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  • « Qui est l'ennemi ? » : L'exception Le Drian ...

     

    Il est de toute évidence parmi les ministres d'un gouvernement de bras cassés, celui qui parle le moins, qui s'exhibe le moins, et, en même temps, celui qui aurait tout â la fois, le plus de choses à dire, et probablement - fonction oblige - le plus de choses à taire. Sans-doute est-il aussi le plus compétent et, en tout cas, le plus efficace de cette malencontreuse équipe. Il fait, simplement, son travail. Dans « Qui est l'ennemi ? » Jean-Yves Le Drian réunit le fruit de ses réflexions sur les objectifs de la défense nationale. Un ouvrage qui a éclairé Eric Delbecque [Figarovox 1.06]. D'où l'intéressante recension qui suit.  LFAR

     

    sans-titre.pngLe livre Qui est l'ennemi de Jean-Yves le Drian aux éditions du Cerf est une bonne surprise. On appréhende toujours la parution d'un ouvrage d'un homme ou d'une femme politique. Que craint-on ? Une tentative d'autojustification ou une volonté de surfer sur l'air du temps. L'honnêteté commande de préciser qu'un a priori identique pèse désormais sur les « vitrines littéraires » des grands chefs d'entreprise. L'écrit papier est entré depuis bien des années dans la dynamique classique de la communication d'influence des grands dirigeants, même à l'ère du numérique. Or, ce n'est pas le cas de cette réflexion du ministre de la Défense sur la notion d'ennemi. Il est devenu tellement rare qu'un responsable ministériel fasse «  du fond» que l'on en demeure tout étonné…

    Clairement, on ne trouvera pas dans ses pages une logique intellectuelle dissidente (cela n'aurait d'ailleurs pas vraiment de sens pour un individu qui occupe cette fonction), mais la réaffirmation d'une préoccupation conceptuelle absolument indispensable pour quelqu'un dont la défense de la nation est la mission quotidienne.

    Que rappelle-t-il ? Que la guerre se pense ; ce qui implique de savoir définir l'ennemi ! Une évidence? Certes non dans le présent que les médias nous offrent. Les principes de base méritent désormais d'être récapitulés. Jean-Yves Le Drian parcourt donc à raison l'histoire de la guerre, des conflits classiques d'avant la Révolution française à la guerre totale, en passant par celle - napoléonienne - des nations. Ce qui lui permet de relever la particularité des confrontations contemporaines sans affirmer trop facilement que la lutte contre Daech s'inscrit dans le combat contre la figure du partisan. Au-delà du fait qu'il précise que l'ennemi n'est pas le rival, qu'il incarne un « Autre » radical, et qu'il se définit grandement de nos jours comme l'acteur collectif ou individuel qui agresse le premier, le ministre propose une tentative intéressante de caractérisation de Daech en mettant en lumière quelques faits utiles: ce n'est pas authentiquement un Etat, même si sa structure en présente certains traits ; c'est une idéologie particulièrement belliciste qui n'entend pas cesser ses assauts contre ceux qu'ils nomment les « judéo-croisés » ; c'est un phénomène politico-idéologique entretenant une indiscutable parenté avec la logique totalitaire. On peut d'ailleurs se réjouir que l'auteur n'oublie pas les fondamentaux et s'appuie sur Raymond Aron pour construire son analyse. Cela nous change de l'actuel nivellement des références…

    Un autre intérêt déterminant de ce petit texte consiste à lancer une piste insuffisamment exploitée. Même si des causes conjoncturelles ont pu « créer » Daech, les individus que la galaxie djihadiste recrute comptent au nombre des adversaires structurels des démocraties, et de la France en particulier. Ce qui fonde une réponse armée et lucide (n'espérant pas les convertir aux avantages de la négociation). Le ministre met enfin l'accent sur ce qui devrait nous obséder au plus haut point : vaincre Daech nécessite de comprendre que nous nous situons à l'intérieur d'une colossale guerre de l'information. Cependant, on ne fait pas militairement la guerre à une idéologie : il importe donc de contrer une propagande professionnalisée par une riposte informationnelle déconstruisant le discours des djihadistes. De ce point de vue, il apparaît que notre Etat est parfaitement démuni…

    Dernière chose à remarquer dans ces lignes ministérielles : une évocation de la « contestation de la domination technico-militaire occidentale » via le recours à un livre bien connu des spécialistes, La guerre hors limites, de Qiao Liang et Wang Xiangsui, deux officiers chinois. Ce texte fondamental explique l'émancipation de la guerre de la seule sphère militaire et son extension à de multiples espaces : économique, informationnel, numérique, etc. La référence interpelle car le personnel politique ne descend qu'exceptionnellement dans ce théâtre doctrinal un peu pointu…

    Au final, on termine cette lecture en imaginant un homme consciencieux et honnête, qui formule des interrogations liées mécaniquement à ses responsabilités (sans trop sombrer dans le service après-vente de ses propres actions) et qui n'est guère friand des escarmouches politiciennes et des dérisoires micro-crises médiatiques peuplant nos écrans… Même si l'on ne partage pas l'ensemble des analyses de Jean-Yves Le Drian, cela fait un bien fou et stimule l'esprit.  

    Eric Delbecque    

    Eric Delbecque est directeur du département intelligence stratégique de SIFARIS, chef du pôle intelligence économique de l'IFET et auteur de Idéologie sécuritaire et société de surveillance (Vuibert, 2015).        

  • Les propos choc de Nadine Morano

     

    par Yves Morel

    Nadine Morano a encore défrayé la chronique, et ce n’est pas peu dire. En effet, elle a tenu sur Canal+, au cours de l’émission Le Supplément, des propos iconoclastes jugés racistes par toute la classe médiatique.

     

    La députée européenne, qui n’a pas la langue dans sa poche, s’est permis de dire : « Regardez la gare du Nord, on n’a plus l’impression d’être en France, on a l’impression d’être en Afrique ». Ali Baddou, animateur de l’émission lui ayant alors demandé : « La gare du Nord, c’est l’Afrique ?», Mme Morano a répondu : « Je vous laisse juger par vous-même, et je laisse aussi juger tous ceux qui viennent de regarder pourquoi il y a dans ce quartier toute une concentration d’une population dont on voit bien que c’est une population immigrée, dont on voit bien que c’est une population qui est concentrée dans ces quartiers, comme vous avez plein de ghettos en France ».
    Conséquence : explosion de réactions indignées sur Facebook, Twitter et tous les réseaux sociaux. Des régiments de bons esprits sonnent le tocsin, vaticinent et annoncent le retour des temps maudits, la déferlante du racisme et la montée continue de l’extrême-droite, qui réussit son entreprise de lepénisation des esprits et tient désormais un discours aussi « décomplexé » que « nauséabond ».

    Des vérités d’une évidence pourtant criante

    En réalité, Nadine Morano n’a fait qu’énoncer une vérité évidente, tout comme elle l’avait fait le 26 septembre dernier lors de l’émission On n’est pas couché, sur France 2. Seulement cette évidence, nos classes politique et médiatique ne veulent pas l’admettre. Elle est pourtant on ne peut plus criante. Des communes entières de la région parisienne (Saint-Denis, Montreuil, Stains, Bobigny, Sevran, entre cent autres), de la banlieue lyonnaise (Villeurbanne, Vénissieux, Saint-Fons, Feyzin, Saint-Priest, etc..), des quartiers de Marseille, de Toulouse (le Mirail), de la conurbation lilloise, de Rouen, du Havre et de partout ailleurs sont devenus de véritables enclaves étrangères, peuplées majoritairement de maghrébins, de turcs et d’africains et où les petits commerçants traditionnels cèdent la place aux boucheries halal, aux pizzerias et boulangeries turques, aux kebabs et aux restaurants exotiques, dont les rues sont parcourues par des femmes voilées et des hommes en djellabah, dont les cliniques et les cantines se trouvent contraintes de proscrire la viande de porc, et où le ramadan vaut aux riverains français de souche un mois de nuit bruyantes et sans sommeil.

    Certes, la plupart des habitants d’origine extra-européenne ont la nationalité française et sont donc des « Français de papier », mais ils ne le sont pas culturellement. Car, contrairement à ce que l’on nous serine sans cesse, ces gens ne s’intègrent pas à la communauté nationale et ne souhaitent pas le faire au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour pouvoir évoluer sans difficulté dans notre société. Ils parlent français, fréquentent nos écoles, respectent en général nos lois, mais ils ne se sentent pas français et demeurent attachés d’âme, de cœur et de tripes à leur religion, à leurs coutumes, à leur mode de vie, au pays de leurs ancêtres. Et on ne saurait les en blâmer. Comment auraient-ils envie de s’intégrer à une nation déclinante, qui a abdiqué sa souveraineté à Maastricht et à Lisbonne, qui a perdu sa prééminence politique en Europe, se voit sans cesse tancée par Bruxelles et Berlin en raison de ses déficits budgétaires, dont l’Etat vend ou laisse vendre ses grosses entreprises, ses grands aéroports, ne peut plus financer son système de protection sociale et ses services publics, lesquels tombent en décrépitude, et ne parvient à rémunérer ses fonctionnaires qu’en recourant à des emprunts à l’étranger, où les conditions de vie et de travail de ses habitants se dégradent toujours plus ?

    D’autant plus que pendant les deux septennats de M. Mitterrand, les politiques, les médias et l’intelligentsia leur ont chanté leurs droits éminents sur tous les tons et les ont expressément incités à affirmer leurs spécificités culturelles respectives, au motif qu’ainsi « la France de toutes les couleurs » « s’enrichirait de ces différences » en raison des bienfaits assurés de la « diversité ».

    Tout cela n’est que trop évident et que trop connu, mais nos journalistes, nos hommes de radio et de télévision, nos intellectuels, nos politiques ne veulent ni le reconnaître, ni même le voir, et ils prétendent condamner leurs compatriotes à cette mauvaise foi et cette cécité délibérée. Et lorsqu’une personnalité comme Mme Morano enfreint cette règle perverse et ose dire ce que le monde sait, voit et constate tous les jours, elle est aussitôt accusée de « dérapage », taxée de racisme, accusée de tenir des propos « nauséabonds » (ou « nauséeux »), revêtue de la robe d’infamie et clouée au pilori. Or, Nadine Morano ne dérape pas, elle ne fait que dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, ce que tout un chacun sait et voit. Y compris ceux qui appartiennent à une tendance politique opposée à la sienne. Nous nous permettrons ici de mentionner des témoignages personnels à l’appui de cette assertion.

    Il y a de cela trente ans, un adjoint au maire de Montreuil, membre du parti communiste, nous disait (hors antenne) que sa ville ressemblait à une ville africaine et qu’elle était peut-être « la deuxième ville du Mali ». A Villeurbanne, plusieurs personnes qui, il y a trente ans également, arboraient fièrement l’épinglette « Touche pas à mon pote », de SOS Racisme, et applaudissaient à tout rompre aux proclamations de M. Mitterrand (et de Madame) et des socialistes en faveur de l’immigration, de la pluralité ethnique et culturelle et du métissage sans frein, pestent aujourd’hui contre ce qu’elles appellent « l’invasion ». Il y a de cela quelques mois, une professeur documentaliste, de sensibilité socialo-écologiste (et électrice de Hollande) affirmait qu’au quartier des Minguettes, de Vénissieux, où elle est en poste, elle avait « l’impression d’être à l’étranger ». A Clermont-Ferrand, un instituteur, socialisant lui aussi, déclare « ne plus pouvoir voir les Arabes » du quartier de son école, qui peuplent sa classe à hauteur de 80%.

