, 15 novembre 2017.

    5. Fatiha Dazi-Héni, L’Arabie-Séoudite en 100 questions, éd. Tallandier, 2017.

    6. Cité par Luc Balbont, site de L’Oeuvre d’Orient, 3 avril 2018.

    7. Ibid.

    8. La Croix, 17 avril 2018.

    9. Rapportées par l’agence romaine Fides du 15 novembre 2017.

    10. L’Orient-Le Jour, 13 novembre 2017.

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    L'ISLAM, Annie Laurent,
    Editions Artège, 285 p., 19,90 €

    Article paru dans La Nef n° 304 – Juin 2018

  • Le séducteur : Retour sur le discours d'Emmanuel Macron aux évêques

     

    Par François Reloujac

    Religion et politique. « Standing ovation » aux Bernardins pour le président de la République et beaucoup d’éloges dans la presse, avec ce qu’il faut de fureur mélanchonienne pour leur donner davantage de relief ! 

    Le 9 avril dernier, les évêques de France recevaient le président de la République au Collège des Bernardins. Le discours présidentiel se proposait de chercher à « réparer » le « lien abîmé » entre la République et l’Église… Sous des propos apaisants et amicaux qui donnaient à croire à une « ouverture », Macron le subtil incitait, en fait, l’Église à œuvrer avec lui  voire exigeait d’elle qu’elle se rallie à son action. Éternel recommencement. Discours qualifié d’intelligent par la plupart des observateurs mais qui pourrait aussi bien être considéré comme rusé, tant il semble en appeler à la cléricature pour mieux la détacher des dogmes et de la morale de la religion révélée.

    Reconnaître à l’Église un droit de « questionnement »

    Le président a commencé par afficher la volonté de « réparer le lien abîmé » entre l’État et l’Église catholique, ce que tout Français conscient ne peut que déplorer, mais sans dire jamais en quoi et pour quoi et par qui ce lien est ou fut abîmé, ce qui évite d’avoir à traiter les problèmes de fond. Que ce lien soit en particulier abîmé par les lois contre nature que la République s’ingénie à imposer, comme le meurtre des enfants dans le sein de leur mère, la dénaturation de ce que signifie l’institution millénaire du mariage, la « chosification » des enfants dont le droit à l’enfant est le prétexte et, pire la « chosification » des femmes dont la location d’utérus est le dernier avatar, ou, bientôt, la condamnation à mort des personnes qui souffrent ou qui sont âgées. Rien de ces sujets capitaux et qui engagent l’avenir d’une civilisation, n’est abordé sous son jour de vérité naturelle et surnaturelle. Le président se dit prêt à écouter « le questionnement » de l’Église. Pourvu qu’elle admette de rester « un questionnement ». S’il est des normes au-delà, il n’appartient pas au président de la République de le savoir. Le lien est donc rétabli à la condition que l’Église ne cherche pas à promouvoir la vérité qu’elle détient mais qu’elle en reste au simple « questionnement » qui permet à chacun d’apporter sa propre réponse. Autant dire aux catholiques qu’ils sont libres d’exprimer ce qu’ils veulent à condition qu’ils ne prétendent pas transmettre une Vérité qui ne vient pas d’eux mais qui a été révélée ; il en résultera que ce qu’ils diront ne sera plus qu’une opinion parmi d’autres et comme ils ne sont plus majoritaires, ils n’auront pas à se plaindre s’ils ne sont pas suivis puisqu’ils n’auront, en bons démocrates, qu’à se rallier à la loi de la majorité. Et chacun doit bien savoir qu’au-dessus de tout, incréée, éternelle autant qu’évolutive, s’impose comme unique absolu la loi de la République. C’est à cette République que les chrétiens se doivent d’apporter « leur énergie » et « leur questionnement ». Avec leurs bâtonnets d’encens !

    Citer des chrétiens pour se dispenser de suivre leurs exemples

    Pour mieux séduire ceux à qui ils demandent de renier ce qu’ils ont de plus précieux, il cite, dans une liste à la Prévert, quelques auteurs chrétiens choisis pour représenter toutes les tendances et dont on se demande si, comme tout bon élève d’aujourd’hui, il ne l’a pas constituée en consultant Wikipédia. Il nous dit cependant qu’il ne tient pas à remonter trop haut, ni aux cathédrales, ni à Jeanne d’Arc dont il oublie de dire que l’Église l’honore de la gloire des saints. Il ne s’agit plus que de travailler aujourd’hui à l’œuvre commune en y mettant ce zèle que les catholiques de France – comme ils l’ont montré – sont capables de mettre en œuvre pour faire vivre la société avec cet art admirable de ne jamais rien revendiquer pour eux ! Ce serait une erreur de la République de ne pas savoir se servir d’un tel supplément d’âme. Le Président reconnaît ainsi le rôle irremplaçable de l’Église de France.

    Le ralliement « au monde »

    Cette Église est tellement utile quand elle « met les mains dans la glaise du réel », là où l’État ne le peut plus – ou, en fait, ne le veut plus – pour aboutir à « un moindre mal toujours précaire » ! Pour arriver à obtenir de l’Église ce qu’il en attend, dans cette politique des « petits pas », il n’épargne aucune couche de jolie pommade. Il se fait une « haute opinion des catholiques » avec qui il veut dialoguer et dont il attend la coopération totale ainsi qu’une contribution de poids « à la compréhension de notre temps et à l’action dont nous avons besoin pour faire que les choses évoluent dans le bon sens ». Quel bon sens ? Et quelle évolution ? Et de quelles choses ? En un mot, il attend que les fils de Dieu se mettent purement et simplement au service « de ce monde ». Il ne faut pas que les chrétiens se sentent « aux marches de la République ». On croirait qu’il se souvient de l’encyclique du pape Léon XIII Au milieu des sollicitudes de la fin du XIXe siècle. Cependant il occulte ou il oublie qu’en écrivant cette encyclique, le pape souhaitait, en fait, que les catholiques de France « se rallient » à la République, dans l’espoir qu’ils pourraient alors influencer les institutions au point de les rendre respectueuses des droits de Dieu, comme les martyrs avaient réussi à « christianiser » l’empire romain. Il pensait que si les catholiques de France, alors persécutés, « investissaient » la République, ils pourraient la transformer de l’intérieur, empêcher de voter des lois antireligieuses et la rendre finalement fidèle à l’enseignement de l’Église. Force est de reconnaître que cette encyclique a totalement raté son objectif ! Cependant la même politique se continue aujourd’hui comme depuis plus d’un siècle avec le succès que l’on connaît. Notre président appelle donc directement l’Église de France à persévérer dans la même voie. Venez, prenez votre place, acceptez nos lois, donnez-nous votre dévouement et nous écouterons « votre questionnement » !

    Nature des trois dons exigés

    Dans cet état d’esprit il appelle l’Église à ce qu’elle fasse trois dons à la République : don de sa sagesse, don de son engagement, don de sa liberté. Nous sommes là bien loin, malgré les apparences, du don de la Sagesse demandé à Dieu par Salomon ! Salomon demandait à Dieu d’être habité par sa Sagesse et donc de la rayonner autour de lui et dans toutes ses œuvres. Le président de la République, en jouant avec les mots et inversant le sens de la demande, propose à l’Église de se dépouiller de ces trois attributs, donc de les sacrifier à son profit pour qu’il puisse s’en servir selon son bon plaisir, en fonction de sa volonté propre. Qu’elle les mette à son service !

    Car qu’est-ce que la sagesse de l’Église pour le président de la République, si ce n’est son « questionnement propre » qu’elle « creuse »… « dans un dialogue avec les autres religions » ? Elle est aussi cette « prudence » qui caractérise d’ailleurs « le cap de cet humanisme réaliste » qu’il a choisi comme norme. Il insiste sur ce point : là où il a besoin de la sagesse de l’Église, « c’est pour partout tenir ce discours d’humanisme réaliste » ; comprenons bien : non pas pour faire entendre la parole de Dieu.

    Face au « relativisme », au « nihilisme » à « l’à-quoi bon » contre les causes desquels il n’envisage pas de combattre, il requiert de l’Église le don de son engagement. Elle n’a pas à lutter contre les causes, non, mais son aide sera bienvenue en revanche pour atténuer les effets, autrement dit pour faire passer la pilule et endormir les consciences. Au même titre que « tous les engagés des autres religions » et ceux des « Restos du cœur », les fidèles de l’Église sont ainsi appelés à consacrer leur énergie « à cet engagement associatif » puisque cette énergie a été « largement soustraite à l’engagement politique ».

    Quant au don de sa liberté que l’Église est invitée à faire, elle qui n’a jamais été « tout à fait de son temps », – « mais il faut accepter ce contretemps » –, c’est de se montrer « intempestive ». Plus elle sera ainsi choquante, en particulier sur les migrants, plus elle aura l’impression d’être libre, mais moins elle sera suivie par la majorité de l’opinion. Plus elle sera inopportune, moins donc elle sera dangereuse. « Et c’est ce déséquilibre constant qui nous fera ensemble cheminer ». Ce don de sa liberté suppose que l’Église offre aussi sa liberté de parole, … cette liberté de parole qui inclut « la volonté de l’Église d’initier, d’entretenir et de renforcer le libre dialogue avec l’islam dont le monde a tant besoin ». Besoin de quoi ? Du dialogue ou de l’islam ? Le président est trop instruit pour ne pas savoir qu’il ne peut y avoir de dialogue qu’entre égaux, ce qui signifie qu’il met sur le même plan l’Église catholique et l’islam. 

    Intelligent ou malin ?

    La position du président conduit à fonder le dialogue entre la République et l’Église « non sur la solidité de certaines certitudes, mais sur la fragilité de ce qui nous interroge ». L’Église n’a donc pas à enseigner les dogmes, ses dogmes, c’est-à-dire sa foi. Sa foi en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Il n’est pas question d’indiquer un chemin de vérité. Elle peut simplement partager avec les politiques les inquiétudes et incertitudes des hommes, et de préférence des hommes mal ou non croyants. « C’est là que la nation s’est le plus souvent grandie de la sagesse de l’Église, car voilà des siècles et des millénaires que l’Église tente ses paris, et ose son risque ». Quelle manière de résumer l’histoire ! Que reste-t-il alors de l’Église ? Peut-on vraiment réduire l’Église à « cette source d’incertitude qui parcourt toute vie, et qui fait du dialogue, de la question, de la quête, le cœur même du sens, même parmi ceux qui ne croient pas » ?

    Sûr de l’empathie qu’il réussit à manifester et à entretenir, il ajoute avec un certain cynisme :

    « C’est une Église dont je n’attends pas de leçons, mais plutôt cette sagesse d’humilité face en particulier à ces deux sujets que vous avez souhaité évoquer. »

    Il s’agit de la PMA – GPA et des migrants ! Vraiment du grand art pour rouler ses auditeurs dans la farine.

    Quant au mot de la fin, il rappelle la séduction du serpent qui entraîne à la transgression :

    « Certes, les institutions politiques n’ont pas les promesses de l’éternité ; mais l’Église elle-même ne peut risquer avant le temps de faucher à la fois le bon grain et l’ivraie ». Il eût été plus franc de dire : « Laissez les politiques ramper dans la fange sans les condamner, vous risqueriez de faire fuir les dernières ouailles qui vous restent. Mettez-les au service du monde que nous construisons. ! »

    Alors, intelligent, le discours du président ou simplement malin ?   

     

    Le Dr. Jean-François Delfraissy, qui préside les Etats généraux de la Bioéthique, ne tient évidemment aucun compte des objections des catholiques. Politique magazine

    Le Dr. Jean-François Delfraissy, qui préside les Etats généraux de la Bioéthique, ne tient évidemment aucun compte des objections des catholiques.  