    Ce n’est pas Nadine Morano qui dérape, ce sont nos médias et nos chefs politiques

    Non, en dépit de tout ce que nos terroristes intellectuels des médias et de la classe politique nous affirment, tous ces gens (de gauche pour la plupart) ne sont pas racistes, ne sont pas immondes, et leurs réflexions n’ont rien de « nauséabond ». Simplement, ils souffrent dans leur être et dans leur vie quotidienne car ils ont le sentiment justifié de ne plus être chez eux, d’être devenus des étrangers dans leur propre pays, et de n’avoir pas même le droit de gémir et de se plaindre sans se voir voué aux gémonies. Ils en ont assez de se voir contraints à cet aveuglement intellectuel et moral, à ce conformisme, à ce politiquement correct imposé par des Yann Moix qui juge le mot « race » indécent et affirme tranquillement que « demain la France sera peut-être musulmane » et que le respect de la laïcité impose absolument de ne rien tenter pour s’opposer à ce que Renaud Camus appelle « le grand remplacement » ou « le changement de peuple ». Au fait, dans quelle ville ou dans quel quartier vit Yann Moix ? Et dans quelle ambiance professionnelle évolue-t-il ?

    Non, Nadine Morano ne dérape pas, ce sont nos maîtres des médias et nos chefs politiques qui dérapent, et ce depuis fort longtemps, et qui, au nom de leur idéologie universaliste, mondialiste et égalitaire, ont fait ressembler notre pays à ce qu’était l’Empire romain d’Occident au Ve siècle, celui des grandes invasions barbares et de la chute finale. Voilà la vérité.  

     

    Docteur ès-lettres, écrivain, spécialiste de l'histoire de l'enseignement en France, collaborateur de la Nouvelle Revue universelle

  • Éric Zemmour : Poutine, notre mauvaise conscience

     

    La guerre des mondes, de Mathieu Slama, est un plaidoyer en faveur de Poutine qui tranche heureusement avec les habituels réquisitoires contre le leader de la Russie. Et qui sonne comme le fruit de tous nos abandons [Figarovox - 26.05].

     

    ZemmourOK - Copie.jpgPoutine est méchant. Poutine est un tyran. Poutine ment et parfois en allemand. Poutine tue. Poutine vole. Poutine triche. Nos médias occidentaux ont fait du président russe l'incarnation du Mal. Avec une pugnacité qu'ils n'ont jamais montrée même aux pires époques de la guerre froide, contre les patrons de l'Union soviétique ; et une constance dans la dénonciation qui dépasse les éphémères figures du mal islamiste.

    Une fois qu'on a refermé le livre de Mathieu Slama, on comprend mieux pourquoi. Poutine n'est pas notre adversaire, il est notre mauvaise conscience ; il est notre Jiminy Cricket ; il est une sorte de pape qui nous dirait « Europe, qu'as-tu fait de ton message chrétien ? » ; mais avec un nombre respectable de divisions. Il est le seul Européen à dire non aux Américains, comme le faisait jadis de Gaulle. Il est le seul dirigeant démocratiquement élu à assumer les hiérarchies d'un pouvoir vertical, quand tous les autres s'inclinent devant l'égalitarisme d'une société horizontale. Il est le seul chef d'État européen à défendre une société traditionnelle, enracinée dans son Histoire et sa culture quand tous ses homologues occidentaux ont fait de l'individu déraciné et décontextualisé un Dieu impérieux et jaloux. Le seul à refuser l'assujettissement de la souveraineté nationale à « des règles de droit universelles qui font de chaque individu le membre d'une même humanité » énoncées au nom des droits de l'homme. Et il faut avoir l'humour de « M. Petites Blagues », ou son ignorance crasse, pour oser proclamer comme François Hollande à Moscou : « Nous avons en commun une vision du monde. »

    « Plaidoyer pour Vladimir Poutine »

    Mathieu Slama fait mine de renvoyer dos à dos les deux protagonistes, l'Occident et la Russie, les deux lignes, les deux idéologies, alors que chaque page respire de son penchant en faveur de Poutine. Par contraste avec les réquisitoires habituels dont on nous abreuve, cela fait du bien. Son livre est intitulé La Guerre des mondes, alors qu'il aurait dû oser un « plaidoyer pour Vladimir Poutine ». Un plaidoyer ne signifie pas que l'avocat s'aveugle sur les torts et travers du personnage et de sa politique, son autoritarisme, sa brutalité, ses penchants impérialistes ; mais qu'il est en empathie avec sa philosophie, sa démarche. Sans doute l'éditeur a-t-il eu peur des réactions médiatiques.

    Mais peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Notre auteur démolit les lieux communs sur le président russe. Non, Poutine n'est pas un satrape inculte, mais plutôt un grand lecteur. Il n'est pas la marionnette d'Alexandre Douguine, l'idéologue sulfureux de la Russie éternelle contre la décadence occidentale ; mais il a fait siennes les réflexions profondes qu'a inspirées à l'exilé Alexandre Soljenitsyne sa découverte de l'Occident.

    De Gaulle disait : « Dans les victoires d'Alexandre, il y a les idées d'Aristote.» Dans la pugnacité de Poutine contre le « primitivisme » occidental, il y a les écrits du grand écrivain russe qui n'a pas hésité à dire son fait à une civilisation occidentale qui, au nom de la liberté, s'abandonnait aux joies tristes du matérialisme. Poutine nous ramène au combat idéologique autour de la Révolution française. Comme l'Amérique d'aujourd'hui, les Français prétendaient exporter par leurs armées victorieuses les « droits de l'homme » dont ils vantaient l'universalisme, tandis que Burke ou Joseph de Maistre en contestaient l'arrogance. Poutine a ressuscité la lutte des sociétés holistes contre les individualistes. Il a redonné une légitimité idéologique et politique à un conservatisme qui n'avait plus droit de cité en Occident : « Comme le disait le philosophe russe Nicolas Berdiaev : “ le sens du conservatisme n'est pas d'empêcher le déplacement vers l'avant et vers le haut, mais d'empêcher le déplacement vers l'arrière et vers le bas, vers l'obscurité chaotique et le retour à l'état primitif ”.»

    Un malaise existentiel croissant

    C'est pour cela qu'il rencontre un écho grandissant au sein même des nations occidentales, au-delà de ses dirigeants inféodés et à Washington et plus encore à l'idéologie droit de l'hommiste. Il est vrai que Poutine dans son combat a de la chance. L'universalisme arrogant de l'Amérique a causé de multiples catastrophes dans le monde, Afghanistan, Irak, Syrie, etc. Le juridisme européen incarné par la Cour européenne des droits de l'homme suscite les réserves des vieux États nations comme l'Angleterre ou même la France. L'universalisme sans frontières de l'Union européenne, sa religion de l'Autre, bute sur l'hétérogénéité absolue de l'islam : « On ne peut à la fois se fondre dans la jouissance de l'autre, s'identifier à lui, et se maintenir différent » (Lévi-Strauss).

    Enfin, l'individualisme progressiste des droits provoque un malaise existentiel croissant au fur et à mesure qu'il repousse toutes les limites (mariage homosexuel, théorie du genre, exaltation de l'homme augmenté). Le discours de Poutine sonne comme la punition de tous nos échecs, de toutes nos folies et de tous nos renoncements. La realpolitik qu'il défend avec un talent incontesté n'est que la reprise d'une tradition qui fut celle de la France pendant des siècles, de Richelieu à de Gaulle en passant par nos rois, nos empereurs et nos Républiques. De même que la religiosité de la société russe fait écho dans la lointaine Amérique. Et le messianisme russe répond au messianisme américain. Mathieu Slama n'est dupe de rien. Son Poutine n'est ni un saint ni un héros. Ce n'est pas tant la réussite du modèle russe qui fascine les populations occidentales que la décadence du modèle occidental qui les effraie. Ce n'est pas tant la force de Poutine qui leur plaît que la désagrégation des démocraties occidentales qui les inquiète. C'est pourquoi Poutine est de moins en moins vu par les peuples d'Europe comme une menace - au contraire de ce que nous répètent nos médias - que comme un ami à soutenir, un modèle à suivre, voire comme un sauveur à appeler. 

    La guerre des mondes, Mathieu Slama. Éditions de Fallois. 124 Pages. 16 €.

    Eric Zemmour           

    Voir aussi

    Mathieu Slama : « Il y a du Soljenitsyne dans le discours de Poutine » [Lafautearousseau 27.05]

     

  • Natacha Polony : Tirer les leçons de 2015… ou pas

     

    « Après les carnages, après l'horreur, l'année qui se referme nous a fait basculer dans un monde nouveau », qui doit pousser la France à « reprendre en main son destin », écrit Natacha Polony dans une chronique du Figaro, parue le jour de Noël. Sans-doute faudra-t-il aller plus loin qu'elle ne le fait dans la remise en cause des idées, des pratiques et des hommes qui nous ont conduits à la situation présente qu'elle dénonce avec le talent que l'on sait. Il n'empêche : les lignes bougent et, selon toute apparence, leur mouvement ne fait que commencer.  LFAR

    Bien sûr, il y a les familles rassemblées, les enfants ravis, les festins, même modestes. Une fin d'année comme les autres, avec ses images de père Noël et son ambiance de plus en plus écœurante de grande fête de la consommation. À peine a-t-on ressenti les tensions de plus en plus grandes autour de ces crèches que certains maires veulent absolument au cœur de leur mairie comme un nouvel argument électoral. Mais cette fin d'année 2015 a comme un goût étrange.

    L'an dernier, à la même période, les chaînes d'information continue ressassaient en boucle des commentaires vides sur trois fous armés de couteaux ou d'une voiture bélier qui avaient tenté de semer la panique au cri de « Allah Akbar ! ». Et l'on nous expliquait que, bien entendu, ces hommes étaient des cas isolés de déséquilibre psychiatrique. On brassait un discours officiel lénifiant à souhait, destiné à ne fâcher personne, et surtout pas les autoproclamés représentants de la générosité et de « l'ouverture à l'autre ». L'an dernier, la France poursuivait tranquillement son invisible transformation. Le résultat de trente ans de déni. Trente ans à décréter que la France n'avait pas à se perpétuer, que l'idée même d'une identité française était fasciste, que nous devrions expier jusqu'à la dissolution ces « heures les plus sombres…». Aux oubliettes, l'humanisme, les Lumières… La France n'était comptable que du pire, de ce racisme latent qui justifiait la frustration et la rancœur que l'on instillait au cœur de ses enfants nouveaux venus.

    Après les carnages, après l'horreur, l'année qui se referme nous a fait basculer dans un monde nouveau.Un monde dans lequel chacun de nous doit avoir au fond de lui cette infime inquiétude, ce sentiment diffus qu'il peut « arriver quelque chose » à ceux qu'il aime. Un monde dans lequel nous ne serons plus en paix.