    François Reloujac
     
  • Fausse querelle : Wauquiez / Calmels

     

    Par Yves Morel 

    Les partis ne sont que des instruments de pouvoir, de conquête ou de conservation. Macron a dû constituer le sien, fait de bric et de broc… La gauche n’arrive pas à se reconstituer. Les Républicains peuvent-ils y arriver avant les prochaines échéances ? Mais que veulent-ils ? Du rififi, pourquoi ? 

    Actu-3.jpgTempête à la tête de Les Républicains. Laurent Wauquiez, le président, vient de destituer la vice-présidente, Virginie Calmels, qui contestait sa ligne. Ce genre de prise de bec ne doit pas surprendre en un parti dépourvu d’unité et tiré à hue et à dia par ses ténors du moment.

    [Photo : Virginie Calmels, une vice-présidente qui se voyait en présidente]

    Sarko-fillonistes et juppéistes

    Les Républicains n’ont toujours pas comblé le fossé qui sépare, chez eux, les juppéistes et centristes de l’amalgame des sarkozystes et autres fillonistes. Les dévots de l’ancien président de la République et ceux du candidat torpillé de la présidentielle de 2017 se sont unis pour imposer Laurent Wauquiez, le quadra qui les représente. Mais les autres n’ont pas désarmé.

    En vérité, cette querelle au sein du parti n’est pas nouvelle. Dès juin 2017, trois jours seulement après le second tour des dernières législatives, douze députés LR, conduits par Thierry Solère et Frank Riester, constituaient, avec leurs seize collègues de l’UDI, le groupe des Républicains constructifs, devenu ensuite le groupe UDI Agir et Indépendants, actuellement présidé par Jean-Christophe Lagarde (UDI) et Frank Riester (passé des LR à Agir), et qui envisage de se constituer en parti politique à part entière. Et Valérie Pécresse, la présidente de la plus importante région de France, l’Île-de-France, mène une opposition acerbe contre l’actuel président des Républicains, en fondant son propre mouvement « Libres ! ».

    La prétendue droite dure de Laurent Wauquiez

    Quelle est la raison de cette querelle ? Ce serait, de prime abord, l’opposition entre une droite dite « dure » ou authentique, incarnée par Laurent Wauquiez, Éric Ciotti et autres, et une droite dite « modérée », selon ceux qui se veulent sages, « molle » suivant le point de vue de ceux qui comprennent que le fond de l’électorat de droite est exaspéré.

    Les commentateurs de la vie politique s’accordent à penser que Laurent Wauquiez a opéré le choix d’une droite dite « décomplexée », selon un qualificatif à la mode, et intransigeante. Il entendrait ressourcer la droite à ses valeurs fondatrices. Il se présente comme socialement et moralement conservateur et plutôt traditionnaliste. Il se veut patriote, « national ». Il réclame un État fort dans le cadre démocratique, naturellement, capable d’assurer l’ordre et de sauvegarder la sécurité et la tranquillité de nos compatriotes. En économie, il est libéral et conservateur. Depuis le début du quinquennat de Macron, il a critiqué la politique économique et sociale du gouvernement, qu’il estime ne pas être assez drastique. Il s’est prononcé en faveur du plafonnement de l’ensemble des minima sociaux à hauteur de 75% du SMIC, pour l’instauration d’un jour de carence dans les congés maladie et l’obligation, pour les allocataires du RSA, d’effectuer cinq heures hebdomadaires de travail.

    Européen, il voit dans l’euro la condition de la stabilité économique de la Communauté, mais reproche tout de même aux politiques monétaires rigoureuses de Bruxelles de compromettre gravement les possibilités d’investissement des entreprises. Enfin, il se prononce en faveur d’une politique migratoire autoritaire, et des mesures exceptionnelles pour lutter contre le terrorisme.

    Le libéralisme européen de Virginie Calmels

    La faction opposée – au sein même de LR –, représentée naguère par Juppé, Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Xavier Bertrand et consorts, aujourd’hui par Virginie Calmels, campe sur une tout autre ligne : libéralisme économique soutenu étrangement par le jacobinisme administratif d’État, européisme délibéré misant tout sur la construction européenne,

    Actu-4.jpgÉtat minimal sur les prérogatives régaliennes, renoncement de fait aux fondements théoriques et aux « valeurs » morales de la droite, recherche effrénée d’un consensus éthique et politique entre droite modérée, centristes et ce qui reste de la gauche sociale-libérale ou sociale-démocrate, souplesse dans la limitation de l’immigration et la lutte contre le terrorisme. Elle pourrait reprendre à son compte le propos du non-regretté Michel Guy en son temps, lequel se disait « de droite pour l’économie, de gauche pour tout le reste ».

    [Photo : La France prisonnière des institutions européennes dans lesquelles elle s’est fourvoyée.]

    Une stratégie purement politicienne

    Les divers camps ainsi présentés, il est certain que les intérêts français sembleraient mieux représentés et mieux défendus par Laurent Wauquiez président de LR et président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

    Sauf que les choses ne sont pas si simples, et qu’il convient d’y regarder à deux fois, voire plus. En réalité, les gesticulations, les propos véhéments, les déclarations provocantes – et même dites en catimini ou prétendument – et les professions de foi solennelles de Laurent Wauquiez ne sont que les éléments d’une stratégie politicienne visant à reconstituer autour de sa propre personne –pour laquelle il rêve d’un destin élyséen – un grand parti tory à la française capable de faire rentrer dans le rang les libéraux purs et les centristes, de mobiliser l’électorat autour d’un programme audacieux – du moins en apparence – et du sentiment d’attachement – apparent lui aussi – « aux valeurs » patriotiques, nationales et morales fondatrices de la droite, afin de reconquérir le terrain perdu au profit de Macron et de LREM lors des élections présidentielle et législatives de 2017, et de remporter celles de 2022, en récupérant une partie de l’électorat FN, maintenant RN.

    Il faut bien comprendre une spécificité française à quoi se réduit de plus en plus la Ve République : tout n’est plus que stratégie électorale autour de l’élection majeure qu’est la présidentielle. Il ne s’agit que de se constituer une base électorale en additionnant les divers courants, ce qu’a fait Macron… et ce que les futurs candidats veulent tous faire. D’où les effritements rapides et les déceptions !

    Dans notre république, plus que dans toutes les autres démocraties libérales, il en va de plus en plus ainsi : les idées ne sont que des slogans, des cris ou des formules de ralliement, des mots d’ordre, des arguments publicitaires, des éléments de propagande, au service de la conquête du pouvoir. Une fois cette conquête réalisée, elles perdent toute importance. Pire : naguère utiles, elles deviennent encombrantes et nocives à l’action et à la liberté de mouvement du ou des nouveaux maîtres du pouvoir. C’est ce qui s’est vu avec les exemples de Chirac, puis de Sarkozy et, sur le versant gauche, avec celui de Hollande.

    Wauquiez n’est que candidat

    En octobre dernier, Wauquiez a reproché à Macron de n’avoir pas « d’amour charnel pour la France ». Mais lui-même s’en montrera-t-il vraiment pourvu quand il sera le maître, s’il le devient ? Il a également reproché aux divers traités et textes européens d’ignorer délibérément « les racines judéo-chrétiennes de l’Europe » et même aux billets de banque de ne pas comporter d’effigies de quelques Européens illustres, de peur d’éveiller les sentiments patriotiques des peuples fédérés par la Communauté. Et même, une fois en fonction, pourrait-il quoi que ce soit, prisonnier qu’il serait, comme tous les autres, d’institutions dans lesquelles la France s’est fourvoyée. Au fond, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie sont plus libres que la France et ne parlons pas de Donald Trump ! Et de Poutine ! Et de la Chine !

    Wauquiez a commis un tract, jugé « inutilement anxiogène » par les centristes LR et UDI, intitulé « Pour que la France reste la France », qui se présente comme un manifeste de défense de l’identité française contre une Europe phagocyteuse et face à une dérive socio-culturelle liée à la prévalence des idées subversives, d’une part, et à la pression d’une immigration sans contrôle, d’autre part. Eh bien, ses adversaires peuvent se rassurer : devenu Président de la République, Wauquiez a toute chance de guérir bien vite de son prurit identitaire ! Et il s’accordera sur « l’essentiel » avec la classe dirigeante française qui sera bientôt la seule en Europe à maintenir cette ligne européiste. Du reste, et honnêtement, peut-on être à la fois un Européen partisan convaincu de l’euro et un patriote soucieux du développement des entreprises françaises ? Non, le temps ne montre que trop que cette gageure relève de la quadrature du cercle.

    Ces remarques valent pour les autres notables des Républicains. Ainsi, Valérie Pécresse, catholique et pratiquante, naguère très engagée dans la défense des Chrétiens d’Orient et la lutte contre le prosélytisme islamique en France, soutien de Sarkozy, dont elle fut un ministre important, s’est ralliée en 2016 à Alain Juppé au moment des primaires de la droite. Du reste, elle appartient, depuis seize ans – un bail ! – à la très libérale French-American Foundation, organisation constituée pour renforcer les liens entre la France et les États-Unis. Vigoureusement opposée, en 2013, à la loi Taubira instituant le mariage pour tous, allant jusqu’à proposer non seulement d’abroger cette mesure mais de dissoudre les mariages homosexuels conclus durant sa période d’application, elle a changé d’avis, et s’est ralliée à cette innovation qu’elle contestait ouvertement, « tout simplement parce que j’ai réfléchi » – à son plan de carrière sans doute –, affirme-t-elle à qui veut l’entendre, et parce qu’elle estime un retour en arrière, en la matière, « impensable humainement » ! Laurent Wauquiez lui-même, affiche sa bonne entente avec Sens commun, mouvement hostile au mariage homosexuel et proche des Républicains. Arrivé au pouvoir, il pourra le renvoyer à la niche.

    Ne nous laissons donc pas abuser par les rodomontades et les surenchères démagogiques des uns comme des autres ; elles relèvent de la stratégie électorale, voire de la simple tactique. L’alternance au pouvoir dans le cadre des institutions actuelles, en France plus particulièrement, n’amène que des personnes qui, malgré leurs dires, ne peuvent avoir aucune conviction forte, aucun principe intangible, aucune idée précise, aucun programme défini. Un Patrick Buisson, un Philippe de Villiers, un Éric Zemmour, une Marion Maréchal l’ont parfaitement montré. Tous ces gens, mutuellement opposés à certains moments, se réconcilient ensuite sans peine, car, précisément, rien de sérieux ne les sépare et ils ont trop besoin les uns des autres, ne serait-ce que pour faire semblant de s’opposer.   

     

    Valérie Pécresse, girouette assumée, « parce qu’elle a réfléchi ». 

     Yves Morel

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle 
  • Une défaite qui coûtera cher, par Hilaire de Crémiers.

    Les Joe Biden, comme les Macron, qui se croient élus pour diriger le monde, porteront la responsabilité de leur politique. Ils n’en paieront jamais le prix. Comme leurs prédécesseurs. C’est la loi de la démocratie.

    hilaire de crémiers.jpgLe monde occidental vient encore de subir une défaite. En Afghanistan, après vingt ans de présence militaire, une fois de plus, rien n’a été mené à terme convenablement, aucune politique, aucune stratégie, rien, malgré des efforts considérables militaires et financiers. Sans que jamais rien, non plus, puisse servir de leçon, la sottise des politiques contrecarrant systématiquement le haut commandement de l’Armée quand des stratèges un peu plus avisés cherchaient à faire prévaloir des solutions de bon sens. En France, ce sont là des schémas archi-connus. Les quelques parlementaires qui s’intéressent aux questions de défense, en savent quelque chose. Et nos généraux aussi.

    Un désastre prévisible

    Le désastre final était, en fait, politiquement entériné, et depuis longtemps, dans l’aveuglement, le déni ou le cynisme criminel de toutes les autorités concernées. Jusqu’aux médailles à distribuer sur les cercueils pour consoler les familles et remonter le moral de la nation. Avec discours et trompettes.

    Il y a là une responsabilité effrayante qui devrait intimider tout candidat aux magistratures suprêmes dans des nations qui ont été tellement démoralisées par leurs élites dirigeantes qu’elles ne savent même plus porter le poids de l’histoire.

    En l’occurrence, cette responsabilité se pèse par rapport aux nations engagées sous prétexte d’alliance, ce qui est déjà grave, par rapport aux soldats sacrifiés, par rapport aux populations jetées dans le désarroi d’une guerre perdue et qui, elles, paient les pots cassés. Qui pense réellement aux Afghans, au-delà même des personnes que l’Occident a compromises et qu’il cherche à tirer d’affaire ?

    Il était fatal, étant donné les plans et les opinions à l’origine de ce genre d’expéditions, que le départ tournât à la débandade honteuse et sanglante. Tout était prévisible et, pour ainsi dire, prévu. Et ce n’est pas fini ! S’imaginer que les Talibans vont agir et réagir comme un État coordonné et responsable n’a pas de sens et, encore moins, se rassurer en misant sur les querelles et les violentes agitations qui secouent les organisations islamiques et divisent leurs diverses obédiences. Ces calculs lénifiants de politiciens qui se croient malins, évitent d’appréhender la situation dans sa gravité et sa cruauté.

    Le président Joe Biden qui a revendiqué son rôle de Commandant en chef des Armées des États-Unis, est, de jour en jour, de plus en plus pitoyable. Dans son attitude et ses discours. Jusque dans son élocution chevrotante. Il n’est pas à la hauteur du rôle qu’il prétend assumer. Et comment pourrait-il en être autrement, vu les circonstances et, surtout, vu les décisions qui ont été prises, plus absurdes et contradictoires les unes que les autres ? Quand on livre à l’adversaire, soi-même et à l’avance, la date de son échec ! Comme jadis, chez nous, Mendès-France et De Gaulle. L’ennemi en armes n’a plus qu’à accourir pour acter sa victoire, en criant à la libération et en s’excitant à l’épuration. Et d’autant plus intransigeant qu’il sait que tout est lâché d’avance et par principe. Pas moyen de faire autrement, dit-on pour se conforter dans son imbécillité.

    Et, en effet, l’impression est donnée au monde entier, en Asie comme en Afrique, que tel est le lot obligé de l’Occident de perdre la partie, de manière répétitive. Le comble étant qu’il déploie à cette occasion des moyens de puissance technologique ahurissants. C’est qu’il doit lui manquer par ailleurs un élément essentiel au niveau du jugement et de l’intelligence politique. Qui ne le comprend ?

    Le déshonneur qui le frappe en contrecoup ne modifiera pas le comportement des politiciens, insensibles par nature à ce genre de considération et de plus en plus inaptes à tous les niveaux à quelque direction que ce soit, guerre ou paix. Dans les nations dirigeantes d’Occident, pas un chef politique digne de ce nom, malgré leur prétention à tous. Aucune vision cohérente. Aucune dignité vraie. Des discours pour faire semblant de garder la main. Et jouer à l’imperator. Comme Biden ! Comme Macron aussi, que ce soit dans la crise sanitaire en France, ou dans le Sahel où il maîtrise de moins en moins la situation, ou, pas plus tard qu’hier, à Bagdad où il engage la France en faisant croire qu’il en a les moyens quand il ne contrôle plus ses banlieues ni son propre territoire. Politique de communication qui s’étale dans les médias et dont la visée est d’abord électorale. Assurément, il doit y avoir un défaut dans la sélection démocratique des chefs pour aboutir à de tels mécomptes.

    Conséquences incalculables

    Le drame qui ne va cesser de s’amplifier, non seulement en Afghanistan mais dans tous les pays soumis à la pression islamique, ne changera en rien les conceptions qui dominent dans la classe dirigeante occidentale, ni ne corrigera l’opinion publique – ou ce qu’on appelle telle – fabriquée sur les mêmes schémas en vue de soutenir les mêmes processus dérisoires de décisions calamiteuses. Uniformisation du même abêtissement politique par le même ressassement indéfini des mêmes faux principes dans tous les grands pôles de décision où l’illusion est donnée aux apprentis sorciers du mondialisme heureux de gouverner, de diriger, de mener le monde : politique intérieure, politique extérieure, mœurs publiques, santé, éducation, conventions sociales, religion même, tout doit afficher officiellement les mêmes doctrines et les mêmes pratiques, avalisées par les organismes inter et supranationaux, et imposées comme normes universelles au monde occidental, à défaut du monde entier qui, quant à lui, n’a rien à en faire. En Europe, en particulier, gare aux récalcitrants qui veulent garder leur libre jugement. Pourquoi s’étonner de ce qui s’ensuit inéluctablement ? La sottise politique coupable se situe au plus haut niveau !

    Il y a de quoi s’inquiéter pour la France. La macronie dans ses éléments constitutifs est de cet acabit et, d’ailleurs, malgré la prétendue volonté de rupture, conforme à la succession des prédécesseurs. Les grands discours de Macron illustrent parfaitement les mêmes illusions fantasmagoriques qui, sous prétexte de visions élevées, ne cessent de couvrir nos déboires et nos effondrements. Ce ne sont que propos grandiloquents et, « en même temps », reculades effectives quand il s’agit de l’honneur français, de l’intérêt national, du simple bon sens.

    Les Français qui ont gardé encore un peu de sens critique, sont bien placés pour savoir que jamais l’idéologie au pouvoir sous les allures hypocrites d’un libéralisme douceâtre et inclusif, selon le jargon actuel, n’a été plus contraignante et, en réalité, plus exclusive. Il est à craindre qu’elle ne le devienne encore davantage, pandémie et insécurité aidant, dans les mois qui viennent. Tout a été dit sur le sujet par les meilleurs esprits sans qu’il y ait jamais eu la moindre répercussion dans le cadre des institutions existantes – en France en tous cas –, ce qui constitue tout le problème, au vrai notre seul problème politique, et qui devrait susciter la réflexion de ceux qui souhaitent changer le cours des choses. Pourquoi et comment se fait-il qu’aucune réaction ne soit envisageable ? Au point que tout est joué d’avance. Cette incapacité à réagir intelligemment et efficacement aux difficultés de l’heure accroît les risques encourus quand l’environnement géostratégique aggrave les menaces. Or, ce sinistre pronostic est pour demain ; il est même pour tout de suite.

    Pourquoi et comment se fait-il qu’aucune réaction ne soit envisageable ?

    La débâcle afghane qui s’ajoute à tous les autres désastres en ne comptant pourtant que les plus récents, somalien, irakien, syrien, libyen, sahélien, comporte, comme à chaque fois, un triste bilan humanitaire, comme il est dit par euphémisme pour éviter de parler de conséquences d’une atroce inhumanité : le monde occidental est incapable de garantir sa protection ni même sa propre parole à quelque peuple que ce soit.

    Plus tragiquement encore, cette succession d’événements, jamais anticipée dans leurs suites épouvantables, laisse pendante une lourde question intellectuelle, morale, pour ainsi dire civilisationnelle. Car il s’agit de la conception même de la vie.

    En effet, une telle catastrophe qui sera ressentie au contraire comme une victoire dans toutes les populations hostiles au monde occidental jusqu’au fond de l’Asie et de l’Afrique, aura de funestes répercussions tant dans le monde musulman – ce qui est plus que prévisible, et pour la France singulièrement dans le Sahel – qu’au sein même des nations qui sont censées constituer ce qu’on appelle le monde libre et démocratique. L’état politique, social, spirituel de ces nations, déjà fortement dégradé et miné de l’intérieur, ne pourra qu’empirer, malade de tant de fausses idées qui pourrissent les esprits, et victime « en même temps » d’attaques de toutes sortes qui viseront de plus en plus à faire exploser le corps social. La France est concernée au tout premier chef. Elle n’échappera pas à son sort. Les discours rassurants de Macron, de Darmanin, de Dupond-Moretti, de Le Maire qui, quant à lui, est chargé d’expliquer que jamais la France ne s’est mieux portée économiquement et socialement, ne sauraient apporter une réponse suffisante et adéquate à une crise qui atteint le cœur même des institutions françaises et pèse sur leur avenir immédiat. L’élection présidentielle de 2022, présentée à cet égard comme un tout ou rien, ne résoudra précisément rien.

    La situation politique se durcira, mettant en cause la légitimité des résultats dans une atmosphère de quasi-guerre civile. La politique en est réduite, au milieu d’urgences de toutes sortes, sécuritaires, sanitaires, bientôt sociales et politiques, à n’être plus qu’un jeu d’ambitions personnelles où les malheurs mêmes du pays servent d’argumentaires électoraux. À vous donner la nausée ! Inutile de revenir sur cet enchaînement de causes et d’effets qu’il devient fastidieux d’analyser, tant le mal est invétéré. Sans que jamais rien de sérieux ne soit opéré pour un véritable redressement.

    Au-delà

    Face à cette impasse, il convient de voir plus haut et plus large. Le mal n’est pas seulement politique ; il est fondamentalement religieux. Il n’est pas question ici de l’islam ; et, pourtant, il pose une question majeure à notre société qui n’a à proposer que son inconsistance spirituelle et le vide de sa laïcité dont la philosophie négative empêche toute réponse positive. Les dirigeants politiques en France en sont à calculer que les populations musulmanes se laisseront entraîner, elles aussi, dans le consumérisme universel et la vanité du débat démocratique. Mauvais calcul assurément !

    Cependant le mal aujourd’hui se situe à un plus haut niveau. Il faut que ce soit un Michel Onfray qui rappelle au pape que l’Occident ne peut se passer de sa vraie religion, celle qui l’a constitué dans sa foi et sa destinée, et qui ne se réduit pas à un salmigondis démocratico-onusien offert au monde en forme d’unique doctrine du seul salut ! Rien d’autre que le chiffre de la Bête dont tous les fronts doivent être marqués ! Et voilà que Rome dans son discours politique officiel s’apprête à « rallier » cette République universelle, « la grande Prostituée », qui devient la vision de son eschatologie et la cité radieuse de son apocalypse.

    Newman et Soloviev avaient tout anticipé sur l’Antéchrist sans imaginer une telle conclusion. La question qui se pose est telle qu’elle dépasse toute considération humaine et toute solution naturelle. Commence, comme dit le prophète, « les visions de la Nuit ».

     

    Illustration : L’homme fort d’une Amérique forte.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • La place Charles-de-Gaulle outragée, par La RÉDACTION de L’ASAF.

    www.asafrance.fr

     L’Association de Sou­tien à l’Armée Fran­çaise réagit aux fan­tai­sies pseu­do-artis­tiques d’une petite élite cultu­relle igno­rante de l’Histoire de notre pays et de la repré­sen­ta­tion sym­bo­lique de nos monu­ments. (NDLR)

    5.pngPar­mi les monu­ments et lieux de mémoire dont regorge Paris, il en est deux par­ti­cu­liers par­mi les plus visi­tés : l’un sym­bo­lise l’âme de la capi­tale, c’est la cathé­drale Notre-Dame, en cours de recons­truc­tion, et l’autre son cœur, c’est l’Arc de Triomphe.