    Oh, certes, elle va résister en nous, cette paix. Il y a si longtemps qu'elle s'est installée qu'elle va tenter de nous faire oublier novembre comme elle nous a fait oublier janvier. Mieux, on se paye le luxe d'un pas de deux sur les promesses solennelles lancées par le chef de l'État au lendemain du 13 novembre. Ces annonces censées rassurer les Français, leur montrer qu'enfin on allait agir, ces annonces sont donc contredites par rien de moins que le secrétaire général du Parti socialiste, et, mieux encore, la ministre de la Justice elle-même. « Pas une idée de gauche », la déchéance de nationalité, pourtant mise en place il y a soixante-dix-sept ans par Édouard Daladier en 1938. La pantalonnade d'une ministre de la Justice décrédibilisant un peu plus encore la politique de son propre gouvernement achève de démontrer que cette gauche-là a une conception bien étrange des valeurs autrefois portées par Jaurès ou Blum. Elle nous prouve surtout que les forces qui nous ont conduits au bord de l'abîme sont toujours à l'œuvre.

    Cette déchéance de nationalité serait inutile parce qu'elle ne concerne qu'un nombre infime de cas ? C'était le même argument pour expliquer que 2000 femmes portant le voile intégral, ça ne vaut pas une loi. Et quelques jeunes filles (même poussées par des associations pilotées de l'étranger) qui refusaient d'ôter leur foulard pour entrer au collège, on n'allait pas non plus en faire toute une histoire. Et quelques imams prêchant l'enfermement des femmes ou l'enfer pour les mécréants (sur un mode quiétiste, donc totalement inoffensif, comme persistent à le prétendre certains sociologues), mais voyons, c'est anecdotique ! Tout ce qui remettait en cause la laïcité et le pacte social en découlant, tout ce qui attaquait l'intégration et la possibilité pour des jeunes gens aux origines diverses de se sentir français, tout ce qui aurait pu atténuer les effets délétères d'une crise brutale et d'un chômage ravageur, tout cela a été cultivé avec la plus parfaite bonne conscience. Défendre la France contre des assaillants extérieurs qui instrumentalisent nos faiblesses, punir, même symboliquement, ceux qui renient notre pays et clament leur haine de nous, ce n'est « pas une idée de gauche ». Et si l'on daigne maintenant parler de « patrie », c'est en insistant bien : rien à voir avec celle qu'évoquaient les Cassandre qui ont eu le tort d'avoir raison trop tôt…

    Et cette année 2015 se referme sur des atermoiements qui nous laissent craindre que tout cela n'ait pas suffi. Elle nous enseigne pourtant qu'il est plus que temps de reprendre en main notre destin et de comprendre que dans un monde devenu violent nous devrons notre survie non pas seulement à la qualité de nos services de renseignements ou au déploiement de nos armées (même si leur préservation eût pu intervenir un peu plus tôt) mais à notre capacité à nous repenser comme une nation, une collectivité appuyant son avenir sur un passé et des valeurs transmis à tous, qui donneraient sens à l'idée de nationalité française, comme à l'idée de sa perte. 

    Natacha Polony

     

  • COP21 : Le monde a sauvé la planète !

     

    par François Reloujac

    L’accord de Paris obtenu le 12 décembre 2015, à l’issue de treize jours de négociation dans le cadre de la COP21, a été salué comme un triomphe. Mais qu’en est-il exactement ? Quel est le véritable contenu de l’accord ? Ne faut-il pas, hélas, penser avec Alain de Benoist que le texte de l’accord est simplement schizophrène ? « D’un, côté les pays signataires veulent réagir au réchauffement climatique – souci louable. De l’autre, ils adhèrent dans leur immense majorité aux thèses des économistes libéraux qui veulent augmenter sans cesse la production industrielle et les échanges commerciaux, encourager le tourisme de masse, fonder les économies sur les « avantages comparatifs » de chaque pays, etc. (…) D’un côté ils veulent « sauver la planète », et de l’autre conserver ce qui la détruit ». C’est ce constat qui conduit le philosophe à conclure : « la véritable question qui se pose n’est pas de savoir si la planète peut être « sauvée », mais si la civilisation peut survivre à sa rencontre avec les limites que lui impose la nature » .

    En fait, l’accord de Paris est un simple trompe-l’œil. Il ne s’attaque officiellement qu’aux seuls gaz à effet de serre considérés comme les uniques responsables d’un réchauffement climatique qui serait avéré et oublie toute autre source de pollution. Il est fondé sur une analyse biaisée de la situation, car, « si l’on fait un vrai bilan carbone des différents modes de production d’énergie, incluant toutes les émissions dues à leur mise en œuvre, distribution, rendements, coûts, durée de vie, etc., on se rend compte qu’ils diffèrent peu entre eux. La grande question, c’est la quantité d’énergie croissante que continue d’exiger notre mode de fonctionnement économique » .

    La quantité d’énergie, bien sûr, mais aussi son mode de production. C’est ainsi que, par exemple, une mesure importante n’a pas été évoquée au cours de la Conférence de Paris : pour diminuer la production de gaz carbonique, on pourrait limiter la production chinoise d’aluminium. En effet, pour produire une tonne d’aluminium, il faut, outre la bauxite (dont la France est pourvue), beaucoup d’électricité. La France dispose et de la matière première et de l’électricité nécessaire. Or, sa production s’est effondrée au profit de la production chinoise. En quelques années – depuis son adhésion à l’OMC – la Chine est devenue le premier producteur d’aluminium au monde (avec 58 % de la production mondiale), réduisant au chômage de nombreuses personnes dans les autres pays, y compris la France. Du coup, elle a multiplié par 20 sa consommation de charbon et, en proportion, ses émissions de « gaz à effet de serre ». Mais, l’absence de régime social et la faiblesse du yuan par rapport à l’euro aidant, l’électricité produite à partir du charbon chinois revient moins chère que l’électricité produite à partir du nucléaire ou encore plus à partir des énergies renouvelables, comme l’énergie hydraulique. Du coup un aluminium « destructeur de la planète » est préféré à un aluminium « respectueux de l’environnement ». Il est vrai que la seule façon de lutter aujourd’hui contre cette source de pollution est de rétablir les droits de douane, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Et, il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres.

    Hélas, là n’est pas le plus important. L’accord de Paris a été présenté comme étant contraignant… sauf qu’il n’y a aucun calendrier précis, aucune mesure concrète et aucune sanction. La contrainte résulterait essentiellement de la « transparence » et donc de la pression de l’opinion publique !

    On aurait pu espérer que son contenu soit nouveau et fort. Il n’en est rien. Il repose sur un vœu : celui de maintenir l’augmentation de la température moyenne du globe à 1°5 C par rapport à l’année 1880, considérée comme la dernière de l’ère pré-industrielle (mieux que les 2° prévus auparavant). Or, cet objectif est présenté comme atteignable uniquement en prônant des mesures qui limitent la production d’énergie obtenue directement à partir des seules « énergies fossiles ». Et encore, ces mesures n’entreront en application qu’en 2020 et à condition que 55 % des États membres, représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre ne les ratifient d’ici à 2017 ! Ajoutons que l’ensemble des mesures préconisées – y compris « l’engagement » des pays riches à verser 100 milliards de dollars aux pays en voie de développement pour ne pas utiliser les énergies fossiles pour leur développement – sont rédigées au conditionnel (pour la dernière rédaction de l’accord, le verbe « devront » a été remplacé 33 fois par « devraient », sous la pression des Américains et des Chinois). Et, ce n’est pas la seule différence entre le projet initial et la rédaction finale. Ainsi, par exemple, le projet d’accord prévoyait une réduction de 40 à 70 % de l’émission de gaz à effet de serre d’ici à 2050 et le texte final ne prévoit que les Etats visent « un pic des émissions (…) dès que possible » !

    Si l’on pousse un peu plus loin l’observation, l’on constate que toutes ces mesures étaient déjà plus ou moins contenues dans les accords précédents, sauf une.

    Cette seule nouveauté est la création d’un « Groupe de travail spécial de l’Accord de Paris », dont le principal rôle est « d’identifier les sources de données pour le bilan mondial » (considérant 100) que devront (devraient ?) utiliser les autres groupes de travail. Il vient renforcer le Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (le fameux GIEC), le Comité de l’adaptation, le Groupe d’experts des pays les moins avancés, le Comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie, le Comité exécutif de la technologie, le Comité des technologies climatiques, etc. En réalité, puisqu’une innovation peut toujours en cacher une autre, le paragraphe 72 des « considérants », prévoit aussi la création d’un Comité de Paris sur le renforcement des capacités. Quand on ne sait pas quoi faire, c’est bien connu, on crée une commission.

    Parmi les éléments importants de l’accord, il est demandé aux parties signataires du Protocole de Kyoto (c’est-à-dire, en particulier, que cela ne concerne pas les États-Unis qui ne l’ont pas signé, ni le Canada qui, après l’avoir signé, en est sorti) de « ratifier » d’une part et d’« appliquer » (sic) d’autre part « l’amendement de Doha » et aux parties signataires des accords de Cancùn de prendre des engagements conformément à ces accords « et de les respecter » (sic).

    Si l’on entre dans le détail de la rédaction de l’accord, la surprise est encore plus grande. Ainsi le début de l’article 3 est rédigé de la façon suivante : « A titre de contributions déterminées au niveau national à la riposte (sic) mondiale aux changements climatiques… »… Tous les hommes sont donc agressés par les changements climatiques !

    Il est inutile d’aller plus loin, concernant un Accord qui ne comprend que des vœux à un horizon au-delà de cinq ans et dont la ratification n’est pas demandée avant 18 mois.

    Pour la petite histoire, signalons cependant encore que l’un des « chefs étoilés » retenus pour soigner les participants à la Conférence de Paris, a été condamné le 18 décembre 2015, pour atteinte à l’environnement.   

  • La République introuvable

    La République Charlie, place du même nom

     

    Par Jacques Burnel

    Sous ses deux formes, adjectivale et nominale, le mot « République » a littéralement envahi le discours des médias, des pouvoirs publics et du personnel politique. Or, explique Frédéric Rouvillois dans un livre jubilatoire (Être ou ne pas être républicain, Le Cerf, 237 p., 14 euros), si les républicains sont partout, la République est nulle part... 

    Etre ou ne pas être - cadre.jpg« Le terrorisme ne détruira pas la République ; c'est la République qui le détruira » ; « La riposte de la République sera totale » ; « Les associations qui s'en prennent aux valeurs de la République seront dissoutes »... Du président François Hollande au Premier ministre, Manuel Valls, en passant par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, les propos martiaux de nos dirigeants politiques, réagissant à la tuerie de masse du 13 novembre, ont été salués unanimement. Tout juste quelques rares observateurs ont-ils pu faire remarquer qu'ainsi placés sous les auspices de la République, ils avaient l'immense avantage d'exonérer ceux qui les prononcent de toute forme de responsabilité dans ces tragiques évènements. Événements dont la nation en deuil pourrait légitimement tenir rigueur à ses représentants...