    L’Arc est situé à la confluence de douze ave­nues pres­ti­gieuses – Champs-Ély­sées, Fried­land, Hoche, Wagram, Mac-Mahon, Car­not, Grande-Armée, Foch, Vic­tor-Hugo, Klé­ber, Iéna et Mar­ceau – qui forment une étoile qui a long­temps don­né son nom à la place qui les relie et, en posi­tion légè­re­ment sur­éle­vée, il semble éclai­rer à l’est la ville qui s’étale à ses pieds.

    « Vous ne ren­tre­rez dans vos foyers que sous des Arcs de Triomphe ! » s’était excla­mé l’empereur Napo­léon au len­de­main de la bataille d’Austerlitz. En 1806, par décret impé­rial, il ordon­nait l’édification de cet Arc de Triomphe, pour « per­pé­tuer le sou­ve­nir des vic­toires des armées fran­çaises ». Il fal­lut pour­tant attendre trente ans pour que, en1836, le monu­ment soit offi­ciel­le­ment inau­gu­ré par Louis-Philippe.

    Quatre-vingt-trois ans plus tard, le 14 juillet 1919, défi­lèrent sous l’arche immense les troupes vic­to­rieuses de la Grande Guerre avant que n’y soient inhu­més, le 28 jan­vier 1921, les restes d’un sol­dat incon­nu. Dès lors, le monu­ment chan­geait de nature. En plus d’être un lieu de mémoire, il deve­nait l’écrin magni­fique et gran­diose d’un tom­beau ren­fer­mant la dépouille d’un sol­dat qui en repré­sen­tait 1 400 000 autres et qui lui confé­rait un carac­tère sacré.

    Enfin, le der­nier évé­ne­ment mar­quant la vie bien rem­plie de ce monu­ment fut, par arrê­té du 13 novembre 1970, soit quatre jours après la mort de l’intéressé, la déci­sion de rebap­ti­ser la place de l’Étoile en place Charles-de-Gaulle sans qu’à ce patro­nyme ne soit ajou­té aucun titre par­ti­cu­lier tel que géné­ral ou pré­sident. C’est l’homme Charles de Gaulle qui est hono­ré ici et qui inclut certes, le géné­ral et le pré­sident, mais aus­si le sol­dat de la Grande Guerre et l’écrivain, car à ce titre il tenait beaucoup.

    Et pata­tras ! Alors qu’il entame les neuf der­niers mois de son man­dat de pré­sident, soit à peine la durée d’une année sco­laire, le can­di­dat poten­tiel­le­ment décla­ré à sa réélec­tion, Emma­nuel Macron, fait pro­cé­der à l’emballage de cette sépul­ture. Il y avait déjà eu les outrages du 1er décembre 2018, quand des auto­pro­cla­més « gilets jaunes » s’étaient intro­duits dans le musée que le monu­ment ren­ferme pour en détruire le conte­nu. Ce même jour, veille de l’anniversaire de la bataille d’Austerlitz, les piliers de l’Arc ont recueilli des graf­fi­tis où s’exprimait la haine d’une foule hys­té­rique envers nos gou­ver­nants. Ce sac­cage avait sus­ci­té une répro­ba­tion géné­rale et tout le monde était tom­bé d’accord sur un mot d’ordre alors impé­ra­tif : « Plus jamais cela ! ».

    À l’heure où vous lirez ces lignes, cet embal­lage stu­pide et odieux sera en cours et cache­ra pen­dant au moins deux semaines les noms des batailles mémo­rables comme ceux des com­bat­tants illustres qui sont gra­vés sur les piliers. Cette insulte aux gloires pas­sées est insup­por­table à nos cœurs de sol­dats. Le géné­ral de Gaulle, auquel se réfère volon­tiers notre actuel pré­sident et à qui il rend hom­mage chaque année à Colom­bey, le jour anni­ver­saire de sa mort, serait sans doute lui aus­si révol­té par cette hon­teuse mas­ca­rade. Et d’ailleurs, pour­quoi n’est-il pas venu à l’esprit de l’actuel pré­sident d’emballer la tombe de son prédécesseur ?

    Le 11 novembre 2019, le pré­sident de la Répu­blique inau­gu­rait, dans le parc André Citroën, à Paris, un monu­ment depuis long­temps atten­du, dédié aux sol­dats morts en opé­ra­tions exté­rieures depuis la fin de la guerre d’Algérie. Sur les murs qui le bordent étaient alors gra­vés 549 noms de sol­dats tués sur 17 théâtres d’opérations. Depuis, ce chiffre s’est accru d’au moins 10 noms sup­plé­men­taires. Vien­drait-il à l’idée de quelqu’un de cacher ces noms pen­dant quinze jours ? Quelle serait alors la réac­tion des familles ? Peut-on, au nom d’un « art » éphé­mère inven­té par l’esprit tor­tueux d’un artiste étran­ger, aujourd’hui décé­dé et inhu­mé aux États-Unis, tout faire ? Pour­quoi mon­sieur Chris­to n’a‑t-il pas embal­lé le Capi­tole ou le mémo­rial Lin­coln à Washington ?

    Mon­sieur le Pré­sident, peut-être ne le savez- vous pas parce que per­sonne n’a eu le cou­rage de vous le dire, mais vous com­met­tez là une grave erreur. En pri­vé, des maires d’arrondissement à Paris, des dépu­tés, des direc­teurs d’administrations cen­trales du minis­tère des Armées et même des ministres désap­prouvent ce pro­jet. Ils ont com­pris eux que le monde com­bat­tant consi­dé­rait cette ini­tia­tive comme une véri­table décla­ra­tion de guerre. Ils savent aus­si que, tou­jours englués dans une crise sani­taire qui n’en finit pas, les Fran­çais ont bien d’autres pré­oc­cu­pa­tions que d’apprécier ou non des ini­tia­tives artis­tiques dou­teuses et vont consi­dé­rer cela comme une diver­sion bien mal venue.

    Depuis un siècle, la tombe du Sol­dat incon­nu est fleu­rie tous les jours par des Fran­çais venus de tous les hori­zons et sou­vent entou­rés de tou­ristes étran­gers de pas­sage. Cet hom­mage modeste, qui émane du cœur du peuple, accom­pa­gné du ravi­vage de la Flamme qui éclaire le tom­beau et qui, même sous l’occupation alle­mande, n’a jamais ces­sé, ne se suf­fit-il pas à lui-même et n’est-il pas plus signi­fiant qu’un énorme « bar­num » qui n’avait pour objet ini­tial que de satis­faire son « inventeur » ?

     La RÉDACTION de L’ASAF

    www.asafrance.fr

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Pourquoi le régime Algérien déteste t’il la France, par Charles Saint Prot.

    Direc­teur géné­ral de l’Observatoire d’études géopolitiques

    Doyen de l’Institut afri­cain de géo­po­li­tique (IAGEO)

    La déci­sion du régime algé­rien de rap­pe­ler son ambas­sa­deur en France, le 2 octobre 2021, est — comme la rup­ture des rela­tions avec le Maroc — celle d’un sys­tème à bout de souffle. Un sys­tème qui, à force de trom­per le monde depuis l’indépendance en 1962, tourne en rond et ne satis­fait que les inté­rêts par­ti­cu­liers des pro­fi­teurs cor­rom­pus du régime.

    2.jpgMais qu’a dit le pré­sident Macron pour conduire Alger à ce rap­pel sur­pre­nant de son ambas­sa­deur ? Tout sim­ple­ment que lors de dis­cus­sion avec des jeunes rela­tée par le quo­ti­dien Le Monde, Emma­nuel Macron a esti­mé, le jeu­di 30 sep­tembre, qu’après son indé­pen­dance en 1962, l’Algérie s’est construite sur « une rente mémo­rielle entre­te­nue par le sys­tème poli­ti­co-mili­taire ». Il y évoque aus­si « une his­toire offi­cielle réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des véri­tés » mais sur « un dis­cours qui repose sur une haine de la France ». Dou­tant que l’Algérie ait consti­tué une nation avant la pré­sence fran­çaise, Emma­nuel Macron a éga­le­ment noté que les ter­ri­toires d’Alger, de Constan­tine et d’Oran étaient occu­pés par les Turcs otto­mans ; les­quels avaient été arrê­tés par les Rois du Maroc à la fron­tières marocaine.

    Dans un com­mu­ni­qué le régime algé­rien pré­tend que les pro­pos de M. Macron por­te­raient atteinte à la mémoire des 5,63 mil­lions de mar­tyrs qui auraient été vic­time de la pré­sence fran­çaise ! Encore un effort et les Algé­riens arri­ve­ront aux 6 mil­lions, alors que tout le monde sait qu’en 1830, il y avait à peine 2,5 mil­lions de per­sonnes sur le ter­ri­toire (dont une tren­taine de mil­liers dans la ville d’Alger) que la France appel­le­ra l’Algérie, et qu’il y en avait une dou­zaine de mil­lions (sans comp­ter 1 mil­lion d’Européens) lorsque la France est par­tie en 1962. Par­ler de géno­cide est donc une aber­ra­tion ou un slo­gan de pro­pa­gande d’un régime qui ne croit pas à ses propres men­songes — comme j’ai moi-même pu le consta­ter au début des années 1980 chez le pré­sident Chad­li Bendjedid.

    Une dic­ta­ture militaro-communiste

    Quand M. Macron affirme que le régime algé­rien — celui d’une dic­ta­ture mili­ta­ro-com­mu­niste ins­tal­lée depuis 1962 et 1965- déteste la France, il dit vrai car ce sys­tème s’est construit dans le mythe du résis­tan­cia­lisme et l’anti-France. Il déteste tout autant la France que le Royaume du Maroc et sans doute faut-il y voir le com­plexe d’un Etat nou­veau mis en place dans les années 1960, c’est-à-dire il y a moins de 60 ans. Cela fait une rude dif­fé­rence avec deux vieilles nations comme la France et le Maroc qui ont plus de mille ans d’existence !

     La récente déci­sion de Paris visant à l’indemnisations des Har­kis — les Algé­riens qui prirent le par­ti de la France — a sans doute aggra­vé les choses les causes de res­sen­ti­ment anti-fran­çais d’un régime qui en a fait son fonds de commerce.

    Une atti­tude ambi­guë contre le terrorisme

    Cela a, bien enten­du, des réper­cus­sions impor­tantes sur le plan géo­po­li­tique. C’est Alger, par le biais de la sor­dide « Sécu­ri­té mili­taire » for­mée par le KGB[1],  qui a été la matrice des mou­ve­ments (GIA)[2], Mou­ra­bi­toun de Ben­mok­thar ral­lié à AQMI (dont le diri­geant un membre du Poli­sa­rio vient d’être tué par l’armée fran­çaise), MUJAO et autres, pré­ten­du­ment isla­mistes mais réel­le­ment ter­ro­ristes qui pul­lulent dans la zone saha­ro-sahé­lienne. Et pour­tant Alger conti­nue à nier l’évidence :  la conni­vence indé­niable entre les groupes ter­ro­ristes algé­riens et AQMI ; c’est Alger qui ins­pire l’agit-prop contre son peuple, la France et l’unité maro­caine avec les réseaux com­mu­nistes et gau­chistes rému­né­rés par la Sécu­ri­té mili­taire ; c’est Alger qui se réjouit de la mau­vaise coopé­ra­tion d’un régime malien cor­rom­pu avec la France : c’est Alger qui applau­dit lorsque le pre­mier ministre malien insulte devant l’Assemblée géné­rale de l’ONU l’armée fran­çaise – qui est la seule à faire le tra­vail dans son pays.

    Il est clair que l’Algérie n’est pas un par­te­naire fiable en matière d’antiterrorisme, à la dif­fé­rence du Royaume du Maroc dont la loyau­té et la coopé­ra­tion exem­plaire sont louées aus­si bien à Paris que dans les capi­tales des pays euro­péens ou aux États-Unis. Com­ment ce régime qui n’a pas réus­si à éra­di­quer le ter­ro­risme sur son propre sol durant les deux der­nières décen­nies pour­rait-elle y par­ve­nir dans la région ?

    Un régime algé­rien aux abois

    Sur­tout, ce régime aux abois est celui de toutes les ambigüi­tés. L’avocat Hocine Zahouane, mili­tant des droits de l’homme, membre fon­da­teur et ancien pré­sident de la Ligue algé­rienne pour la défense des droits de l’homme (2005 – 2007), a pu noter que « La vio­lence [en Algé­rie] est entre­te­nue par des forces qui n’ont pas inté­rêt que la socié­té s’organise pour défendre ses droits, c’est une façon d’exercer l’hégémonie par le désordre ». On a vu récem­ment avec les mani­fes­ta­tions du Hirak, la crise avec le Maroc, les attaques anti-fran­çaises, la paro­die d’élections qui ont por­té à la pré­si­dence un homme qui a réuni 99% des suf­frages mais moins de 12 % d’électeurs, que le régime ne recule devant rien pour se main­te­nir au pou­voir. Cela l’entraînera-t-il dans une guerre insen­sée contre le Maroc ?  En tout cas, cela explique la logor­rhée anti­fran­çaise de ce sys­tème dont le peuple algé­rien reste la pre­mière victime.

    [1] Actuel­le­ment Dépar­te­ment de ren­sei­gne­ment et de sécu­ri­té (DRS), mais pour les Algé­riens ter­ro­ri­sés c’est tou­jours la SM. Sur le rôle de la Sécu­ri­té mili­taire, voir S.-E. Sid­houm : « La Sécu­ri­té mili­taire au cœur du pou­voir. Qua­rante ans de répres­sion impu­nie en Algé­rie, 1962 – 2001 », in Alge­ria-watch, sep­tembre 2001. [2] Selon Moha­med Sam­raoui, ancien colo­nel de la DRS, lors d’une inter­view à la chaîne arabe El Dja­zi­ra, le 5 août 2001 : « Les GIA [Groupes isla­mistes armés], c’est la créa­tion du pou­voir : ils ont tué des offi­ciers, des méde­cins, des jour­na­listes et beau­coup d’autres. […] L’intérêt des géné­raux est d’appliquer la poli­tique de la ter­reur pour cas­ser les reven­di­ca­tions légi­times du peuple ». Cité par Fran­çois Gèze, « Fran­çal­gé­rie : sang, intox et cor­rup­tion ».

     

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • Politique écologique : lourde de risques, mais nécessaire, par Yves Morel.

    Aux grands maux, les grands remèdes : continuer sur notre lancée libérale et consumériste, c’est aussi, fatalement, en accepter les effets pervers, comme ces lois liberticides. Embrassons l’écologie avant que ses partisans ne nous étouffent.

    En raison de l’importance cruciale des questions environnementales, les écologistes ont le vent en poupe et engrangent les succès électoraux. Mais ils suscitent des inquiétudes. Car si nos contemporains sont convaincus de l’urgence de la résolution du problème, ils sont également conscients des contraintes qu’une politique écologique leur imposera. Ils savent que si une telle politique n’est pas menée à bien, la planète deviendra un chaudron, un cloaque et un bouillon de culture. Mais, assez lucides pour gonfler les scores électoraux et le nombre d’élus des écologistes, et pour participer à une convention citoyenne pour le climat, ils ne peuvent se résoudre aux lendemains qui déchantent consécutifs à une politique sérieuse en la matière. Ils en comprennent la nécessité, mais veulent qu’elle ne change en rien leur mode de vie. Et d’aucuns fustigent l’« écologie punitive », d’inspiration idéologique et totalitaire.

    Des restrictions douloureuses et inductrices d’un changement de civilisation

    De prime abord, leur appréhension paraît fondée. Le projet écologiste implique, en effet, toute une série de règles, interdictions et autres contraintes. Tout le monde s’accorde à dire qu’aucune société ne peut se maintenir ni assurer la sécurité et un minimum de tranquillité sans l’édiction de règles tendant à la restriction des libertés individuelles (ou de groupes donnés) et de sanctions visant à réprimer les infractions pouvant leur être faites. Mais, objectent les anti-écologistes, ces règles et interdictions ne portent en rien atteinte aux libertés publiques telles que les définissent la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et notre constitution. Or, les projets écologistes remettent en question ces libertés universellement reconnues. Ils restreignent notablement les libertés de se déplacer, de consommer (en particulier dans le domaine de l’eau et des sources d’énergie), de créer et faire vivre une entreprise. Par là, et de par les coûts de leur mise en œuvre, ils ont des conséquences sur nos conditions de vie et de travail, sur nos revenus et notre niveau de vie. Ils nous oppriment et nous appauvrissent. Et ils nous traitent en coupables. Durant des décennies, nous avons pillé et gaspillé les ressources naturelles, pollué notre environnement, détruit d’innombrables espèces, voire des écosystèmes entiers, engendré un réchauffement climatique aux effets désastreux ; et, en conséquence, nous devons payer ces fautes, qui sont des crimes et font de nous des « assassins de la planète », suivant le mot d’écologistes extrémistes. Nous devons nous couvrir la tête de cendres, faire acte de repentance et de contrition, et réparer nos erreurs en acceptant une existence faite de sacrifices, condition de notre salut. Le projet écologiste revêt souvent un caractère religieux, ce qui peut choquer un peuple aussi pénétré d’esprit laïque – donc libéral et individualiste – que le nôtre. Et il peut sembler totalitaire. D’autant plus qu’il est global, et susceptible de modifier toute l’organisation de notre société, jusque dans ses principes éthiques. Effectivement, il engendrerait un véritable changement de civilisation. Il nous ferait passer d’une société libérale, individualiste et hédoniste, soit à un nouveau Moyen Âge, soit à une société socialiste spartiate. La crainte de nos semblables à l’égard de ces sombres perspectives est donc compréhensible. Mais sans doute est-elle excessive. Mais la vraie question est : avons-nous le choix ? Et les réponses à cette question sont sans appel.

    L’impossibilité d’ajourner une politique écologique contraignante mais indispensable

    Les atermoiements et demi-mesures nous sont désormais interdits. Le choix n’est plus entre la préservation des libertés et leur disparition, mais entre leur réglementation nécessaire et des conditions d’existence si pénibles qu’elles menaceraient notre survie même et détruiraient définitivement tout libre exercice de nos facultés. De quelle utilité nous serait notre liberté dans un monde caniculaire cinq mois sur douze, affecté partout par des hivers de type nord-américain ou sibérien, submergé par des océans en crue, irrémédiablement pollué, arrosé de pluies acides, et devenu le royaume de virus générateurs d’épidémies mortelles ? On ne peut être libre en enfer. Et, cette abolition de la liberté par la nature serait redoublée par les mesures qu’il faudrait bien prendre pour essayer tout de même (mais trop tard) d’enrayer la catastrophe écologique. Car pense-t-on que, dans ce but, les pouvoirs publics n’adopteraient pas alors des mesures infiniment plus répressives qu’aujourd’hui, et destructrices des libertés les plus sacrées et consacrées ? Plus on différera l’adoption de mesures écologiques sérieuses, plus ce sera trop tard, et plus l’humanité s’acheminera vers des politiques oppressives (en même temps qu’inutiles). Il convient donc d’accepter, fût-ce à contrecœur, une politique écologique devenue indispensable, et qui apparaît comme le seul moyen de préserver tant notre liberté que notre survie.

    Les illusions des solutions alternatives et de la « croissance verte »

    Mais il est toujours tentant de s’abandonner aux contempteurs de l’écologie punitive. Le malheur de l’écologie tient d’une part à ce qu’elle ne devient crédible, dans l’esprit du grand public, que lorsque les désastres qu’elle annonce commencent à se faire sentir, et, d’autre part, à ce qu’on s’accroche toujours à l’idée qu’une politique environnementale minimale est possible, qui ne changerait en rien notre mode de vie. On parle alors de « croissance verte » à base de véhicules électriques, de vastes champs d’éoliennes et de panneaux solaires, de bioéthanol, d’installations aspirant les émissions de CO2, etc. Il faut dissiper les illusions qui font croire que ces initiatives suffiront. Nous savons que la résolution (très imparfaite, du reste) du problème exige une réduction mondiale de 6 % des émissions annuelles de CO2, cependant que la capacité d’amélioration de l’efficacité écologique de l’économie est limitée, en quantité d’euros de PIB, à 1,5 % par an. Ceci implique que nous devrons réduire notre PIB de 4,5 % par an, toujours au niveau mondial, et ce jusqu’en 2050. Il s’agit là d’un impératif incompatible avec le maintien – même approximatif – de la croissance actuelle. D’ailleurs, les énergies alternatives citées plus haut seraient fort loin de couvrir les besoins de celle-ci.

    L’indispensable changement de modèle économique et social

    Un changement de modèle économique et social est donc inévitable. Cela implique de détacher nos valeurs du modèle libéral. Celui-ci est fondé sur l’idée d’une complémentarité naturelle entre l’intérêt individuel bien compris et l’intérêt général, la satisfaction du second découlant mathématiquement de celle du premier par le jeu du marché libre, et l’État intervenant à titre de régulateur de l’activité économique et de correcteur ou compensateur de ses conséquences nocives. Le principe directeur est alors celui de la liberté individuelle (d’entreprendre, de travailler, de consommer, etc.), la solidarité nationale et la justice sociale n’intervenant que par surcroît, à titre d’exigences éthiques et politiques introduites dans le jeu économique. Telle est la base du fonctionnement de notre société contemporaine. Ceci entraîne la subordination du politique à l’économie, et justifie donc une vision « économiste » du monde (qui fit la fortune du marxisme comme du libéralisme). L’intérêt général n’est alors envisagé qu’à l’aune des intérêts individuels, dont il est la somme.

    Il sera impératif non d’abolir les libertés individuelles, mais de les accorder à l’intérêt général.

    Une telle vision de l’ordre politique et social s’est soutenue aussi longtemps que la continuité globale de la croissance n’était pas mise en question (sinon lors de crises momentanées). Mais la situation actuelle remettant en cause cette croissance continue, c’est, du même coup, toute notre conception de la société et de la politique, et toutes nos habitudes de vie et de pensée qui sont à reconsidérer. Il conviendra d’accorder la prééminence à l’éthique et au politique, et de leur subordonner le jeu économique. Et il sera impératif non d’abolir les libertés individuelles, mais de les accorder à l’intérêt général. Le principe de solidarité devra prévaloir dans les rapports sociaux. L’histoire ne se répétant jamais, cela ne donnera lieu ni à un système socialiste, ni à un nouveau Moyen Âge. L’écologie devra devenir une composante essentielle de la politique, mais pas la seule ; et la priorité écologique ne devra pas devenir unique, malgré sa prééminence indiscutable. Elle devra se garder de toute dérive dogmatique.

    La nécessité d’intégrer l’écologie à une politique globale

    Surtout, elle devra être cohérente afin d’être juste et efficace. Lorsqu’une politique écologique procède de manière pointilliste, par diverses mesures particulières non intégrées à la politique globale d’un gouvernement, elle a des effets nocifs. C’est ce qu’a montré l’institution de la taxe carbone qui, non incluse dans une politique générale, risquait d’aggraver les difficultés des chefs d’entreprise, transporteurs, VRP et innombrables actifs contraints, par nécessité, de se déplacer avec leur véhicule. Une politique écologique doit, pour rencontrer l’assentiment de la population, prévoir des mesures d’adaptation et d’accompagnement pour les gens qu’elle affectera en premier lieu. Des gens qui triment pour survivre, consomment de l’énergie, et polluent parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, sous peine de perdre leur emploi ou de périr, ne peuvent accepter une politique écologique qu’à condition que cessent de peser sur eux les contraintes économiques, l’obsession du rendement, la menace du chômage, la peur de la fermeture de leur entreprise.