    Au début de l'année 2015, en d'autres circonstances dramatiques, les Français l'avaient appris à leurs dépens : certains clichés mobilisant mécaniquement la pensée (le « pas d'amalgame » avait alors fait florès) peuvent être utilisés comme des armes dialectiques qui paralysent la pensée. Il suffit d'entendre les mots magiques pour que chacun s'incline et passe son chemin. Circulez, il n'y a rien à voir ! Et dans cet arsenal d'expressions toutes faites et de mots qui enivrent, le terme « républicain » n'a pas d'équivalent. Exemple : pourquoi s'est-on cru obligé de parler de mobilisation « républicaine » au lendemain de l'attaque contre Charlie Hebdo et pas de manifestation « royale » ou « monarchique » en 2004 après les attentats de la gare de Madrid ? C'est cet « usage invraisemblable et littéralement diluvien du terme « républicain » » qui a poussé le professeur de droit public et historien des mentalités, Frédéric Rouvillois, à s'interroger sur la signification de ce mot pour le moins redondant dans la parole publique. Suffrage universel, pluralisme, éducation, universalisme, laïcité : dans un livre au titre réjouissant - Être (ou ne pas être) républicain -, il passe en revue les critères habituellement admis du « républicanisme ». Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le piédestal sur lequel on a placé la République vole en éclats. Reste un concept creux, usé jusqu'à la corde, mais qui ôte immanquablement toute substance au débat politique contemporain. La pantalonnade de cour d'école autour de la nouvelle dénomination de l'ex-UMP l'atteste : chacun accuse l'autre de s'approprier un terme censé appartenir à tous.

    UN MOT QUI RENVOIE À TOUT ET SON CONTRAIRE

    Pourquoi alors, répété comme un mantra, demeure-t-il aussi envahissant ? La « forme républicaine du gouvernement », comme il est dit dans la Constitution de 1958 sans que l'on sache de quoi il retourne exactement, est-elle menacée ? Mais même s'il continue à vivre intellectuellement, notamment dans les pages de ce magazine, le royalisme est politiquement mort depuis longtemps. Du Parti communiste au Front national, des souverainistes de droite aux fédéralistes de gauche, des plus libéraux aux plus étatistes, les républicains revendiqués sont partout. D'ailleurs, fait justement remarquer Rouvillois, le mot « République », res publica, la chose publique, synonyme le plus souvent d'État ou de communauté de citoyens, se retrouve dans les écrits officiels de la monarchie, mais aussi dans le langage courant de l'Ancien Régime. Monarchie et République ne s'oppose donc pas nécessairement, pas plus d'ailleurs que République et dictature, la première s'accommodant volontiers de la seconde. En témoignent de nombreux épisodes de notre histoire, du Comité de salut public au « Gouvernement de défense républicaine » de Waldek Rousseau en 1899. Songeant à la République romaine et à ses dictateurs, Mussolini ne disait-il pas que le fascisme est essentiellement républicain ? « Faute de définition claire, note notre auteur, on est obligé de reconnaître que tout le monde a le droit de se qualifier de républicain, dès lors que le mot de « République », auquel renvoie ce qualificatif, a lui-même recouvert à peu près toutes les hypothèses imaginables. »

    UNE RELIGION DE SUBSTITUTION

    Contrairement à ce que la répétition compulsive du mot voudrait laisser croire, il n'existe donc aucune définition de la République. Ni comme régime politique, ni comme doctrine ou comme philosophie hormis quelques vagues références à la devise abstraite de la Révolution française et à « l'esprit » des Lumières. Bref, « la République », comme essence, est une vue de l'esprit. Rouvillois dit : une légende. De fait, dans sa version française, qui est spécifique, cette légende s'est construite sous la Ille République et au moment de l'affaire Dreyfus quand elle s'est en quelque sorte figée en une « construction mythologique » et même en une « religion de substitution ». Une tentation que le régime républicain a eue dès son origine : en 1793, les Hébertistes ont institué le culte républicain de la Raison et Robespierre celui de l'Être suprême ; Michelet parlait d'ailleurs des Jacobins, le parti républicain par excellence, comme du « parti-prêtre ».... Mais c'est sous la Ille République que l'éducation fut conçue comme un conditionnement des esprits, un dogmatisme destiné à républicaniser le pays... et à lui faire oublier qu'il y avait eu une France avant 1789. La République, conclut Rouvillois, est un mot vide et sacré. Vide, parce qu'il renvoie à tout et son contraire. Sacré, car il exclut tout ce qui n'est pas lui : cela risquerait de « brouiller le récit légendaire, de le rendre incohérent, d'affaiblir son rôle mobilisateur »...

    Ainsi « la République », cette ancienne notion désignant le bien commun qui fut utilisé dans les ordonnances d'Henri IV et de François Ier, est-elle devenue, par glissements successifs, la religion républicaine d'un petit clergé qui sermonne, catéchise et excommunie au nom de « valeurs » à la fois absolues et contradictoires. En ce sens, elle est anti-démocratique puisqu'elle s'apparente à une prébende et justifie toutes les prévarications. Est-ce un hasard si ce qu'il est convenu d'appeler les « élites » - médias, pouvoirs publics, personnel politique -, ne disent presque jamais « la France » mais presque toujours « la République » ? « République » : ce mot-posture qu'en période de crise elles psalmodient en attendant le miracle... 

     - Politique magazine

     

  • LITTERATURE & SOCIETE • Christian Millau : « Il manque à la nation une incarnation »

    Christian Millau. L'esprit français

     

    Dans cet entretien donné à Valeurs actuelles, on retrouve la liberté d'esprit et le regard avisé de Christian Millau - qu'il a de longue date posé sur notre époque, sa littérature, ses écrivains. Ainsi, à sa manière, aura-t-il servi son temps, aura-t-il aidé à le comprendre, à l'éclairer de son goût et de sa lucidité. Si l'on nous y poussait beaucoup, nous dirions - mais sans méchanceté aucune - que l'influence qu'il a exercée un temps sur la gastronomie française et ses métamorphoses discutables, nous paraît beaucoup plus incertaine ... Mais cela est une autre histoire. Ici, comme Emmanuel Macron, comme Maxime Tandonnet ou, à sa façon, Michel Houellebecq, Christian Millau constate qu'il manque à la nation une incarnation. Nous ne disons pas autre chose ... LFAR  

     

    Journaliste, écrivain, président du prix littéraire des Hussards... Christian Millau est un esprit libre. Une liberté dont il use avec malice pour répondre à nos questions.

    Quel regard portez-vous sur l'époque actuelle ?

    À vrai dire, je ne suis pas d'un tempérament nostalgique. La nostalgie est un rideau qu'on fait complaisamment tomber sur un pamé qui n'a pas toujours été rose. Chaque époque y cède à son tour. et j'imagine qu'on regrettait Saint Louis sous Louis X le !lutin ! On parle des "Trente Glorieuses" mais on oublie la guerre de Corée, la crise de Cuba : nous avions la quasi-certitude que la guerre allait recommencer ! En revanche, je comprends qu'on puisse regretter des hommes ou des événements exception. nels. Je revois encore de Gaulle descendant les Champs-Élysées, le 26 août 194.1! Là, oui, on a le droit de céder un peu à la nostalgie... Tous ceux qui étaient là, ce jour-là, se souviennent d'une France vibrante comme elle ne le sera jamais plus. On peut se dire : "Ce jour-là. la France existait".

    Et maintenant ?

    Maintenant, on essaie de se fabriquer des moments de communion nationale... La Coupe du monde de football en 1998, la célébration de "la France Black Blanc Beur : c'était à la fois touchant et un peu ridicule. Dans un registre bien plus dramatique, le "11 janvier", dont l'esprit s'est aussitôt dissipé, si tant est qu'il ait existé! En fait, ce qui nous manque, c'est une incarnation. Les Français forment une nation ; la France, une patrie. Nous manquons de quelqu'un qui nous le rappelle par ce qu'il est et par ce qu'il fait. En Mai 68, on a jeté de Gaulle par-dessus bord. Depuis cette pantomime, nous vivons dans un désordre incroyable... C'est tout de méme inouï que l'on n'arrive pas à faire chanter la Marseillaise à des enfants dans une école ! Il serait bon que, chaque fois que la gauche vient chez nous au pouvoir, la France se déclare automatiquement en état de catastrophe naturelle.

    L'époque est aux non-dits : après les attentats de janvier, on a vu que le gouvernement avait du mal à désigner l'ennemi...

    C'est ahurissant ! Je suis très sévère sur les médias en général. On entend des choses incroyables sur les chaînes d'information, certaines par ignorance, d'autres par lâcheté : il y a des mots, des sujets qui sont tabous. Il s'est créé une forme d'inquisition qui traque tout ce qui ne correspond pas aux dogmes du politiquement correct. Mais les gens sont saturés de cette pensée de sacristie laïque. 

    Était-on plus libre d'exprimer ses divergences dans les années 1950 ou 1960 ?

    Spontanément, je dirais oui, sans oublier cependant qu'il était très difficile de vivre de sa plume quand on n'était pas d'accord avec Sartre ou Aragon : il fallait se battre ! On parle beaucoup aujourd'hui des Hussards, que j'ai eu la chance de fréquenter assidûment. Mais ils vendaient très peu de livres, à l'époque ! La différence, c'est qu'on ne vous menaçait pas sans cesse de procès; en tout cas, on pouvait les gagner et, surtout, qu'on n'avait pas le sentiment de pécher contre la justice, l'humanité ou la planète, quand on était en désaccord avec la gauche. Ce sentiment du péché, c'est le génie de la gauche de vous le coller ! Aujourd'hui. on ose à peine ouvrir la bouche.

    Encore le péché appelle-t-il le pardon. Or, on a l'impression que nos politiques ont la manie de la repentance : il faudrait battre sa coulpe en permanence...

    Je suis d'accord pour dire qu'aujourd'hui, les politiques excitent les Français contre les Français. De Gaulle dont je parlais, a été haï, à droite connue à gauche. Il n'empêche qu'on s'inclinait devant cet homme, comme on pouvait s'incliner jadis devant nos souverains. On ne discutait pas la représentation de la patrie à travers de Gaulle. Aujourd'hui, on ne respecte plus la fonction présidentielle ni, d'ailleurs, les chefs d'entreprise qui font vivre ce pays !

    Vous évoquez les llussards. Voyez-vous une relève à ces impertinents ?

    Il y a encore, heureusement, des casseurs de tabous. je pense évidemment à Alain Finkielkraut, à Pascal Bruckner, à Luc Ferry ou même à Michel Onfray. À Zemmour aussi, même si je ne suis pas toujours d'accord avec lui. Il faudrait aussi citer Élisabeth Lévy, Denis Tillinac, Bruno de Cessole ou Fabrice Luchini. C'est pour cela que j'ai créé le prix oies Hussards, attribué à Sylvain Tesson cette année. Et ceux-là ont du succès de leur vivant ! C'est la preuve que les Français ne se satisfont pas du brouet médiatique, et c'est un signe d'espoir ! 

    Ravi de vous avoir rencontré, de Christian Millau, Éditions de Fallois, 360 pages, 22 €. 

    Propos recueillis par Fabrice Madouas et Marion Cazanove

     

  • SOCIETE • La France existe, je l'ai rencontrée

     

    Par Natacha Polony

    Et si, plus que les précédentes, les générations des moins de quarante ans ou tout juste quarante ans, étaient en recherche de racines, de terroirs, de traditions, de France historique et charnelle ? Presque jusqu'à la nostalgie, presque jusqu'à l'excès, sans-doute du fait des manques et des vices des temps qui courent, trop abstraits, virtuels, sans substance ? De même qu'une partie des plus jeunes opère un spectaculaire retour vers le religieux ou, mieux, vers le spirituel, que les plus âgés ont  délaissé ... Ces derniers feront bien de s'aviser de ces phénomènes bien réels qui signalent assez précisément en quoi nos sociétés ont failli. C'est ce que Natacha Polony relève ici, de façon, ma foi, fort juste et sympathique. Et qui rejoint Philippe de Villiers lorsqu'il signale que la crise que nous vivons n'est pas essentiellement politique, mais bien plutôt métapolitique.  C'est pourquoi nous apprécions les chroniques de Natacha Polony et y faisons souvent écho. LFAR  

                

    Elle avait si mal commencé, cette année 2015, dans l'horreur et les larmes. Et puis la suite, les autres attentats, les crises, la défiance. Et même ce retour, après les chaleurs estivales: le Thalys et la révélation de notre insupportable vulnérabilité; les images répétitives et insoutenables de ces foules d'hommes et de femmes rêvant d'un avenir et rencontrant l'incurie d'une Europe de petits gestionnaires et de grands financiers; le spectacle parallèle, enfin, des vaudevilles politiciens. Quoi, même les héros, quand ils se présentent chez nous, sont Américains ? Comme un symbole d'une France qu'on nous dit tous les jours trop petite, trop résignée, pas assez moderne, pas adaptée.

    La France existe, pourtant, envers et contre tout. Elle se perpétue. Loin des injonctions à l'efficacité gestionnaire, loin des reproches sur son modèle archaïque et son agriculture pas assez productive. Il suffisait d'aller à sa rencontre cet été pour trouver des gens qui, seuls, chaque jour, font leur 11 janvier et proclament leur attachement aux valeurs de ce pays. C'est ce restaurateur qui consacre dans ses assiettes écrevisses, grenouilles, foie gras en cocotte et pied de porc truffé, toute la mémoire gustative d'un paradis terrestre aujourd'hui malmené où l'on a fait du partage autour dela table un patrimoine si précieux que l'Unesco l'a jugé universel. Ce sont ces trois entreprises d'Aurillac qui se sont regroupées pour continuer, malgré la concurrence asiatique et le règne du jetable, à fabriquer en France des parapluies de qualité, de ces objets qui accompagnent une vie. C'est ce maire d'une petite ville touristique du Périgord qui s'est opposé farouchement à l'implantation d'une seconde grande surface dans sa périphérie et qui a sauvegardé son marché, ses commerces de centre-ville, toute cette vie sociale qui fait le dynamisme d'un pays.

    Ceux-là ne sont décorés d'aucune Légion d'honneur. Ils n'ont droit au statut ni de héros ni de victimes. Pas assez prestigieux, pas assez désespérés. Et pourtant, ils affrontent tous les obstacles, ils se lèvent tôt, ils travaillent dur, ils obtempèrent aux injonctions d'une administration qui invente des normes délirantes et endémiques. Il y a ce chef qui a dû équiper sa cuisine d'un plan de travail dernier cri, un «porte-avions» spécialement étudié pour réduire la « pénibilité » et dont les commis de cuisine se plaignent malgré tout d'un mal de dos, parce que toute douleur, tout effort est devenu insupportable. Il y a cet autre, harcelé pour avoir utilisé dans ses cuisines des légumes anciens, du potager de son père, non répertoriés au catalogue officiel, l'organe garantissant aux grands semenciers le monopole des graines et l'interdiction, pour les paysans, de perpétuer leur savoir-faire ancestral de sélectionneur du vivant. Il y a cet horticulteur à la retraite convoqué au tribunal pour travail dissimulé parce qu'il a donné un coup de main à son fils pour ramasser les pommes avant l'orage le jour d'un contrôle administratif. Pendant ce temps, les journaux nous vantent comme l'ultime modernité des dîners moyennant rémunération, organisés chez eux par des particuliers grâce à une application Internet. Pas de normes d'hygiène, pas de contrôle d'Urssaf… Non, c'est moderne, c'est libéral, c'est de la convivialité monnayée..

    Malgré tout, ce pays abrite des trésors d'enthousiasme et d'énergie. On y trouve des Français de tous horizons, mais attachés à transmettre par leur travail, leur savoir-faire les éléments les plus concret de ce qui constitue un modèle, une façon spécifique d'être au monde, faite d'intégration à une géographie, à un terroir, faite de plaisir et de culture plus que de rentabilité. On peut considérer que tout cela doit finir aux oubliettes de l'Histoire. On peut préférer les usines à viande allemandes où l'animal est mécanisé pour produire toujours plus et moins cher en ruinant le voisin. On peut préférer les parapluies chinois, si bon marché qu'il faudra en racheter à chaque bourrasque. Mais dans un monde où les tempêtes se multiplient, sentir sous ses doigts la chaleur et la solidité du manche en bois d'un parapluie, s'abriter sous les baleines solides et familières d'un vieux compagnon, en sachant que des gens, pas très loin, ont œuvré pour nous offrir les fruits d'un savoir-faire ancien, c'est préparer l'avenir avec bien plus de lucidité. 

    Natacha Polony   (Figarovox)

  • Ran Halevi : « Trump, par-delà la démagogie, l'expression d'une aspiration politique »

     

    Par Ran Halevi

    L'élection de Donald Trump comme candidat du Parti Républicain à l'élection présidentielle américaine est un événement politique de première importance.  Par ce qu'elle révèle de l'actuelle aspiration politique des peuples. Laquelle ? Ce que Régis Debray appelle « un ressourcement identitaire »*. Nous ne disons pas, ici, autre chose. [Cet article est paru sur Figarovox le 24.07]  LFAR

     

    C'est une première dans l'histoire de la démocratie américaine. Le Parti républicain vient d'introniser comme candidat à l'élection présidentielle de novembre un homme dépourvu de toute expérience politique, qui n'avait jamais figuré dans ses rangs, ne partageait pas son credo conservateur, le désavouait même publiquement pour en faire le ressort de son succès : il a tourné les électeurs républicains contre leurs élus, emporté 37 primaires et rallié 14 millions de voix, un record, en dégommant ses 16 concurrents et en ébranlant au passage les fondations du parti qui aujourd'hui le couronne.

    La nomination de Donald Trump est un événement politique de première importance, par ce qu'elle révèle des procédés, des passions, mais aussi des défaillances qui affectent aujourd'hui la marche de nos démocraties. Elle consacre le populisme d'un type nouveau, très mobilisateur et… passablement dépolitisé, où l'ignorance politique semble constituer un atout électoral. Voici un cas d'école sur l'efficacité des rhétoriques incendiaires, de l'aplomb démagogique, des outrances verbales, des mystifications et des promesses extravagantes, acclamées non parce qu'on les croit réalisables mais parce qu'on se plaît à les entendre exprimer.

    M. Trump ne s'embarrasse pas d'exhiber son ignorance encyclopédique, y compris de la Constitution des États-Unis, que, dans l'hypothèse de sa victoire, il prêtera serment de « préserver, protéger et défendre ». Le rapport très libre qu'il entretient avec la vérité, désormais abondamment documenté, est facilité par son indifférence assumée aux frontières qui séparent le vrai du faux - on ne compte plus les entreprises, au cours de sa longue carrière, qui n'aient entraîné des inculpations en raison d'engagements piétinés, de combinaisons frauduleuses, de manquements et de dérobades.

    La convention qui vient de s'achever à Cleveland aura été bien à son image. Improvisations, chahuts, fronde d'une minorité de délégués vite étouffée, huées à l'adresse des orateurs rétifs à clamer publiquement leur soutien, dissentiments sur des questions essentielles entre le candidatet son colistier… - le tout rythmé par une parade continue de narcissisme. Cette kermesse, boudée par deux anciens présidents, des ex-candidats à la Maison-Blanche et une brochette de gouverneurs, de sénateurs, de représentants, a vu, faute de mieux, défiler à la tribune ceux de la tribu Trump susceptibles de prononcer un discours. Celui de l'épouse ayant révélé quelques surprenantes similitudes avec l'allocution de Mme Obama à la convention démocrate de 2008, le conseiller en chef de M. Trump criait au complot, aussitôt attribué à… Hillary Clinton.

    Le prodigieux exploit de Donald Trump représente un défi vivant à la science politique. À sa devise conquérante - « rétablir la grandeur de l'Amérique » - répond en écho le tableau apocalyptique d'un pays cassé, sapé par l'immigration, rongé par le crime et assiégé de périls. L'Amérique d'aujourd'hui est plus prospère et paisible qu'elle n'a jamais été : la Bourse bat des records, le chômage baisse, les violences urbaines reculent même si elles restent spectaculaires, les salaires modestes commencent à décoller… Pourtant, les Américains sont comme happés par une morosité nationale - le pressentiment d'une perte de repères, d'une dérive des institutions, de menaces imminentes, qu'entretient et aggrave une polarisation politique endémique.

    Ce malaise, qui ne se limite pas à la seule Amérique, renvoie, on le sait, aux sentiments de précarité économique et de dépossession identitaire produits par la mondialisation et les mouvements migratoires incontrôlés. Mais il s'alimente à d'autres sources encore. Nos démocraties sont devenues le théâtre d'un vent insurrectionnel, démultiplié par les réseaux sociaux, contre les autorités traditionnelles. L'usure et le discrédit des « élites » tendent à exacerber une forme de nihilisme politique, fait de rage, de frustrations, de peurs, dont M. Trump est à la fois le symptôme et le bénéficiaire.

    Le vrai ressort de cette insurrection est un puissant besoin de nation, si obstinément nié, tenu en suspicion, ringardisé - cette idée, pourtant triviale, longtemps abandonnée aux tribuns populistes, qu'une communauté nationale a le droit, et le devoir,de mettre en avant les intérêts et les valeurs des siens et de préserver l'intégrité culturelle de son être ensemble.

    Donald Trump l'avait compris avec un instinct infaillible. « Les gens veulent apercevoir des frontières », a-t-il récemment déclaré. Toute sa campagne, aussi incohérente qu'elle ait été par ailleurs, exploitait sans vergogne la question nationale, pendant que les caciques du Parti républicain continuaient à dénoncer l'« obamacare », le trop d'État, la protection sociale, en voyant les primaires leur échapper régulièrement. Ils paient aujourd'hui le prix des chimères idéologiques que leur propre électorat a congédié dans les urnes. Les voici contraints soit à soutenir cet encombrant intrus soit à le désavouer, deux manières d'attester le naufrage d'un parti aujourd'hui fracturé et exsangue.

    La seule chose qui lie M. Trump à l'establishment républicain est une hostilité partagée envers Hillary Clinton. Ce n'est pas, certes, un programme électoral, mais les sondages les plus récents les portent, à défaut de s'entendre, à tout miser sur cette cible : la cote de Mme Clinton continue de baisser et l'avance qu'elle conserve sur son adversaire républicain est trop ténue pour autoriser un pronostic.

    Quant à savoir ce que peut donner l'accession d'un Donald Trumpà la magistrature suprême du plus puissant État de la planète, personne ne peut prétendre en avoir une idée claire, à commencer par l'intéressé. 

    Ran Halevi

    Ran Halevi est directeur de recherche au CNRS et professeur au Centre de recherches politiques Raymond-Aron.

    * A voir dans Lafautearousseau ...

       Régis Debray est il réactionnaire ? Débat avec Alain Finkielkraut

  • Robert Redeker : « Le terrorisme islamiste s'épanouit grâce à la mauvaise conscience de la France »

     

    Par Robert Redeker

    Depuis les années 1980, la peur panique de paraître « méchants » a conduit les Français à tout accepter, y compris l'inacceptable : C'est ce que Robert Redeker expose dans cet entretien donné au Figaro [27.07] et dont nous partageons les analyses. A une exception près : pour nous, « les vrais valeurs républicaines » ne sont pas celles qui peuvent nous faire renouer avec notre passé, notre culture, notre identité, nos racines. La République s'est fondée sur leur négation. Elle les a toujours combattues, jusqu'à aujourd'hui, inclus. Ce qui, d'ailleurs, nous paraît rendre ce régime incapable de lutter en profondeur contre tout ce qui nous détruit. Le terrorisme, bien-sûr, mais pas seulement ...  LFAR   

     

    XVM89cc2068-5354-11e6-b7bb-2c1e9cbaa47d.jpgQue vous inspire l'assassinat du prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray ?

    Cet attentat contre une église est un message adressé aux chrétiens par les islamistes. Ils aimeraient voir la France ressembler à la Syrie et à l'Irak, où les chrétiens sont victimes d'un quasi-génocide. Le plus odieux est que l'idéologie islamiste cherche à faire croire que ce sont les musulmans qui sont persécutés partout dans le monde, que ce sont eux les victimes par définition. Mais la réalité géopolitique est bien différente. Cette vérité planétaire atteint maintenant la France aussi. Et pourtant, le déni continue : à chaque fois que c'est possible, le gouvernement et de nombreux médias disculpent l'islamisme de ces attentats en réduisant les terroristes à des catégories psychiatriques (les «déséquilibrés»). Un habitant de la planète Sirius qui écouterait les radios et regarderait les télévisions françaises finirait par se persuader que la France est victime d'un terrorisme tout à fait particulier, qu'elle est en proie à une vague de terrorisme psychiatrique, un terrorisme de psychopathes. Souvent, cet habitant de Sirius pourrait même ignorer que le terrorisme qui ensanglante la France se réfère à l'islam.

    Que pensez de l'action du gouvernement contre le djihadisme depuis les attentats de janvier 2015 ?

    Un ministre de l'Intérieur confronté à un tel bilan devrait démissionner. Le gouvernement de Manuel Valls use du vocabulaire de la guerre sans mener la guerre. Prenons un exemple. Si nous sommes en guerre, les milliers de jeunes Français qui s'enrôlent dans les rangs de l'État islamique en Syrie et en Irak, qui prennent les armes contre leur propre patrie, qui tuent des civils sont des traîtres. Or, il est question de les mettre dans des « centres de déradicalisation ». Par conséquent, pour le gouvernement comme pour l'idéologie dominante dans les médias, les Français partis en Syrie et en Irak ne sont pas des traîtres, ce sont des «radicalisés»! Chacun se souvient du fatalisme de François Mitterrand le 14 juillet 1993 sur la question du chômage: « Contre le chômage, on a tout essayé », déclara-t-il ce jour-là. Habituez-vous au chômage, nous n'y pouvons plus grand-chose, telle semblait sa pensée! François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve étendent le fatalisme économique de Mitterrand à la sécurité: habituez-vous aux attentats comme vous vous êtes habitués jadis au chômage, paraissent-ils nous dire.

    Ne faut-il pas faire au moins crédit à l'exécutif de l'extrême difficulté de sa tâche ?

    François Hollande est l'homme politique le plus méprisé de toute l'histoire de la Ve République. Plus aucun Français ne l'écoute sérieusement. Il a annoncé la fin de l'état d'urgence le 14 juillet à 12 heures et a annoncé sa prolongation à 23 heures après l'attentat de Nice ! Cependant, la droite parlementaire aurait tort de se réjouir de cette situation. Elle a les mêmes habitudes, et souffre du même discrédit - quelques mois après son retour aux affaires, elle serait vraisemblablement dans le même état que la gauche aujourd'hui.

    Qu'est-ce qui, selon vous, fait défaut aux plus hautes autorités de l'État : la lucidité ? Le caractère ? L'esprit de suite ?

    La nécessité de combattre le terrorisme islamiste se heurte à une barrière idéologique: le refus de considérer que l'islamisme est une des versions de l'islam. Un écrivain comme Boualem Sansal, qui est mon ami, pense ce lien. Il faut aider les musulmans à guérir « la maladie»  - je reprends le vocabulaire d'Abdelwahab Meddeb - qui gangrène l'islam, et dont le nom est islamisme. Sophistes et tentateurs, les prédicateurs islamistes parlent une langue et utilisent des images qui sont familières à tout musulman - afin de tromper ces musulmans. De surcroît, le projet des islamistes est favorisé par le climat intellectuel qui a triomphé en France depuis les années 1980. Les vraies valeurs républicaines - expression dont on se gargarise pour faire oublier leur disparition - ont été abandonnées au nom d'un culte fétichiste de l'Étranger, de l'Autre, du Différent, qui a toujours raison. Derrière ce culte se cachent la haine de soi et la repentance. La destruction de l'école est une des causes de notre drame car elle sépare le peuple français de son passé, de sa langue et de sa culture. On enseigne aux enfants de l'immigration que nous, Français, sommes des croisés, des esclavagistes, des colonisateurs, coupables et méprisables. Sous couvert du respect de la différence, l'aversion de ce qui est français, européen et occidental domine. En justifiant le rejet de la France et de sa culture, l'école a créé et fertilise le terreau psychologique sur lequel l'islamisme peut se développer et prospérer sans obstacle. 

    * Le prochain ouvrage de Robert Redeker, L'École fantôme, paraîtra aux éditions du Rocher en septembre.

    Robert Redeker           

  • Yvan Blot : « Les terroristes potentiels sont très nombreux »

     

    par Ludovic Greiling

     

    1067266642.jpgRécent retraité de l’Inspection générale au ministère de l’Intérieur, Ivan Blot se consacre aujourd’hui à l’écriture. Dans Le terrorisme islamiste, une menace révolutionnaire *, il développe une analyse originale de ce phénomène, tirée de son expérience.

    Dans votre dernier livre, vous définissez le terrorisme islamiste comme un nouveau mouvement révolutionnaire, à l’instar du bolchévisme ou de la Terreur de 1793. Le jihad guerrier n’est-il pas consubstantiel à l’islam ?

    Je pense que n’importe quelle idéologie peut subir une mutation et devenir révolutionnaire. Regardez le socialisme : à la base, ce n’est pas un mouvement meurtrier. Le racialisme également était très développé au XIXe siècle et il ne donnait pas lieu à des violences. C’est la forme révolutionnaire de ces idéologies qui est meurtrière. Si l’islam contient des germes de violence que l’on retrouve aisément dans ses textes, c’est sa mue révolutionnaire intervenue dans les années 50 qui explique le terrorisme actuel. Quand je travaillais au ministère de l’Intérieur, j’ai été amené à m’intéresser à deux intellectuels musulmans qui étaient souvent cités par des personnages comme Oussama Ben Laden. L’un, le Pakistanais Al Mawdudi, mort en 1979, est le premier islamiste du XIXe siècle à prôner le retour au jihad pour réaliser une révolution islamique intégrale ; il utilise le terme « révolutionnaire » dans ses écrits. L’autre, l’égyptien Sayyid Qutb, membre de la confrérie des Frères musulmans qui a eu une influence énorme, interprète également tout le Coran dans un sens violent et totalitaire.

    Nous venons de subir deux massacres en plein Paris. Vous affirmez pourtant dans votre livre que les services français travaillent efficacement contre la menace islamiste…

    Il faut comprendre que, depuis près de dix ans, nous arrêtons en moyenne une fois par mois des préparatifs d’attaques majeures comme celle du Bataclan. Ces opérations ont été démantelées par nos services et ont valu à leurs auteurs d’être condamnés par la justice. Cependant, mis à part le projet d’attentat à la cathédrale de Strasbourg qui a été médiatisé, le reste est en général caché par nos gouvernants. En outre, il faut ajouter toutes les mesures de prévention – fouilles dans les aéroport, plan Vigipirate, etc. – qui ont découragé bien des velléités.

    Combien de personnes ont été condamnées en France pour avoir participé à de tels projets ?

    Plusieurs milliers… La loi antiterroriste de 1986, qui a été amendée depuis, permet d’arrêter avant un attentat les personnes ayant un lien avec une activité présumée terroriste, sans qu’elles aient encore commis la moindre action. Ces personnes font de la prison, certaines en ressortent, on les suit un peu puis c’est terminé. C’est pourquoi nous avons parfois de mauvaises surprises, comme l’assassinat récent d’un couple de policiers par un islamiste.

    Le premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve préviennent désormais que d’autres attentats sont possibles. Cela paraît contre-productif sur le plan électoral. Comment l’expliquez-vous ?

    Je suppose que leurs services doivent leur dire qu’ils ne peuvent plus suivre tout le monde. Ils sont prévenus et ils ne veulent pas paraître stupides s’il y a de nouvelles attaques. La situation est grave. Les terroristes potentiels deviennent très nombreux. Et ils sont soutenus activement ou passivement par une large partie des populations immigrées. Je vous donne un exemple : la police commande aussi des sondages à des instituts spécialisés afin de tâter le pouls de la population. Les résultats ne sont pas rendus publics, mais ils sont parfois épouvantables. Par exemple, un nombre important des musulmans de France approuvent le terrorisme islamiste. Cela ne veut pas dire qu’ils vont devenir terroristes eux-mêmes, mais cela signifie qu’il existe une vaste complicité passive ou active.

    Ces chiffres sont impressionnants. Ils mettent en exergue l’inaction de nos gouvernements face aux flux migratoires. Ils sont pourtant prévenus des conséquences potentielles. Comment expliquer un tel laisser-faire ?

    Je pense qu’il existe une peur des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déjà condamné la France. On peut aussi mettre en avant le respect de certains traités internationaux que nous avons signés, mais aussi la crainte d’être traité de raciste. Quand le scandale de l’embauche d’islamistes dans une centrale nucléaire belge avait été révélé, on m’avait expliqué la raison : c’était la crainte d’être pointé du doigt pour discrimination qui avait guidé les décisions des recruteurs. Et puis il existe un état d’esprit général qui terrifie nos hommes politiques. Pour tarir les flux, il faudrait parfois faire l’usage de la force ; nos responsables sont très loin de l’envisager.

    Faisant valoir le principe de précaution, un nombre croissant d’observateurs affirment qu’il faudrait remigrer dans leurs pays d’origine une partie des populations musulmanes présentes en Europe. Qu’en pensez-vous ?

    Des politiques de remigration auraient pour effet de réduire la menace. Il est bien évident que s’il n’existe pas de terrorisme islamiste en Pologne ou au Japon, c’est en raison de l’absence des populations à risque. On peut ajouter que c’est en premier lieu auprès de ces populations à risque que nos services secrets travaillent pour contrer la menace terroriste.

    Pour contrer le terrorisme islamiste, vous évoquez également des mesures dites positives. Pouvez-vous les décrire ?

    La répression est nécessaire. Mais il faut aussi supprimer les terrains favorables à l’émergence de l’islamisme. Je vois pour cela quatre volets aux conséquences différentes. Le premier, c’est une éducation patriotique et l’enseignement solide de l’histoire de France. Je prends pour exemple ce qui se fait en Russie, avec succès, malgré l’importance des minorités musulmanes qui y vivent. Le second volet, c’est le rétablissement du service militaire, avec l’éducation et l’éthique dont il est porteur. La troisième proposition concerne le rétablissement d’une garde nationale, fondée sous les rois de France et supprimée en 1871 ; cette dernière serait triée sur le volet et permettrait aux citoyens de participer à la défense des frontières et de l’ordre public. Enfin, le dernier volet est diplomatique : il est temps de se mettre d’accord sur une politique antiterroriste au niveau international. Visiblement, l’OTAN et les états-Unis ne le veulent pas. L’organisation militaire vient ainsi de désigner la Russie comme son ennemi n°1, plutôt que l’état islamique ! 

    etiquette-blot-terrorisme.pngLe terrorisme islamiste, une menace révolutionnaire, d'Yvan Blot, Apopsix, 246 pages, 18 €

    A propos de l'auteur :

    Ivan BLOT, docteur ès sciences économiques, ancien élève de l'ENA, ancien député et inspecteur général honoraire au Ministère de l'Intérieur. Il est membre du Comité des experts du Centre d'analyse Rethinking Russia à Moscou et du Club de Discussion de Valdaï.  

    Repris du numéro de juillet - Août de Politique magazine > Commander ici !

  • Pour une réaction de fond !

     

    Publié le 15.11.2015, à la suite des tueries du 13 - Actualisé le 18.07.2016

     

    Hormis la vision concrète de l'horreur, la vague terroriste qui vient de submerger Paris ne nous a rien appris que nous ne sachions déjà. Rien, ni sur le nombre des victimes, ni sur le mode opératoire des terroristes, qui n'ait été prévu, analysé, annoncé. L'on savait que de nouveaux attentats se préparaient. On le sait aujourd'hui aussi pour demain, ou après-demain... Qu'ils puissent prendre une encore plus grande ampleur, mettre en œuvre des moyens plus terrifiants encore que ceux utilisés hier, on le sait aussi. Et que cette guerre, fût-elle asymétrique, ou précisément parce qu'elle l'est, soit faite pour durer, qu'elle ait la possibilité d'enrôler pendant longtemps encore de nouveaux combattants à travers le vaste monde islamique, qu'elle puisse donc s'étaler sur plusieurs décennies, n'est hélas pas une hypothèse absurde.

    La France est-elle humainement, moralement, intellectuellement, techniquement, militairement et politiquement - nous voulons dire institutionnellement - armée, pour la mener, la soutenir, y triompher ? Comment ne pas se poser ces questions de fond lorsqu'on observe la société française, la vie politique française ? C'est à dire, en bref, lorsqu'on constate notre extrême fragilité ? Quelques jours de sursaut, quelques discours martiaux, lorsque tout semble s'effondrer, ne peuvent cacher le vide sidéral du continuum politique et social français.

    Si l'on n'a pas conscience de cette question de fond, rien n'est possible. On pourra toujours attendre et réclamer de nos dirigeants des actes forts, un regain d'autorité, une inflexion majeure de notre politique étrangère, ou de notre politique d'immigration, comme Nicolas Sarkozy l'a fait hier matin, le passage à l'acte se fera attendre, sera d'apparence, sera fait de demi-mesures.

    Réclamons donc sans illusion cette réaction de l'immédiat. Acceptons-en l'augure improbable. Tout ce qui pourra être décidé de positif pour la sécurité de la France et des Français sera malgré tout bon à prendre.

    Mais tentons surtout d'envisager ce que pourrait, devrait être une réaction de fond. Sur le double plan moral et politique.

    Au lendemain des attentats de janvier, la préoccupation du pays légal tout entier - politique et médiatique - fut d'abord de préserver la communauté musulmane de toute réaction hostile. On s'est dits Charlie et l'on ne s'est pas battu pour la France, pour le peuple français, mais pour une très contestable et, au sens plein, dérisoire liberté d'expression. La réaction nationale qui était possible fut ainsi fourvoyée. Ce fut l'esprit Terra Nova qui nous a valu presque un an de matraquage permanent, multiculturaliste, universaliste, antiraciste (c'est à dire anti-blancs), immigrationniste, sansfrontiériste, etc. Ce corpus idéologique, utopique et destructeur, où l'identité nationale est moquée, la fierté nationale tournée en ridicule, l'Histoire de France oubliée, la repentance, la culpabilisation érigées en méthode pédagogique, ce corpus idéologique omniprésent doit être pourchassé, combattu, abandonné, si l'on veut avoir quelque chance de gagner la guerre qui nous est faite. On ne mène pas à la bataille, encore moins à la victoire, un pays dont on sape le moral, les racines, la fierté, l'identité. Nous savons que toute identité évolue, s'approprie, s'enrichit d'apports extérieurs pour les incorporer à ce qu'elle a de substantiel et de pérenne. Il sera temps, secondairement, de chanter les louanges des dits apports extérieurs. L'urgence est aujourd'hui, prioritairement, de rendre aux Français le sens et la fierté de leur identité pérenne. Ce pourrait être la mission, d'ailleurs déjà heureusement entreprise, de ce courant d'intellectuels qui s'opposent aujourd'hui avec  pertinence - mais encore trop faiblement - à la déconstruction du pays, de sa culture, de son essence. Nous pensons en particulier à ce courant de journalistes, écrivains, historiens, universitaires et politiques, que l'on nomme néo-réacs ou néo-conservateurs.  De nombreux Français, aujourd'hui, attendent beaucoup de leur action.   

    Au delà de la lutte idéologique pour le moral français, pour l'identité française, la seconde question essentielle qui se pose est celle de la validité ou non de notre Système politique et institutionnel, de son adaptation ou inadaptation aux temps dangereux dans lesquels nous sommes entrés. Quelques jours d'union nationale cèderont vite la place dans le monde politicien aux obsessions électorales, à l'esprit de parti. Aux grands enjeux nationaux, oubliés aussitôt le danger passé, vite oublié lui aussi, succèdera l'obsession des échéances électorales, les régionales, qu'elles aient lieu ou non à la date prévue, la présidentielle de 2017 et, pourquoi pas ?, de 2022. L'existence de la nation se retrouvera sacrifiée aux intérêts de parti et à l'ambition des personnes. L'activité politique se ramènera à leurs jeux et à leurs luttes. La question du régime a été posée à de multiples reprises ces derniers mois dans la presse, dans le débat public. Par de nombreuses personnalités. Y compris par un ministre de la République en exercice. L'un des principaux. Le plus jeune et le plus brillant. Oui, notre devoir de Français responsables est de poser, de rouvrir la question du régime qu'il faudrait à la France.

    C'est cela qu'en d'autres temps eût proposé la grande voix de l'Action Française. C'est cela qu'à notre plus modeste échelle, nous proposons aujourd'hui.

     

    Lafautearousseau

  • En finir avec le règne du hashtag mobilisateur et de la résonance émotionnelle

     

    Par Anne-Sophie Letac

    Une très belle réflexion, dans une tribune d'hier sur Figarovox, qui confirme en termes vivants et avec profondeur ce que nous-mêmes écrivions ce 18 juillet. Anne-Sophie Letac y constate que les médias en général et davantage encore les réseaux sociaux servent de caisse de résonance aux attentats. Le risque est alors grand de suivre la « voie étroite et faussement vertueuse de l'indignation et de l'émotion collective ». Nous n'avons rien à ajouter à cette très exacte analyse.  LFAR   

             

    duel_2.jpgEn 1973, le premier film de Steven Spielberg, le thriller allégorique Duel, mettait en scène un camion semi-remorque personnifié par ses gros phares globuleux, qui poursuivait sans visage ni raison la voiture d'un voyageur de commerce au nom métaphorique, David Mann, afin de l'écraser. Mann, l'Homme, faible et sans défense, se trouvait confronté à une version déshumanisée et arbitraire du mal, dont il finissait par triompher dans une confrontation directe avec la machine, le David à la petite voiture rouge acceptant le duel et projetant dans l'abîme le Goliath de tôle et d'acier. Dans l'attaque terroriste de Nice, le camion criblé de balles et l'homme abattu ne sont en revanche qu'un triomphe piteux sur la machine aveugle, puisque le camion frigorifique, version quatre saisons et maraîchage niçois de Duel, lancé par la volonté démoniaque d'un conducteur parfaitement identifié, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, a réussi à broyer les os de 84 êtres humains. Pourtant, Duel a quelque chose à voir avec cette épouvante. Le choix du camion relève certes en partie d'un terrorisme «artisanal», d'une réponse à l'injonction de l'Etat islamique de tuer les «méchants et sales Français» de « n'importe quelle manière », y compris en les égorgeant au couteau ou en les écrasant en voiture. Mais sa transformation en machine de mort prouve aussi que le terrorisme islamiste appartient pleinement à la civilisation technologique et déshumanisante que dénonçaient Spielberg dans Duel ou Georges Lucas dans l'un de ses premiers films, THX1138. La machine porteuse de progrès retournée contre l'homme, voici ce qu'incarne l'attentat de Nice.

    Si la technologie nourrit généreusement le terrorisme, celui-ci est aussi enkysté comme un parasite dans une civilisation de l'image dont nous maîtrisons aussi mal les conséquences que celles du nucléaire. L'attentat terroriste est conçu pour être vu et filmé, ou du moins pour que ses effets le soient, et nous obéissons docilement à cette injonction implicite. Les journaux sont pleins d'images de badauds qui « smartphonent » l'horreur. Le téléphone qui filme un être humain en train de mourir ou une panique de rue pose la question morale de l'obscénité du geste, la question juridique de la non-assistance à personne en danger, mais aussi plus froidement la question de la complicité inconsciente de toute une civilisation. Le rituel d'après attentat est sinistrement bien rodé : les réseaux sociaux transmettent rapidement les informations, partagent les vidéos amateurs, les avis de recherche et autres safety check, laissant les médias traditionnels pédaler derrière. L'onde de choc se propage, générant l'effroi et son corollaire, l'empathie, la résonance compassionnelle, le règne du hashtag mobilisateur.

    En effet, la compassion est mise en scène selon un rituel qui crée, à peine les traces de sang effacées, des lieux de mémoire instantanés. L'émotion collective est canalisée par des fleurs et des bougies, des cellules psychologiques, des marches blanches. L'exigence d'immédiateté conduit au pire : les journalistes interviewent des gens qui viennent de perdre leur enfant, on emploie l'horrifiante expression « commencer à faire son deuil » associée à « se reconstruire » quelques heures après le drame, ou celui de « tragédie » (qui renvoie à une situation indépendante de la volonté humaine) au lieu de l'approprié « crime de masse ». De manière révélatrice, on confond systématiquement le choc immédiat et le traumatisme, syndrome de longue durée et imperceptible dans l'instant. Parce que c'est télégénique, les victimes se doivent d'être immédiatement « traumatisées », alors que le vrai traumatisme ne survient, que le vrai deuil ne se vit, on le sait fort bien, que des mois plus tard, dans l'indifférence générale. L'obscénité des intérêts financiers est à peine masquée : un représentant des hôteliers de Nice affirme ainsi que continuer à faire du tourisme est un acte citoyen, des experts psychiatres crédibilisent l'inanité de l'analyse instantanée. Les grandes chaînes d'information bavardent, relayant sans filtre le frère tunisien qui dédouane le meurtrier, les voisins plus sceptiques mais pas plus crédibles, ou l'avocat de l'épouse commis d'office pour la défendre.

    L'omniprésence de l'image, la cacophonie de la parole nous intiment de regarder l'événement comme on visionnerait un film d'horreur, et de le mettre à distance aussi rapidement qu'il nous a été présenté. Il ne nous laisse, si nous ne nous en défendons pas, que la voie étroite et faussement vertueuse de l'indignation et de l'émotion collective. Assuré que l'indignation est « unanime », que l'hommage est « pudique », que les badauds sont « bouleversés » et que la terreur « n'épargne pas ceux qui l'ont côtoyée » (sic), le spectateur flotte dans une téléréalité impitoyable qui empêche de nommer l'ennemi. Ainsi, encore plus téléréel que nous, encore plus immédiat, vient d'apparaître sans crier gare le fast muslim, le radicalisé à grande vitesse, qui à peine la dernière pute baisée et le dernier verre avalé, rachète instantanément sa vie par un meurtre de masse. 

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    Anne-Sophie Letac

    Agrégée d'histoire, ancienne élève de l'Ecole normale supérieure, Anne-Sophie Letac enseigne la géopolitique en classes préparatoires au Lycée Lavoisier et à Intégrale. Elle anime le blog La passoire et les nouilles et tient une chronique sur FigaroVox.      

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    Il faut en finir avec les pleurs, les fleurs, les peluches, les bougies et mobiliser la nation pour la lutte !

  • Société • Cohn-Bendit, disciple de Rivarol ?

     

    Cette question en apparence incongrue, Georges Michel l'a posée assez judicieusement dans un intéressant billet de Boulevard Voltaire [5.07] qui a le double mérite de susciter la réflexion et de nous rappeler la grande figure de Rivarol. Cohn-Bendit a gardé du trotskysme et de la foi révolutionnaire de sa jeunesse, le culte des élites conscientes, des forces révolutionnaires comme fer de lance et surtout guides des peuples attardés. Il est bien vrai que les peuples n'ont pas toujours raison, que comme le dit Steiner, « la démocratie, ça vous donne aussi Adolf Hitler.» Mais Cohn-Bendit oublie de relever que les élites trahissent plus souvent la destinée, les intérêts d'un peuple que ce peuple lui-même. Et c'est éminemment le cas des élites dévoyées d'aujourd'hui. On sait que, pour nous, le dilemme insuffisance politique des peuples - désintérêt des élites pour la communauté historique dont elles procèdent - se résout assez bien par la monarchie royale qui lie une famille-chef à la destinée politique de tous.  LFAR   

     

    865f954cd878d7db6568a7a2f493cb71.jpeg.jpg« Quelle haine, quelle rage de la part des européistes. Merci, mes chers amis, de montrer votre vrai visage. Au lendemain du Brexit, j’avais fait une conférence de presse en disant aux Français : écoutez-les bien, regardez-les bien dans les jours qui viennent et vous verrez, alors, le vrai visage de l’Union européenne et de ses défenseurs. » C’est par ces paroles que Marine Le Pen s’adressait à ses collègues du Parlement européen mardi 5 juillet.

    Quelle haine, quelle rage, effectivement ! Le même jour, Daniel Cohn-Bendit, invité de la matinale de France Inter, n’y est pas allé par quatre chemins : « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison », phrase qui pourrait devenir culte et n’est pas sans rappeler celle-ci : « Lorsque le peuple est roi, la populace est reine. » On la prête souvent à Talleyrand, mais elle serait de Rivarol, répondant à Mirabeau pour qui « la souveraineté ne pouvant être que dans la volonté générale, le peuple seul était roi ».

    Cohn-Bendit, disciple d’Antoine Rivarol, le pamphlétaire royaliste, mort en exil à… Berlin en 1801 ? Je n’irai pas jusque-là, mais avouez qu’il y a des similitudes étranges. Rivarol était un esprit brillant, aimant fréquenter les salons, polémiste en diable, doté d’une facilité rare d’élocution. « Il avait de l’ambition sous un air de paresse », écrivait Sainte-Beuve à son propos. Ne pourrait-on pas, en effet, reprendre cette description pour notre Dany multinational ?

    « Il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison. » Par cette phrase, Daniel Cohn-Bendit, député européen durant 20 ans (de 1994 à 2014), défenseur inconditionnel de l’Union, en révèle ainsi le vrai visage : celle d’une construction hors-sol aux mains d’une élite apatride s’estimant au-dessus des peuples. La souveraineté résida, durant des siècles, en la personne du monarque. Puis vint le temps du peuple souverain. « La rue est son palais ; une borne son trône. Son sceptre est une torche ; un bonnet sa couronne », écrivait Rivarol. Cohn-Bendit le dit un peu différemment en évoquant les pires heures de notre histoire : « Quand un peuple vote pour l’extrême droite, quand un peuple vote pour le nazisme, il n’a pas raison. Même si c’est le peuple. »

    a-list-of-famous-antoine-de-rivarol-quotes-u4.jpgTout comme Rivarol (le style en moins), Cohn-Bendit n’a jamais fait dans la nuance, et enchaîner sur la faute du peuple britannique, après cette évocation du nazisme, il fallait quand même oser : « Et quand les Anglais savent qu’ils se sont trompés, le peuple anglais a voté à 52 % pour le Brexit, maintenant 10 à 20 % des Brexitiens, ils le regrettent. Donc, faisons attention avec ces arguments d’un Montebourg complètement crétin contre les peuples… »

    Cohn-Bendit, les années et les kilos en plus, retrouve sa rage adolescente, non plus pour mettre à bas la société bourgeoise dont il a tant profité sa vie durant, mais pour défendre l’Union, cette sorte de cité aristocratique qui se vengerait à la fois des peuples et des monarques. C’est là, peut-être, que l’on arrêtera la comparaison, que d’aucuns trouveront incongrue, entre Dany le Rouge et Rivarol le Blanc.

    Cohn-Bendit va même jusqu’à proposer des listes « transeuropéennes » dans un collège unique de l’Union européenne pour les prochaines élections européennes. Les peuples disent plus de nations ? Eh bien, Cohn-Bendit répond : plus d’Europe ! Il crachera sa dernière dent avec ce mot dans la bouche, peut-être à Berlin. Quelle haine, quelle rage ! 

    Colonel à la retraite
  • Barroso chez Goldman Sachs : l'arrogance de l'Europe d'en haut envers l'Europe d'en bas

     

    Par Maxime Tandonnet

    L'entrée de José Manuel Barroso chez Goldman Sachs a déclenché une vaste polémique. Maxime Tandonnet montre comment cette nomination va renforcer le sentiment de défiance des peuples européens vis à vis de l'UE [Figarovox 11.07]. Mais, bien plus, il en conclut : « Aujourd'hui, rien ne permet de penser que l'Union européenne y survivra. » Point de vue partagé par Lafautearousseau.    

      

    1955827291.jpg« José Manuel Barroso va apporter une analyse et une expérience immense à Goldman Sachs ». Le recrutement de l'ancien président de la Commission européenne par la banque d'affaires américaine et son communiqué dithyrambique, illustrent le drame de la vie publique sur le vieux continent. Il symbolise la coupure et l'incommunicabilité entre deux mondes, celui des élites dirigeantes et celui des peuples. La banque d'affaires et M. Barroso donnent le sentiment d'avoir concocté leur accord sans la moindre idée de son effet dévastateur sur les opinions publiques. L'Europe officielle ne cesse de fustiger le « populisme » croissant des peuples du vieux continent. Pourtant, ce pacte ne fait que le nourrir et l'amplifier. L'embauche de l'ex-président de la Commission paraît destinée à conforter le reproche permanent qui est fait aux institutions de l'Europe : celui de leur connivence avec la finance mondiale. Elle fournit du pain béni aux formations qualifiées de populistes, de droite comme de gauche, qui triomphent en ce moment dans les sondages et pensent tenir aujourd'hui la preuve de leur accusation : « l'Union européenne, vulgaire succursale de la pieuvre financière ». L'arrivée de M. Barroso au poste de « directeur non exécutif » de Goldman Sachs donne le sentiment de tomber à point pour justifier l'accusation de complicité entre Bruxelles et l'Argent. Le symbole est dévastateur. Il donne une image d'arrogance de l'Europe d'en haut envers l'Europe d'en bas.

    Les années Barroso, de 2004 à 2014,ont été particulièrement sombres pour le projet européen. Elles ont été marquées par le rejet franc et massif par les peuples français et hollandais d'une Constitution européenne jugée bureaucratique et anti-démocratique. Ces années ont été celles d'une épouvantable crise financière et économique, qui s'est traduite par l'explosion du chômage dans toute l'Europe de 2008 à 2011, dont le secteur bancaire est tenu pour le premier responsable. Elles ont vu la Grèce plonger dans la misère, l'humiliation, la dépendance financière et une profonde fracture se creuser entre l'Europe du Nord et l'Europe du Sud. Puis, la crise des migrants s'est déclenchée en 2011 à la suite des « printemps arabes » et de la déstabilisation de la rive Sud de Méditerranée, ne cessant de s'amplifier jusqu'à son paroxysme de 2015, dans l'impuissance absolue d'une Union européenne engluée dans ses dogmes et son incapacité à développer une volonté politique commune pour frapper les passeurs esclavagistes.

    La banque d'affaire prête à l'ex-président de la Commission « une profonde compréhension de l'Europe ». Ces mots, au regard du bilan des années Barroso, exhalent un parfum d'ironie. D'ailleurs, l'hypocrisie suinte de ce pantouflage au sommet, que le nouveau « directeur non exécutif » justifie par l'engagement de Goldman Sachs en faveur des « plus hauts principes éthiques ».

    La nouvelle du recrutement de M. Barroso par la banque d'affaire américaine intervient à un moment dramatique pour l'Europe, ébranlée par le Brexit. Aujourd'hui, rien ne permet de penser que l'Union européenne y survivra. Les années Barroso ont précipité le basculement de l'Europe en une zone d'influence prépondérante de l'Allemagne, sur le plan économique et politique, comme l'a souligné l'emprise de la chancelière Merkel sur la gestion de la crise des migrants. Le projet européen, fondé sur une « union toujours plus étroite entre les peuples » et « l'égalité des Etats devant les traités » (article 4) a été frappé au coeur. 61% des Français, 48 % des Britanniques, Allemands, Espagnols ont désormais une image négative de l'Union (Pew research center juin 2016). L'Europe est-elle concevable à terme dans le rejet de ses peuples ? Pour reprendre la formule de Jean Monnet, le recrutement de M. Barroso par la Goldman Sachs constitue un « petit pas » supplémentaire dans la destruction de l'idéal européen.   

     Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.

    Maxime Tandonnet           

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