    Se garder des dérives idéologiques et sectaires

    Cette insertion de l’écologie dans une politique globale tendant à modifier notre système économique et notre mode de vie heurte certains, qui voient en elle la résurgence d’un socialisme totalitaire régissant un univers aseptisé et réglementé, intermédiaire entre le meilleur des mondes d’Huxley, la social-démocratie étouffante de la Suède et les dictatures communistes. Assurément, une politique écologique sectaire et imbibée d’idéologie pourrait y mener. Et il faut bien admettre que nombre d’écologistes ont cette conception de l’écologie, et entendent nous préparer doucement à l’avènement d’un monde de cauchemar, normalisé, codifié, prohibant toute consommation de chair animale, restreignant les libertés et le nombre de loisirs permis, et régi par un politiquement correct égalitariste et uniformisateur. Il y a là un danger à dénoncer.

    Ne pas refuser l’écologie au motif des excès de certains

    Cela ne doit néanmoins pas mener au dénigrement systématique du nécessaire combat écologique. L’existence de fanatiques partisans d’un monde totalitaire vert ne doit pas nous inciter à méconnaître la nécessité urgente d’une politique écologique sérieuse, et à accorder crédit à ses contempteurs, qu’ils soient complotistes, adeptes d’une illusoire croissance verte, ou libéraux individualistes. En particulier, il serait tout de même aberrant que des hommes et femmes de la droite nationale, ennemis depuis toujours du libéralisme sans frein, se muassent, par peur d’un socialisme vert, en défenseurs tardifs de la société de consommation.

    Illustration : TOUS LES RISQUES NE SONT QUAND MÊME PAS À PRENDRE, ET PEUT-ÊTRE POURRAIT-ON S’ÉPARGNER SANDRINE ROUSSEAU, « ÉCONOMISTE ET ÉCOFÉMINISTE » ?

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    Source : https://politiquemagazine.fr/

  • Charles Maurras : Lorsque Proudhon eut les cent ans…

     

    A peine plus de cent-cinquante ans après sa mort [1865], Pierre-Joseph Proudhon ne cesse d’intéresser la réflexion contemporaine [voir plus loin]. Le mouvement socialiste français et européen eût sans-doute été très différent si les idées de ce penseur considérable y avaient prévalu sur celles de Marx. L'histoire du XXe siècle, probablement sauvée des totalitarismes, et la réalité du nôtre auraient été aussi tout autres. On sait qu'il y eut, autour des années 1910 et suivantes, un cercle Proudhon à l'Action française ; et l’on va voir que Maurras ne niait pas qu'on pût le ranger, « au sens large », parmi « les maîtres de la contre-révolution ». Le texte qu’on va lire ici est certes daté, motivé, comme souvent, par les circonstances. Maurras y exprime néanmoins, à grands traits, le fond de sa pensée sur Proudhon et y manifeste, après réserves et nuances, la considération tout à fait particulière qu’il a toujours eue pour ce grand penseur et patriote français.  Lafautearousseau

     

    Au lendemain du jour où l'Italie fête le centenaire de Cavour, nous verrons une chose horrible : le monument Proudhon, à Besançon, sera inauguré par M. Fallières*. Le fonctionnaire qui représente l'Étranger de l'intérieur, la créature des Reinach, Dreyfus et Rothschild officiera devant l'image du puissant écrivain révolutionnaire, mais français, à qui nous devons ce cri de douleur, qu'il jette à propos de Rousseau : « Notre patrie qui ne souffrit jamais que de l'influence des étrangers… »

    Les idées de Proudhon ne sont pas nos idées, elles n'ont même pas toujours été les siennes propres. Elles se sont battues en lui et se sont si souvent entre-détruites que son esprit en est défini comme le rendez-vous des contradictoires. Ayant beaucoup compris, ce grand discuteur n'a pas tout su remettre en ordre. Il est difficile d'accorder avec cet esprit religieux, qu'il eut vif et profond, sa formule « Dieu, c'est le mal », et, dans une intéressante étude du Correspondant, M. Eugène Tavernier nous le montre fort en peine d'expliquer son fameux « La propriété, c'est le vol ». Nous remercions Proudhon des lumières qu'il nous donna sur la démocratie et sur les démocrates, sur le libéralisme et sur les libéraux, mais c'est au sens large que notre ami Louis Dimier, dans un très beau livre, l'a pu nommer « Maître de la contre-révolution ».

    Proudhon ne se rallie pas à la « réaction » avec la vigueur d'un Balzac ou d'un Veuillot. Il n'a point les goûts d'ordre qui dominent à son insu un Sainte-Beuve. Ses raisons ne se présentent pas dans le magnifique appareil militaire, sacerdotal ou doctoral qui distingue les exposés de Maistre, Bonald, Comte et Fustel de Coulanges. La netteté oblige à sacrifier. Or, il veut tout dire, tout garder, sans pouvoir tout distribuer ; cette âpre volonté devait être vaincue, mais sa défaite inévitable est disputée d'un bras nerveux. On lit Proudhon comme on suit une tragédie ; à chaque ligne, on se demande si ce rustre héroïque ne soumettra pas le dieu Pan.

    Son chaos ne saurait faire loi parmi nous, et nous nous bornerions à l'utiliser par lambeaux si ce vaillant Français des Marches de Bourgogne ne nous revenait tout entier dès que, au lieu de nous en tenir à ce qu'il enseigne, nous considérons ce qu'il est. De cœur, de chair, de sang, de goût, Proudhon est débordant de naturel français, et la qualité nationale de son être entier s'est parfaitement exprimée dans ce sentiment, qu'il a eu si fort, de notre intérêt national. Patriote, au sens où l'entendirent les hommes de 1840, 1850, 1860, je ne sais si Proudhon le fut. Mais il était nationaliste comme un Français de 1910. Abstraction faite de ses idées, Proudhon eut l'instinct de la politique française ; l'information encyclopédique de cet autodidacte l'avait abondamment pourvu des moyens de défendre tout ce qu'il sentait là-dessus.

    Et, là-dessus, Proudhon est si près de nous que, en tête de son écrasant réquisitoire contre les hommes de la Révolution et de l'Empire, à la première page de Bismarck et la France **, Jacques Bainville a pu inscrire cette dédicace : « À la mémoire de P.-J. Proudhon qui, dans sa pleine liberté d'esprit, retrouva la politique des rois de France et combattit le principe des nationalités ; à la glorieuse mémoire des zouaves pontificaux qui sont tombés sur les champs de bataille en défendant la cause française contre l'unité italienne à Rome, contre l'Allemagne à Patay. »

    — Quoi ? Proudhon avec les zouaves pontificaux ?

    — Oui, et rien ne va mieux ensemble ! Oui, Proudhon défendit le Pape ; oui, il combattit le Piémont. Au nez des « quatre ou cinq cent mille badauds » qui lisaient les journaux libéraux, il s'écriait, le 7 septembre 1862 : « Si la France, la première puissance militaire de l'Europe, la plus favorisée par sa position, inquiète ses voisins par le progrès de ses armes et l'influence de sa politique, pourquoi leur ferais-je un crime de chercher à l'amoindrir et à l'entourer d'un cercle de fer ? Ce que je ne comprends pas, c'est l'attitude de la presse française dominée par ses sympathies italiennes. Il est manifeste que la constitution de l'Italie en puissance militaire, avec une armée de 300 000 hommes, amoindrit l'Empire de toutes façons. » L'Empire, c'est ici l'Empire français, dont je vois le timbre quatre fois répété sur mon édition princeps de La Fédération et l'Unité en Italie.

    « L'Italie », poursuivait Proudhon, votre Italie unie, « va nous tirer aux jambes et nous pousser la baïonnette dans le ventre, le seul côté par lequel nous soyons à l'abri. La coalition contre la France a désormais un membre de plus… » Notre influence en sera diminuée d'autant ; elle diminuera encore « de tout l'avantage que nous assurait le titre de première puissance catholique, protectrice du Saint Siège ».

    « Protestants et anglicans le comprennent et s'en réjouissent ; ce n'est pas pour la gloire d'une thèse de théologie qu'ils combattent le pouvoir temporel et demandent l'évacuation de Rome par la France ! » Conclusion : « Le résultat de l'unité italienne est clair pour nous, c'est que la France ayant perdu la prépondérance que lui assurait sa force militaire, sacrifiant encore l'autorité de sa foi sans la remplacer par celle des idées, la France est une nation qui abdique, elle est finie. »

    Portrait_of_Pierre_Joseph_Proudhon_1865.jpgEt, comme ces observations de bon sens le faisaient traiter de catholique et de clérical, « oui », ripostait Proudhon, « oui, je suis, par position, catholique, clérical, si vous voulez, puisque la France, ma patrie, n'a pas encore cessé de l'être, que les Anglais sont anglicans, les Prussiens protestants, les Suisses calvinistes, les Américains unitaires, les Russes grecs ; parce que, tandis que nos missionnaires se font martyriser en Cochinchine, ceux de l'Angleterre vendent des Bibles et autres articles de commerce. » Des raisons plus hautes encore inspiraient Proudhon, et il osait écrire : « La Papauté abolie, vingt pontificats pour un vont surgir, depuis celui du Père Enfantin, jusqu'à celui du Grand Maître des Francs-Maçons » , et il répétait avec une insistance désespérée : « Je ne veux ni de l'unité allemande, ni de l'unité italienne ; je ne veux d'aucun pontificat. »

    Deux ans après avoir écrit ces lignes, Proudhon expirait ; assez tôt pour ne pas assister à des vérifications qui devaient faire couler à flots notre sang, mutiler notre territoire, inaugurer le demi-siècle de l'abaissement national ! Cet « immense échec » qu'il avait prévu sans parvenir à comprendre, comme il le disait encore, « l'adhésion donnée par la presse libérale française à cette irréparable dégradation », confirma point par point ce regard d'une sublime lucidité. L'unité italienne et l'unité allemande nous ont fait perdre tout à tour la prépondérance qu'assurait notre force militaire et l'autorité qu'imposait notre foi. Le cléricalisme a été vaincu, le pape dépouillé, et l'on nous a imposé ce gouvernement dont la seule idée stable est l'abaissement du Saint-Siège, le règne de la franc-maçonnerie et de ses grands maîtres divers. Si l'Empereur a disparu, sa politique dure ; la parti républicain en a été quarante ans légitime et fidèle héritier.

    Certes, et nous l'avons dit, avec Dumont, avec Georges Malet, avec le Junius de L'Écho de Paris, aux avocats de l'empereur : rien n'efface cette responsabilité napoléonienne que Napoléon III lui-même rattache à la tradition de Napoléon Ier ; mais la vérité fondamentale établie, il faut en établir une autre et rappeler aux hommes de gauche, que leurs aînés, leurs pères, leurs maîtres et, pour les plus âgés, eux-mêmes, en 1860, ils étaient tout aussi Italiens et Prussiens que Napoléon III ! Sauf Thiers, en qui s'était réveillé l'ancien ministre de la monarchie, l'élève de Talleyrand, qui fut l'élève de Choiseul, tous les républicains et tous les libéraux du dix-neuvième siècle ont été contre le Pape et contre la France avec l'Empereur des Français. Il faut relire dans Bismarck et la France ces textes décisifs auxquels nous ramène Bainville ; le ministre Ollivier développant à la tribune la thèse idéaliste des nationalités et M. Thiers, traditionnel pour la circonstance, s'écriant : « Nous sommes ici tantôt Italiens, tantôt Allemands, nous ne sommes jamais Français », toute la gauche applaudissait qui ? Émile Ollivier ! Guéroult défendait l'unité allemande, Jules Favre, un des futurs fondateurs de la République, déclarait le 4 juillet 1868 que nous n'avions « aucun intérêt à ce que les rivalités se continuent entre les deux parties de l'Allemagne » !

    Telle était la tradition révolutionnaire impériale ou républicaine et Proudhon s'y étant opposé presque seul, la présence de M. Fallières au monument de Proudhon est plus qu'un scandale, c'est un contresens. Je partage sur la personne de M. Fallières le sentiment de Léon Daudet l'appelant le plus lâche et le plus méprisable des ruminants ; et l'appréciation de Jacques Delebecque, telle qu'on la lira plus loin sur l'harmonie de cet animal et de la fonction constitutionnelle, me semble l'expression de la vérité pure. Mais le nom de Proudhon met en cause plus que la personne ou la magistrature de M. Fallières ; le nom de Proudhon met en accusation le régime avec son revêtement de blagologie nuageuse, avec son fond de sale envie et de bas appétits. Ce grand nom de Proudhon frappe d'indignité et Fallières, et sa présidence et la démocratie parce qu'il évoque le grand nom de la France et l'étoile obscurcie de notre destin national. Ce régime ne signifie que le pontificat de la maçonnerie que Proudhon avait en horreur. Il ne figure rien que les hommes et les idées que Proudhon combattait en France, en Europe, partout. Proudhon était fédéraliste ; que lui veut cette république centralisatrice ? Il était syndicaliste ; que lui veut cette république étatiste ? Il était nationaliste et papalin ; que lui veut cette république anticatholique, antifrançaise ?

    Je ne sais quelles bouffonneries l'on débitera à la louange de ce grand écrivain sorti, comme Veuillot et tant d'autres, des entrailles du peuple ; mais les lettrés devront répondre à la venue de M. Fallières par la dérision et le peuple par les huées.

     

    Charles Maurras   
    * Les 13, 14 et 15 août 1910, à Besançon, est inaugurée une statue en bronze de Pierre-Joseph Proudhon, réalisée par le sculpteur bisontin Georges Laethier. La décision d'ériger cette statue dans sa ville natale a été prise un an auparavant à l'occasion du centenaire de sa naissance et a donné lieu à une souscription et a un concours de sculpteurs. La statue n'existe plus, fondue (comme de nombreuses autres) par les nazis durant l'Occupation. Elle a été remplacée par la suite.
    **1907 
    Paru dans les Cahiers du Cercle Proudhon, n° 1 de janvier 1912 (le texte date de 1910).
  • « La décision locale est délégitimée, le lien social n’est plus tissé. »

     

    Rencontre avec un élu local qui cherche à animer son territoire en défendant une véritable proximité entre les décideurs, les relais et les habitants. 

    Vincent You, quels sont vos mandats locaux ?

    Je suis directeur d’hôpital dans le nord de la Charente, à Confolens, c’est-à-dire un hôpital de proximité avec un Ehpad. C’est important parce que beaucoup de mes convictions opérationnelles, je me les forge dans cet exercice. C’est un hôpital de 300 personnes. Je suis adjoint au maire d’Angoulême depuis 2014, en charge des finances et depuis peu du civisme et de l’engagement citoyen, et je suis vice-président du Grand Angoulême en charge de l’urbanisme et de la stratégie agricole. J’ai des journées très différentes et c’est ça qui est passionnant.

    Vous êtes l’inventeur de la clause Molière, qui vise à empêcher la venue des travailleurs détachés dans le secteur du BTP et qui a fait couler beaucoup d’encre.

    C’est en tant que directeur d’hôpital que j’y ai été amené. J’étais missionné pour reconstruire un hôpital dans la ruralité charentaise et je voulais que cet appel d’offres, qui engageait une dépense publique, avec quinze millions d’euros à la clé, bénéficie à l’emploi local. Je construis l’appel d’offres en zigzaguant au milieu du code des marchés pour que cela profite aux entreprises locales, ce que j’ai fait, et j’ai eu une surprise : entre le marché, son attribution, le choix des entreprises et le chantier, je me suis rendu compte que bon nombre d’entreprises allaient chercher des travailleurs détachés et que cela ne profitait que marginalement aux habitants, aux jeunes du coin. Quand ensuite j’ai dû rénover un Ehpad, avec un autre appel d’offres, j’ai voulu éviter le recours massif aux travailleurs détachés. Il faut bien se rendre compte que je gère l’argent de la Sécurité sociale et qu’avec les travailleurs détachés, cet argent va bénéficier aux entreprises qui payent ailleurs cette sécurité sociale, ce qui est délirant ! Je me suis rappelé qu’à Angoulême j’avais passé un marché “alimentation + pédagogie” : j’achetais des légumes à des agriculteurs qui acceptaient de recevoir sur leurs fermes les classes d’Angoulême. Avec ça, l’Espagnol était un peu trop cher, avec un trajet prohibitif ! et nous avons pu acheter local. Les professionnels du BTP, avec qui j’ai travaillé pour chercher une solution adaptée à leur secteur, m’ont dit que les conditions de travail était le problème majeur : on ne sait pas si les Polonais ou les Roumains comprennent les normes imposées. Nous avons donc mis en forme, avec des amis juristes, ce qui est devenu la clause Molière et qui a été au départ extrêmement bien accueillie : tous les élus locaux, quelle que soit leur couleur politique, espèrent des retombées locales. Elle s’est étendue tranquillement de ville en ville et de régions en régions (la Normandie, par exemple, l’a votée à l’unanimité moins une voix).

    Cette clause n’est pas une clause de préférence nationale mais une clause de préférence locale, en fait.

    De préférence francophone, plutôt. Si l’entreprise angoumoisine va chercher des gens qui parlent très bien français et qui veulent s’installer en France, la clause Molière n’empêche rien. Elle permet d’éviter l’absurde. Les opposants faisaient valoir qu’il y aurait bientôt une clause Shakespeare ou une clause Vaclav Havel, etc. : mais à y bien réfléchir, c’est normal qu’il y ait des clauses protectrices. Benoit Hamon a dit que c’était une clause Tartuffe parce que nos pères ont accueilli des Italiens, des Espagnols, des Marocains, etc., qui se sont installés en France : mais ça n’a rien à voir ! Bien sûr des travailleurs étrangers sont venus en masse et ont fini par apprendre la langue. Mais aujourd’hui le fonctionnement est totalement différent : les travailleurs détachés viennent trois semaines ou trois mois, et ils repartent chez eux avec un petit pactole. Il n’y a aucune démarche d’intégration ou d’assimilation à la société française – et je ne leur en veux pas : pour eux, c’est une occasion magnifique. C’est donc une clause de préférence francophone et aussi de respect des ouvriers : on a perdu énormément d’emplois industriels, comment accepter que dans un secteur non délocalisable les marchés se gagnent avec un low cost fondé sur la délocalisation administrative des emplois, au détriment du tissu local ?

    Mais alors, pourquoi la polémique ?

    La première étape de la clause Molière, c’est d’abord la « révolte » d’un petit élu local qui, dans son cadre professionnel, tente une expérience bien accueillie par les autres élus. C’est ensuite devenu une polémique quand Valérie Pécresse et Laurent Wauquiez ont voulu se l’approprier : avec des grands leaders visibles, la gauche n’a pas voulu suivre et la presse a expliqué que c’était de la discrimination. Alors que la gauche locale, jusqu’alors, se contentait de s’abstenir au moment des votes : c’était compliqué, pour elle, de voter contre une mesure qui améliorait le sort des ouvriers… Au final, la clause Molière version Wauquiez, qui l’avait durcie, a été annulée mais la clause Molière version Retailleau a été validée par le Conseil d’État. La mienne était plus proche de celle de Retailleau, qui l’a un peu améliorée. Donc, aujourd’hui, tout élu local qui veut éviter la prolifération du travail détaché peut utiliser une clause parfaitement licite. Si les élus n’en veulent pas, c’est un choix politique, qu’ils doivent assumer.

    Cette absurdité d’une action locale bénéfique qui rencontre, en devenant un sujet national, des oppositions purement idéologiques, l’avez-vous rencontrée par ailleurs ?

    Pas de manière aussi palpable : on ne crée pas tous les jours une solution d’envergure nationale ! Ce qui me marque, plutôt, c’est que les élus locaux sont très dépendants de l’approche juridique de leurs services, qui leur conseillent toujours d’être très prudents. Cette angoisse de la prise de risque juridique paralyse beaucoup d’initiatives. Tout le monde, ici et là, a de bonnes idées, aimerait les tester et les raconter, mais les analyses amont ont tendance à étouffer dans l’œuf les expériences. Mais le plus gros problème, et c’est mon expérience d’élu et de directeur de petit hôpital, c’est la foi qu’on met dans le gigantisme administratif : en changeant d’échelle, en mutualisant, on arriverait comme par miracle à résoudre tous les problèmes locaux. Mais c’est plutôt l’inverse. Je vois des marchés qui regroupent de nombreux acteurs hospitaliers et qui, en définitive, ne sont pas plus bénéfiques et même, avec l’échelle territoriale très vaste qu’ils supposent, arrivent à tuer les petites entreprises qui ne peuvent pas répondre localement, faute de taille critique. Il n’y a donc pas toujours des gains et il y a une casse économique importante. C’est d’autant plus problématique que les entreprises locales ont intérêt à bien travailler pour avoir d’autres marchés plus tard. Les grandes entreprises de passage se moquent assez souvent de savoir comment va vivre le bâtiment qu’elles livrent, elles ne seront plus là s’il y a un problème. À l’échelle du Grand Angoulême, nous sommes passés de seize à trente-huit communes (ce qui n’est pas énorme, certaines communautés en regroupent cent). On délégitime les maires ruraux. Si la moitié d’entre eux veut arrêter, c’est à cause de ça plus que des difficultés de gestion ou du manque d’argent public. Le maire est encore celui qui gère les problèmes quotidiens des habitants mais il n’a plus les clés… On ne sait plus quels sont les contours, quelles sont les responsabilités. Les politiques successives nous imposent de passer du modèle communes – départements – nation au modèle agglomérations – régions – Europe mais ce n’est pas rentré dans la réalité des citoyens français. Le maire, dernier élu respecté des Français, est délégitimé – sans qu’il y ait, là non plus, de gains économiques : on tue la commune et son petit périmètre, avec ses élus qui sont quasiment bénévoles et qui gèrent tout en direct, à l’économie, pour créer des services avec des périmètres élargis qui obligent à embaucher des techniciens. En transférant les compétences communales aux services, on améliore sans doute l’ingénierie en renonçant à la proximité de gestion. Et avec treize départements, la Région est un échelon désormais très éloigné…

    Votre côté expérimentateur, c’est aussi d’avoir développé la méthode Montessori dans votre Ehpad – autre test local ?

    Nous ne sommes pas les seuls. Mais justement, Montessori, c’est « aide-moi à faire seul. » Tout le système des maisons de retraite est construit sur la mesure de la dépendance des gens accueillis. On oublie que les personnes âgées, si elles ont des fragilités, gardent des capacités. Montessori consiste à maintenir ces capacités pour les faire vivre. Participer à la vie sociale nous constitue en tant qu’être humain. Maintenant, les résidents ont un rôle social, participent à la vie commune et voient leurs capacités reconnues et utilisées. Avec Montessori, en ritualisant certains gestes, la mémoire procédurale du résident, même très atteint par Alzheimer, peut reproduire ces gestes et continuer à participer à la vie collective. Montessori, au-delà de la marque, c’est du bon sens : respecter la personne humaine dans sa vieillesse, lui donner une place qui corresponde à ses passions, à son histoire et à ce qu’elle peut encore faire. Les premiers résultats de l’expérience sont très positifs : les consommations de psychotropes ont diminué d’un tiers, sans que cela ait été un objectif, et les équipes sont mobilisées parce que le projet a du sens. Et les personnes âgées retrouvent de l’initiative à un point inimaginable. Chez nous, elles ont organisé, toutes seules, au mois de septembre, un rallye auto ! Pour retourner sur les lieux où elles avaient grandi. Ce n’est pas nous qui pouvions l’imaginer, ni imaginer l’aide qui leur a été apportée, et ça n’a été possible que parce que nous leur avons donné les clés de la maison.

    Une vraie parabole par rapport à ce que vous racontiez de ces échelons toujours plus vastes et plus lointains…

    La centralisation va tuer la créativité locale. Les bonnes recettes parisiennes ne sont pas généralisables. Et avec la disparition de la taxe d’habitation, le maire n’a plus la main sur les recettes locales, l’habitant ne contribue plus aux services mis en place dans sa commune, il n’y a plus de lien entre le citoyen et le décideur. C’est aujourd’hui compensé financièrement mais, sur le fond, la décision locale est délégitimée, le lien social n’est plus tissé. 

    Propos recueillis par Philippe Mesnard
    le 21 novembre
  • Le vrai mal : la République jacobine et oligarchique

    Par Yves Morel

    Le mouvement des Gilets jaunes signe la déchéance représentative du pouvoir politique et, plus gravement, la faillite de nos institutions. Soubresauts violents et résignation contrainte se partagent le cœur des Français et des Gilets jaunes. 

    Les actes V, VI, VII, VIII et autres de la mobilisation des Gilets jaunes ont révélé un essoufflement incontestable du mouvement en même temps qu’un certain durcissement. Les annonces du président Macron ont relativement porté. La stratégie gouvernementale est parvenue à diviser le mouvement et à réduire le courant de sympathie dont il jouissait. Beaucoup de gens inclinent à croire que les mesures annoncées sont de peu de poids, n’auront aucune incidence positive réelle, et, de fait, seront annulées par d’autres initiatives gouvernementales, mais ils doutent que la prolongation du mouvement puisse avoir des retombées fastes et que l’exécutif puisse vraiment mettre en œuvre une politique alternative à celle qui a été la sienne jusqu’à présent. Les Français comprennent les Gilets jaunes, dont ils partagent les conditions de vie et les problèmes pécuniaires, mais ils ne croient pas que leur mouvement, prolongé sine die, puisse contribuer à améliorer leur quotidien. Et les Gilets jaunes eux-mêmes baignent dans cet état d’esprit. Devant les caméras, beaucoup d’entre eux, non convaincus par le discours présidentiel du 11 décembre dernier et par les vœux du 31 décembre, et déterminés à persévérer dans leur action, reprochent à Emmanuel Macron de rester muet sur les moyens de financement des mesures sociales qu’il vient d’annoncer et le soupçonnent, à terme, de vouloir “reprendre d’une main ce qu’il a accordé de l’autre”.

    Le fatalisme face à l’omnipotence du pouvoir économique et à l’impuissance du politique

    Les intéressés n’accordent donc aucune confiance au président de la République quant à l’application des mesures qu’il a énumérées. Et les Français en général partagent cette défiance.

    Fort bien. Mais une pleine et exacte compréhension du discrédit qui atteint ainsi le président, le gouvernement et la classe politique, exige l’élucidation de la nature profonde de cette défiance. En quoi consiste exactement cette dernière ? On peut l’entendre comme une accusation tacite contre ce « président des riches », qui applique une politique favorable aux détenteurs de capitaux et défavorable aux travailleurs, aux petits retraités et aux agriculteurs. Mais on peut également l’interpréter comme une absence de confiance en la capacité de l’État à pratiquer une politique qui ne répondrait pas aux exigences des « riches » et serait plus soucieuse des intérêts des salariés et des petits entrepreneurs. La défiance viserait alors surtout l’impuissance de l’État et du gouvernement – et, pour tout dire, l’impuissance du politique – face au pouvoir économique, qui est le vrai pouvoir, celui qui a la faculté d’imposer sa loi et la prévalence de ses intérêts ; et qui se trouve en mesure d’obliger les pouvoirs publics et toute la population à identifier ses intérêts propres à ceux de la nation… et aux intérêts mêmes des travailleurs, dont le sort dépend de la décision des capitalistes d’investir ou de ne pas le faire, de laisser vivre ou de fermer les entreprises, de maintenir l’emploi sur place ou de délocaliser. Ces deux manières de concevoir la défiance à l’égard de la politique économique et sociale de l’exécutif ne s’excluent d’ailleurs pas. Et les propos tenus par les Gilets jaunes eux-mêmes, et par les Français interrogés sur le mouvement et la situation actuelle, montrent que, dans la tête de la plupart des gens, elles vont de pair.

    8904178-14111076.jpgNos compatriotes inclinent à percevoir le président comme le représentant des maîtres du pouvoir économique, et ne pensent pas que, de toute façon, même s’il le désirait, ou même s’il était remplacé par quelque autre, il puisse mettre en œuvre une politique qui ne satisferait pas les intérêts des détenteurs de capitaux. Ils sont, au fond, pénétrés de cette conviction fataliste que la politique d’austérité est « la seule politique possible », comme disait Alain Juppé, au temps où il était Premier ministre, en 1995. À cette époque, les Français ne se résignaient pas à ce douloureux principe de réalité, et ils partaient en grève à la moindre annonce de réforme de la SNCF ou du régime des retraites. Puis, vaincus par le découragement et par l’expérience vécue de la dégradation continue de leurs conditions de vie, déçus par les mensonges et palinodies des partis (à commencer par le PS), ils ont accepté ce qu’ils refusaient quelque vingt ans plus tôt : la réforme du Code du Travail, la réforme de la SNCF, celle des études secondaires et de l’accès aux études supérieures, etc. Ils ont, certes, montré avec le mouvement des Gilets jaunes les limites de ce qu’ils pouvaient supporter. Mais ils sont néanmoins sans illusion. Et cela explique à la fois la résignation de ceux qui souhaitent un arrêt du mouvement, persuadés de l’inanité de la poursuite de cette action, et la détermination désespérée de ceux qui rechignent à lever le camp, refusant que tout continue comme avant. C’est la révolte de l’impuissance, de tous ceux qui sont écrasés par des forces économiques qui les asservissent, et qui ne voient pas comment s’en délivrer pour améliorer leur sort, et qui croient leurs dirigeants politiques aussi incapables qu’eux-mêmes de changer les choses (les socialistes, en 1981, disaient « changer la vie »), à supposer qu’ils en aient l’intention. Ce que révèle le mouvement des Gilets jaunes, c’est que les Français sont des victimes impuissantes, et qui croient leurs dirigeants eux aussi impuissants. Et ce ne sont pas les derniers événements qui vont infirmer ce jugement. Dernièrement, nous avons vu Ford refuser tout net le sauvetage de son usine de Blanquefort, malgré ses promesses, à la colère de notre ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui ne peut rien faire d’autre que se déclarer « indigné » et « écœuré », c’est-à-dire trépigner d’une rage impuissante. Certes, M. Le Maire, inspecteur des Finances, connaît très bien le monde de l’industrie et du business, et est donc peut-être moins surpris et indigné qu’il ne l’affirme. Mais cette hypothèse confirmerait alors l’idée d’une collusion entre le pouvoir politique et le pouvoir économique (nonobstant certains accrocs), et cela n’est pas fait pour réconcilier les Français avec leurs représentants et dirigeants.

    La nocive illusion référendaire

    Nos compatriotes sont si mécontents de ces derniers qu’ils demandent l’institution d’un référendum d’initiative citoyenne. Ce référendum pourra être législatif (un citoyen ou un groupe propose une loi, soumise au vote national en cas d’approbation préalable par 700 000 signataires), abrogatoire (suivant les mêmes conditions, pour faire abroger une loi), constituant (pour proposer une modification constitutionnelle) ou révocatoire (visant à démettre tout élu de son mandat).

    Ce type de référendum irait beaucoup plus loin que ceux, de nature comparable, existant en d’autres pays, où ils restent encadrés par de strictes conditions d’application. Les partis « extrêmes » (RN, LFI) s’y montrent favorables, ceux « de gouvernement » (LREM, LR, PS) ne le sont guère. Mais, de toute façon, on se demande à quoi cela avancerait. Les grands problèmes demeureraient dans toute leur acuité, et leurs solutions, quelles qu’elles fussent, impliqueraient des sacrifices dont le refus par une majorité d’électeurs se révélerait une source de paralysie et d’enlisement. M. Macron envisage une grande consultation nationale sous les deux formes de cahiers de doléances et de plateformes en ligne, destinés à recueillir les attentes des Français dans tous les domaines. L’idée est nocive : l’exemple des cahiers de doléances de 1789 montre que le pouvoir recourt à ce type de consultation quand il a échoué dans tous ses essais de réforme, qu’il ne sait plus que faire, qu’il se sent acculé au point de s’en remettre à l’expression des desiderata de ses administrés. Et alors ? Soit cela n’avance à rien, soit c’est la porte ouverte à l’irruption des revendications les plus disparates, les plus contradictoires et les plus irréalistes. De là à penser qu’une révolution (avec toutes ses convulsions et ses misères) puisse se produire, comme en 1789, il y a peut-être un pas, mais plus court qu’on pourrait le croire. Un pouvoir qui demande leurs doléances à ses administrés est un pouvoir qui abdique parce qu’il ne se sent plus maître de la situation, ne sait plus gouverner, et sent vaciller son autorité. Tel est le cas de notre pouvoir actuel, coincé entre ce qu’il estime sans doute être « la seule politique possible » (mondialiste, européenne et néolibérale) et la nécessité que Macron reconnaît, depuis les derniers événements de « prendre le pouls de la France », sans conviction, sans savoir où il va, et en essayant de faire baisser la température par des mesures économiques auxquelles il ne croit pas, qu’au fond il réprouve, et qui, de toute façon, ne résoudront rien… si elles n’ont pas un effet délétère.

    Un pouvoir qui a perdu toute légitimité représentative

    1159295351.jpgÀ l’évidence, un tel pouvoir ne peut plus prétendre représenter la nation. Souvenons-nous, d’ailleurs, que M. Macron n’est que l’élu des deux tiers de 43% d’électeurs inscrits, autrement dit d’une très étroite minorité. L’affaire des Gilets jaunes aura aggravé ce déficit de légitimité. Il est d’ailleurs inquiétant de songer à la possible influence de ce mouvement sur notre vie politique. À quoi ressemblerait une république des Gilets jaunes ? À une sorte d’anarchie, sans dirigeants, sans hiérarchie, sans représentants élus. Quelle peut être l’influence des Gilets jaunes sur les élections ? Une phénoménale abstention, ou des listes ou candidatures individuelles de Gilets jaunes absolument dissonantes. Cela promet.

    En définitive, ce mouvement aura surtout fait apparaître en pleine lumière, mais en filigrane, l’inanité, l’épuisement et la faillite finale de notre République d’inspiration jacobine. Il conviendrait de voir là l’occasion d’une refondation de notre modèle politique.     

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle