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  • Anniversaire du traité de Rome : « L'Union européenne telle que nous la connaissons est en fin de vie. »

     

    A l'occasion de l'anniversaire du Traité de Rome, Alexandre Devecchio a réalisé ce Grand Entretien avec Coralie Delaume et David Cayla, qui font le point sur l'Union européenne [Figarovox, 24.03]. Telle que nous la connaissons, elle est, selon eux, en fin de vie. Ce qu'ils démontrent au fil d'une analyse serrée, minutieuse et documentée qui intéresse les patriotes français, amis d'une Europe réelle non idéologique. Dont nous sommes.  Lafautearousseau

     

    Ce 25 mars marque le soixantième anniversaire du traité de Rome, acte de naissance symbolique de l'Union européenne. Quel bilan tirez-vous de soixante de construction européenne ?

    Un bilan assez calamiteux, forcément. Il n'y a qu'à voir comment se sont passés les divers anniversaires de ce début d'année. Car celui du traité de Rome n'est pas le premier que l'on « célèbre ». L'année 2017 est aussi celle des 25 ans du traité de Maastricht, et celle des 15 ans de l'euro qui est entré dans nos portefeuilles le 1er janvier 2002.

    Personne n'a eu le cœur à festoyer.Personne n'a pourtant eu le cœur à festoyer. Et pour cause. Les deux années qui viennent de s'écouler ont vu se succéder deux événements majeurs. D'abord la crise grecque de janvier à juillet 2015, qui s'est soldée une mise en coupe réglée de la Grèce. Comme l'explique le spécialiste du pays Olivier Delorme la situation économique du pays est désormais effroyable. Sa dette est très clairement insoutenable, ainsi que le répète inlassablement le FMI, bien plus lucide dans ce domaine que les Européens. Son PIB, qui s'est rétracté d'un quart depuis le début de la crise en 2010, a encore reculé de 0,1 % en 2016. Cela signifie qu'en dépit d'une cure d'austérité digne du Guinness Book, l'économie hellène ne se relève pas. Le fait que Michel Sapin puisse affirmer, au sortir de l'Eurogroupe du 20 mars que « Le drame grec est derrière nous » montre que la « postvérité » et les « alternative facts » ne sont pas l'apanage des « populismes ». Il est évident que le problème grec se reposera très bientôt.

    L'autre événement majeur est évidemment le Brexit, qui sera officiellement enclenché le 29 mars. Symboliquement, c'est un coup très dur pour l'Union européenne, qui se rétracte pour la première fois alors qu'elle n'avait fait jusque-là que s'élargir. On a beau nous seriner que la Grande-Bretagne était très peu intégrée, l'événement reste lourd de sens.

    D'autant qu'en choisissant l'option du « Brexit dur » et en affirmant qu'à un mauvais accord avec l'UE elle préférait « pas d'accord du tout », Theresa May envoie le signal d'un retour du volontarisme en politique, ce qui ne manquera pas de susciter l'intérêt et l'envie dans les pays voisins.

    De plus, contre toute attente, l'économie du pays ne s'effondre pas. Le professeur britannique Robert Skidelsky a récemment expliqué pourquoi dans une tribune parue dans la presse suisse : «la nouvelle situation créée par le Brexit est en fait très différente de ce que les décideurs politiques, presque exclusivement à l'écoute de la City de Londres, avaient prévu. Loin de se sentir dans une moins bonne situation (...), la plupart des électeurs du Leave pensent qu'ils seront mieux lotis à l'avenir grâce au Brexit. Justifié ou non, le fait important à propos de ce sentiment est qu'il existe ». En somme, les Britanniques ont confiance dans l'avenir, et cela suffit à déjouer tous les pronostics alarmistes réalisés sur la foi de modèles mathématiques. Or si la sortie du Royaume-Uni se passe bien économiquement, ça risque là encore de donner des idées aux autres pays.

    L'Union européenne est de moins en moins hospitalière. Les dirigeants européens semblent baisser les bras pour certains, tel Jean-Claude Juncker lâchant un « Merde, que voulez-vous que nous fassions ?» devant le Parlement européen le 1er mars. D'autres s'adonnent carrément à l'injure tel Jeroen Dijsselbloem, le président néerlandais de l'Eurogroupe, affirmant toute honte bue le 21 mars : « Durant la crise de l'euro, les pays du Nord ont fait preuve de solidarité vis-à-vis des pays touchés par la crise. En tant que social-démocrate, j'accorde une très grande importance à la solidarité. Mais [les gens] ont aussi des obligations. On ne peut pas dépenser tous l'argent dans l'alcool et les femmes, et ensuite appeler à l’aide ». Bref, le bilan de la construction européenne en ce jour anniversaire est peu engageant, c'est le moins que l'on puisse dire.

    Votre dernier livre s'intitule La fin de l'Union européenne. Quels pourraient être le scénario de la fin de l'UE. Une nouvelle crise grecque ? La victoire du FN à la présidentielle ?

    D'abord, nous observons que l'Union européenne est déjà en voie de décomposition du fait de son incapacité à faire respecter ses propres règles par les États membres.

    Dans notre livre, nous parlons de la fin de l'Union européenne au présent et non au futur. On a pu observer les déchirements européens à l'occasion de la crise des réfugiés. La Commission a été obligée de suspendre l'application des traités dans l'urgence pour faire face à la désunion. Quant à la crise de la zone euro, elle a été l'occasion de tels déchirements qu'aujourd'hui cette même Commission renonce à sanctionner l'Allemagne pour ses excédents et le Portugal et l'Espagne pour leurs déficits. De même, aucune sanction n'est tombée contre la Hongrie qui a réformé sa Constitution et sa justice de manière à pouvoir contourner l'application du droit européen sur son propre territoire.

    Pourtant, on fait comme si. Les institutions européennes tournent en partie à vide, mais elles tournent, et en France le droit européen continue de s'imposer tout comme la logique d'austérité de s'appliquer. Jusqu'à quand ? Peut-être qu'une victoire du Front national accélérerait la rupture de la France avec les règles européennes et précipiterait son éclatement institutionnel mais rien n'est moins sûr. Encore faudrait-il que Marine Le Pen fasse ce qu'elle promet actuellement, et il n'est pas certain du tout qu'elle en ait les moyens. Avec qui gouvernerait-elle pour avoir une majorité ? Avec une partie de la droite traditionnelle ? Mais cette dernière ne veut absolument pas qu'on touche au statu quo...

    Un autre scénario envisageable serait en effet un défaut grec et une sortie de la Grèce de la zone euro. L'intransigeance allemande pousse de fait ce pays à envisager une stratégie de rupture, car comme on l'a dit précédemment, rien n'est résolu. Le jour où la Grèce fait officiellement défaut, les Allemands vont être contraints à « prendre leurs pertes » et donc à reconnaître ce qu'ils ont toujours refusé jusqu'à présent, c'est-à-dire qu'une union monétaire implique une union de transferts. Pas sûr qu'après cela l'Allemagne que souhaite encore rester dans l'euro.

    Le scénario d'une crise extérieure est aussi envisageable. Après tout, la crise financière de 2008-2009 est venue des États-Unis. Quelle réaction auraient les autorités européennes en cas de nouvelle crise financière mondiale ? Comment l'Allemagne, premier pays créancier au monde, absorberait-elle la perte de son épargne qui ferait suite à une déflagration financière mondiale ? Que se passerait-il si une nouvelle crise touchait par exemple l'Italie ou si une brusque remontée des taux d'intérêt rendait de nombreux pays d'Europe du Sud à nouveau insolvables ?

    Ce ne sont pas les scénarii de crise qui manquent. Ce qui manque, ce sont les scénarii crédibles qui permettrait à l'Union européenne d'en sortir renforcée. Aujourd'hui, on constate une telle divergence entre les économies des pays membres que tout choc externe touchera différemment les pays. Les pays créanciers seront-ils solidaires des pays débiteurs et inversement ? Vu les rapports de forces politiques actuels on peut sérieusement en douter.

    Enfin, il ne faut pas minorer l'importance de ce qui se passe en Europe de l'Est. Début février, le Belge Paul Magnette, pourtant connu pour être un fervent européen, constatait que « L’Europe est en train de se désintégrer ». Puis il lançait cet oukase : « j’espère que le Brexit sera suivi par un Polxit, un Hongrexit, un Bulgxit, un Roumaxit ». C'est iconoclaste, mais c'est lucide. La passe d'armes qui s'est récemment produite entre la Pologne et l'Union autour de la reconduction de Donald Tusk à la présidence du Conseil laissera des traces à Varsovie. Les propos échangés ont été très durs. Le ministre des Affaires étrangères polonais, Witold Waszczykowski, a affirmé que son pays jouerait désormais « un jeu très dur » avec l'UE. Puis d’ajouter : « Nous allons devoir bien sûr abaisser drastiquement notre niveau de confiance envers l'UE. Et aussi nous mettre à mener une politique négative ».

    La chute de l'UE était-elle inscrite dès le départ de son ADN ou s'agissait-il d'une bonne idée qui a été dévoyée ?

    Certains « eurosceptiques » pensent que le ver était dans le fruit, que la personnalité même des « Pères fondateurs » (Monnet, Schumann) souvent proches des États-Unis et/ou des milieux d'affaires portait en germes l'échec de l'Europe, qui ne pouvait être qu'un grand marché intégré un peu amorphe, une sorte de grande Suisse. Ce n'est pas notre avis.

    Il y a eu en effet, pendant toute l'époque gaulliste, un affrontement entre deux visions de l'Europe. Celle de Monnet et des autres « Pères fondateurs », désireux de fonder une Europe supranationale qui échappe aux « passions populaires » et soit confiée aux bons soins de techniciens. C'est elle qui s'est imposée, puisque l'Union européenne est un édifice économico-juridique avant tout, un Marché unique ficelé dans un ensemble de règles de droit qui sapent la souveraineté des pays membres. Cette Europe fait la part belle à l'action d'entités « indépendantes » : Commission, Banque centrale européenne, Cour de justice de l'Union. Celles-ci prennent des décisions majeures mais ne sont jamais soumises au contrôle des citoyens et à la sanction des urnes. On a donc décorrélé la capacité à décider et la responsabilité politique, ce qui est tout de même assez grave pour la démocratie.

    Pourtant, il existait une autre conception de l'Europe, celle des gaullistes. Elle semble d'ailleurs connaître actuellement un regain d'intérêt puisque l'on entend parler à nouveau, si l'on tend l'oreille, « d’Europe européenne ». Il s'agissait de bâtir une Europe intergouvernementale et d'en faire une entité politique indépendante de chacun des deux blocs (c'était en pleine Guerre froide), dont l'objet serait essentiellement de coopérer dans le domaine des Affaires étrangères, de la Défense, de la recherche scientifique, de la culture. Ça a été l'objet des deux plans Fouchet, au début des années 1960, qui ont échoué. Après cet échec, le général de Gaulle n'a pas tout à fait renoncé au projet. Faute d'avoir pu convaincre les Six, il a proposé à l'Allemagne d'Adenauer un traité bilatéral bien connu, le traité de l'Élysée. Ce traité a été signé parce qu'Adenauer y tenait. Le chancelier a toutefois fait l'objet de nombreuses pressions dans son pays, de la part de gens qui ne voulaient absolument pas renoncer au parapluie américain au profit d'un rapprochement franco-allemand. Ceux-là ont donc fait rajouter au traité de l'Élysée un préambule dans lequel il était écrit que le texte ne portait pas préjudice à la loyauté du gouvernement fédéral vis-à-vis de l'OTAN.

    C'est une vieille histoire, celle de l'affrontement de deux visions. Les uns voulaient un marché et des règles de droit intangibles pour cadenasser les peuples. Les autres voulaient créer une entité stratégique indépendante à l'échelle du monde et respectueuse des souverainetés. Rien n'était écrit, c'est l'état des rapports de force de l'époque qui a tranché. En tout état de cause, il est singulier de voir les prétendus gaullistes d'aujourd'hui prêter allégeance à l'Europe telle qu'elle est, et un François Fillon, par exemple, se ruer à Berlin pour promettre des « réformes structurelles » à Angela Merkel...

    Il faut ajouter qu'ensuite, les choses se sont dégradées par paliers. Le traité de Rome, qui créait le Marché commun, a plutôt été une bonne chose pour l'économie du continent. Le marché s'est élargi pour les produits finis des pays membres, et a offert des débouchés supplémentaires à leurs entreprises. Mais la transformation du Marché commun en Marché unique avec la signature de l'Acte unique de 1986 change tout. Pour nous, c'est une date clé. À ce moment-là, ce ne sont plus seulement les marchandises qui circulent librement, ce sont les facteurs mobiles de production, c'est-à-dire le capital productif et le travail. Ils vont naturellement s'agréger dans le centre de l'Europe, alors plus industrialisé donc plus attractif, pour des raisons historiques que nous expliquons longuement. En résulte un phénomène de « polarisation » qui appauvrit les pays de l'Europe périphérique, et enrichit le cœur, notamment l'Allemagne.

    L'Acte unique est donc un virage substantiel. Mais la mise en place de l'euro, qui fluidifie encore les mouvements de capitaux et qui rend l'Allemagne sur compétitive parce qu'il est sous-évalué pour elle, n'arrange rien. Enfin, l'élargissement à l'Est des années 2004 et 2007 est une nouvelle étape, car elle fait entrer dans le Marché unique de très nombreux Européens qui bénéficient de la libre circulation des personnes comme tout le monde, mais dont les salaires et les protections sociales sont bien moindres qu'à l'Ouest. Cela accroît très fortement la mise en concurrence des travailleurs. Les pays de l'Est se sont d'ailleurs spécialisés dans le dumping social.

    Après la chute de l'UE, faudra-t-il reconstruire une nouvelle Europe ? Pourquoi ne pas conserver une partie de ce qui a été construit ? N'y a-t-il rien à sauver de l'Union européenne ?

    Il y a des choses à sauver. Mieux, il y a des choses à développer. Toutefois, cela nécessite que soit préalablement défait l'existant, car l'édifice juridico-économique qu'est l'Union européenne (et qui n'est pas l'Europe, il faut insister là-dessus) met les pays européens en concurrence les uns avec les autres au lieu de les rapprocher. Au point de faire (re)surgir des animosités que l'on croyait hors d'âge, et même de conduire à des propos à la limite du racisme, comme ceux de Dijsselbloem évoqués plus haut.

    Pour la suite, il faudra bien admettre que tout ce qui a marché jusqu'à présent en Europe relève de l'intergouvernemental et ne doit rien à l'Union. On peut donner quelques exemples : Airbus, entreprise d'abord franco-allemande mais ayant attiré à elle les Néerlandais et les Espagnols, justement parce que ça fonctionnait. À ceci près qu'on ne pourrait plus le refaire aujourd'hui, car les règles européennes en vigueur actuellement, notamment la sanctuarisation de la « concurrence non faussée », ne le permettraient pas. Voilà à cet égard ce que dit Jacques Attali : « On ne pourrait plus faire Airbus aujourd'hui (…) la Commission européenne concentre toute son attention et ses efforts sur la politique de concurrence. Cela conduit à un désastre, parce qu'une politique de concurrence sans politique industrielle s'oppose à la constitution de groupes européens de taille mondiale ».

  • Idées & Culture • La modernité et ses critiques : cartographie des différentes tendances

     

    Une remarquable étude - et fort utile - de l'excellent site PHILITT. Les spécialistes interviendront s'il y a lieu.  LFAR

    La modernité, ou monde moderne, abrite en son sein deux grands mouvements : d’un côté, les adeptes des Lumières et, de l’autre, ceux qui émettent de franches réserves face à cet enthousiasme. Sous la catégorie « antimoderne » ou « réactionnaire », qui leur est assignée ou qu’ils s’assignent eux-mêmes, cohabitent pourtant diverses tendances, parfois mêmes antagonistes. 

    charles-peguy.jpgLa distinction et l’opposition entre modernes et anciens constitue sans nul doute un topos de la philosophie moderne. L’opposition apparaît nettement au XVIIe siècle, sous un angle artistique, avec la querelle des Anciens et des Modernes savamment retracée par Marc Fumaroli. La Révolution française et ses remous achève de consacrer pleinement la fracture en transposant ladite querelle – avec à la clé une victoire des modernes – au niveau politique. L’époque moderne, dans une perspective philosophique ou anthropologique, remplace l’époque contemporaine des chronologies historiques. Charles Péguy a eu raison de préférer l’ossature solide de « moderne » à la légèreté de « contemporain ». C’est que « moderne est daté, enregistré, paraphé », écrit-il dans De la situation faite au parti intellectuel. « Moderne » donne à voir un monde et son épistémè – non pas une simple conjoncture politique limitée au territoire national. La modernité a un début et aura probablement une fin.

    Repère historique commode, 1789 offre cependant une lecture trop schématique de l’implantation des idées modernes. Si la diffusion progressive de ces idées est globalement admise, l’importance accordée à un événement particulier peut varier d’une plume à l’autre. Le philosophe du droit Michel Villey a pu, par exemple, rattacher l’inflexion moderne des droits de l’homme (subjectivisme juridique) au volontarisme ockhamien et, plus tard, à la Réforme catholique – Vitoria en tête – sans faire du protestantisme l’unique levier ; alors que Max Weber, en choisissant comme événement pertinent l’essor du capitalisme, a renforcé le poids de l’éthique protestante. Leo Strauss a quant à lui mis l’accent sur la Renaissance, et particulièrement l’apport décisif de Machiavel dans le délitement de la conception classique du politique. Enfin – panorama non exhaustif –, Péguy situe aux environs de 1881 la naissance d’une modernité constituée par l’avilissement de la mystique en politique – la politique consiste à vivre de la République, la mystique à mourir pour elle. Il n’y avait pas pour Péguy de coupure entre la France d’Ancien Régime et la France de la Révolution ; il y avait, d’une part, « toute l’ancienne France ensemble, païenne (le Renaissance, les humanités, la culture, les lettres anciennes et modernes, grecques, latines, françaises), païenne et chrétienne, traditionnelle et révolutionnaire, monarchiste, royaliste et républicaine, – et d’autre part, et en face, et au contraire une certaine domination primaire, qui s’est établie vers 1881, qui n’est pas la République, qui se dit la République, qui parasite la République, qui est le plus dangereux ennemi de la République, qui est proprement la domination du parti intellectuel », explique-t-il dans Notre jeunesse. Ces écarts de datation s’expliquent par le choix de l’élément cardinal retenu pour apprécier la modernité – par exemple la fin de la mystique chez Péguy. Cet élément ou critère répond également au phénomène étudié : si les causes de la modernisation du droit recoupent celles de la modernisation du politique ou de l’économie, on ne saurait pourtant y retrouver exactement les mêmes logiques à l’œuvre dans les mêmes proportions.

    Contestation des métarécits

    Il faut cependant relever, au-delà des différentes perspectives, une réelle convergence des vues sur les fondations du monde moderne. Sans fournir une lecture approfondie de son soubassement conceptuel, la modernité se caractérise avant tout par la sortie du religieux en tant que mode de structuration – et non pas la fin des religions. Alors que le monde pré-moderne reposait sur la tradition (le passé), la transcendance (le sacré) et supposait une organisation sociale hiérarchisée de forme holistique ; le monde moderne s’enivre d’optimisme en exaltant le progrès d’une histoire dont il se sait pleinement acteur, croit en l’autonomie de sa volonté (nouvelle source de normativité) et place à la base de l’organisation sociale l’individu atomisé. Opposons encore la raison des anciens au rationalisme des Lumières : rationalisation de la métaphysique (criticisme kantien), de la politique et de l’anthropologie (théories du contrat social, utilitarisme) ou de l’économie (capitalisme bourgeois). Ajoutons que certains auteurs, comme Jean-François Lyotard ou Michel Maffesoli, se réfèrent à la notion de postmodernité pour, au fond, souligner la césure entre les philosophies du sujet, issues des Lumières, et certaines philosophies du soupçon, notamment celles patronnées par Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud et Martin Heidegger. Philosophies surtout relayées, en France, par Jacques Derrida, Michel Foucault et Jean-Paul Sartre. Pour le dire autrement, en paraphrasant Lyotard, la postmodernité, contrairement à la modernité, n’accorde plus aucun crédit aux métarécits.  La fin de ces métarécits exprime la fin d’un savoir motivé ou soutenu par la volonté de remodeler – de transfigurer, de séculariser – l’ordre moral ancien selon un mode de structuration non religieux. Il s’agit également de redonner un sens à l’histoire par la dialectique hégélienne et marxiste. En résulte, par exemple, le triomphe du positivisme juridique et son refus de produire une théorie du droit entachée de considérations éthiques. Il y a un lien entre ce type de positivisme – à ne pas confondre avec le positivisme d’Auguste Comte encore soucieux de construire un ordre moral amélioré – et l’épistémologie foucaldienne, empruntée à Nietzsche dans sa Généalogie de la morale, qui  s’évertue à démystifier la rationalité apparente des discours pour mieux mettre à jour les rapports de pouvoir occultes. Ce lien, c’est la condition postmoderne, la contestation des métarécits.

    Baudelaire.jpgOn peut dès lors distinguer les éléments de structuration du monde moderne (modernité) de l’attitude favorable à l’égard de la modernité (modernisme). Le modernisme, dans son acception baudelairienne, renvoie au mythe du progrès ; un progrès toujours négateur car insatiable, perpétuel. Le progrès moderniste est un progressisme qui, par le biais des sciences et du volontarisme politique, révèle sa présence, investit pleinement le temps présent, et se défait immédiatement dans cette même présence pour mieux se renouveler. Alors que le progrès antique était celui d’une perfection à retrouver dans l’imitation des grands hommes, le moderniste se prend lui-même pour modèle. Il ne s’agit pas simplement, pour le progressisme, de mondaniser l’eschaton – l’historicisme hégélien et marxiste ne relève pas du progressisme –, mais de le supprimer. Si le moderne baudelairien offre une place certaine à l’angoisse du présent sous l’effet du déracinement, il ne méconnaît nullement la représentation classique d’un idéal et d’une espérance ancrées dans le passé ou dans l’au-delà. Charles Baudelaire, en tant qu’antimoderne, incarne la modernité. Autrement dit, Baudelaire fait du moderne un antimoderne. En reprenant la définition baudelairienne de la modernité – la modernité, le moderne, est d’emblée antimoderne pour Baudelaire – Antoine Compagnon récuse le recours à la notion de postmodernité. En effet, la modernité française incorpore déjà la postmodernité puisqu’elle contient, du moins en puissance, ce refus de l’historicisme et du progrès propre à la condition postmoderne. Il ne peut y avoir de postmodernité que si l’on raccorde la modernité aux Lumières. Or, selon Compagnon, la modernité – la condition, la sensibilité moderne plutôt que le monde moderne – prend forme avec Baudelaire et Nietzsche.

    Retenons davantage, car elle semble communément admise, la distinction entre moderne et antimoderne. Par ailleurs, nous conservons le lien, relativement étroit, posé entre la modernité et les Lumières. Le monde moderne, en sa modernité, renferme donc, à la fois, le moderne comme équivalent du moderniste, et l’antimoderne. L’antimoderne désigne alors le moderne en conflit avec la modernité. On doit déjà relever à ce stade la porosité des classifications, le chevauchement inéluctable du moderne et de l’antimoderne. Un auteur comme Friedrich Hayek illustre bien cette friction : s’agit-il d’un antimoderne, d’un moderne ou, peut-être, d’un hyper/postmoderne ? Probablement un peu des deux, ou des trois si l’on accepte de dissocier moderne de postmoderne.

    Variations autour de l’antimodernité

    220px-Jmaistre.jpgAu sens large, l’antimodernité regroupe l’ensemble des objections formulées à l’encontre de la modernité. Au sens strict, elle doit se distinguer de la réaction mais aussi, dans une certaine mesure, du traditionalisme et du conservatisme. Le sens strict correspond peu ou prou au sens large agrémenté de multiples nuances. Commençons par désolidariser l’antimoderne du réactionnaire. Est réactionnaire, d’après le sens commun, tout mouvement d’hostilité à l’encontre des acquis sociaux et sociétaux dérivés, pour la plupart, de la seconde moitié du XXe siècle – les autres, plus anciens et donc plus ancrés, suscitent moins de réprobation. Dans le vocabulaire profane, réactionnaire signifie antimoderne au sens large. D’un point de vue plus théorique, contrairement à l’antimoderne, le réactionnaire s’oppose à la modernité sur un mode radical : il est anti-Lumières et contre-révolutionnaire. À l’inverse, l’antimoderne accepte, non sans quelques réserves, les fruits des Lumières. Le réactionnaire (français) montre son attachement « au prélibéralisme aristocratique, c’est-à-dire à la liberté et à la souveraineté des grands, avant leur asservissement sous la monarchie absolue vécue comme une tyrannie », souligne Antoine Compagnon dans Les antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes. Il manifeste la volonté de défaire les modifications apportées par la Révolution. La nature de cette contre-révolution soulève pourtant une difficulté. Stricto sensu, il s’agit d’une révolution contraire, une révolution pour restaurer les codes de l’Ancien Régime en son âge d’or. Lato sensu, la contre-révolution n’est pas, selon le mot de Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France, « une révolution contraire mais le contraire de la révolution ». Et Maistre d’ajouter, dans son Discours à Mme la marquise de Costa : « Longtemps nous n’avons point compris la révolution dont nous sommes les témoins ; longtemps nous l’avons prise pour un événement. »

    Un événement susceptible d’être un contre-événement (une révolution contraire). Or, la révolution dépasse le cadre de l’événement pour rejoindre celui de l’époque, et l’on ne peut changer une époque. Il faudrait alors substituer antirévolutionnaire à contre-révolutionnaire. L’antirévolutionnaire envisage la restauration du monde ancien par l’effet de la providence et non par une révolution qui, intrinsèquement, en tant que moyen et indépendamment de ses visées, doit être combattue. Au sens très large, les contre-révolutionnaires (tout comme les anti-Lumières) désignent les antimodernes. Nous retiendrons le sens large puisque le réactionnaire chimiquement pur – anti-Lumières et contre-révolutionnaire stricto sensu – n’existe pas. Les anti-Lumières, de Joseph de Maistre à Louis de Bonald, ne proposent pas une révolution contraire. Le réactionnaire est donc anti-Lumières et antirévolutionnaire. Paradoxalement, si Joseph de Maistre incarne la réaction, il ouvre également la voie au courant antimoderne, précisément en intégrant le caractère irréversible du changement d’époque que constitue la Révolution. Les antimodernes tempérerons leurs critiques à l’égard des Lumières en délaissant l’idée d’un retour providentiel à l’âge d’or de l’Ancien Régime. Il est par conséquent abusif de qualifier des auteurs comme Eric Zemmour ou Alain Finkielkraut de réactionnaires. Une des expressions de la réaction contemporaine provient de l’islam radical. Cet islam dégénéré apparaît réactionnaire du point de vue occidental dans la mesure où son idéologie vise la destruction du monde moderne – en utilisant sa technologie –, mais révolutionnaire pour la culture arabo-musulmane : le rationalisme de l’État islamique n’a rien à voir avec un prétendu retour à la tradition.

    Les traditionalistes souhaitent quant à eux conserver ou retrouver une tradition, c’est-à-dire préserver ou restaurer la transmission de certaines dispositions d’ordre culturel. Soit préserver la tradition monarchique anglaise (Edmund Burke) ou, en France, la monarchie absolutiste depuis Louis XIV face à l’entreprise révolutionnaire ; soit retrouver une tradition indo-européenne (René Guénon, Julius Evola). Si Guénon et Evola, à l’inverse de Burke proche du parti whig, se réfèrent à une tradition contraire aux Lumières, il ne sont pas pour autant des antirévolutionnaires. Guénon s’exilera en terre d’islam et Evola optera pour une posture apolitique. Mieux vaut ne pas détacher le traditionaliste de l’antimoderne pour en faire une expression de l’antimodernité.

    Tout changer pour que rien ne change

    f_burke.jpgMême raisonnement au sujet du conservateur confondu avec le traditionaliste et, plus largement, avec l’antimoderne. Le conservateur, au sens strict, entend conserver le modèle en vigueur. Il n’apparaît donc pas, dans cette perspective, contraire au moderne : Emmanuel Macron pourrait tout à fait entrer dans une telle catégorie. Conserver n’équivaut pas à refuser le changement mais davantage, comme l’a bien vu le jeune aristocrate Tancredi dans Le Guépard, à tout changer pour que rien ne change. De même, plus profondément, le traditionalisme burkéen, par son attachement aux préjugés et à la Common law, incline au conservatisme : le changement est organique et non le résultat d’une volonté autonome, d’une construction rationaliste. Une attitude d’hostilité ou, du moins, de réserve à l’égard du progrès technique et sociétal (libéralisation des mœurs), voilà ce qui définit au mieux l’esprit conservateur. Un esprit anti-utilitariste constitué par la valorisation du rituel. Ainsi, explique Michaël Oakeshott dans Du conservatisme, « toutes les activités où ce qui est recherché est le plaisir naissant non du succès de l’entreprise, mais de la familiarité de l’engagement, signalent une disposition au conservatisme ». Le conservateur, lorsqu’il désire limiter le changement en renforçant sa charge organique ou cultive un état d’esprit méfiant à l’égard du progrès et de l’utilité en général, se rattache à l’antimoderne. Les six canons du conservatisme rédigés par Russel Kirk, traduit en français par Jean-Philippe Vincent dans Qu’est-ce que le conservatisme ? Histoire intellectuelle d’une idée politique, confirme la convergence de ce courant avec la sensibilité antimoderne.

    Si la sériation a le mérite d’affiner le discernement, à trop vouloir ordonner, l’inverse se produit et la confusion l’emporte. La plupart des auteurs seront donc qualifiés d’antimodernes afin de r

  • Nadine Morano et la folie idéologique des « élites »

     

    par Yves Morel  

    Invitée de l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, le samedi 26 septembre dernier, Nadine Morano, définit la France comme un pays judéo-chrétien et de race blanche.

    Aussitôt, toute la classe politique poussa des cris d’orfraie, et les très vertueux Républicains retirèrent à la « coupable » son investiture sur la liste du « Grand Est » ( lol ) aux prochaines régionales. NKM, égérie de la droite parisienne bobo, qualifia d’ « exécrables » les propos de l’eurodéputé et rappela que « la République ne fonctionne pas sur les bases idéologiques de l’apartheid », pas moins. Sarkozy, lui, affirma qu’il ne laisserait « jamais dire que la France est une race ».

    Une évidence

    Or, Mme Morano n’a fait, en l’occurrence, que proférer ce qui apparaît à tout esprit censé et de bonne foi, comme une évidence. « Les Français sont un peuple de race blanche » : les très républicains et très laïques instituteurs, et leurs manuels scolaires de géographie rédigés par des inspecteurs primaires tout aussi laïques et républicains l’ont enseigné expressément et sous cette forme textuelle aux élèves depuis Jules Ferry jusqu’au seuil des années 1980, voire plus. Et nul ne les a jamais taxés de racisme, tant cela paraissait indubitable.

    Des contradicteurs qui ont de qui tenir

     

    Morano

    Nadine Morano coupable d’avoir parlé de « race blanche »… 

    Il est vrai que tout a changé depuis les années Mitterrand. Rappelons que Mitterrand, ce président mégalomane et irresponsable dont on ne dénoncera jamais assez la responsabilité dans la décrépitude de notre pays, déclarait, au milieu des années 1980 : « Je veux qu’on bouscule les habitudes et les usages français » et, en conséquence, se prononçait pour une immigration massive, le refus de l’intégration, et le multiculturalisme fondé sur l’encouragement donné aux immigrés de cultiver leurs spécificités culturelles. Visitant une école de Maisons-Alfort, dont la majorité des élèves était d’origine arménienne, il déclarait aux instituteurs : « Faites de ces élèves des garçons et des filles fiers d’être arméniens » (pas français, au grand jamais). Et il galvanisait le prosélytisme immigrationniste de SOS-Racisme, cependant que son épouse se déclarait favorable à la liberté des jeunes musulmanes de porter le foulard à l’école. Etonnons-nous que trente ans après, les musulmans de France s’enhardissent jusqu’à prétendre nous imposer leurs coutumes, et qu’un Yann Moix, un des contradicteurs de Mme Morano, âgé de treize ans en 1981, objecte à celle-ci qu’il est conforme aux lois de l’évolution que la France perde son identité judéo-chrétienne pour devenir musulmane, et qu’il est aussi vain qu’immoral de prétendre s’y  opposer.

    Le fatal mouvement de l’histoire selon Yann Moix

    Moix asséna en effet à Mme Morano que « demain, la France sera peut-être musulmane », qu’il s’agira là du « mouvement de l’histoire». Selon Moix, en effet, « la France dont vous parlez, la France éternelle, elle a été inventée au XIXe siècle, elle n’existait pas avant ». Moix use ici d’une tactique héristique tout à fait caractéristique de notre intelligentsia, qui consiste à prendre prétexte du caractère relativement récent de la représentation conceptuelle d’une réalité historique, pour affirmer qu’il s’agit d’une pure construction intellectuelle, sans existence réelle, et donc spécieuse. Et ainsi, au motif que l’identité culturelle de la France s’est élaborée très progressivement tout au long de notre histoire, et n’a été intellectuellement appréhendée dans sa globalité qu’au XIXe siècle, Moix la réduit à un fantasme. N’ayant donc jamais été judéo-chrétienne, la France peut alors très bien devenir musulmane, de par un « mouvement de l’histoire » que nous sommes condamnés à subir.

    Une conception délibérément perverse de la laïcité

    Et chercher à enrayer cette islamisation est attentatoire à la laïcité.

    Ici, Yann Moix confond scandaleusement (car intentionnellement) l’Etat et la nation, et Mme Morano lui a judicieusement rappelé qu’il fallait distinguer le premier de la seconde. C’est l’Etat, en effet, qui est laïque, a précisé le député, non la nation. Un Etat laïque se veut confessionnellement neutre, et cela peut se concevoir. Mais une nation laïque, qu’est-ce que cela veut dire ? Rien. Cela n’a aucun sens. Une nation a une âme, des croyances, des valeurs fondatrices, des traditions, une manière de penser, une tournure d’esprit, et tout cela n’est pas neutre et ne peut pas l’être. Une nation n’est pas une pure abstraction constituée d’êtres de raison anonymes, indifférenciés, interchangeables, sans âme. Précisons de surcroît que si le mot laïque (ou laïc) vient du grec laos, autrement dit le peuple, il ne signifie pas populaire. En cela, un « peuple laïc », cela n’a pas plus de sens qu’une « nation laïque ». La notion de laïcité se rapporte exclusivement à l’Etat, en aucun cas au peuple ou à la nation. La référer au peuple ou à la nation est, intellectuellement, un non-sens, et, moralement, une tromperie (pour ne pas dire une escroquerie) utilisée par ceux qui, comme Moix, veulent donner à croire à nos concitoyens que les notions de nation, de peuple, d’identité culturelle, sont de pures constructions de l’esprit, dénuées de toute réalité, lourdes de dérives perverses, et, en tout cas, obsolètes et contraires à la vérité (qui n’admet censément qu’un Homme universel et abstrait réduit à sa seule raison) et au sens de l’Histoire (lequel nous mène à l’indifférenciation clonique d’une humanité mondialisée s’acheminant vers le meilleur des mondes).

     

    LeaSalame

    Lea Salame, donneuse de leçons plates… 

    La laïcité, selon Yann Moix, n’est donc pas une simple caractéristique de l’Etat, consistant en une neutralité confessionnelle délibérée, mais la pièce maîtresse d’une conception de l’homme et de l’histoire et le fondement irréfragable de la morale. En cela, elle interdit toute pensée et toute politique fondée sur les notions de peuple, de nation et d’identité culturelle. Par là, elle nous interdit de considérer comme dangereuse une immigration massive, lors même que ses effets nocifs sont d’ores et déjà avérés. Mme Morano peut bien déplorer (et avec elle, des millions de Français qui ne vivent pas dans le même quartier que M. Moix) l’islamisation effective de nombreuses communes et l’islamisation rampante de nos mœurs, M. Moix lui réplique (avec l’approbation de Ruquier et les applaudissements serviles de sa claque complice) que c’est le « mouvement de l’histoire » et qu’il convient de s’y résigner. A défaut, on bascule dans l’horreur et la malédiction. On doit se résigner à l’islamisation de la France, à l’altération de son identité culturelle, qui, d’ailleurs, n’a jamais été une réalité et est une construction théorique du XIXè siècle qui a alimenté tous les fantasmes nationalistes et racistes contemporains. Toute action politique tendant à enrayer cette altération de notre identité nous ramène au temps honni de Vichy et de l’Occupation nazie. On doit donc y renoncer. Mieux (ou plutôt pire), il n’y faut même pas songer, ne fût-ce qu’une seconde. A l’inquiétude de Mme Morano quant à l’islamisation graduelle de la nation française, Yann Moix répond que « la laïcité c’est de ne pas se poser cette question », que se tourmenter à ce sujet et vouloir que l’islam « soit une religion minoritaire » revient à violer le parti pris de neutralité inhérent à cette laïcité, laquelle est, de toute nécessité, « indifférence » et « incompétence » (sic).

    Autrement dit, selon Moix, au nom de la laïcité, l’Etat doit se montrer absolument indifférent au sort de la nation, fermer les yeux sur ce qui menace son identité culturelle, et aller jusqu’à nier l’existence même du problème. Nier le danger, c’est bien, ne pas même y songer, c’est encore mieux. Voilà à quelle conclusion aussi suicidaire qu’aberrante mène cette conception dévoyée de la laïcité. Telle que la conçoivent Yann Moix, Laurent Ruquier, les médias et toute notre classe politique, la laïcité ligote l’Etat, le rend sourd, aveugle, muet et impuissant, et lui interdit même de penser, le privant de toute lucidité. Elle n’est pas une simple règle de neutralité confessionnelle, mais une valeur ogresse ou cancéreuse qui dévore toutes les autres, se substitue à elles et constitue le tout de la morale politique et de la morale tout court. Ce que Moix et tous les contradicteurs de Mme Morano défendent, c’est une conception sidaïque et mortifère de la laïcité, qui prive la nation de tout moyen de prévention et de défense contre le danger migratoire qui la menace. La laïcité ainsi conçue devient une arme contre l’identité de la France. Léa Salamé, lors de l’émission de Ruquier, somma Mme Morano de choisir entre « la France laïque » et « la France judéo-chrétienne », affirmant que les deux notions s’excluaient réciproquement. C’est faux et malhonnête. Redisons-le : c’est l’Etat qui est laïque, pas la France, qui, elle, est une nation aux fondements spirituels et éthiques judéo-chrétiens. Et un Etat, pour être laïque, n’est pas tenu de méconnaître et de nier l’identité culturelle de la nation qu’il gouverne et dont il a la responsabilité de la sauvegarde, tout au contraire. La même Léa Salamé reprochait à Mme Morano d’exclure implicitement les Antillais de la France au motif de leur couleur de peau. Mais, autant que l’on sache, la France peut très bien comporter des citoyens noirs sans cesser pour cela d’être in essentia une nation de race blanche. Et cela vaut pour la religion : Senghor, le plus illustre des Sénégalais, catholique pratiquant, a dirigé durant 20 ans le Sénégal, et ce dernier n’en est pas moins demeuré un « pays musulman » pour la simple raison que les musulmans représentent 94% de sa population. Et s’il existe des Sénégalais blancs, cela n’empêche nullement le Sénégal de rester une nation de race noire.

    Une entreprise d’aliénation en faveur de l’édification d’un monde de clones indifférencié

     Il est vrai que, aux yeux de Yann Moix, « race » est un mot « indécent » qu’il faut « ne plus jamais utiliser ». Il est d’ailleurs devenu fréquent d’entendre dire que « les races n’existent pas ». Un professeur d’histoire-géographie, membre du Modem, rappelle d’ailleurs à Mme Morano, sur le site de Metro News, que « la race blanche n’existe pas et [que] plus personne n’en parle depuis que les derniers théoriciens nationaux-socialistes ont été pendus à Nuremberg » (sic). Les races n’existent pas, donc, non plus que les sexes, depuis la théorie du gender, au nom de laquelle on nous assène que le sexe d’un individu relève d’une situation, et non pas de sa nature, moins encore de son identité, et que d’ailleurs la notion de sexe est une construction mentale (une de plus) élaborée et imposée par une société archaïque dont il convient de s’émanciper.

     

    ruquier

    Laurent Ruquier accuse Morano de favoriser le racisme. 

    Pas de race, donc, ni de sexe, ni d’identité culturelle secrétée par l’histoire ; rien de tout cela n’est réel ; ce sont là autant de fantasmes oppressifs qu’il faut détruire ; il n’existe, il ne doit exister que des clones anonymes, interchangeables, évoluant en un meilleur des mondes planétarisé, sans frontières, ni nations, ni peuples, ni cultures particulières, dont la « laïcité » interprétée par les Moix, les Ruquier, les Salamé, est l’instrument de l’édification.

    Il est assurément dommage que les musulmans, eux, ne partagent pas cette vision « républicaine », « laïque » et universaliste du monde et prétendent nous imposer leur religion, leur culture, leurs traditions et leur mode de vie. Mais M.Moix n’en a cure, puisqu’on n’a pas le droit de contrarier ce « mouvement de l’histoire ».

    Yann Moix et consorts illustrent au plus haut degré l’immense entreprise d’aliénation de nos concitoyens, à l’œuvre depuis des décennies. Aliénation, oui, car elle vise à nous déposséder de notre identité pour nous faire devenir autres que ce que nous sommes, que ce que notre histoire, notre civilisation, ont fait de nous.

    Laurent Ruquier, lors de son émission du 26 septembre, a reproché à Mme Morano de favoriser le racisme en prétendant que la France était un pays blanc et judéo-chrétien. Tragique (et volontaire) erreur : ce qui stimule le racisme, c’est le refoulement permanent des identités culturelles et nationales, lesquelles finissent alors par ressurgir sous de violentes formes éruptives ; les musulmans de France le prouvent, eux qui, aujourd’hui, refusent notre société et le modèle républicain et laïque que les Moix, les Ruquier, les Hollande et les Sarkozy veulent leur imposer.

    La faillite de la laïcité républicaine

     Ce modèle prouve aujourd’hui tragiquement sa faillite. Cette dernière tient à la nature idéologique et à la propension totalitaire de la laïcité à la française. Celle-ci ne se présente pas comme une simple neutralité confessionnelle de l’Etat et de la loi qui protège la liberté de conscience, mais comme la manifestation éthique, politique et juridique d’un parti-pris antireligieux découlant d’une vision athée de l’Homme conçu comme un être de pure raison, identique en tous lieux et en tous temps. Une telle conception de l’homme détruit tout sentiment d’appartenance à une nation et à une civilisation données, et empêche l’intégration des immigrés, lesquels refusent instinctivement de se départir de leur spécificité culturelle pour se fondre dans une masse indifférenciée. Des immigrés peuvent accepter de s’intégrer à une communauté soudée par une identité culturelle forte, mais refuseront toujours de devenir les clones d’un magma sans âme, et les passants d’

  • L'Europe, empire allemand ? Les analyses de Jean-Michel Quatrepoint*

     

    Nous donnons une fois de plus la parole à Jean-Michel Quatrepoint, parce que ses analyses, données au Figaro, sont à la fois extrêmement lucides, réalistes, fondées sur une profonde connaissance des sujets traités, et que les positions qu'elles expriment sont presque en tous points les nôtres. Nous n'y ajouterons rien si ce n'est que la question posée en titre ne doit pas être comprise en termes d'hostilité à l'égard de l'Allemagne. La position dominante qu'elle occupe aujourd'hui en Europe est due en grande partie au décrochage de la France... Ajoutons pour finir que nous publierons demain le deuxième volet de cette réflexion : « Traité transatlantique : le dessous des cartes ».   LFAR

     

    PHO1159e20e-cc52-11e3-a4f2-b373f3cdeec9-150x100.jpgPour le journaliste économiste Jean-Michel Quatrepoint, auteur du Choc des empires, la construction européenne a totalement echappé à la France et se trouve désormais au service des intérêts allemands. Première partie de l'entretien accordé au Figarovox.

    Dans votre livre vous expliquez que le monde se divise désormais en trois empires : les Etats-Unis, la Chine, l'Allemagne. Qu'est-ce qu'un empire ?

    Pour être un empire, il faut d'abord se vivre comme un empire. Ensuite, il faut une langue, une monnaie, une culture. Sans parler des frontières. L'Amérique, c'est Dieu, le dollar et un drapeau. La Chine, c'est une économie capitaliste, une idéologie communiste et une nation chinoise qui a sa revanche à prendre, après l'humiliation subie au XIXème siècle. Quant à l'Allemagne, c'est en empire essentiellement économique. Quand Angela Merkel a été élue en 2005, son objectif premier était de faire de l'Allemagne la puissance dominante en Europe: elle a réussi. Maintenant il s'agit de façonner l'Europe à son image. Mais avec des contradictions internes: pour des motifs historiques bien compréhensibles, Berlin ne veut pas aller jusqu'au bout de la logique de l'empire. Elle n'impose pas l'allemand, et est réticente sur la Défense. Elle veut préserver ses bonnes relations avec ses grands clients: la Chine, les Etats-Unis et la Russie.

    Vous écrivez « L'Union européenne qui n'est pas une nation ne saurait être un empire ».

    C'est tout le problème de l'Europe allemande d'aujourd'hui, qui se refuse à assumer sa dimension d'empire. 28 états sans langue commune, cela ne peut constituer un empire. L'Angleterre ne fait pas partie du noyau dur de la zone euro. Les frontières ne sont pas clairement délimitées: elles ne sont pas les mêmes selon qu'on soit dans l'espace Schengen ou la zone euro. L'Europe est un patchwork et ne peut exister en tant qu'empire, face aux autres empires.

    « L'Allemagne est devenue, presque sans le vouloir, le nouveau maitre de l'Europe », écrivez-vous. Comment se traduit cette domination de l'Allemagne en Europe ? D'où vient-elle ? Sur quels outils s'appuie cette hégémonie ?

    Cette domination vient de ses qualités…et de nos défauts. Mais ce n'est pas la première fois que l'Allemagne domine l'Union européenne. A la fin des années 1980, juste avant la chute du mur, elle avait déjà des excédents commerciaux considérables. La réunification va la ralentir un instant, car il va falloir payer et faire basculer l'outil industriel allemand vers un autre hinterland. La RFA avait un hinterland, c'était l'Allemagne de l'Est: le rideau de fer n'existait pas pour les marchandises. Les sous-ensembles (par exemple les petits moteurs équipant l'électroménager allemand) étaient fabriqués en RDA à très bas coût (il y avait un rapport de 1 à 8 entre l'Ost mark et le Deutsche Mark), puis assemblés en Allemagne de l'Ouest. Avec l'équivalence monétaire décidée par Kohl à la réunification (1 deutsche mark= 1 Ost mark), les Allemands perdent tous ces avantages. Il faut trouver un nouvel hinterland pour retrouver des sous-traitants à bas coût. Ce que l'Allemagne a perdu dans la réunification, elle le retrouvera par l'élargissement de l'UE. Ce sera dans la Mittleuropa, l'espace naturel allemand, reconstitué après l'effondrement du communisme. La Hongrie, la Tchéquie, et même la Pologne: c'est la Germanie, le Saint Empire romain germanique..

    Dans un premier temps ils ont donc implanté des usines modernes dans les pays de l'Est pour fabriquer des sous-ensembles, qui sont assemblés en Allemagne où l'on fabrique un produit fini, que l'on vend avec une kyrielle de services voire avec le financement. La grande force de l'Allemagne c'est d'avoir choisi dans la division internationale du travail un créneau où ils sont quasiment seuls, l'industrie de qualité, principalement automobile (elle leur assure une part très importante de leurs excédents commerciaux).

    Un hinterland permis par l'élargissement, une « deutsche qualität », mais aussi « un euro fort » qui sert les intérêts allemands…

    L'euro c'est le mark. C'était le deal. Les Français ont péché par naïveté et se sont dit: faisons l'euro, pour arrimer l'Allemagne à l'Europe. Les Allemands ont dit oui, à condition que l'on joue les règles allemandes: une banque centrale indépendante (basée à Francfort), avec un conseil des gouverneurs dirigé par des orthodoxes, dont la règle unique est la lutte contre l'inflation, la BCE s'interdisait dès le départ d'avoir les mêmes outils que la FED ou la banque d'Angleterre et depuis peu la Banque du Japon, même si Mario Draghi est en train de faire évoluer les choses. Mais le mal est fait.

    Vous dites que l'Allemagne fonctionne sur une forme de capitalisme bismarckien mercantiliste. Pouvez-vous nous définir les caractéristiques de cet « ordolibéralisme » allemand ?

    L'ordolibéralisme allemand se développe dans l'entre deux guerres et reprend les principes du capitalisme mercantiliste bismarckien. Bimarck favorise le développement d'un capitalisme industriel et introduit les prémices de la cogestion . Il invente la sécurité sociale. Pas par idéal de justice sociale, mais pour que les ouvriers ne soient pas tentés par les sirénes du socialisme et du communisme. C'est la stratégie qu'a déployé l'Occident capitaliste entre 1945 et 1991. Le challenge du communisme a poussé l'Occident à produire et à distribuer plus que le communisme. La protection sociale, les bons salaires, étaient autant de moyens pour éloigner des populations de la tentation de la révolution. Une fois que le concurrence idéologique de l'URSS a disparu, on est tenté de reprendre les avantages acquis… 1 milliard 400 000 chinois jouent plus ou moins le jeu de la mondialisation, la main d'œuvre des pays de l'Est est prête à travailler à bas coût…tout cela pousse au démantèlement du modèle social européen. Les inégalités se creusent à nouveau.

    L'ordolibéralisme se développe avec l'école de Fribourg. Pour ses tenants, l'homme doit être libre de créer , d'entreprendre, de choisir ses clients, les produits qu'il consomme , mais il doit aussi utiliser cette liberté au service du bien commun. l'entreprise a un devoir de responsabilité vis-à-vis des citoyens. C'est un capitalisme organisé, une économie sociale de marché où les responsabilités sont partagées entre l'entreprise, le salarié et l'Etat. Il y a quelque chose de kantien au fond: l'enrichissement sans cause, et illimité n'est pas moral, il faut qu'il y ait limite et partage.

    Le mercantilisme, c'est le développement par l'exportation. Il y a d'un coté les pays déficitaires, comme les Etats-Unis et la France et de l'autre trois grands pays mercantilistes : l'Allemagne, le Japon et la Chine. Ces trois pays sont des pays qui ont freiné leur natalité et qui sont donc vieillissants, qui accumulent donc des excédents commerciaux et des réserves pour le jour où il faudra payer les retraites. L'Amérique et la France sont des pays plus jeunes, logiquement en déficit.

    Les élections européennes approchent et pourraient déboucher pour la première fois dans l'histoire sur un Parlement européen eurosceptique. Comment voyez-vous l'avenir de l'Europe ? Comment sortir de l'Europe allemande ?

    L'Europe est un beau projet qui nous a échappé avec l'élargissement, qui a tué la possibilité même du fédéralisme. On a laissé se développer une technocratie eurocratique, une bureaucratie qui justifie son existence par le contrôle de la réglementation qu'elle édicte.

    Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut pas avoir une bonne gestion. Il faut absolument réduire nos déficits, non pas pour plaire à Bruxelles ou à Berlin, mais parce que c'est la condition première et nécessaire du retour de notre souveraineté. John Adams, premier vice-président américain disait: « il y a deux manières de conquérir un pays : l'une par l'épée, l'autre par la dette ». Seuls les Américains échappent à la règle, justement parce qu'ils ont une épée tellement puissante qu'ils peuvent se permettre de faire de la dette ! Nous ne pouvons pas nous le permettre. Ce n'est pas une question de solidarité intergénérationnelle, ou de diktat bruxellois. Si notre dette était financée intégralement par l'épargne française, comme c'est le cas des japonais, il y aurait beaucoup moins de problèmes. On aurait dû financer notre dette par des emprunts de très long terme, voire perpétuels, souscrits par les épargnants français.

    A 28 l'Europe fédérale est impossible, de même qu'à 17 ou à 9. Il y a de telles disparités fiscales et sociales que c'est impossible. Je suis pour une Confédération d'Etats-nations, qui mette en œuvre de grands projets à géométrie variable (énergie, infrastructures, métadonnées etc ). Il y a une dyarchie de pouvoirs incompréhensible pour le commun des mortels: entre Van Rompuy et Barroso, entre le Conseil des ministres et les commissaires. Dans l'idéal il faudrait supprimer la commission! Il faut que les petites choses de la vie courante reviennent aux Etats: ce n'est pas la peine de légiférer sur les fromages! Le pouvoir éxécutif doit revenir aux conseils des chefs d'état et aux conseils des ministres, l'administration de Bruxelles étant mise à leur disposition et à celui d'un Parlement dont la moitiée des députés devraient être issus des parlements nationaux. Si l'on veut redonner le gout de l'Europe aux citoyens il faut absolument simplifier les structures.

    Comment fait-on pour réduire la dette avec une monnaie surévaluée ? Faut-il sortir de l'euro ?

    Une dette perpétuelle n'a pas besoin d'être remboursée. Je suis partisan d'emprunts à très long terme, auprès des épargnants français, en leur offrant un taux d'intérêt digne de ce nom.

    Le traité de Maastricht a été une erreur: on a basculé trop vite de la monnaie commune à la monnaie unique. Il n'est pas absurde de prôner le retour à une monnaie commune et à du bimétalisme: un euro comme monnaie internationale et 3 ou 4 euros à l'intérieur de la zone euro. Mais cela nécessite l'accord unanime des pays membres, et c'est une opération très compliquée. Sur le fond, la sortie de l'euro serait l'idéal. Mais il faut être réaliste: nous n'aurons jamais l'accord des Allemands.

    Si nous sortons unilatéralement, d'autres pays nous suivront …

    Pour sortir unilatéralement, il faut être très fort, or notre pays, dans l'état dans lequel il est aujourd'hui, ne peut pas se le permettre. Quand aux autres: Rajoy suivra Merkel, les portugais aussi (ces dirigeants appartenant au PPE), Renzi joue son propre jeu. La France est isolée en Europe. Elle ne peut pas jouer les boutefeux. Hollande et Sarkozy ne se sont pas donné les moyens d'imposer un chantage à l'Allemagne. Il fallait renationaliser la dette, pour ne plus dépendre des marchés et s'attaquer au déficit budgétaire, non pas pour plaire à Merkel, mais pour remettre ce pays en ordre de marche. Sarkozy faisait semblant de former un duo avec la chancelière alors que c'est elle qui était aux commandes. Hollande, lui fuit, et essaye de gagner du temps, deux mois, trois mois. Il cherche l'appui d'Obama nous ramenant aux plus beaux jours de la Quatrième République, à l'époque où on quémandait l'appui des Américains pour exister.

    Comme vous l'expliquez dans votre livre, la France, faute d'industrie, essaie de vendre les droits de l'homme…

    Oui nous avons abandonné le principe de non ingérence en même temps que nous avons laissé en déshérence des pans entiers de notre appareil industriel. Alors que la guerre économique fait rage, que la mondialisation exacerbe les concurrences, nous avons d'un coté obéré notre compétitivité et de l'autre on s'est imaginé que l'on tenait avec les droits de l'homme un « plus produit » comme on dit en marketing. Or ce sont deux choses différentes. Surtout quand il s'agit de vendre dans des pays où les gouvernements exercent une forte influence sur l'économie. Les droits de l'homme ne font pas vendre. C'est malheureux mais c'est ainsi. De plus la France à une vision des droit de l'homme à géométrie variable. Pendant qu'on fait la leçon à Poutine, on déroule le tapis rouge au Qatar où à l'Arabie Saoudite. Avec la Chine on tente de rattraper les choses. Mais les Chinois, contrairement à nous, ont de la mémoire. Savez-vous pourquoi le président chinois lors de sa venue en France s'est d'abord arrêté à la mairie de Lyon avant celle de Paris ? Parce que M Delanoë avait reçu le dalaï-lama, et que les Chinois se souviennent du trajet de la flamme olympique en 2008 dans la capitale. Nous occidentaux, nous n'avons pas de leçons à donner au reste du monde. Les espagnols ont passé au fil de l'épée les Indiens, les Anglais ont mené une guerre de l'opium horriblement humiliante pour les Chinois au XIXème. Arrêtons de vouloir donner des leçons au reste du monde, sinon le reste du monde sera en droit de nous en donner ! 

    Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir. Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne: qui dominera l'économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l'Allemagne.  

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    Entretien réalisé par Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio

     

  • Voyages • Vienne, un héritage impérial vivant

     

    par Jean Sévillia 

    EN IMAGES - Vienne fête le centième anniversaire de la mort de François-Joseph. La capitale autrichienne, aujourd'hui, bénéficie d'une qualité de vie qui tient aussi au cadre majestueux légué par les grands travaux d'urbanisme de cet empereur. Jean Sévillia nous fait visiter cette capitale européenne [Figarovox 24.06] à laquelle la France est liée par de nombreux liens de mémoire et autres, contemporains.  LFAR

     

    XVM06e8d676-796d-11e5-ba18-c49418e196fb - Copie.jpgA Vienne, dans les magasins pour touristes, François-Joseph et l'impératrice Elisabeth tournent ensemble sur les présentoirs de cartes postales, pendant que leur effigie figure sur des boîtes de chocolats, des puzzles, des porte-clés, des tee-shirts et des statuettes, sans oublier les boules de verre avec de la fausse neige. Si le kitsch Habsbourg fait marcher le commerce, il y a, Dieu merci, plus sérieux pour célébrer le centième anniversaire de la mort de François-Joseph, disparu en 1916, au mitan de la Première Guerre mondiale. Dans la capitale autrichienne, les librairies proposent des piles de biographies, d'albums et de magazines historiques qui lui sont consacrés, tandis que se tiennent quatre expositions, une cinquième étant proposée dans le château de Niederweiden, à 50 kilomètres à l'est de la ville (lire notre carnet de voyage,p. 79). Impossible, en ce moment, de se rendre à Vienne et d'ignorer que 2016 est une année François-Joseph. Mais, à part ses favoris immaculés et le surnom de son épouse (Sissi), qu'est-ce que le visiteur connaît de lui? Et mesure-t-on bien tout ce que le visage actuel de Vienne doit à cet empereur?

    Né en 1830, François-Joseph est le petit-fils de François Ier, l'adversaire malheureux de Napoléon. C'est en 1848 qu'il accède au trône, à la faveur de l'abdication de son oncle Ferdinand Ier, chassé par la révolution. Par la force des armes, le jeune souverain rétablit la puissance autrichienne en Lombardie et en Hongrie, où l'insurrection est matée avec l'appui des Russes. Cette première partie du règne impose un régime autoritaire, opposé aux aspirations libérales ou nationales. A Solferino, en 1859, François-Joseph perd la guerre contre Napoléon III, et doit céder la Lombardie au royaume de Piémont. Une déroute qui le contraint, à l'intérieur, à l'ouverture vers le fédéralisme. En Allemagne, l'empereur doit composer avec la prépondérance de Berlin, rivalité qui débouche sur un conflit clos par la défaite autrichienne devant les troupes prussiennes, à Sadowa, en 1866. Un nouveau revers qui pousse François-Joseph à un nouveau changement manifesté par des concessions aux Magyars. Entichée de la Hongrie, l'impératrice Elisabeth contribue à cette politique. En 1867, le compromis austro-hongrois place l'empire d'Autriche et le royaume de Hongrie sur un pied d'égalité, l' empereur et roi gouvernant la double monarchie avec trois ministres communs.

     

    L'hôtel de ville de Vienne a été construit de 1872 à 1883 dans le style néogothique des communes flamandes. Haute de 100 m, la tour est surmontée d'un chevalier en cuivre.

    L'hôtel de ville de Vienne a été construit de 1872 à 1883 dans le style néogothique des communes flamandes. Haute de 100 m, la tour est surmontée d'un chevalier en cuivre. - Crédits photos  : © Arnaud Robin / Figaro magazin

    Arnaud RobinSuivront quarante années de paix: l'apogée du règne. Un temps néanmoins traversé de tensions intérieures et de drames familiaux: l'exécution du frère de François-Joseph, Maximilien, au Mexique (1867) ; le suicide de son fils unique Rodolphe à Mayerling (1889) ; l'assassinat de l'impératrice Elisabeth par un anarchiste italien à Genève (1898). Et, pour finir, l'assassinat de son neveu François-Ferdinand par un révolutionnaire serbe, à Sarajevo, en 1914. Cet attentat obligera l'Autriche à réclamer réparation à la Serbie, déclenchant, par le jeu des alliances, la Première Guerre mondiale. Lorsqu'il meurt, en 1916 - laissant la couronne à son petit-neveu, Charles Ier, qui régnera jusqu'en 1918 - François-Joseph est âgé de 86 ans. Il a été empereur pendant soixante-huit ans et a vu 150 autres souverains régner en Europe, puis disparaître.

    François-Joseph incarne un pan de l'histoire de l'Europe, de l'histoire de l'Autriche et de l'histoire de Vienne. Son nom est un mythe, un mythe historique, culturel, littéraire et cinématographique. Ce mythe existait du vivant du souverain dont le portrait ornait chaque bâtiment officiel, chaque maison, chaque auberge. Après l'effondrement de l'empire, l'Autriche, paradoxalement, était un pays neuf. Non seulement en raison de la forme républicaine de l'Etat, mais parce que le territoire délimité par les frontières de 1919 n'avait jamais existé comme un pays indépendant, l'Autriche étant jusqu'alors le berceau de l'empire d'Autriche auquel elle avait donné son nom. Aussi ceux des Autrichiens qui doutaient de la solidité de leur nouveau pays et de sa capacité à résister au voisin allemand, surtout après 1933, se raccrochaient-ils au mythe François-Joseph. Sans être lié nécessairement à une nostalgie monarchique, le souvenir du vieux souverain ramenait l'image rassurante d'une Autriche forte, prospère et sûre, contrastant avec les menaces du moment. Chez Franz Werfel, Robert Musil, Joseph Roth ou Stefan Zweig, la littérature autrichienne d'alors abonde en livres ressuscitant «le monde d'hier».

     

    La statue de François-Joseph dans le Burggarten, qui était autrefois le jardin privé de l'empereur. C'est aujourd'hui un lieu d'agrément très prisé.

    La statue de François-Joseph dans le Burggarten, qui était autrefois le jardin privé de l'empereur. C'est aujourd'hui un lieu d'agrément très prisé. 

    Après la Seconde Guerre mondiale, le mythe est réactivé car il permet d'évacuer l'épisode trouble vécu par l'Autriche sous la botte nazie. Au cinéma, la célébrissime trilogie du réalisateur autrichien Ernst Marischka - Sissi (1955), Sissi impératrice (1956) et Sissi face à son destin (1957) - met en scène l'impératrice sous les traits de la jeune Romy Schneider, François-Joseph étant joué par le séduisant Karlheinz Böhm. Ces films ont fixé dans le public, jusqu'à nos jours, une image historiquement fausse du couple impérial. Ils ont cependant contribué à la popularité mondiale du mythe François-Joseph et Sissi, et auront suscité, dans les années 1950 et 1960, l'envie d'aller découvrir les palais viennois et les lacs alpins, avantage non négligeable pour un pays qui, ayant recouvré sa souveraineté en 1955, ne demandait qu'à s'ouvrir au tourisme. Il ne faut pas croire, pour autant, que François-Joseph a toujours été l'objet de panégyriques. Dès 1919, Ernest von Koerber, qui avait été chef du gouvernement autrichien sous la monarchie, considérait que cet empereur avait nui deux fois au pays, au début par sa jeunesse, à la fin par son trop grand âge. De nos jours, l'absolutisme des débuts du règne ou l'évaluation de la responsabilité de l'empereur dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale suscite des débats. Karl Vocelka, auteur d'une biographie de François-Joseph parue l'an dernier et commissaire de l'exposition qui se tient actuellement à Schönbrunn, déplore ainsi longuement la répression de la révolution hongroise de 1848 ou le fait que de nombreux problèmes nationaux et sociaux soient restés sans réponse avant 1914. L'historien reconnaît toutefois les acquis économiques et culturels de cette époque, tout en hésitant à les attribuer à l'action personnelle du souverain. 

     
     
    Un fiacre traversant la Hofburg, immense palais qui est une ville dans la ville. Vienne possède près de 150 fiacres, dont les conducteurs portent une tenue traditionnelle. Ces voitures et leurs chevaux font partie du paysage viennois

    Un fiacre traversant la Hofburg, immense palais qui est une ville dans la ville. Vienne possède près de 150 fiacres, dont les conducteurs portent une tenue traditionnelle. Ces voitures et leurs chevaux font partie du paysage viennois.  

    L'historien tchèque Palacky, dès 1848, disait que si l'Autriche n'existait pas, il faudrait l'inventer. On peut trouver mille défauts à François-Joseph, mais sa vertu principale, le service qu'il a rendu aux peuples danubiens et par-là à l'Europe entière, c'est d'avoir su durer - or durer, en politique, est un art - et d'avoir su réunir sous ses deux couronnes une douzaine de peuples qui parlaient autant de langues et pratiquaient toutes les religions. Au siècle des nationalités, la mosaïque ethnique et culturelle du bassin danubien aurait pu être le théâtre d'atroces guerres intestines. Cette catastrophe a été évitée à l'Europe centrale grâce à l'Autriche-Hongrie, foyer de civilisation. La cour de François-Joseph, avec son étiquette, ses uniformes et ses titulatures, pouvait laisser l'impression d'un univers figé. Ce n'était que la surface des choses. En réalité, à cette époque, l'Autriche s'était transformée en une puissance moderne, un Etat de droit où la Constitution de 1867 garantissait les droits du citoyen, où le suffrage universel attendrait 1907, mais où la législation sociale, dès la seconde moitié du XIXe siècle, était sur de nombreux points (assurance-maladie, congés payés) plus avancée qu'en France ou en Angleterre. L'Autriche-Hongrie, dans ces années-là, était devenue une force industrielle, la quatrième d'Europe après l'Angleterre, l'Allemagne et la France. Et c'est sous le long règne de François-Joseph que la capitale autrichienne avait revêtu ce visage qui lui vaut de nos jours d'attirer les visiteurs du monde entier.

     

    Au centre de Vienne, la Hofburg, ancienne résidence des Habsbourg, se compose de plusieurs ailes dont la construction s'étale du XIIIe siècle au début du XXe siècle. Ici, le bureau de l'impératrice Elisabeth, dite Sissi, l'épouse de François-Joseph, assassinée en 1898.

    Au centre de Vienne, la Hofburg, ancienne résidence des Habsbourg, se compose de plusieurs ailes dont la construction s'étale du XIIIe siècle au début du XXe siècle. Ici, le bureau de l'impératrice Elisabeth, dite Sissi, l'épouse de François-Joseph, assassinée en 1898. 

    En 1857, une ordonnance impériale commande la destruction de la vieille enceinte qui, en 1529 et en 1683, avait repoussé les Ottomans mais qui, désormais inutile, étouffe la ville comme un corset. François-Joseph impose cette décision aux militaires, qui craignent que cette mesure ne profite aux révolutionnaires. Dans son esprit, il s'agit de faire de Vienne la capitale d'un vaste empire dynamique, ce qui suppose un plan de rénovation urbaine à l'instar de celui lancé par le baron Haussmann à Paris. Les meilleurs architectes sont mobilisés - l'Autrichien Heinrich von Ferstel, l'Allemand Gottfried Semper, le Danois Theophil Hansen - et chargés d'organiser l'espace situé à l'emplacement des anciennes murailles. Le choix a été fait d'entourer la vieille ville par un boulevard circulaire de 5,3 kilomètres de longueur. Sur cette artère de prestige, la Ringstrasse, en abrégé le Ring, s'édifieront des bâtiments publics, des institutions culturelles, des hôtels de luxe, des immeubles de bureaux et d'habitation. Inauguré en 1865, le Ring restera en chantier pendant plus de vingt ans.

    Entre 1860 et 1890 sont ainsi bâtis la Votivkirche (l'église du Vœu, commencée avant la démolition des remparts et construite en action de grâce pour la tentative d'assassinat à laquelle François-Joseph a échappé en 1853), l'Opéra, la chambre de commerce, la Maison des artistes, le musée des Arts appliqués, la salle de concert du Musikverein, la Bourse, le musée d'Histoire naturelle, le musée d'Histoire de l'art (Kunsthistorisches Museum), l'Académie des beaux-arts, le nouvel hôtel de ville, le Parlement, le Burgtheater, l'aile nouvelle du palais de la Hofburg et l'université. Le goût étant à l'historicisme, le Parlement a été conçu dans le style grec, l'hôtel de ville dans le style néogothique et l'Université dans le style néo-Renaissance. Ces monuments, en 2016, conservent à Vienne son air de capitale impériale. Si plusieurs d'entre eux, bombardés en 1944-1945, ont été reconstruits à l'identique, ils remplissent la même fonction depuis l'origine. 

     

    Les cafés, à Vienne, sont une institution. On peut y prendre un repas ou une consommation, et lire les journaux qui sont à la disposition des clients. Des portraits de François-Joseph et de l'impératrice Elisabeth ornent la grande salle du Café central.

    Les cafés, à Vienne, sont une institution. On peut y prendre un repas ou une consommation, et lire les journaux qui sont à la disposition des clients. Des portraits de François-Joseph et de l'impératrice Elisabeth ornent la grande salle du Café central. 

    Sur le Ring s'étaient également édifiés des immeubles habités par des aristocrates, mais plus souvent par des familles bourgeoises dont l'ascension accompagnait les progrès économiques de l'Autriche. Les Juifs étaient nombreux dans ce milieu, encouragés par l'abolition, en 1867, des ultimes interdits qui les frappaient. Rothschild, Epstein, Ephrussi ou Todesco se faisaient bâtir des palais dont l'architecture, la décoration des façades et la richesse des intérieurs proclamaient la réussite. Forte de cet essor, Vienne organisait en 1873 une Exposition universelle ambitieuse qui venait après celles de Londres et Paris. De 430 000 habitants en 1857, la population passait à 820 000 personnes en 1890, et atteindra les 2 millions en 1910. Autrichiens, Italiens, Polonais, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Slovènes, Juifs de l'Est, tous les peuples de l'empire étaient représentés à Vienne. La ville était la cinquième métropole occidentale, derrière Londres, New York, Paris et Berlin.

    Vienne fin de siècle ? Rien de plus trompeur que cette formule. Contrairement à une idée reçue, nul sentiment de décadence, ou de fin du monde, n'étreignait cette société où personne ne pressentait la fin de la monarchie. C'est encore sous le règne de François-Joseph que s'épanouirait, laboratoire de la modernité, la Vienne du Jugendstil et de la Sécession, avec des architectes comme Otto Wagner et Adolf Loos, des peintres comme Gustav Klimt, Egon Schiele et Oscar Kokoschka, des musiciens comme Gustav Mahler, Arnold Schönberg et Alban Berg, et des médecins lauréats du p

  • Jean-François Colosimo : « L'alliance de la Turquie avec Daech est objective »

     

    Jean-François Colosimo a accordé un entretien-fleuve à FigaroVox au sujet du rôle géopolitique de la Turquie au Proche-Orient. Il déplore le double-jeu d'Erdoğan et la passivité de l'Europe. Ses positions - largement explicitées et développées dans cet entretien - correspondent à celles que nous avons toujours défendues ici. LFAR

    On a appris les bombardements d'un village chrétien de Sharanish au nord de l'Irak, dans le cadre des opérations anti-PKK. Juste après les attentats d'Istanbul, la Turquie avait lancé une campagne de frappes aériennes contre Da'ech en Irak et en Syrie. Quel est son ennemi prioritaire, Da'ech ou les minorités ?

    Jean-François Colosimo: Une vague de bombes qui revêt valeur d'avertissement pour l'État islamique et de gage pour les États-Unis ne saurait épuiser la question du double jeu d'Ankara dans la nouvelle crise d'Orient. Le fait de se vouloir à la fois le champion de l'Otan et le passeur de Da'ech n'engage pas d'autre ennemi prioritaire que soi-même. La Turquie est en lutte contre la Turquie. Elle combat les spectres des massacres sur lesquels elle s'est édifiée. Que les minorités, chrétiennes ou autres, souffrent au passage, c'est leur sort. Car toute l'histoire moderne du pays se conjugue dans ce mouvement de balancier perpétuel entre adversité du dehors et adversité du dedans. Et au regard duquel les changements de régime ne comptent guère.

    Comment s'est opéré le basculement d'une Turquie laïque vers l'intensification de l'emprise de l'islam sur toute la société? Quel est le sort des minorités ethniques et religieuses ?

    Afin de comprendre la Turquie d'aujourd'hui, il faut, comme il est d'habitude en Orient, s'établir sur le temps long. Plusieurs illusions de perspective menacent en effet une claire vision: qu'il y aurait une permanence en quelque sorte éternelle de la Turquie, qu'il y aurait lieu d'opposer la Turquie laïciste de Mustafa Kemal et la Turquie islamiste de Recep Erdoğan, que l'avenir de la Turquie serait nécessairement assuré.

    La Turquie contemporaine est incompréhensible sans l'Empire ottoman, lequel est lui-même incompréhensible sans l'Empire byzantin qui l'a précédé: comment passe-t-on, à l'âge moderne, d'une mosaïque multi-ethnique et pluri-religieuse à des ensembles nationaux et étatiques cohérents? Or, la décomposition de l'Empire ottoman, entamé dans les années 1820 avec l'indépendance de la Grèce, n'en finit pas de finir. Depuis la chute du communisme, de Sarajevo à Bagdad, les récents incendies des Balkans et les présents incendies du Levant attestent de sa reprise, de sa poursuite et de son caractère, pour l'heure, inachevé.

    Ce processus historique, déjà long de deux siècles, explique à la fois la naissance et l'agonie de la Turquie moderne. Deux événements relevant de la logique de la Terreur encadrent son surgissement: le premier génocide de l'histoire, commis en 1915 par le mouvement progressiste des Jeunes-Turcs, soit 1 600 000 Arméniens d'Asie mineure anéantis ; la première purification ethnique de l'histoire, entérinée par la Société des Nations en 1923, consécutive à la guerre de révolution nationale menée par Mustafa Kemal et se soldant par l'échange des populations d'Asie mineure, soit 1 500 000 Grecs expulsés du terreau traditionnel de l'hellénisme depuis deux mille cinq cents ans. Une dépopulation qui a été aussi bien, il faut le noter, une déchristianisation.

    La déconstruction impériale que se proposait d'acter le Traité de Sèvres en 1920, en prévoyant entre autres une Grande Arménie et un Grand Kurdistan, laisse la place à la construction de la Grande Turquie, acquise par les armes, qu'endosse le Traité de Versailles en 1923. La Turquie naît ainsi d'un réflexe survivaliste. Elle doit perpétuer sa matrice, continuer à chasser ses ennemis pour exister, sans quoi elle risque de retomber dans la fiction et l'inexistence. L'ennemi extérieur a été battu. Reste à vaincre l'ennemi intérieur. Ou, plutôt, les ennemis, tant ils sont nombreux et tant la fabrique nationaliste ne fonctionne qu'en produisant, à côté du citoyen-modèle, son double démonisé.

    Qui ont été les victimes de cette politique ?

    Dès l'instauration de la République par Kemal, la modernisation et l'occidentalisation se traduisent par l'exclusion. C'est vrai des minorités religieuses non-musulmanes, ce qu'il reste de Grecs, Arméniens, Syriaques, Antiochiens, Juifs, Domnehs (ou Judéo-musulmans), Yézidis, etc. C'est vrai des minorités musulmanes hétérodoxes, Soufis, Alévis, Bektâchîs, etc. C'est vrai des minorités ethniques, Kurdes, Lazes, Zazas, etc. Toute différence est assimilée à une dissidence potentielle. Toute dissidence est assimilée à un acte d'antipatriotisme. Tout antipatriotisme doit être supprimé à la racine. Tout signe distinct de culte, de culture ou de conviction doit être dissous dans une identité unique, un peuple idéal et un citoyen uniforme.

    Cette guerre intérieure, que conduit l'État contre ces peuples réels au nom d'un peuple imaginaire, parcourt le petit siècle d'existence de la Turquie moderne. De 1925 à 1938, elle est dirigée contre les Kurdes à coups de bombes, de gaz et de raids militaires. En 1942, elle prend un tour légal avec la discrimination fiscale des communautés «étrangères», dont les Juifs, et la déportation dans des camps de dix mille réfractaires. De 1945 à 1974, elle s'appuie sur les pogroms populaires, à l'impunité garantie, pour liquider les derniers grands quartiers grecs d'Istanbul et leurs dizaines de milliers d'habitants tandis qu'à partir de 1989, les institutions religieuses arméniennes se trouvent plus que jamais otages d'un chantage à la surenchère négationniste. Avec les putschs de 1960, 1971, 1980, la guerre devient celle de l'armée contre la démocratie. Hors des périodes de juntes, elle est le produit du derin devlet, de «l'État profond», alliance des services secrets, des groupes fascisants et des mafias criminelles qui orchestre répressions sanglantes des manifestations, éliminations physiques des opposants et attentats terroristes frappant les mouvements contestataires: ce qui aboutit par exemple, entre les années 1980 - 2010, à décapiter l'intelligentsia de l'activisme alévi. Mais la guerre classique peut aussi reprendre à tout moment: dite « totale », puis « légale » contre le PKK d'Abdullah Öcalan avec la mise sous état de siège du Sud-Est, le pays kurde, elle présente un bilan de 42 000 morts et 100 000 déplacés à l'intérieur des frontières en vingt ans, de 1984 à 2002.

    La prise de pouvoir d'Erdoğan et de l'AKP va permette un retour de l'islam au sein de l'identité turque. Elle acte en fait une convergence sociologique qui a force d'évidence démographique, accrue par la volonté de revanche des milieux traditionnels marginalisés par le kémalisme, des classes laborieuses délaissées par les partis sécularisés, de la paysannerie menacée par la modernisation mais aussi, dans un premier temps, des minorités tentées de rompre la chape de plomb étatique. La réalité va cependant vite reprendre ses droits: le fondamentalisme sunnite devient la religion constitutive de la « turquité » comme, hier, l'intégrisme laïciste. La couleur de l'idéologie change, mais ni la fabrique, ni la méthode, ni le modèle. Les minorités, abusées, trahies, redeviennent les cibles d'une construction artificielle et imposée. Mais entretemps, à l'intérieur, la société est divisée puisqu'elle compte une avant-garde artistique et intellectuelle constituée. Et à l'extérieur, la stabilité intermittente issue du Traité de Lausanne cède devant les réalités oubliées du Traité de Sèvres.

    Quelles sont les ambitions géopolitiques de la Turquie dans la région proche-orientale et caucasienne ?

    Parallèlement à son entreprise d'islamisation de la société, Erdoğan a voulu établir la Turquie comme puissance internationale conduisant une politique autonome d'influence. La Turquie laïciste et militaire de la Guerre froide, intégrée au bloc occidental, n'est plus qu'un fantôme, servant de leurre à une ambition néo-ottomane. La Turquie veut à nouveau dominer le monde musulman proche-oriental. Or les pays arabes du Levant ont précisément fondé leur indépendance sur le rejet du joug des Turcs-ottomans, considérés comme des intrus politiques et des usurpateurs religieux et les anciennes républiques musulmanes d'URSS restent dans l'orbe de Moscou. C'est la limite de l'exercice.

    Erdoğan a néanmoins voulu jouer sur tous les tableaux: comme protecteur des entités ex-soviétiques turcophones en Asie centrale et sunnites au Caucase ; comme médiateur de la Palestine et de la Syrie au Machrek ; comme allié des populations islamisées d'Albanie, du Kosovo et de Bosnie en Europe ; et même comme défenseur des Ouïghours musulmans en Chine. Le signe le plus probant de sa rupture avec l'Occident étant de s'être posé en adversaire d'Israël, jusque-là l'allié d'Ankara, à l'occasion de ses sorties verbales à Davos ou des expéditions navales présentées comme humanitaires à destination de Gaza.

    Le fil rouge? Que la Turquie, sortie de l'effondrement de l'Empire ottoman, déportée à l'Ouest par une laïcisation jugée contre-nature, redevienne la première puissance du monde musulman et sunnite.

    Comment comprendre l'emprise d'Erdogan et de l'AKP, un parti islamo-conservateur, sur un pays qui semblait avoir réalisé une entreprise d'européanisation et de laïcisation depuis un siècle ?

    La pointe fine de la société civile, souvent remarquable, issue des anciens milieux cosmopolites d'Istanbul-Constantinople ou d'Izmir-Smyrne, tournée vers l'Europe non pas comme modèle de technicité mais de culture, reste malheureusement inefficace dans l'ordre politique. De surcroît, maladie fréquente dans les pays musulmans de Méditerranée orientale, l'opposition démocratique est éclatée, les forces progressistes étant divisées, notamment à cause de la question des minorités. Enfin, Erdoğan a su mener une guerre souterraine visant à soumettre les pouvoirs qui pouvaient lui résister: militaire, parlementaire, judiciaire, médiatique, et même religieux. L'erreur et la honte de l'Europe sont d'avoir laissé se développer son emprise tyrannique.

    Il faut rappeler l'affaire Ergenekon, du nom d'un réseau supposément composé de militants nationalistes sous la coupe d'officiers militaires et démantelé par le gouvernement islamiste. Entre 2008 et 2010, à la faveur d'une instruction et d'un procès fleuve, trois cents personnes ont été arrêtées, 194 inculpées, et les condamnations aussi nombreuses ont permis de mettre au pas l'armée et de discréditer l'idéologie républicaine. Il faut rappeler les dizaines et dizaines de journalistes virés sur ordre d'en-haut, emprisonnés pour offenses à la patrie, à l'islam, au chef de l'État. Il faut rappeler les poursuites judiciaires contre l'écrivain Orhan Pamuk qui avait osé évoquer le génocide des Arméniens, contre le pianiste Fazil Say qui avait osé se déclarer athée. Mais aussi la restauration du voile dans l'espace public sous prétexte de liberté de conscience, l'hypertaxation du raki et plus généralement de l'alcool sous prétexte de lutte contre l'alcoolisme, la multiplication des mosquées sous prétexte de la moralisation de la jeunesse, etc.

    Dans le même temps, le mouvement protestataire né à Istanbul après qu'Erdogan a annoncé sa volonté de détruire le Parc Gezi de Taksim, ce bastion alévi, a récemment enflammé la Turquie. La résistance qui existe est ainsi populaire et parcourue par les survivances minoritaires.

    Nous sommes face à un engrenage et une dérive autoritaire qui ne dit pas son nom. Au point que, alors qu'Erdoğan fustige «les nationalismes ethniques et religieux qui menacent la Turquie» (sic), bat le rappel de la pièce de théâtre qu'il avait écrite dans les années 1970 et dans laquelle il dénonçait le complot franc-maçon, juif et communiste, qu'il avance que les musulmans ont découvert l'Amérique avant Christophe Colomb ou que l'hitlérisme a été un facteur de modernisation, qu'il se fait construire un palais de mille pièces à Ankara, c'est son mentor spirituel, l'islamiste Fethullah Gülen, qui dénonce la mainmise et la corruption de l'AKP!

    Or, signe des temps, les dernières élections ont vu pour la première fois des Turcs non- kurdes voter pour des candidats kurdes, en l'occurrence ceux du parti HDP mené par Selahattin Dermitaş. Cela montre que la société entend barrer la route à la révision constitutionnelle grâce à laquelle Erdoğan veut s'attribuer les pleins pouvoirs. C'est dans ce contexte qu'est survenue l'instrumentalisation des attentats attribués à Da'ech.

    Quelle position la Turquie a-t-elle adopté à l'endroit de Da'ech ?

    Le sommet de la politique d'islamisation d'Erdoğan est le soutien implicite de la Turquie à Da'ech, par hostilité au régime d'Assad, aux courants progressistes arabes, et par une alliance objective sur le sunnisme fondamentaliste. La Turquie s'élève enfin contre l'essor de l'identité kurde en Turquie et, de ce point de vue, son alliance avec Da'ech est objective.

    C'est l'État turc qui a déverrouillé l'État islamique en lui offrant un hinterland propice au transport des combattants, à l'approvisionnement en armes, au transfert de devises, au commerce du pétrole. C'est la société turque qui souffre de ce rapprochement insensé. C'est l'Europe qui s'entête à demeurer aveugle à cette connivence mortifère.

    Pour quelle raison cette ambiguïté turque n'est-elle pas dénoncée par les pays qui luttent contre l'État islamique ?

    Parce que l'Europe impotente, sans diplomatie et sans armée a cédé au chantage d'Erdoğan sur l'endiguement supposé des réfugiés. Argent, reconnaissance, soutien, silence: Merkel et Hollande ont tout accordé à Erdoğan. Surtout, l'Union se plie au diktat de la politique ambivalente d'Obama qui privilégie l'axe sunnite, saoudien-qatari-turc, avec pour souci premier de ne pas sombrer l'Arabie saoudite dans le chaos.

    Comment une Turquie entrée dans une phase d'islamisation à marche forcée peut-elle encore espérer intégrer une Union européenne laïque? Pour quelle raison l'UE, depuis 1986, continue-t-elle à fournir des fonds structurels à un État dont il est hautement improbable qu'il entre en son sein ?

    La Turquie, en raison de son héritage byzantin, partagé entre l'Ouest et l'Est, a depuis toujours manifesté une volonté d'association avec l'Occident. Sa tentative d'entrer dans l'UE était liée au fait qu'une Turquie laïciste et moderne voulait être un exemple d'européanisation. Or aujourd'hui s'est opéré un renversement d'alliance vers l'Orient, et de l'occidentalisation à l'islamisation.

    L'entrée de la Turquie dans l'UE semblait cependant peu probable et le paraît encore moins aujourd'hui pour plusieurs raisons: géographiquement, l'Europe s'arrête au Bosphore. Historiquement, l'Europe s'est affirmée à Lépante et à Vienne en arrêtant les Ottomans. Politiquement, la Turquie deviendrait le pays à la fois le plus peuplé et le moins avancé, le plus religieux et le moins démocratique de l'Union. Militairement, elle en porterait les frontières sur des zones de guerre. Mais, surtout, culturellement, philosophiquement, l'État turc, non pas les intellectuels turcs, refuse cette épreuve typiquement européenne du retour critique sur soi et sur l'acceptation d'une mémoire partagée quant au passé, à commencer par le génocide des Arméniens. Mais l'arrimage de la Turquie à l'Europe, sous la forme de partenariat privilégié, doit demeurer un objectif. Il ne passe pas par une amélioration des cadres politiques ou économiques, mais par une libération des mentalités. Ce que veut empêcher Erdoğan.

  • Reçu d'Annie Laurent : Islam et Blasphème (dans ”La petite feuille verte”)...

     Le sujet déborde les limites des pays musulmans et influenceurs, les communautés islamiques installées en Occident.

    Compte tenu de cette importance, il a été divisé en deux parties. Vous trouverez la première dans la Petite Feuille Verte n ° 68 (texte complet ci-après), la suite sera traitée dans la prochaine, qui portera le n ° 69...

     

    ISLAM ET BLASPHÈME

    Plusieurs affaires récentes défrayant la chronique ont mis en évidence l’importance que l’on accorde au blasphème dans le monde musulman.

    L’une d’elles a particulièrement retenu l’attention car elle s’est déroulée en France en janvier 2020.

    Les propos tenus par une adolescente prénommée Mila, qui avait crûment exprimé son aversion pour l’islam, lui ont valu de nombreuses menaces de mort, menaces que le délégué général du Conseil Français du Culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri, a semblé approuver. « Cette fille sait très bien ce qu’elle fait. Qui sème le vent récolte la tempête » (Le Figaro, 30 janvier 2020).

    Ce responsable se situe donc du côté des musulmans pour lesquels le blasphème est passible des plus graves sanctions, tandis que d’autres appellent à la tolérance dans ce domaine.

    Annie_Laurent.jpgLE BLASPHÈME DANS LES TEXTES

    Le Coran évoque le thème du blasphème sans le nommer.

    • « Oui, Dieu maudit en ce monde et dans l’autre ceux qui offensent Allah et son Prophète. Il leur prépare un châtiment ignominieux. Ceux qui offensent injustement les croyants et les croyantes se chargent d’une infamie et d’un péché notoire » (33, 57).

    Le Coran évoque le thème du blasphème sans le nommer.

    • « Oui, Dieu maudit en ce monde et dans l’autre ceux qui offensent Allah et son Prophète. Il leur prépare un châtiment ignominieux. Ceux qui offensent injustement les croyants et les croyantes se chargent d’une infamie et d’un péché notoire » (33, 57).

    Allah n’édicte donc aucune sanction dans l’ordre temporel. Cependant, le droit islamique pallie ce silence, comme l’a montré Mustapha Baig, maître de conférences en études islamiques à l’Université d’Exeter (Royaume-Uni), dans une conférence donnée à Aix-en-Provence le 3 juillet 2013. « La loi islamique, au cours de son histoire, a prescrit des punitions pour l’insulte envers la religion ».

    L’auteur considère que ce principe repose sur le mot arabe tajdif, qui signifie blasphème et que l’on trouve dans le Hadîth (tradition mahométane), « pour signifier le déni ou le refus de reconnaître, le fait d’être ingrat en général ou vis-à-vis des bontés et des bénédictions de Dieu ». Baig précise que « le Prophète Mahomet dit, selon une tradition, que le tadjif est le pire des péchés ».

    Les juristes ont tiré de cette tradition une diversité de conséquences. Ainsi, pour l’école hanéfite, la plus importante des quatre écoles juridiques de l’Islam, « le blasphème équivaut à l’apostasie » car « un musulman qui insulte Dieu ou son Prophète devient un non-musulman et l’apostasie peut être punie de mort ». D’autres écoles distinguent cependant entre apostasie et blasphème (M. Baig, op. cit.).

     

    MAHOMET L’INTOUCHABLE

                Le plus souvent, l’accusation de blasphème concerne Mahomet, personnage sacré par excellence. Le Coran rapporte les moqueries qu’il subissait de la part de ses compatriotes de La Mecque, tandis qu’ils refusaient de croire à sa mission prophétique, et le soutien qu’il recevait alors d’Allah.

    • « Ils disent : “Pourquoi ne nous apporte-t-il pas un miracle de son Seigneur ?” La preuve de ce que contiennent les Ecritures anciennes ne leur est-elle pas venue ? » (20, 133).
    • « Ne leur suffit-il pas que Nous ayons fait descendre sur toi le Livre et qu’il leur soit récité ? Il y a certes là une miséricorde et un rappel pour les gens qui croient » (29, 51).
    • « Dis-leur : “Je ne prétends pas disposer des trésors d’Allah ni connaître les Mystères, je ne vous dis pas que je suis un ange. Je ne fais que suivre ce qui m’a été révélé” » (6, 50).
    • « Dis : “Je ne suis pas un novateur parmi les messagers d’Allah et je ne sais pas ce que l’on fera de moi et de vous. Je ne fais que suivre ce qui m’a été révélé et ne suis qu’un clair avertisseur” » (46, 9).
    • « Votre compagnon n’est pas égaré ; il n’est pas dans l’erreur ; il ne parle pas sous l’empire de la passion » (53, 1).
    • « S’ils te traitent d’imposteur, réponds-leur : ”A moi mes actes, à vous les vôtres. Vous n’êtes pas responsables de ce que je fais ni moi de ce que vous faites » (10, 41)
    • Mahomet « est le Messager d’Allah et le Sceau des prophètes » (33, 40).
    • « Celui qui te hait restera sans postérité » (108, 3).

    Cf. aussi : 10, 20 ; 29, 52 ; 17, 59 ; 25, 7-9 ; 11, 12.

                Mahomet lui-même ne pouvait supporter les satires et les invectives qui lui étaient adressées. Il n’a pas hésité à faire assassiner pour ce motif plusieurs personnalités de son entourage, entre autres la poétesse Asma bint Marwan, et le vieillard centenaire Abou Afak (Cf. Maxime Rodinson, Mahomet, Seuil, 1961, p. 188-189).

    C’est pour protéger la sacralité de Mahomet, auquel Allah donne la qualité de « beau modèle » (Coran 33, 21), qu’il est interdit de le représenter sous la forme de dessins classiques, a fortiori sous la forme de caricatures. Selon le Cheikh Mohammed Nokkari, juriste sunnite libanais, « la jurisprudence a interdit de dessiner le portrait du prophète Mahomet, pour différentes raisons : d’abord, on ne connaît pas à quoi il ressemble ; ensuite, les dessins en général ne sont pas tolérés dans l’islam » (L’Orient-Le-Jour, 2 février 2015).

    Pour Nokkari, la raison d’être de l’interdiction des représentations repose principalement sur « la crainte de l’idolâtrie, une coutume combattue assidûment par l’islam, notamment au cours des premiers siècles ». Le chiisme autorise cette pratique, « mais dans des scènes correctes » (Ibid.).

     

    LES VERSETS SATANIQUES

                Le 14 février 1989, la question du blasphème contre Mahomet a pris une nouvelle dimension lorsque l’ayatollah Khomeyni, Guide de la révolution iranienne, publia une fatoua (décret religieux) de condamnation à mort contre Salman Rushdie, romancier britannique d’origine indienne, auteur des Versets sataniques, considéré comme blasphématoire. Tout musulman était appelé à exécuter cette sentence, moyennant récompense. Cette fatoua fut soutenue dans le monde entier par des manifestations violentes et meurtrières. En 2005, le successeur de Khomeyni, Ali Khamenei, confirma cette décision. Plusieurs fois augmentée, la récompense a été fixée à 3, 9 millions de dollars en 2016.

    Le titre du livre se réfère à la sourate 53 du Coran (versets 19 à 23). Ce passage relate l’attitude de Mahomet qui, à La Mecque, aurait cédé aux sollicitations de Satan l’enjoignant de se prosterner devant trois déesses païennes (El-Lat, El-Uzza et Manât) pour obtenir leur intercession. Par cette concession au dogme de l’unicité divine, Mahomet aurait espéré attirer les polythéistes à l’islam. La fin du verset 23 corrige l’erreur relative à ces divinités : « Allah ne leur a accordé aucun pouvoir ». Mais les premiers versets ont été maintenus dans le Coran. Sur ce sujet, cf. Olivier Hanne, Mahomet, Ed. Belin, 2013, p. 104-107).

                Cela a suscité ce commentaire d’Ibn Warraq, ancien musulman : « Cet épisode a toujours embarrassé les musulmans qui ont la plus grande peine à croire que le Prophète ait pu faire une telle concession à l’idolâtrie. Il est cependant impossible de l’ignorer si on accepte l’authenticité des documents musulmans […]. Même si Satan lui avait réellement mis ces mots à la bouche, quelle foi pourrions-nous avoir en un homme qui peut être aussi facilement corrompu par l’esprit du mal ? Pourquoi Dieu le laissa-t-il faire ? Comment pouvons-nous être sûrs que d’autres passages ne sont pas inspirés par le diable ? » (Pourquoi je ne suis pas musulman, L’Age d’Homme, 1999, p. 137).

     

    LES NON-MUSULMANS AU REGARD DE LA LOI

    Les non-musulmans peuvent-ils être accusés de blasphème lorsqu’ils réfutent l’islam ? « Etant donné que le blasphémateur est exclu de l’appartenance à l’Islam en raison de son acte blasphématoire, un non-musulman ne peut pas recevoir la même sanction : puisqu’il est déjà en dehors de l’Islam, sa faute ne change pas son statut de croyant en non-croyant. Les juristes affirment qu’un blasphème commis par un non-musulman ne violera pas son statut de personne protégée », c’est-à-dire de dhimmi (M. Baig, op. cit. ; cf. la dhimmitude applicable aux juifs et aux chrétiens ; sur ce sujet, cf. A. Laurent, L’islam, Artège, p. 92-96).

    Certaines écoles juridiques ont cependant des positions diverses. « S’il s’agit d’un dhimmi, les hanéfites se montrent plutôt indulgents, malékites et chaféites réclamant des châtiments sévères, les hanbalites la mort » (Slimane Zeghidour, Le voile et la bannière, Hachette, 1990, p. 117).

    En certains pays, les lois anti-blasphème s’appliquent donc à des non-musulmans.

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    Au Pakistan

    En 1986, cet Etat, signataire de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948, a adopté une loi pénalisant le blasphème. « Quiconque aura, par ses paroles ou ses écrits, ou par des représentations ou par toute imputation ou allusion directement ou indirectement profané le nom du Saint Prophète (Que la paix soit sur lui) sera puni de mort ou d’une peine de réclusion à perpétuité assortie d’une amende » (art. 295 C du Code pénal).

    Le cas d’Asia Bibi, chrétienne pakistanaise, condamnée à mort sur ce motif en 2010, illustre cette pratique. Son tort n’était même pas d’avoir insulté Mahomet mais d’avoir bu la même eau que ses compagnes de travail musulmanes alors que, dans ce pays, les chrétiens sont considérés comme impurs. Asia Bibi a finalement été acquittée par la Cour suprême en 2019 mais elle a dû s’exiler au Canada avec sa famille. En l’occurrence, la loi anti-blasphème a été utilisée dans le cadre d’un règlement de comptes privés (cf. Enfin libre !, avec Anne-Isabelle Tollet, Ed. du Rocher, 2020).

    D’autres chrétiens pakistanais ont été victimes de cette loi, en particulier le ministre des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, assassiné en 2011 pour avoir demandé son abrogation.

     

    En Egypte

    L’écrivain égyptien Alaa El-Aswany regrette que les lois anti-blasphème ne protègent pas ses compatriotes non musulmans.

    « En Egypte, l’accusation qui porte le nom de “mépris manifesté à l’égard des religions” ne s’applique qu’à ceux qui s’en prennent à l’islam. Ceux qui s’attaquent aux croyances des coptes, des chiites ou des bahaïs peuvent être bien tranquilles. Ils n’ont absolument pas à craindre d’être poursuivis par la justice. Il y a quelque temps, un jeune copte égyptien, Albert Saber, a mis sur sa page Facebook le film offensant le Prophète. Ses voisins se sont alors rassemblés pour attaquer sa maison et pour l’agresser. Lorsque la mère du citoyen Albert Saber a appelé la police à son secours, celle-ci, au lieu de le protéger, l’a arrêté sous l’inculpation de mépris affiché à l’égard des religions […]. Des millions d’Egyptiens ont vu ce film et l’ont mis sur leur page personnelle et aucun d’entre eux n’a été arrêté. C’est même le cheikh Khaled Abdallah qui, le premier, l’a diffusé sur sa chaîne de télévision, que reçoivent des millions de téléspectateurs. Mais Albert était copte et il était donc permis de le punir d’une façon exemplaire pour la raison la plus futile » (Extrémisme religieux et dictature, Actes Sud, 2011, p. 167-168).

    Le même auteur relate ensuite le geste de l’Eglise copte qui a condamné publiquement ce film, sans pour autant calmer la violence des extrémistes. « Un cheikh dont le nom est Abou Islam a brûlé un évangile et l’a déchiré en public devant les caméras, puis il a déclaré que la prochaine fois il urinerait dessus. Avons-nous le droit après cela d’exiger le respect de ce qui nous est sacré, si nous ne faisons pas la même chose avec les croyances religieuses des autres ? » (Ibid., p. 168).

     

    POUR CONCLURE

                Depuis le milieu du XXème siècle, la criminalisation du blasphème connaît un important regain dans l’ensemble du monde musulman, démontre le site Slate (30 mai 2017), citant un rapport de 2014 du Pew Research Center, selon lequel environ 30 des 50 pays qui punissent actuellement le blasphème sont à majorité musulmane.

    Pour Slate, l’influence de l’Arabie-Séoudite, avec son idéologie officielle, le wahabisme, se répand bien au-delà de l’espace proche-oriental (Afrique, Asie centrale et du Sud-Est, Indonésie). Selon Kamran Bokhari, analyste au sein de la fondation Geopolitical Futures, « le wahabisme est, dans les faits, organisé autour de l’idée de blasphème. De ce qu’est le vrai islam – et de ce qui ne l’est pas. A leurs yeux [des Séoudiens], les musulmans qui ne partagent pas leur vision stricte de l’islam blasphèment d’une manière ou d’une autre ».

    Mustafa Akyol, intellectuel turc, membre du Freedom Project au Wellesley College, et cité dans cette étude, estime que la fixation sur le blasphème est le symptôme d’un malaise plus général. « Je pense que les musulmans du monde moderne se sentent menacés, ce qui les rend à la fois agressifs et autoritaires. Par ailleurs, la liberté d’expression est généralement perçue comme un élément culturel imposé ».

    La prochaine Petite Feuille Verte (n° 69) présentera les tentatives d’institutions islamiques visant à imposer son application en Occident.

                                                               Annie Laurent

  • Dans Politique Magazine, Contre l’épidémie : « Fermez les églises » !, par François Schwerer.

    Le président chinois, Xi Jinping a déclaré au directeur général de l’OMS, le 28 janvier 2020, que « l’épidémie est un démon. Nous ne pouvons pas laisser le démon se terrer. »

    Pour la Chine de toujours, « la politique n’est qu’une forme suprême de l’art médical ». Elle se doit donc de purifier l’ensemble du corps social de tout ce qui le corrompt. En 2017, dans un discours au Parti communiste chinois, il avait dénoncé l’extrémisme religieux comme un poison devant être éradiqué. Pour lui, seule la religion chinoise traditionnelle est bonne. C’est pourquoi les hôpitaux bâtis à la hâte dans la périphérie de Wuhan s’appellent « l’hôpital du dieu du mont tonnerre » et « l’hôpital du dieu du mont volcan ». « Ainsi la religion est considérée par le pouvoir chinois à la fois comme la source du mal qu’il faut combattre et comme la solution pour venir à bout de ce même mal : à la fois le poison et le remède. Lorsqu’elle est entre les mains du pouvoir qui l’utilise pour ses objectifs politiques, c’est un remède, mais lorsque la religion est vue par le pouvoir comme un phénomène incontrôlable qui propage des maladies idéologiques ou physiques dans le corps socio-politique, c’est un mal démoniaque contre lequel il faut lutter sans pitié » [1].

    françois Schwerer.jpgLe recours au principe de précaution

    En France, le gouvernement semble suivre la même ligne que le président chinois, à ceci près qu’il professe la religion de la laïcité. C’est pourquoi il a préconisé aux évêques de mettre en œuvre le principe de précaution inscrit dans la Constitution depuis la présidence de Jacques Chirac. Le soir du 29 février on apprenait : « pour limiter la propagation du nouveau coronavirus et conformément à l’interdiction des “rassemblements collectifs” annoncée dans le département de l’Oise par le gouvernement ce samedi, l’évêque de Beauvais et le préfet ont pris la décision de suspendre jusqu’à nouvel ordre les messes ». On est confondu devant un tel message. En effet le prétexte de la décision est la demande du gouvernement de suspendre tous les rassemblements collectifs de plus de 5 000 personnes dans un lieu confiné. Or, dans les églises de l’Oise, on ne rencontre pas 5 000 fidèles présents ensemble dans une même église pour participer à la messe dominicale.

    Hélas, cette décision venait à la suite de l’interdiction des messes dans les diocèses de Milan et de Venise et presqu’en même temps que la même interdiction dans le diocèse de Turin. Dans ce dernier diocèse, l’archevêque déplorait publiquement que l’arrêté d’interdiction pris par la Région du Piémont considère les « services religieux […] comme superflus et [sont] donc non exemptés de mesures restrictives ». Ces diocèses du nord de la France et du nord de l’Italie rejoignait ainsi des pays comme la Chine et la Corée du sud qui avaient déjà interdit les messes au prétexte de l’épidémie due au COVID-19[2].

    L’application de cette interdiction de messe laisse penser – précaution oblige – qu’on fait primer la santé au cours d’un moment de la vie terrestre sur la Vie éternelle. Que des autorités politiques interdisent des messes pour raison de santé, comme c’est le cas en Corée du sud, en Chine ou à Hong-Kong, passe encore, mais que des évêques ne s’élèvent pas contre une telle mesure montre combien les chrétiens d’aujourd’hui sont devenus tièdes. Mais, si le sel s’affadit, n’est-il pas bon à être jeté dehors et foulé aux pieds par les passants ? Ajoutons, qu’au stade actuel de l’épidémie, l’extrême dangerosité du virus n’est pas clairement établie. Il était autrement plus dangereux pour les chrétiens des catacombes d’assister à la messe, pour les chrétiens à l’époque de la Révolution de courir dans les bois ou les granges pour assister à la messe d’un prêtre réfractaire… et même de se réunir dans une église au cours des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.

    L’épidémie de la peur

    On a plutôt l’impression que les chrétiens d’aujourd’hui se conduisent comme nos premiers parents : au lieu de mettre leur confiance en Dieu, ils veulent décider par eux-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal et donc être « comme des dieux ». Mais, face au danger, ils s’aperçoivent aussi qu’ils sont nus.

    Non à « l’épidémie de la peur » ! comme le demande Andrea Ricardi, le fondateur de la communauté Sant’Edigio. Et de rappeler qu’à l’époque de la peste de Milan en 1576-1577, on visitait les malades, on priait avec le peuple, on faisait des processions pieds nus : « le comportement des chrétiens dans les épidémies était décisif : ceux-ci ne fuyaient pas […] mais se rendaient des visites et se soutenaient, priaient ensemble, ensevelissaient les morts ». Mais il est vrai qu’ils étaient galvanisés par saint Charles Borromée. Pragmatique, le sociologue américain Rodney Stark constate, quant à lui, que cette attitude des chrétiens avait eu pour résultat que « leur taux de survie fut bien plus élevé que celui des païens en raison de l’assistance consciencieuse, pourtant sans médicaments, et en raison du lien communautaire et social ».

    Les habitants de Padoue ont cependant sauvé l’honneur et montré la voie. Alors que toute cérémonie religieuse y était interdite, des centaines de personnes, bravant les consignes de prudence des autorités, ont participé aux obsèques d’Anna Modenese, 14 ans, décédée tragiquement d’un arrêt cardiaque le 20 février. Ils sont venus lui dire un dernier A-Dieu au cours d’une messe célébrée en plein air, à côté du cimetière du quartier de Terranegra. Le maire de la ville s’est même joint à la cérémonie, où de nombreux camarades de classes de la jeune fille étaient présents, ainsi que des collègues policiers de son père.

    L’évêque de Belley-Ars, Monseigneur Roland, a lui aussi décidé de mettre l’accent sur ce qui est essentiel. Refusant de céder à « l’épidémie de la peur[3] », et rejoignant Dostoïevski, dans Les Possédés, il nous a posé les questions fondamentales : « La panique collective à laquelle nous assistons aujourd’hui n’est-elle pas révélatrice de notre rapport faussé à la réalité de la mort ? Ne manifeste-t-elle pas les effets anxiogènes de la perte de Dieu ? Nous voulons nous cacher que nous sommes mortels et, nous étant fermés à la dimension spirituelle de notre être, nous perdons pied ». C’est pourquoi il n’a pas craint de proclamer avec force : « une église n’est pas un lieu à risque mais un lieu de salut. C’est un espace où l’on accueille celui qui est la Vie, Jésus-Christ, et où par lui, avec lui et en lui, on apprend ensemble à être vivants. Une église doit demeurer ce qu’elle est : un lieu d’espérance ! […] Un chrétien ne craint pas la mort. Il n’ignore pas qu’il est mortel, mais il sait en qui il a mis sa confiance ». Alors que le chrétien soit prudent, certes, et surtout pour les autres qu’il ne doit pas risquer de contaminer. Mais les précautions qu’il prend doivent d’abord être marquées par le souci des autres et ensuite par respect pour le corps que Dieu lui a donné. « Il ne s’expose certes pas indûment, mais il ne cherche pas non plus à se préserver ». Il ne doit pas se laisser voler son espérance.

    Mais cette confiance doit aussi s’exprimer par des actes. À Montpellier, patrie de saint Roch, le curé de la cathédrale a décidé de lancer une neuvaine pour demander au patron des médecins d’intercéder pour nous auprès de Dieu le Père. Mais, si cette démarche de prière est une action normale en pareille circonstance, il lui manque cependant la dimension communautaire – que l’on trouve dans les processions –, dimension qui est une caractéristique fondamentale du peuple de Dieu, comme l’a rappelé le père de Menthière dans sa première conférence de Carême consacrée à l’Eglise.

    La laïcité contre l’Eglise

    Le 1er mars, c’est le préfet du Morbihan qui a pris un arrêté pour interdire tout « rassemblement collectif » (sic) dans le département. Et, dans la foulée l’évêque de Vannes annonçait la suppression de toute messe comme de « toute séance de catéchèse et d’aumônerie » ajoutant : « les autorités civiles nous imposent[4] ces mesures restrictives ». Il annexait à son communiqué le texte de l’arrêté préfectoral. Or ce dernier est intéressant, non à cause du pléonasme qui agrémente son article premier, mais par l’un des textes visés pour justifier la décision : « Vu la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et notamment les articles 10 et 11 ».

    Que disent ces articles ?

    Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuse, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

    Article 11 : La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

    Il ressort très clairement que cet arrêté est directement pris contre les opinions religieuses dont les manifestations (en l’occurrence les messes et séances de catéchèse), troubleraient l’ordre public. Et les citoyens qui voudraient alors « parler, écrire [ou] imprimer » sur le sujet, pourraient donc être amenés à répondre de l’abus de droit.

    Entre les messes dominicales supprimées dans le diocèse de Beauvais, toutes les messes et séances de catéchèse dans celui de Vannes et l’interdiction de la communion dans la bouche dans d’autres diocèses, de nombreux fidèles ont été déstabilisés. Cela a donné l’occasion à certains prêtres de rappeler ce qu’est la « communion de désir » ou « communion spirituelle ». Et, l’évêque de Vannes a composé à cette occasion l’acte de communion spirituelle suivant :

    Seigneur Jésus, je crois fermement que Tu es présent dans le Saint Sacrement de l’Eucharistie. Je T’aime plus que tout et je Te désire de toute mon âme.

    Après toi languit ma chair comme une terre assoiffée. (psaume 62)

    Je voudrais Te recevoir aujourd’hui avec tout l’amour de la Vierge Marie, avec la joie et la ferveur des saints.

    Puisque je suis empêché de Te recevoir sacramentellement, viens au moins spirituellement visiter mon âme.

    En ce temps de carême, que ce jeûne eucharistique auquel je suis contraint me fasse communier à Tes souffrances et surtout, au sentiment d’abandon que Tu as éprouvé sur la Croix lorsque Tu t’es écrié : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ».

    Que ce jeûne sacramentel me fasse communier aux sentiments de Ta Très Sainte Mère et de Saint Joseph quand ils T’ont perdu au temple de Jérusalem, aux sentiments de Ta Sainte mère quand elle Te reçut, sans vie, au pied de la Croix.

    Que ce jeûne eucharistique me fasse communier aux souffrances de Ton Corps mystique, l’Église, partout dans le monde où les persécutions, ou l’absence de prêtres, font obstacle à toute vie sacramentelle.

    Que ce jeûne sacramentel me fasse comprendre que l’Eucharistie est un don surabondant de Ton amour et pas un dû en vue de mon confort spirituel.

    Que ce jeûne eucharistique soit une réparation pour toutes les fois où je T’ai reçu dans un cœur mal préparé, avec tiédeur, avec indifférence, sans amour et sans action de grâce.

    Que ce jeûne sacramentel creuse toujours davantage ma faim de Te recevoir réellement et substantiellement avec Ton corps, Ton sang, Ton âme et Ta divinité lorsque les circonstances me le permettront.

    Et d’ici là, Seigneur Jésus, viens nous visiter spirituellement par Ta grâce pour nous fortifier dans nos épreuves.

    Maranatha, viens Seigneur Jésus.

    A Saint-Nicolas-du-Chardonnet, les prêtres traditionalistes ont invité les fidèles à venir participer à une messe votive contre les grandes épidémies. Si demain, l’épidémie s’étend en France, ne doutons pas que d’autres préfets suivront l’exemple de celui du Morbihan. Les chrétiens devront alors montrer ce qui est le plus important à leurs yeux.

     

    [1] Emmanuel Dubois de Prisque, www.aleteia.org, le 2 mars 2020.

    [2] En Iran, le gouvernement avait décidé, toujours pour le même motif, d’interdire les prières dans les mosquées le vendredi 28. Et l’Arabie saoudite a fermé de nombreux centres religieux.

    [3] « À notre époque, qui a enlevé à l’homme la peur du péché et du salut et qu’il a soi-disant libéré de la peur, de nouvelles angoisses prolifèrent et prennent souvent la forme de psychoses collectives : angoisse devant les fléaux des grandes maladies décimant les hommes, angoisse devant les conséquences du pouvoir de la technique, peur devant le vide et l’absurdité de l’existence. […] Toutes ces peurs ne sont que des masques de la peur de la mort, l’effroi devant la finitude de notre existence. Cette peur et cet effroi s’installent lorsqu’on a accueilli l’infini avec peur et non avec amour et lorsqu’on croit s’être débarrassé de cette peur en la niant. Mais la peur de la finitude est plus effrayante et désespérante que ne pourrait jamais l’être la peur refoulée de l’infini, dans laquelle est toujours caché le mystère de la consolation qui nous attend. » (Joseph Ratzinger, « Auf Christus schauen » (1989), Touché par l’invisible, 2008).

    [4] C’est nous qui soulignons.

    https://www.politiquemagazine.fr/

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  • Dans La Provence, Coronavirus : les quatre vérités du professeur marseillais Didier Raoult.

    En pleine épidémie du Covid-19, le médecin marseillais anticonformiste sort "Épidémies, vrais dangers et fausses alertes". Didier Raoult revient sur l'histoire des coronavirus et les polémiques actuelles - sur son recours à la chloroquine notamment

    Détient-il le Graal ? Si le professeur marseillais Didier Raoult a mis du temps à se faire entendre au niveau national, son nom est désormais sur toutes les lèvres et sa solution pour enrayer la pandémie de coronavirus fait l'objet de l'attention de plusieurs pays étrangers comme de Paris.

    Dans un livre à paraître cette semaine chez Michel Lafon et sur ebook, ce médecin controversé qui dirige l'infectiopole de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille, à la Timone, fait le point de manière exhaustive sur cette pandémie. Il prend sa baguette d'enseignant pour expliquer ce qu'est un coronavirus, et notamment celui qui nous préoccupe. Il détaille son approche en évoquant aussi d'autres maladies dangereuses et à fort potentiel anxiogène, comme le choléra ou le typhus. Il s'efforce de comprendre et d'expliquer pourquoi sa manière d'appréhender la question n'est pas davantage prise en compte par les autorités sanitaires françaises. Enfin il pose un regard philosophique et quasi politique sur notre société et, précisément, comme il l'indique dans le sous-titre, les "vrais dangers" qui la guettent et les "fausses alertes" qui distordent le réel. Et, s'il n'est pas tendre, qui lui en voudra en cette période étrange d'essayer de remettre certaines pendules à l'heure, quitte à ne pas hurler avec les loups ?

    En avant-première, avant que ce livre n'arrive non pas dans les rayons des librairies - fermées - mais pourquoi pas sur vos liseuses ou vos tablettes, La Provence vous en propose en exclusivité des extraits choisis.

    À propos de la chloroquine

    Rappelons que, malgré tous ces « drames » successifs autour des nouveaux virus respiratoires, la mortalité par infections respiratoires ne cesse de diminuer et que, selon les éléments que nous avons, les infections respiratoires bactériennes et virales qui étaient à l'origine de 4,5 millions de morts par an il y a encore trente ans, tuent actuellement 2,6 millions de personnes, soit une régression spectaculaire, due à l'amélioration des conditions d'hygiène, l'usage des antibiotiques qui permet de diminuer les surinfections mortelles, et la vaccination contre les pneumocoques des trèsjeunes enfants (qui protège aussi les personnes plus âgées). Au bout du compte, tous ces drames successifs se sont accompagnés d'une augmentation considérable de l'espérance de vie (...)

    Par ailleurs la vitesse de réaction des Chinois dans la gestion des épidémies a été stupéfiante, en particulier dans son évaluation des molécules anti-infectieuses. Ils ont pu rapidement montrer que la chloroquine, un des médicaments les plus prescrits au monde et les plus simples, est peut-être le meilleur traitement des coronavirus et la meilleure prévention. Ce qui en ferait une des infections respiratoires les plus simples à prévenir et à traiter (...)

    Le coronavirus chinois

    Le coronavirus chinois, lui, a fait son apparition en décembre 2019 à Wuhan où une épidémie de pneumonie a été mise en évidence. Nous reviendrons sur la stratégie d'équipement des Chinois depuis l'épidémie de SARS, qui leur a permis de découvrir ce virus, d'en tester la sensibilité aux anti-infectieux et de mettre au point des techniques de diagnostic dans un temps record. Quoi qu'il en soit, peut-être partant du marché aux animaux où se vendent toutes sortes de bêtes sauvages destinés à être mangées – dont des chauves-souris –, des pneumonies sont apparues, certaines graves, parfois mortelles, en particulier chez les sujets âgés ou porteurs de polypathologies. La description de ce nouveau virus par la Chine a entraîné, comme on le sait, une hystérie mondiale en dépit du fait que très rapidement on ait identifié que la mortalité était moindre que celle annoncée au départ. C'est un phénomène général (...)

    La mortalité initiale très élevée a rapidement été pondérée par la réalisation de tests de diagnostic comme c'est à chaque fois le cas. Les premiers cas semblent tous mortels car seules les formes très graves sont testées, et au fur et à mesure que le diagnostic s'étend, la proportion de morts ne cesse de diminuer. Ainsi, jusqu'en janvier 2020, tous les morts se trouvaient en Chine continentale à part un seul, la mortalité de la zone Wuhan était de 5,6 % et, en dehors de cette zone, elleétait inférieure à 0,5 %. Cela signifie qu'elle rejoindra probablement la mortalité de la grippe qui est aux alentours de 0.1 %. Concernant la contagion, elle est définie par le nombre de personnes infectées par la maladie. Et bien sûr, cette manière de représenter la transmission n'est pas raisonnable. C'est une façon de transformer en mathématiques des phénomènes extrêmement complexes qui n'est jamais lucide. Parmi les causes de transmission, il y a celle entre les êtres humains, mais tous les humains ne transmettent pas la maladie de la même manière. Certains sont des « superspreaders » ; les enfants sont plus contaminants, mais moins malades ; les sujets âgés sont plus sensibles, mais moins contaminants, à l'exception des immunodéprimés, qui ont des multiplications virales pouvant être plus importantes. Un de mes collaborateurs insiste sur le fait que l'unedes différences entre les comportements en Chine et les comportements européens est que les Chinois ont l'habitude de cracher par terre, partout, ce qui frappe tous les Européens qui vont dans ce pays. Le risque que comportent les crachats à moto est probablement très important. Et il est possible que cela ait joué un rôle non négligeable dans la transmission du corona chinois, car dans les crachats se trouvent de nombreux virus !

    Cette situation épidémiologique n'est donc peut-être pas reproductible en dehors de la Chine. Il faut toujours avoir à l'esprit que les maladies infectieuses sont des maladies d'écosystème. La vision pasteurienne, un microbe, un homme, point final, comme celle de Koch, sont des notions intéressantes mais elles datent du XIXe siècle, elles n'expliquent qu'une petite partie des choses. Il y a la variabilité des microbes, du nombre de microbes, de l'hôte, de la voie de transmission, même dans les maladies interhumaines. Ce qui fait qu'on ne peut pas étendre l'épidémiologie de ce que l'on voit dans un endroit au reste du monde.

    La longue histoire des coronavirus

    Les coronavirus (du latin corona) sont une très large famille de virus qui doivent leur nom au fait qu'ils semblent dotés d'une couronne. Ce sont des virus très répandus qui atteignent aussi bien les oiseaux que les mammifères, et certains d'entre eux ont une transmission interhumaine. Ces derniers sont fréquents, tuent de temps en temps, mais sont complètement ignorés de la presse et de la plupart des autorités sanitaires du monde. Ce qui est vraiment étrange, car les coronavirus constituent la troisième cause d'infection respiratoire virale. Ces virus ont la particularité d'être les plus grands des virus à ARN, et présentent donc de fréquentes mutations. Ce sont des virus qui chez l'Homme ont longtemps été connus comme donnant des infections respiratoires hautes – surtout des bronchites – et des diarrhées (...)

    Leur histoire commence en 1965 lorsque Tyrrel et Bynoe identifient un virus obtenu chez un enfant présentant un rhume. Ce virus a été appelé 229E. À peine plus tard, Macintosh, à l'occasion d'un prélèvement respiratoire, trouve un autre virus très proche qui, lui, s'appellera OC43, et peu de temps après le nom coronavirus va être choisi pour nommer cette famille. Ils sont donc connus depuis 1967, mais leur diagnostic était rendu difficile par le fait que seule la culture permettait de le faire. C'est seulement au moment des diagnostics moléculaires, récemment, que leur place réelle a pu commencer à être évaluée (...) Le troisième à être découvert dans une pathologie humaine était le virus du SARS identifié en 2003 et qui, nous l'avons vu, aurait causé 880 morts avant de s'arrêter brutalement à l'été 2003 sans jamais plus réapparaître (...) Le coronavirus d'Arabie Saoudite, MERS-corona, a été trouvé en 2012 quand un patient a été hospitalisé à Djeddah ( ...) Et enfin le coronavirus de Chine a été isolé en 2019 (...) Ainsi, nous l'avons vu, le SARS est resté essentiellement cantonné en Extrême-Orient, hormis une mystérieuse épidémie exportée à Toronto, liée à une personne voyageant depuis Hong Kong (...) À Toronto, les conditions de gestion mises en place après le début de l'épidémie (port de masques, de gants et de tenues) ont permis d'arrêter la transmission à l'intérieur des hôpitaux de la ville. Concernant le MERS-coronavirus, là aussi une folie a pris le monde avec le risque de transmission de ce virus en dehors de son foyer initial. Il s'agit en réalité essentiellement d'une zoonose liée au chameau qui en est porteur. On ne sait pas pourquoi le chameau porteur donne des cas en Arabie Saoudite et pas dans les zones environnantes où les chameaux sont aussi porteurs du virus, mais cela laisse supposer qu'il existe un hôte intermédiaire. Après m'être rendu sur place, j'ai émis l'hypothèse que les babouins, qui sont extrêmement nombreux en Arabie Saoudite, qui fréquentent les chameaux et vivent en zone périurbaine au sein de bandes d'une taille tout à fait invraisemblable (plusieurs centaines d'animaux), ont peut-être été ces hôtes intermédiaires.

    (...) Cela devrait nous rappeler la disproportion entre les risques affirmés et les risques réels, et le danger des prédictions alarmistes. À ce sujet, signalons que ces épisodes de fièvre auront amené certains pays, dont la Chine, à installer des portiques de détection de la température pour tester les patients présentant de la fièvre afin d'éviter que ceux-ci transmettent une maladie dans le pays dans lequel ils arrivent...

    "Fake news"

    Le risque que le coronavirus chinois change les statistiques de mortalité française ou mondiale est nul. Il y a dans cette disproportion entre réalité et bruits plusieurs éléments : la peur des maladies nouvelles, l'intérêt des laboratoires qui vendent des antiviraux (Gilead a fait une progression boursière spectaculaire), l'intérêt de ceux qui produisent des vaccins par précaution (bien que l'on ne sache pas si la maladie sera encore là dans un an), de ceux qui sont heureux d'être sur un plateau de télévision comme experts virtuels, de ceux qui font de l'audimat sur la peur, et de ceux qui se voient en sauveurs providentiels. Cet évènement aura confirmé pour moi qu'il y a plus de vérités dans les réseaux sociaux et que la labellisation « fake news » est parfois l'arme désespérée de certains médias pour continuer à exister. Une de mes vidéos a temporairement été étiquetée « fake news » par le détecteur du journal"Le Monde" ainsi que par le ministère de la Santé. J'avais diffusé l'information des autorités chinoises sur l'usage d'un médicament dont j'ai déjà parlé et que je connais bien (la chloroquine et son dérivé l'hydroxychloroquine), sur son efficacité dans les études préliminaires sur 100 cas, confirmée par une courte communication et par une conférence de presse du Pr Zhong, une autorité chinoise reconnue dans le monde entier. Cela a déclenché des réactions violentes, qui exigeaient que je retire ma communication, et j'ai même reçu des menaces anonymes pour lesquelles j'ai porté plainte. Il est de plus en plus difficile de savoir de quoi on parle et nous avons créé un site d'information hebdomadaire sur Youtube intitulé « On a le droit d'être intelligent » (...). Il y a 20 virus associés aux infections respiratoires qui circulent dans le monde. Peut-être que le coronavirus de Chine deviendra le vingt-et-unième, ni plus ni moins grave, peut-être disparaîtra-t-il momentanément ou définitivement, peut-être restera-t-il limité à un écosystème spécifique, comme le Coronavirus d'Arabie Saoudite (MERS corona). L'avenir nous le dira (...)

    Peur de la mort

    La situation des épidémies et pseudo-épidémies actuelles reflète des comportements très profonds chez l'Homme. L'histoire est pleine de peurs de catastrophes naturelles et d'épidémies, et la Bible en donne de nombreux exemples. Devant l'inexplicable, devant la brutalité des phénomènes, les hypothèses étaient à l'époque plutôt religieuses ou basées sur le comportement coupable des Hommes. Plus récemment, Baudrillard, en 1970, nous a très utilement permis de comprendre qu'une part de l'oisiveté se nourrit de la peur de la mort et des catastrophes, tandis que la météorologie (comme renouvellement du culte du Soleil) occupe l'autre partie de notre information passive reçue des médias. La pérennité des comportements religieux et des peurs religieuses, ainsi que de la magie, a été bien rapportée par Mircea Eliade dans son Traité d'histoire des religions qui montre que, sous des formes différentes, les grands thèmes des peurs et des comportements religieux n'ont pas changé.

    Simulacres

    Dans nos sociétés, il existe des rôles différents : rôle de ceux qui font de la recherche ou découvrent les choses, rôle de ceux qui gèrent, et rôle de ceux qui transportent l'information. Avec l'accélération du temps que nous constatons aussi bien dans l'information que dans la gestion, les gestionnaires sont en place pour de courts laps de temps soumis à des élections récurrentes, comme je l'ai déjà dit. Il y a de plus en plus de confusion entre le pouvoir de décision, le pouvoir exécutif et le quatrième pouvoir, celui de la presse. Or, s'il est naturel que la presse lance l'alerte, il n'est pas naturel que les gens qui dirigent, les politiques, soient de même nature et aient le même genre de réactivité. La gestion demande de prendre son temps et de la distance, mais cela devient aujourd'hui inutile puisque les conséquences des actes des gestionnaires ne leurs seront pas directement imputées, elles viendront plus tard et seront noyées dans une nouvelle information. Cette fusion entre médias et décisionnaires s'observe, pratiquement par mariage ou par transfert, d'un métier à l'autre, un ministre devenant animateur, un animateur devenant ministre. Cela pose un véritable problème, qui nuit à l'équilibre des forces. Par ailleurs, l'autre livre de Jean Baudrillard, "Simulacres et Simulation", prédisait, lui, la création d'un nouveau monde digital (...) Dans ce monde que Baudrillard appelle l'hyperréalité, et qui a servi d'inspiration pour le film "Matrix", en fait, la réalité digitale n'a plus aucun lien avec la réalité physico-chimique, tout comme dans le livre "Simulacres" de Philip K. Dick, où les hommes politiques sont des simulacres, des hologrammes ou des robots. Ainsi, la déconnexion totale de la réalité observable avec la réalité rapportée est un problème qui devient majeur. Il s'agit de moins en moins d'une amplification, mais d'une distorsion de la réalité. Quand l'informateur multiplie par 20 un risque de mortalité et divise par 100 un autre risque, nous ne sommes plus dans une exagération, nous sommes dans un autre monde. Et c'est actuellement ce qui se passe (...) Les chiffres eux-mêmes deviennent indécents quand ils ne confirment pas la théorie dominante. En pratique, il n'y a pas réellement de solution, sauf que les nouvelles technologies permettent d'avoir un nouveau pouvoir, qui est suivi d'une communication non filtrée (pour l'instant). Nous pouvons le constater dans le domaine scientifique. Il existe une censure de fait sur les articles qui ne se situent pas dans le flux général de la pensée technique, mais de très nombreux journaux se créent, et l'envoi d'articles directement sur des sites sans filtres avant leur publication commence à se développer.

  • Les femmes à travers l'histoire..., par Frédéric Winkler.

    "J'entends dire que la religion catholique est misogyne. Ce n'est pas sérieux ! Une religion qui agenouille les hommes devant une femme couronnée manifeste une misogynie suspecte." A.MALRAUX
    Droit de vote
    On retrouve les votes des femmes aux États Généraux de Tours en 1308. « On doit considérer les droits essentiels dont bénéficie la femme au Moyen Age. Dans les assemblées urbaines ou les communes rurales, les femmes, lorsqu'elles sont chefs de famille, possèdent le droit de vote. » (Jean Sévilla) Après la révolution de 1789, censée apporter la Liberté, il faudra attendre 1945 pour voir le droit de vote reconnu à la femme...

    frédéric winkler.jpgL’amour courtois
    «_les femmes étant l'origine et la cause de tout bien, et Dieu leur ayant donné une si grande prérogative, il faut bien qu'elles se montrent telles que la vertu de ceux qui font le bien incite les autres à en faire autant; si leur lumière n'éclaire personne, elle sera comme la bougie dans les ténèbres (éteinte), qui ne chasse ni n'attire personne. Ainsi il est manifeste que chacun doit s'efforcer de servir les dames afin qu'il puisse être illuminé de leur grâce; et elles doivent faire de leur mieux pour conserver les cœurs des bons dans les bonnes actions et honorer les bons pour leur mérite. Parce que tout le bien que font les êtres vivants est fait par l'amour des femmes, pour être loué par elles, et pouvoir se vanter des dons qu'elles font, sans lesquels rien n'est fait dans cette vie qui soit digne d'éloge ».
    « Cette pétition de principe est lancée dans un ouvrage bien connu, reflétant parfaitement la mentalité du XIIe siècle, le Traité de l'amour d'André le Chapelain: ouvrage savant, rédigé en latin par un clerc attaché à la comtesse Marie de Champagne, fille d'Aliénor d'Aquitaine et de son premier époux, le roi de France Louis VII… Seules les femmes qui entrent dans l'ordre de la chevalerie d'amour sont jugées dignes d'éloges par les hommes et pour leur probité sont renommées dans toutes les cours. Tout ce qu'on voit s'accomplir de grand dans le siècle est inconcevable s'il ne tire son origine de l'amour...» (R.Pernoud)
    « Qu'est-ce que la courtoisie ? Que doit-on faire pour être courtois et répondre aux exigences de l'étrange doctrine à travers laquelle s'expriment les cœurs et les coutumes de toute une société ?
    _Une première fois – et c'est tout à fait significatif – une noble dame explique à un homme du peuple, donc de condition inférieure à elle, ce qu'il doit faire, quelle conduite tenir s'il veut mériter son amour. Ici se révèle pleinement la dame éducatrice de l'Occident, et sous un jour inattendu puisque dans la société féodale, qu'on sait par ailleurs très hiérarchisée, le premier énoncé des règles de la courtoisie se trouve précisément combler la distance entre la "haute dame" et « l’homme du commun ». La première des 'œuvres de courtoisie', c'est ce que la dame appelle la largesse (la générosité):
    _Qui veut être jugé digne de militer dans l'armée d'amour, il doit d'abord n'avoir aucune trace d'avarice, mais de répandre en largesses et autant que possible étendre cette largesse à tous". Entendons, bien sûr, générosité morale autant que matérielle: celui qui veut être un amant véritable selon les règles de courtoisie doit révérer son seigneur, ne jamais blasphémer Dieu ni les saints, être humble envers tous et servir tout le monde, ne dire du mal de personne (les médisants sont exclus des châteaux de courtoisie), ne pas mentir, ne se moquer de personne, surtout pas des malheureux, éviter les querelles, et faire son possible pour réconcilier ceux qui se disputent. On lui concède, en fait de distractions, le jeu de dés, mais avec modération: qu'il lise plutôt, qu'il étudie ou se fasse raconter les hauts faits des anciens. Il lui faut aussi être courageux, hardi, ingénieux. Il ne doit pas être l'amant de plusieurs femmes, mais le serviteur dévoué d'une seule. Il doit se vêtir et se parer de façon raisonnable, être sage, aimable et doux envers tout le monde… Il est aussi question de l'avarice, de ce qu'on ne peut aimer une personne qu'on ne pourrait épouser, que celui qui aime doit en garder le secret, qu'un amour facile est méprisable, que la difficulté en augmente le prix, que "Amour ne peut rien refuser à l'amour"…
    … Il ne manque pas d'insister sur un aspect de l'amour courtois: à savoir que la noblesse véritable est celle des mœurs et des manières, et qu'elle vaut infiniment plus en courtoisie que celle de la naissance: celui ou celle qui est prié d'amour ne doit pas demander si celui qui l'aime est noble ou non de naissance, mais s'il l'emporte sur les autres en bonnes mœurs et en "probité". Ce terme qui revient maintes fois, s'applique à celui ou celle qui a fait la preuve de sa valeur. A plusieurs reprises cette noblesse de courtoisie reviendra dans les dialogues imaginaires du Traité de l'amour. C'est l'un des thèmes fondamentaux de la courtoisie que l'amour vrai affine l'homme et la femme et que les obstacles rencontrés ne font qu'exalter leur noblesse et leur valeur. Il est bien clair aux yeux du Chapelain "qu'il convient mieux à qui est noble dans ses mœurs de se choisir un amant de mœurs nobles que de chercher quelqu'un de haut placé, mais "inculte" et à l'inverse, il s'indigne contre les femmes qui se donnent le nom de dame, de demoiselle "seulement parce qu'elles sont d'origine noble ou épouses d'un gentilhomme; mais ajoute-t-il, la seule sagesse et la noblesse des mœurs rendent la femme digne d'un tel titre". Ainsi, née dans les cours, c'est-à-dire au château, la courtoisie n'est pourtant pas seulement affaire de naissance; bien plutôt de manières, d'éducation, d'une finesse acquise et que l'amour développe parce que c'est essentiellement l'amour qui l'a suscitée… A parcourir les lettres du temps, on trouve, sous les formes les plus variées, de la poésie la plus haute aux simples divertissements, le témoignage de ce qui oriente toute une société, lui donne sa teinte originale, la marque comme un sceau. C'est encore et toujours la courtoisie, ou si l'on préfère la chevalerie, qui s'exprime dans les cours d'amour.»
    Faudrait-il rappeler les consultations auprès du petit peuple pratiqué par Saint Louis, pour connaître les problèmes. Les règlements rapides de certains, évitant les attentes pénibles et la monstrueuse apathie administrative qui nous étouffe aujourd'hui. Devons-nous rappeler le droit de vote qu'elles exerçaient dans les réunions locales, sans compter les nombreuses professions qui leur étaient accessibles... En 1095, les hommes ne pouvaient partir en croisade qu'après avoir consulté leur épouse. Une certitude perdure c’est la différence en France des zones de droit romain, où la femme est en état d’infériorité à l’homme et celles de vieilles traditions celtiques, franques ou normandes, où celle-ci peut être considéré comme égale. D’autre part pour la femme, la période idéale dans son autonomie fut sans conteste du Xe siècle à 1350 selon David Herlihi (Etude sur le travail des femmes dans le textile dans l’Europe médiévale). Partant du « Livre des métiers » d’Etienne Boileau : « dans la fabrication du textile comme dans beaucoup d’autres activités, les femmes et les hommes travaillaient ensemble sans rivalité apparente. Le Moyen Âge central reste une période de libre entreprise et d’accès ouvert à l’emploi des deux sexes ». A Nantes la profession de pêcheur est autorisé aux deux sexes, faisant de celles-ci une majorité dans la profession. En 1475 le statut des tissutiers de Paris stipule : « Que les femmes ouvrant et qui besognent dudit métier de présent en ladite ville de Paris seront maîtresses audit métier si être le veulent, en payant pour leur nouvelle maîtrise et entrée 12 sols parisis, comme dit est ci-dessus des hommes [...] Les apprentisses pourront être reçues maîtresses en faisant chef-d’œuvre et en payant telle somme à appliquer en la manière comme est dit ci-dessus…Et que en effet et substance tous les points et articles ci-dessus contenus seront communs et s’étendront et appliqueront tant aux femmes que aux hommes, soit qu’il touche la maîtrise ou les ouvrages ou autre chose dudit métier »
    « L'une des fonctions du seigneur était de rendre la justice; c'était même sa fonction essentielle après la défense du domaine et de "ses hommes", ceux qui lui étaient attachés par un lien personnel. Aussi a-t-on imaginé la dame exerçant, à l'image du seigneur, une sorte de fonction judiciaire en ce domaine, attirant entre tous, de la relation amoureuse. Le jugement d'amour, la cour d'amour, sont les compléments et équivalents de la fidélité, de l'hommage vassalique, tels que les exprime aussi la poésie des troubadours; que ces jugements soient rendus par des femmes montre seulement à quel point la transformation de la femme en suzeraine était familière à la mentalité du temps.» (R.Pernoud) Dans les familles paysannes, les jeunes filles devenaient éventuellement domestiques avant le mariage où elles prenaient en main la ferme. En ville c’était l’apprentissage chez une maîtresse avant peut être de devenir ouvrière, maîtresse si elle épousait un maître. Les femmes peuvent obtenir la maîtrise, être commerçantes, considéré comme un métier dit libre. On ne peut généraliser lorsque l’on parle de l’Ancien régime, car tout pouvait être différent d’un « pays » à l’autre, métier ou province. Les professions de boucher, boulanger, passementier-boutonnier, chandelier étaient tenues principalement par les femmes à Saint Malo. La femme quelquefois « femme de maître » pouvait aussi exercer en plus le métier de blanchisseuse (beaucoup à Rennes au XVIIIe siècle), alors même qu’elle était au sein de son foyer, une mère se chargeant de l’intendance et de l’éducation. Les veuves de maître pouvaient exercer le rôle du maître défunt au sein du métier. Bernard Gallinato, parlant des femmes dans leur rôle sur les corporations pour la transmission des maîtrises : " l’élément coordinateur de deux générations d’hommes, elles assurent la permanence de dynasties d’artisans ".…
    « Il y a l'amour conjugal, un lien stable, et auquel – Marie de Champagne y insiste – ni l'un ni l'autre des époux ne doit se dérober, et il y a cette autre forme d'amour dont il est dit expressément que rien ne lui nuit plus que la volupté, et qui se somme courtoisie. En ce domaine, la femme règne, commande, exige; elle porte des ordonnances et des jugements; les uns et les autres supposent de la part de ceux qui l'entourent une forme de soumission, une observance amoureuse sans défaut, mais encore un raffinement, dans les mœurs et l'expression, qui incite à se dépasser continuellement; la courtoisie est comme un état second de l'amour; elle implique en tout cas que l'on distingue ce qui mérite le nom d'amour de ce qui, dans l'état de mariage ou dans les relations extra-conjugales, est uniquement sexualité. Car tel est le trait essentiel de la poésie courtoise: née dans la société féodale, elle en est l'émanation. L'essence même du lien féodal, liant seigneur et vassal, était un engagement de fidélité réciproque, l'un offrant son ide, l'autre sa protection. Et c'est une semblable promesse qui unit le poète à la dame. Celle-ci est pour lui "le seigneur"; il lui voue fidélité; toute sa vie, tous ses actes, tous ses poèmes lui seront offerts en hommage. Le terme "hommage" est aussi celui qui désigne le geste du vassal s'agenouillant devant le seigneur pour en recevoir le baiser qui symbolise la paix, et constitue un engagement d'amour mutuel. La dame est donc pour lui la suzeraine; il s'abandonne à sa volonté et trouvera toute sa joie à l'accomplir, dût-il en souffrir…. Cette dame si haut placée dans l'esprit du poète inspire naturellement le respect. Mieux encore: une sorte de crainte révérencielle. Elle est inaccessible; le poète s'humilie toujours devant elle, soit qu'il s'agisse effectivement d'une dame de haute noblesse. »(R.Pernoud)
    Rappelons au passage qu'Aliénor d'Aquitaine, femme politique en plein douzième siècle fut aussi mère de dix enfants. "Alix, femme de Thibaut de Blois, et Marie, femme d'Henri Ier de Champagne, étaient l'une et l'autre, filles d'Aliénor d'Aquitaine; de leur mère elles avaient hérité le goût des lettres, et c'est toute une vie culturelle qui s'épanouit avec elles… Elles diffusèrent dans les régions septentrionales la poésie courtoise et le roman courtois. Marie, la fille aînée d'Aliénor aurait emmené avec elle son poète, Chrétien de Troyes. » Dit Régine Pernoud dans Aliénor d'Aquitaine. Les femmes dans leurs actes, montraient cette liberté dont elles jouissaient : éducation, responsabilités, suivre le mari en croisade, étudier et donner des cours, ouvrir boutique : "...Au Moyen Age, la femme travaille à peu près autant que l'homme, mais non dans les mêmes opérations. D'après les comptes de drapiers, on s'aperçoit que, par exemple, sur quarante et un ouvriers nommés, il y a vingt femmes pour vingt et un hommes…Ce que l'on interdit, ce sont les métiers jugés trop fatigants pour elles. Ainsi du tissage: tant qu'il a été pratiqué de façon artisanale, il a été œuvre de femme, notamment dans l'Antiquité; au moyen Age, il est ouvrage d'homme. De même, dans la tapisserie, défendait-on aux femmes la tapisserie de haute lisse, jugée trop fatigante pour elles puisqu'elle oblige à tenir les bras étendus. Les règlements précisent qu'elles doivent être munies d'un tablier de cuir, cela afin de protéger leurs vêtements et de garantir aussi la netteté de leur travail. » (Georges et Régine Pernoud, Le tour de France médiévale, L'histoire buissonnière, Stock, Évreux 1982, p. 278). Nous pourrions citer encore de nombreux exemples : « Chez les paysans, les artisans ou les commerçants, il n'est pas rare que la femme dirige l'exploitation, l'atelier ou la boutique. A la fin du XIIIe siècle, à Paris, on trouve des femmes médecins, maîtresses d'école, apothicaires, teinturières ou religieuses » (Jean Sévillia). « D'Héloïse à Hildegarde de Bingen, on ne compte pas les hautes figures féminines de la chrétienté médiévale. Au XIIe siècle, la première abbesse de Fontevraud, Pétronille de Chemillé, nommée à vingt-deux ans, commande un monastère regroupant une communauté d'hommes et une communauté de femmes. Les moines ne se sont jamais plaints d'être dirigés par une femme... On se rappellera la réplique du roi Saint Louis prisonnier des Musulmans en Egypte lui demandant combien il voudrait donner d'argent au sultan pour sa libération: Le roi répondit que si le sultan voulait prendre de lui une somme raisonnable de deniers, il demanderait à la reine qu'elle les payât pour leur délivrance.
    _Et ils dirent: "Pourquoi ne voulez-vous pas vous y engager ? Le roi leur répondit qu'il ne savait si la reine (Marguerite de Provence) le voudrait faire, parce qu'elle était la maîtresse.» (R.Pernoud)
    Que Blanche de Castille gouverna le royaume pendant 25 ans. Jeanne D'Arc entraînant le peuple de France, les armées et les grands Seigneurs, pourtant si rudes en ces temps : « De même chez Jeanne d'Arc trouve-t-on, en même temps que l'élan au combat, la tendresse de la femme quand elle se penche sur un Anglais blessé, et un bon sens quasi maternel devant une armée qui se bat depuis l'aube: "Reposez-vous, mangez et buvez"; après quoi, ce 7 mai 1429, ses compagnons enlèvent la bastille des Tourelles, objet de leurs assauts. Plus subtilement, c'est toute une atmosphère correspondant à la vie courtoise qui entoure ces comtesses, ces reines dont l'action politique a été si prudente, si tenace parfois. Elles ne sacrifient rien de ce qui fait l'originalité de la femme. La personne d'Aliénor d'Aquitaine suffirait à le prouver, mais, les exemples abondent en ce domaine…» (R.Pernoud). L'éducation des enfants était affaire de famille et on vivait souvent nombreux sous le toit d'une maison, il n'était pas alors question de se débarrasser d'eux ? On n’aurait même pas imaginé envoyer des vieux dans des mouroirs, dont les chambres aux murs si blancs ne résonnent plus aux rythmes de la vie passée. « Blanche de Castille arrivant au siège du château de Bellême en 1229 et constatant que l'armée est littéralement paralysée par le froid; elle fait aussitôt tailler du bois dans les forêts alentour, et réchauffe ses gens qui retrouvent du même coup leur ardeur pour terminer un siège traînant depuis plusieurs semaines. »(R.Pernoud)
    Les femmes n’étaient donc pas cantonnées au foyer. Nous pourrions indéfiniment citer des exemples de femmes illustres qui marquèrent leur époque, malheureusement souvent inconnues de nos manuels d'histoire. Ecoutons l’historien Henri Hauser, montrant l’importance des femmes dans la vie économique d’alors : «C’est une opinion assez généralement répandue que l’emploi des femmes dans l’industrie est une invention des temps modernes. On se figure volontiers que les siècles passés ont laissé exclusivement la femme à son rôle d’épouse et de mère. [...] Mais l’historien constate qu’elle n’est en accord ni avec les faits, ni avec les textes. [...] la femme apparaît déjà dans l’industrie du XIIIe siècle ; elle joue un rôle considérable dans l’industrie du XVe et du XVIe siècle »
    Sous l'Ancien Régime, les rapports humains avaient beaucoup plus d'importance que dans notre monde matérialisé. Le peuple bénéficiait de privilèges comme les nobles. Rappelons à la mémoire, les dames de la Halle qui pouvaient rencontrer le roi ou ses ministres n'importe quand. A la Saint-Louis la représentante était embrassée par le roi. L'enfant royal est malade et elles accourent à son chevet pour le couvrir de baisers et d'affections, une naissance et voilà les fêtes et festins où l'on banquète tous ensemble.
    L'histoire continua ainsi, Henri IV était leur compère et compagnon, Louis XV sera leur "Bien-aimé". En 1725, au mariage du prince, elles accoururent au-devant du couple royal, devant une foule en liesse, car les événements royaux étaient vécus comme des fêtes de famille, à la reine, Marie Leszczynska "Madame, j'apportons nos plus belles truffes à Votre Majesté. Mangez-en beaucoup et faites-en manger au roi ; cela est fort bon pour la génération. Nous vous souhaitons une bonne santé et j'espérons que vous nous rendrez tous heureux."
    Il serait trop long d'exprimer ici toutes les marques d'affections réciproques entre peuple et roi. Il suffit juste de qualifier ce régime de Monarchie populaire tant les rapports sont familiers et cela jusqu'à la Révolution. Les reines étaient couronnées comme les rois et possédaient aussi le pouvoir pour seconder ceux-ci en cas d'absence comme les croisades ou divers autres raisons, comme la mort du roi...
    Nous sommes à des lieux de la représentation présidentielle ou ministérielle. Les charges étaient souvent assumées par les femmes lors d'une défaillance maritale, celles-ci se retrouvent donc gouverneurs de places for

  • Littérature - Idées • Tiouttchev poète et contre-révolutionnaire

     

    Par Marc Froidefont 

    Un article qui nous fait découvrir un grand auteur russe pratiquement inconnu en France. Poète et contre-révolutionnaire. Et qui nous renseigne aussi sur la Russie. Sur son âme, sa profondeur.  LFAR

     

    I-Miniature-17255-marc-froidefont.net.htm.jpgLes éditions Interférences viennent de publier un livre, intitulé sobrement Poèmes, et qui est un recueil de quelques poésies de Fiodor Tiouttchev, élégamment traduites par Sophie Benech. Cet ouvrage est remarquable. 

    En tant que livre, on ne peut que féliciter les éditions Interférences pour le soin apporté à la présentation, à la mise en page, à la beauté même du papier utilisé. Remarquable aussi en tant que texte, chacun sait, ou du moins devine, les difficultés qu’il y a à traduire la poésie russe ; les précédents traducteurs de Tiouttchev, tant Paul Garde que François Cornillot avaient déjà averti leurs lecteurs des difficultés d’une telle entreprise. Remarquable, enfin et surtout, est l’idée même d’éditer un livre de Tiouttchev, car, comme l’écrit Sophie Benech dans son avant-propos : « Le nom de Fiodor Tiouttchev est peu connu des lecteurs français, pour ne pas dire totalement inconnu ».

    Le poète

    Cette ignorance du public français est regrettable, car de l’avis même des écrivains et des poètes russes, Tiouttchev (1803-1873) est l’un des plus importants d’entre eux. Tolstoï a été jusqu’à affirmer que « sans lui, on ne peut pas vivre … ». Une telle appréciation est largement partagée, Paul Garde rappelle que Dostoïevski  l’appelait « notre grand poète » et que Tourguéniev disait : « On ne discute pas Tiouttchev, celui qui ne le sent pas ne fait que montrer qu’il ne sent pas la poésie elle-même ». Il est vrai que Tiouttchev n’a jamais cherché la célébrité. Né dans une famille noble, Tiouttchev entre à 19 ans dans la carrière diplomatique, il est en poste pendant de très longues années à Munich, retourne enfin en Russie où il est nommé responsable de la censure au ministère des affaires étrangères. Il a écrit de nombreux poèmes, souvent courts, mais n’a pas cherché ni à les faire connaître ni à les publier. Ce sont d’autres poètes qui ont édité quelques-unes de ses poésies, l’auteur lui-même ne parlant que peu de son œuvre. La renommée de Tiouttchev a donc été relativement tardive et d’abord limitée à un public restreint. Aujourd’hui il est, en Russie, assez connu, certaines de ses poésies ont été accompagnées de musique, et d’autres sont particulièrement célèbres parce qu’elles expriment certains aspects de la nature humaine, mais aussi de la Russie.

    Remercions donc les éditions Interférences de contribuer à faire connaître la poésie de Tiouttchev et félicitons-la du choix qu’elle a fait parmi les poèmes. On peut ainsi lire une nouvelle traduction de Larmes humaines :

    « Larmes humaines, ô larmes des hommes, / Vous coulez au matin et au soir de la vie … / Vous coulez inconnues, vous coulez innombrables, / Vous coulez invisibles et intarissables, / Vous coulez comme coulent les ruisseaux de pluie, / Dans la profonde nuit, à la fin de l’automne. »

    Certes, ce livre contient moins de poèmes que les traductions précédentes de Paul Garde et de François Cornillot, mais si le but est de faire connaître Tiouttchev, l’ensemble est appréciable, et l’on peut même découvrir dans ce recueil une poésie qui n’était pas encore traduite, à savoir celle consacrée à Cicéron.

    Si Tiouttchev a été un grand poète, il a été surtout apprécié en son temps pour ses engagements en faveur de la politique russe, en tant que cette dernière défendait la chrétienté, contre tout ce qui venait de l’influence révolutionnaire. Sophie Benech reconnaît que Tiouttchev était même plus connu en tant qu’écrivain politique qu’en tant que poète : « De fait, ses interlocuteurs, qui font tous partie du grand monde, le connaissent plus pour ses prises de position et ses écrits slavophiles et absolutistes que pour ses vers lyriques ». Le livre édité par les éditions Interférences n’aborde pas cet aspect de l’oeuvre de Tiouttchev, les traducteurs antérieurs non plus, François Cornillot ayant privilégié les poésies se rapportant à la nature, ou plutôt aux éléments de la nature, comme l’eau, l’arbre etc. voyant dans l’évocation de la nature, la présence d’une transcendance, et quant à Paul Garde, tout ce qui est politique a été mis par lui de côté, au prétexte, à notre avis discutable, que les poésies politiques ou de circonstance sont « bien inférieures aux autres ».

    Le penseur contre-révolutionnaire

    Si donc le livre Poèmes de Tiouttchev publié par les éditions Interférences a le mérite d’attirer l’attention du public français sur une partie de l’oeuvre du poète russe, il ne sera peut-être pas inutile, dans les quelques lignes qui suivent, de présenter, brièvement, l’autre aspect de l’oeuvre de Tiouttchev, à savoir ses idées politiques et philosophiques. Tiouttchev a écrit la plupart de ses poésies en langue russe, il a cependant rédigé ses textes politiques dans une langue française pure et élégante, telle qu’on la pratiquait dans les milieux russes cultivés du XIX° siècle. On peut les lire aujourd’hui dans le tome 3 des Oeuvres Complètes de Tiouttchev, éditées à Moscou.

    Par sa position de diplomate russe à Munich, ville dans laquelle il a été en poste pendant vingt-deux ans, Tiouttchev était bien placé pour connaître les événements européens tant politiques que philosophiques. Il a connu personnellement Schelling et d’autres écrivains allemands, notamment Heine avec lequel il fut assez proche, mais c’est surtout à la culture française que Tiouttchev était sensible. François Cornillot, que nous avons cité plus haut comme traducteur, a aussi écrit une thèse volumineuse sur notre poète russe, dans laquelle il note qu’à Munich « On se tenait au courant de tout ce qui se publiait à Paris, on lisait surtout les journaux de Paris […] ». Ce n’est pourtant qu’à son retour définitif en Russie, que Tiouttchev développe ses analyses politiques.

    Il existait alors, si nous nous permettons de schématiser, deux grands courants chez les penseurs russes, ceux qui souhaitaient que la Russie s’inspirât de l’Occident, et ceux qui, à l’inverse, voulaient que la Russie restât elle-même, et fût fière de sa propre culture et de sa religion orthodoxe. Ce deuxième courant regroupait ceux que l’on nommait les slavophiles, dont la figure la plus célèbre a été Khomiakov. Il est à noter que, d’une certaine manière, cette division se retrouvait dans la politique du gouvernement russe, hésitant entre la défense des intérêts de la Russie et une influence non négligeable de l’Occident.

    Tiouttchev se range résolument dans le camp des slavophiles et exalte les valeurs de la Russie en tant qu’empire chrétien :

    « La Russie est avant tout l’empire chrétien : le peuple russe est chrétien non seulement par l’orthodoxie de ses croyances, mais encore par quelque chose de plus intime encore que la croyance. Il l’est par cette faculté de renoncement et de sacrifice qui fait comme le fond de sa nature morale. »

    Le poison de la Révolution

    Contemporain de la Révolution française de 1848, Tiouttchev en dénonce les effets, lesquels ne concernent pas seulement la France, mais l’Europe entière. C’est tout l’Occident qui est contaminé par le poison révolutionnaire : « la Révolution est la maladie qui dévore l’Occident ». Cette révolution cependant n’est que la suite de celle de 1789, c’est donc de cette dernière qu’il importe de montrer le principe, si l’on veut comprendre ses suites au siècle suivant. La Révolution française de 1789 n’est pas seulement un événement politique au sens où il ne s’agirait que d’un changement de régime, elle est bien plus que cela : elle est une insurrection contre la religion.

    « La Révolution est avant tout anti-chrétienne. L’esprit anti-chrétien est l’âme de la Révolution ; c’est là son caractère essentiel. Les formes qu’elle a successivement revêtues, les mots d’ordre qu’elle a tour à tour adoptés, tout, jusqu’à ses violences et ses crimes, n’a été qu’accessoire ou accidentel ; mais ce qui ne l’est pas, c’est le principe anti-chrétien qui l’anime […] ». La Révolution est donc un événement capital dans l’histoire de l’humanité : « Ce qui fait de la première révolution française une date à jamais mémorable dans l’histoire du monde, c’est qu’elle a inauguré pour ainsi dire l’avènement de l’idée anti-chrétienne aux gouvernements de la société politique

    Comment se caractérise cet anti-christianisme ? C’est bien sûr le refus de toute transcendance divine, mais Tiouttchev décrit cela d’une manière saisissante, en empruntant un mot fort employé dans la philosophie de son époque, d’abord par Fichte, puis par Stirner, un mot dont l’usage et les ravages n’ont fait que grandir jusqu’à nos jours, un mot pourtant tout simple : le moi.

    « Le moi humain, ne voulant relever que de lui-même, ne reconnaissant, n’acceptant d’autre loi que celle de son bon plaisir, le moi humain, en un mot, se substituant à Dieu, ce n’est certainement pas là une chose nouvelle parmi les hommes, mais ce qui l’était, c’est cet absolutisme du moi humain érigé en droit politique et social et aspirant à ce titre à prendre possession de la société. C’est cette nouveauté-là qui est appelée la Révolution française. »

    Tiouttchev ne manque pas de fustiger certaines caractéristiques de la mentalité révolutionnaire. L’idée de souveraineté du peuple tout d’abord, laquelle n’est que le corollaire du triomphe du moi, car qu’est-ce que le moi, sinon « cette molécule constitutive de la démocratie moderne » ? La souveraineté du peuple n’est rien d’autre que « celle du moi multiplié par le nombre ». Autre caractéristique de la mentalité révolutionnaire : la prétendue neutralité religieuse de l’État républicain, neutralité qui n’est qu’un mensonge : « Rétablissons donc la vérité des faits. L’État moderne ne proscrit les religions d’État que parce qu’il a la sienne, et cette religion, c’est la Révolution ».

    Selon Tiouttchev, tout l’Occident est corrompu ou va être corrompu par l’idéologie révolutionnaire ; si la France a une grande part de responsabilité, l’Allemagne n’est pas en reste, une philosophie destructive y a « complètement dissous toutes les croyances chrétiennes et développé, dans ce néant de toute foi, le sentiment révolutionnaire par excellence : l’orgueil de l’esprit, si bien qu’à l’heure qu’il est, nulle part peut-être cette plaie du siècle n’est si profonde et plus envenimée qu’en Allemagne ».

    La Russie chrétienne

    Face à cette débâcle, à cet Occident où l’on voit « la civilisation se suicidant de ses propres mains », que faire ? Avoir confiance en la Russie, ou plus exactement dans la mission qu’a la Russie, et cette mission est de sauvegarder la chrétienté. Il s’ensuit qu’entre les idées révolutionnaires venant de l’Occident et la chrétienté russe, il ne peut qu’y avoir conflit. Tiouttchev le dit sans aucun détour :

    « Depuis longtemps il n’y a plus en Europe que deux puissances réelles : la Révolution et la Russie. Ces deux puissances sont maintenant en présence, et demain peut-être, elles seront aux prises. Entre l’une et l’autre il n’y a ni traité, ni transaction possibles. La vie de l’une est la mort de l’autre. De l’issue de la lutte engagée entre elles, la plus grande des luttes dont le monde ait été témoin, dépend pour des siècles tout l’avenir politique et religieux de l’humanité. »

    Que la Russie ait confiance en sa mission, cela implique qu ‘elle soit forte politiquement et militairement, et l’expression de cette puissance doit d’abord être la reconquête par les chrétiens de Constantinople, vœu qui était aussi celui de Joseph de Maistre.

    Tiouttchev espère l’union des deux Églises, la latine et l’orientale, et il va de soi qu’en tant que russe et orthodoxe, cette union est comprise comme le retour de l’Église de Rome vers l’orthodoxie.

    Les événements ont durement éprouvé les idées de Tiouttchev. De son vivant, comme beaucoup d’autres Russes, il a été fort dépité quand, lors de la guerre entre les Russes et les Turcs, le gouvernement russe a finalement laissé Constantinople aux Turcs. Plus tard, l’issue de la guerre entre Napoléon III et la Russie a été aussi amèrement vécue. Qu’eût pensé Tiouttchev s’il avait pu voir les événements de 1917 et l’emprise du communisme en Russie? Sans doute eût-il vu là une épreuve, une douloureuse épreuve. Il est aisé de voir cependant que si Tiouttchev s’est trompé pour ce qui est de l’histoire immédiate, ce qu’il a écrit de son temps n’est pourtant pas sans intérêt pour le nôtre. Le triomphe de l’individualisme, ce que Tiouttchev appelait le moi, est patent en Occident, tout autant que sa décadence spirituelle, bien que les prémices d’un renouveau puissent çà et là apparaître. En Russie, ce renouveau est d’une certaine manière déjà là, ou du moins en marche, puisque le pouvoir politique semble s’appuyer de plus en plus sur la chrétienté. Tiouttchev avait donc raison de croire en la Russie. Une de ses poésies les plus célèbres l’exprime, voici la traduction littérale qu’en donne Sophie Benech :

    « La Russie ne se comprend pas par l’intelligence / Ni ne se comprend à l’aune commune / Elle possède un statut propre / La Russie, on ne peut que croire en elle. »   

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    Domaine natal du poète à Ovstoug

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  • L’islam est -il une religion ?, par Annie Laurent.

    Annie Laurent me l'avait annoncé il y a peu, elle le fait : voici le premier des deux articles qu'elle a publié dans la Petite feuille verte (le n° 74) et nous recevrons courant octobre le second (n°75).

    Bonne lecture, et un grand merci à Annie Laurent !

    François Davin, Blogmestre

     

    Il est une affirmation qui se répand : il serait inconvenant de désigner l’islam comme une religion, puisqu’il a une conception totalitaire de l’Etat et qu’il légitime la violence et toutes autres pratiques incompatibles avec les principes hérités du christianisme (esclavage, loi du talion, polygamie, dissimulation, etc.). Cependant, l’islam rend un culte à Allah. Dès lors, comment faut-il comprendre ce qui peut sembler contradictoire ? Autrement dit, l’islam est-il, oui ou non, une religion ? Et comment justifier la réponse à donner à cette question ?

    Pour clarifier ce nœud complexe, voici deux nouvelles Petites Feuilles Vertes. Dans la première (n° 74), Annie Laurent aborde l’aspect strictement religieux de l’islam. Dans la suivante (n° 75), qui sera envoyée courant octobre, elle examinera la dimension idéologique de l’islam...

    Annie_Laurent.jpgLa question posée par le titre peut surprendre. Elle mérite pourtant d’être examinée de près, compte tenu des implications de plus en plus nombreuses et variées de l’islam dans des domaines qui sortent du cadre strictement religieux (sociaux, juridiques, militaires, politiques et géopolitiques). En fait, la dimension religieuse de l’islam est en principe inséparable de ses aspects temporels. C’est pourquoi, s’il est impossible de nier à l’islam la qualité de religion, il convient d’en préciser le sens et les spécificités afin de le situer dans le concert des religions du monde.

     

    QU’EST-CE QU’UNE RELIGION ?

     

    Le Petit Larousse propose deux définitions conjointes pour le mot « religion » : « Ensemble de croyances et de dogmes définissant le rapport de l’homme avec le sacré » ; « Ensemble de pratiques et de rites propres à chacune de ces croyances ». Dans la religion, il y a donc une « orthodoxie » (ce qu’il faut croire) et une « orthopraxie » (ce qu’il faut faire).

    Pour Rémi Brague, le monde des religions se présente sous une forme plus complexe : « Le fait qu’on admette l’existence d’un principe suprême de l’Être, qu’il s’agisse d’un absolu abstrait ou d’un Dieu personnel, ne constitue pas encore une religion. Pour que celle-ci naisse, il faut aussi que l’on soit au clair sur la voie qui permet d’accéder à cet Absolu ou à un Dieu. Cet élément manque, par exemple, chez les philosophes grecs de la période classique. Aristote, qui admet l’existence d’un Premier Moteur immobile et l’appuie sur des démonstrations, allant jusqu’à lui donner le nom de “dieu ” (theos), ne conçoit pas ce dieu comme constituant l’objet d’une religion ». Aristote était donc l’adepte d’un « monothéisme non religieux » (Sur la religion, Flammarion, 2018, p. 18 et 48). Brague souligne aussi l’existence de religions inventées, de type monothéiste : le dieu des déistes des Lumières, l’Etre suprême de la Révolution française, etc. (Ibid.).

    Alain Besançon s’intéresse lui aussi à la diversité religieuse dans le monde. « Beaucoup de religions païennes connaissent, au-dessus du peuple des dieux, un dieu supérieur qui tend à absorber en lui les divinités subordonnées […]. Le vieux dualisme de la religion perse se résout, dans la doctrine de Zoroastre, au monothéisme autour d’Ahoura Mazda. Les Sikhs croient en un seul Dieu, absolu, éternel, créateur, transcendant » (Problèmes religieux contemporains, Éd. de Fallois, 2015, p. 173).

     

    L’approche chrétienne

     

    Le monde du religieux est varié et ne revêt pas toujours la conception que s’en font les chrétiens dans leur approche des religions. Car ils n’en restent pas spontanément à la simple phénoménologie qui les décrit : monothéistes, polythéistes, païennes, et même civiles (la laïcité serait-elle la religion de la République française ?). Si l’on privilégie l’expression « traditions religieuses de l’humanité », comme le fait le Magistère catholique depuis quelques décennies, on opère un premier tri à partir du « contenu » relativement transcendant ou, au contraire, sécularisé, du phénomène religieux. On évite ainsi l’indifférenciation avec les opinions philosophiques et métaphysiques. Mais la ligne de partage, dans l’approche chrétienne, est plus profonde et se situe dans la réalité de ce que sont les religions : l’une est révélée, les autres sont naturelles. Il faut ajouter que certaines religions mêlent en une seule dénomination plusieurs de ces caractéristiques.

    Dans un souci de clarté, il convient donc de s’interroger sur les particularités de l’islam comme religion, et ceci dans un certain nombre de registres.

     

    L’ISLAM : MONOTHÉISME ET RÉVÉLATION

     

     Les musulmans croient en un Dieu unique, créateur et juge (Allah), auquel ils vouent un culte approprié et prescrit. Ils croient aussi que leur religion est celle qu’Allah a voulu pour tous les hommes, au point de l’avoir inscrite dans leur nature dès la création d’Adam, et qu’Il l’a « rappelée » (Coran 19, 51) aux peuples égarés (juifs, chrétiens, païens) par le Coran incréé, en se servant de Mahomet, chargé de clore le cycle prophétique au VIIème siècle.

     

    Quel lien avec la Bible ?

     

    L’islam est fréquemment classé parmi les religions monothéistes, abrahamiques ou religions du Livre. Ces formulations servent à le présenter comme apparenté au judaïsme et au christianisme. Pourtant, des différences essentielles opposent l’islam au christianisme.

    • Dans le christianisme, Dieu Se révèle à travers l’histoire biblique, Il se fait connaître aux hommes par l’Incarnation de son Verbe, Jésus-Christ, sauveur du monde. Il est Amour dans son Être même, ce qui s’exprime par la Trinité des Personnes divines.
    • L’islam présente un Dieu Un et seulement Un. « Impénétrable» (Coran 112, 2), « Incommunicable » (6, 50), Il reste étranger aux hommes, inconnu en son mystère. Les musulmans adorent un Dieu qu’ils ne peuvent pas connaître en Lui-même.

    C’est pourquoi, souligne R. Brague, « la façon même dont Dieu est supposé être un est loin d’être identique pour toutes les religions dites “mono-théistes” : “mono-” n’y a pas toujours le même sens. Il y a, si l’on peut dire, plus d’un “un” » (op. cit., p. 49).

    « Toute la richesse de l’autorévélation de Dieu, qui constitue le patrimoine de l’Ancien et du Nouveau Testament, a été, en fait, laissée de côté dans l’islam », notait le pape Jean-Paul II (Entrez dans l’espérance, Ed. Plon-Mame, 1994, p. 152).

     

    Pas de théologie en islam

     

    Significative est à cet égard l’ignorance par l’islam du concept de théologie, science qui consiste à scruter le mystère de Dieu. Les musulmans reçoivent une doctrine dictée par le Coran qui reprend une partie des éléments de la Bible en les déformant pour les inscrire dans une perspective qui n’est pas celle du salut. De fait, cette « dictée » ou « descente » de l’écrit sur Mahomet, comme la conçoit l’islam, exclut la participation active de celui-ci qui n’est qu’un « transmetteur » selon la volonté d’Allah.

    • Allah a fait descendre sur toi [Mahomet] le Livre et la Sagesse et t’a enseigné ce que tu ne savais pas(Coran 4, 113).
    • Ô Envoyé ! Transmets ce qu’on a fait descendre sur toi de la part de ton Seigneur (Coran 5, 67).

    Pour sa part, l’Eglise a retenu le concept essentiel d’inspiration des Ecritures . L’humanité des auteurs bibliques comme instrument est activement assumée dans le processus de révélation : c’est un mystère d’alliance, d’emblée dialogal, continuellement renoué et repris. Le dominicain islamologue Guy Monnot peut en déduire : « Souvenons-nous que pour l’islam, la religion révélée est la religion du Livre et non de la Parole ! » (France Catholique, n° 2475 – 18 novembre 1994, p. 23).

    La conclusion s’impose alors : « L’islam, qui ne reconnaît pas la Bible comme authentique, n’a pas le même dieu que le judaïsme et le christianisme, parce qu’il ne raconte pas sur Lui les mêmes histoires » (R. Brague, op. cit., p. 49). Cf. PFV n° 58 – L’islam est l’Histoire : un rapport ambigu.

    Ne faut-il pas dès lors considérer le Coran comme une élaboration humaine ? Telle est l’opinion du jésuite et islamologue égyptien Samir-Khalil Samir : « L’islam est l’œuvre d’un homme qui a vécu une expérience spirituelle réelle, mais qui vivait en son temps, dans son contexte socio-culturel désertique fait de guerres et d’attaques de tribus contre tribus » (Site Aleteia, 10 janvier 2018).

     

    Islam et paganisme

     

    A.Besançon va jusqu’à voir dans l’islam une forme de paganisme : « L’idée de Dieu, telle qu’elle se forme dans diverses régions du monde païen, ne semble pas si différente de celle que se forme l’islam […]. Allah ressemble à l’Un de Plotin par son éloignement radical » (op. cit., p. 174). Pour lui, l’islam instaure un rapport idolâtrique au divin (ibid., p. 31, 178, 231). R. Brague, qui le rejoint sur ce point, ajoute : « L’idolâtrie n’est jamais plus dangereuse et mortifère que là où l’idole est unique» (op. cit., p. 89).

    N’est-ce pas dans ces registres – païen et idolâtrique – que s’inscrivent les gestes de vénération des pèlerins de La Mecque envers la Pierre noire encastrée dans l’angle oriental de la Kaaba (Cube), ancien temple païen dont Mahomet a fait la « Maison d’Allah » ? Pensons aussi à l’inflation des prescriptions extérieures et ostentatoires des rites (il faut être vu priant et jeûnant), considérées comme supérieures à l’intériorité, ou encore à l’association entre le djihad et la piété pour l’établissement de la religion dans le monde.

    Enfin, cela ne concerne-il pas aussi le Coran et Mahomet ?

    D’une part, le Livre est coéternel et consubstantiel à Allah

    • La Mère du Livre se trouve auprès de Lui (Coran 13, 39).

    D’autre part, le nom de « l’Envoyé d’Allah » figure dans la chahâda (profession de foi islamique) : « Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et Mahomet est son Prophète ».

    Les lois qui punissent le blasphème, en vigueur dans certains pays musulmans, concernent le Coran et Mahomet au même titre qu’Allah.

     

    FOI ET CROYANCES

     

    La religiosité marque profondément l’attitude des musulmans. Elle s’exprime en tout temps et en tout lieu – avec un puissant sens du sacré, peut-être lié à l’absolue transcendance divine -, suscitant parfois l’étonnement des non-croyants, voire l’admiration des chrétiens.

    On sait que ce fut le cas de Charles de Foucauld lors de son voyage au Maroc, comme il en a lui-même témoigné. « L’islam a produit en moi un profond bouleversement. La vue de cette foi, de ces hommes vivant dans la continuelle présence de Dieu, m’a fait entrevoir quelque chose de plus grand et de plus vrai que les occupations mondaines » (Pensées intempestives, dérangeantes et incorrectes, L’œuvre éd., 2011, p. 17). Cette expérience l’a renvoyé, paradoxalement à son Baptême enfoui – et c’est emblématique –, telle une préparation lointaine de son retour au Christ et à l’Eglise.

     

    Religiosité et vertu de religion

     

    La religiosité se réfère à la vertu de religion, déjà admise chez les philosophes de l’Antiquité païenne. Besançon cite à ce propos Cicéron : « La religion présente ses soins et ses cérémonies à une nature d’ordre supérieur que l’on nomme divine » (op. cit., p. 181). Saint Thomas d’Aquin la considère comme une vertu morale inhérente à la Justice : il s’agit de rendre à la divinité, connue par la raison naturelle, ce qui lui est dû. Le mot dîn, qui désigne en arabe la religion, signifie d’ailleurs également « dette ».

    La vertu de religion n’est donc ni surnaturelle ni théologale. Elle n’implique pas la foi. C’est d’ailleurs ce qu’a précisé la Déclaration Dominus Iesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise, publiée le 6 août 2000 à l’occasion du grand jubilé par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors présidée par le cardinal Joseph Ratzinger.

    • « On doit donc tenir fermement la distinction entre la foi théologale et la croyance dans les autres religions. Alors que la foi est l’accueil dans la grâce de la vérité révélée, qui permet de pénétrer le mystère, dont elle favorise une compréhension cohérente, la croyance dans les autres religions est cet ensemble d’expériences et de réflexions, trésors humains de sagesse et de religiosité, que l’homme, dans sa recherche de la vérité a pensé et vécu, pour ses relations avec le Divin et l’Absolu.
    • Cette distinction n’est pas toujours présente dans la réflexion actuelle, ce qui provoque souvent l’identification entre la foi théologale, qui est l’accueil de la vérité révélée par le Dieu Un et Trine, et la croyance dans les autres religions, qui est une expérience religieuse encore à la recherche de la vérité absolue, et encore privée de l’assentiment à Dieu qui se révèle. C’est là l’un des motifs qui tendent à réduire, voire même à annuler, les différences entre le christianisme et les autres religions » (§ 7).

    « La confusion entre foi et religion est certainement une des plus graves de celles qui gênent les chrétiens dans leur perception de l’islam » (A. Besançon, op. cit., p. 183).

     

    POUR CONCLURE 

     

    Rémi Brague affirme : « Le christianisme est la seule religion qui ne soit qu’une religion et rien d’autre. Toutes les autres religions ajoutent au religieux une dimension supplémentaire » (op. cit., p. 40).

    Le Christ a réalisé dans sa Personne et sa Pâque la démythisation de toute religion. Il instaure le culte en esprit et en vérité, en s’offrant lui-même au Père pour racheter les hommes du péché. La religion ne consiste donc plus en des sacrifices d’animaux ni en des rites extérieurs (comme dans l’islam), mais dans le sacrifice de la volonté propre et de sa propre vie par amour en retour ; afin de s’inscrire par Lui, avec Lui et en Lui, dans la communion trinitaire. Tel est l’enseignement de l’Eglise jusqu’au Concile Vatican II inclus (cf. notamment la Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum).

    Ce n’est donc pas par hasard, mais par une juste compréhension de la foi des chrétiens, que les dirigeants païens condamnaient les disciples du Christ comme « sans dieu » (athées) et « sans religion ». Et ce n’est p

  • Yoram Hazony: le nationalisme est un humanisme.

    Philosophe politique et spécialiste d’études bibliques, Yoram Hazony est président de l’Institut Herzl à Jérusalem. Son dernier livre, “Les Vertus du nationalisme”, vient de paraître en français. © Yochanan Katz

    Entretien par Jeremy Stubbs

    Avec Les Vertus du nationalisme, l’essayiste israélien réhabilite cette idée tenue pour la principale responsable des tragédies du XXe siècle. Pour lui, les nations devraient tout simplement être indépendantes et jouir de la liberté de se développer selon leurs propres histoire et traditions.

    3.pngCauseur. Votre livre redéfinit positivement le « nationalisme » comme la croyance, non pas à la prééminence de sa propre nation, mais en l’idée que l’ordre mondial le plus stable et le plus juste est celui qui se fonde sur une pluralité d’États-nations indépendants.

    Yoram Hazony. Plutôt que de redéfinir le terme, je reviens à son sens traditionnel qui est le plus utile. La définition que je donne est celle avec laquelle j’ai grandi, dans une famille sioniste, et c’est celle qui prévaut toujours dans bien des pays comme l’Inde. Le problème, c’est que, après 1945, beaucoup d’intellectuels libéraux et marxistes, Orwell en tête, ont assimilé le mot à l’usage qu’en faisait Hitler. Si vous lisez celui-ci – et je ne vous recommande pas de le faire ! –, vous découvrirez qu’il utilise le mot « nationalisme » pour désigner son impérialisme raciste. Il a ainsi détourné un terme parfaitement respectable qu’on utilisait depuis longtemps et pour lequel il n’y a pas de substitut dans les langues européennes. Le « patriotisme » évoque l’amour de son pays mais, à la différence du nationalisme, il ne peut pas désigner une théorie politique selon laquelle les nations devraient être indépendantes et libres de se développer selon leurs propres lois et traditions.

    Qu’est-ce qui vous a poussé à clarifier le sens de ce terme dans le débat public ?

    Il faut remonter aux années 1990 : après la chute du mur de Berlin, le monde est submergé par une vague d’utopisme qui s’exprime par exemple à travers le traité de Maastricht ou le nouvel ordre mondial, alors défini par les États-Unis. Dans cette vision, les nations doivent être neutres, sans identité culturelle ou religieuse particulière, ce qui tend à rendre caduques les frontières qui les séparent. La conséquence est qu’on représente l’histoire et les traditions politiques de chaque nation comme racistes, fascistes et généralement répréhensibles. C’est ce qui se passe quand cette vague de « post-nationalisme » arrive en Israël, où on l’appelle le « post-sionisme ». Israël a été fondé comme un État-nation classique, à l’instar de l’Inde au même moment. Mais à l’époque dont je vous parle, il y a une forte pression idéologique pour déprécier et rejeter les lois et les coutumes spécifiques à la nation, considérées désormais comme des facteurs d’oppression. Avec un groupe de collègues, j’ai donc créé un institut afin de réh ab iliter l’État-nation israélien(1). Nous avons réussi à influencer le débat public en Israël. De plus, nos recherches nous ont amenés à étudier l’histoire d’autres pays afin de comprendre les différentes généalogies et expressions de l’idée de nation. En 2016, alors que je travaillais sur un livre consacré plutôt à la théologie, j’ai réalisé que, face à des événements comme le Brexit, il était impératif d’écrire un livre sur l’État-nation.

    Votre ouvrage, qui est à la fois un livre d’érudition et un manifeste, est paru d’ abord en anglais en 2018. Le débat sur le nationalisme a-t-il avancé depuis ?

    La publication des Vertus du nationalisme a grandement stimulé le débat : outre quelque 400 comptes-rendus en anglais, presque autant d’articles ont été publiés sur les colloques que nous avons organisés à Washington et à Londres. Je dirais que la moitié des auteurs de ces textes, qu’ils fussent pour ou contre mes thèses, les ont bien comprises et en ont parlé de manière intelligente et honnête – ce qui est très rare. Un point majeur que j’ai essayé de clarifier concerne ce qu’on appelle le globalisme ou le transnationalisme : à mon sens, il ne s’agit pas d’une nouvelle idée, mais d’une très vieille qui est l’impérialisme. Les globalistes, comme les impérialistes d’antan, cherchent à soumettre toutes les nations de la terre à une seule loi et à une seule organisation, les leurs, parce qu’ils croient savoir ce qui est bon pour nous tous. Avec l’Union européenne et le nouvel ordre mondial des Américains, c’est la notion d’empire qui revient déguisée. Cette rectification a surpris les globalistes autant que leurs adversaires, mais beaucoup l’ont acceptée.

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    Vittorio Orlando (Italie), David Lloyd George (Angleterre), Georges Clemenceau (France) et Woodrow Wilson (États-Unis) à la conférence de la paix de Paris, en décembre 1918, qui aboutira à la signature du traité de Versailles. © Granger collection / Bridgeman images.

    Si les concepts et les termes sont plus clairs sur le plan intellectuel, qu’en est-il sur le plan politique ?

    En politique, il y a plus de confusion parce que, dans l’esprit des gens, les idées sont inséparables des politiciens qui les portent. Le débat politique sur la nation se confond avec la question « Aimez-vous ou non Trump, Johnson, Orban ou Modi ? ». C’est normal parce que, dans un pays démocratique, on a besoin de discuter des avantages et des inconvénients qu’il y a à élire une personnalité spécifique. Cependant, les idées politiques transcendent les appréciations personnelles. Par exemple, beaucoup de gens ont voté pour Trump, en dépit du fait qu’ils n’appréciaient pas du tout son style, parce qu’il incarnait à leurs yeux l’indépendance, les traditions et la fierté nationales. Il faut dire aussi que beaucoup d’autres n’ont pas l’h ab itude d’entendre un discours nationaliste : ils en ont peur, et ils ont tort. À mesure que le nationalisme, au sens où je l’entends, se normalisera, on verra émerger une plus grande variété de leaders nationalistes, dont certains seront moins excentriques, plus raisonn ab les, et en conséquence plus attractifs. Mais ce sera un processus long, sur vingt ou trente ans.

    Les politiciens nationalistes sont généralement traités de populistes, ce qui n’est pas un compliment. Quel est le lien entre nationalisme et populisme ?

    Ceux qui utilisent le terme « populiste » ont tendance à penser en termes de lutte des classes. Pour eux, notre époque est marquée par le combat entre, d’un côté, les classes moyennes et ouvrières et, de l’autre, des élites fortunées, puissantes et éduquées. Je ne prétends pas que ce combat n’existe pas. Ce qui me gêne dans cette thèse est qu’elle implique que le public au sens large en sait nécessairement plus que les élites. Dans une perspective nationaliste traditionnelle, ce postulat n’a pas de sens. Parfois, le public a raison contre les élites, parfois c’est le contraire. L’approche nationaliste traditionnelle consiste à déterminer quelles relations entre les élites et les autres classes seront les plus propices au bien commun de la nation. En résumé, j’évite le terme « populiste », parce que je ne veux pas réduire les choses à une lutte des classes, même s’il est vrai que, depuis au moins trente ans, nos élites sont majoritairement globalistes et antinationalistes.

    Quelles sont les implications de la culture « woke » et des protestations minoritaires qui ont marqué 2020 ? Ces mouvements identitaires ne risquent-ils pas de torpiller toute possibilité de renaissance nationaliste ?

    Il y a eu des événements choquants, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d’autres pays, mais plus significative encore a été la capitulation d’institutions ét ab lies comme le New York Times ou l’université de Princeton – parmi des centaines d’autres – devant une forme de marxisme remis au goût du jour. Car pour les militants woke, tous ceux qui appartiennent à une catégorie ethnique ou « genrée » qu’ils approuvent – les dominés et les « racisés » –  forment un prolétariat au nom duquel ils cherchent à renverser les structures de pouvoir existantes. L’été dernier, nous avons découvert que les institutions libérales traditionnelles étaient sans défense devant cette subversion révolutionnaire. Et cela aura des conséquences sur le débat intellectuel et politique. Pendant longtemps, le débat a opposé l’internationalisme libéral et le nationalisme – et personnellement j’y ai participé volontiers. Désormais, l’internationalisme libéral se montre très hostile au libéralisme traditionnel. Résultat prévisible, la plupart de ceux qui soutiennent le vieux libéralisme se retrouveront dans le camp des nationalistes. En effet, on les somme de capituler devant cette nouvelle forme de marxisme. Les plus faibles courbent l’échine, mais les plus robustes dans leur libéralisme se rapprocheront du nationalisme.

    Le principe de l’autodétermination des peuples, cher au président Wilson au lendemain de la guerre de 14-18, a conduit à la désagrégation des empires. Ce même principe ne risque-t-il pas aujourd’hui de désagréger les nations à leur tour, les fracturant en régions ou en communautés distinctes ?

    Ici, il faut faire une distinction entre l’utopisme nationaliste que représente Wilson et le pragmatisme nationaliste que je prône. Toute structure politique peut être décomposée en ses éléments constituants. Nous voyons en Syrie ou en Irak que, quand les structures de gouvernement tombent, la société se décompose en clans indépendants, s’ ab îme dans une sorte d’anarchie tribale où chaque chef de famille doit s’armer et se défendre pour survivre. La thèse que je développe dans mon livre, et qui ressemble à celle de Pierre Manent, considère l’État-nation indépendant comme un point d’équilibre entre deux forces. D’un côté, la tendance vers l’empire universel qui apporte la paix en imposant un cadre unique à tout le monde. De l’autre côté, la tendance vers de plus en plus d’indépendance qui apporte la liberté, mais au prix du désordre. La première favorise l’harmonie sociale et la prospérité, mais pas la liberté ; la deuxième favorise l’autonomie, mais attise les conflits et la violence. Le nationalisme n’est pas une utopie où chaque groupe qui le désire devient un État indépendant, mais une façon pragmatique de réconcilier empire et anarchie.

    Dans ce cas, quelle doit être l’attitude de l’État-nation indépendant sur l’immigration et l’assimilation des immigrés ?

    Il faut d’ ab ord accepter le fait qu’un certain degré de diversité dans la population d’une nation est inévit ab le. Essayer d’imposer la même religion et une langue unique à tous les citoyens revient à transformer un nationalisme pragmatique en un nationalisme utopique, violent et oppressif. Il faut éviter à la fois que la nation vole en éclats et qu’elle devienne un instrument d’oppression. L’homme d’État cherche toujours à renforcer la cohésion de la nation et la loyauté réciproque entre les citoyens. Qu’il soit de gauche ou de droite, il doit se demander si l’immigration à grande échelle renforce la cohésion nationale ou l’affaiblit. Les gens qui arrivent de l’extérieur ne sont pas nécessairement un facteur de désagrégation. Certains étrangers peuvent être très motivés pour devenir français, par exemple, tandis que d’autres viennent seulement pour des raisons de nécessité vitale. Les premiers sont prêts à renforcer la culture nationale, mais les autres veulent défendre leur propre culture. L’homme d’État doit savoir si tel ou tel groupe crée une nouvelle tribu à l’intérieur de la nation, qui n’est pas loyale à celle-ci. Il n’y a pas de règle concernant l’immigration : il faut se faire un jugement pragmatique selon les circonstances.

    Les États-nations font aujourd’hui face à de nouvelles menaces : l’islamisme, les ambitions hégémoniques de la Chine… Ces menaces ne justifient-elles pas la création de blocs comme l’Union européenne qui a été fondée en partie pour faire contrepoids aux États-Unis et surtout à l’Union soviétique ?

    Ces menaces ressemblent aux vieux projets impérialistes. Les islamistes – à la différence d’un très grand nombre d’autres musulmans – ont une vision de l’islam qui entraîne nécessairement la soumission de l’Europe et du reste de la terre. Ils sont convaincus qu’il faut imposer la paix au monde par la conquête islamique. Ils sont fermés à toute négociation. On ne peut pas conclure un accord avec eux, comme Israël, par exemple, a pu le faire avec les Émirats arabes unis. Il faut combattre les islamistes à l’intérieur de la nation par la cohésion interne et à l’extérieur par des ententes avec les États musulmans non islamistes, par la dissuasion et – si nécessaire – par la guerre. Il n’y a pas d’autre solution. Les démocraties européennes ont des intérêts communs très forts en termes de sécurité, étant menacées potentiellement par la Russie, la Chine et la Turquie. Il n’y a aucune raison pour laquelle elles ne renforceraient pas le libre-échange qui profite à toutes. Mais est-il vraiment nécessaire de fonder une union fédérale, avec une gouvernance centralisée, une seule et même Cour qui impose sa loi aux nations et une monnaie commune ? La vision de de Gaulle et le marché commun ont été remplacés par un ordre utopique qui opprime les États-nations. Face à la crise actuelle, l’UE, aussi faible soit-elle, profite des circonstances pour imposer plus de centralisation et étendre ainsi son empire sur les nations.

    Yoram Hazony, Les Vertus du nationalisme (préface de Gilles-William Goldnadel), Jean-Cyrille Godefroy, 2020.

    [1]. Le Shalem Center, aujourd’hui le Shalem College, fondé en 1994.

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    Les Vertus du Nationalisme 24,00 €

    est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.
     
  • « Nous contribuons activement à nous renier nous-mêmes », par Maxime Briand et Bernard Chapuis.

    Entretien avec Marie Limes. Les journaux surabondent en nouvelles surprenantes qui sont autant de dépêches issues d'un monde mystérieux : le nôtre, en train de muter à grande vitesse. Marie Limes les recueille, les aligne et nous laisse en tirer d'amères leçons sur notre chute.

    Réalisé par Maxime Briand et Bernard Chapuis, de l’ISSEP

    Votre environnement de ZEP (zone d’éducation prioritaire) a-t-il été l’élément déclencheur qui vous a décidé à rédiger Endoctrinement ?

    Le déclencheur aura plutôt été de voir l’« environnement de ZEP » dont vous parlez s’étendre à tout le pays.

    Comment expliquer le fait que les mêmes médias avertissent des atteintes de plus en plus nombreuses à la laïcité tout en faisant la promotion d’éléments religieux propres à l’islam, de plus en plus courants en France ?

    Les médias de gauche comme France Culture, France Inter, Le Monde ou Libération sont en effet continuellement tiraillés entre deux pôles constitutifs de leur identité politique. Le premier est très ancien, c’est le rejet de la religion, « opium du peuple », et c’est ce qui a donné la laïcité. Le second date des années 1980, c’est l’antiracisme. Or, et c’est toute la singularité de la situation que vous soulignez, la gauche ne parvient pas à distinguer l’islam (la religion) de l’étranger (l’individu). C’est-à-dire qu’elle ne sait pas distinguer chez le musulman ce qui relève de la foi (et donc de sa conception du monde – critiquable) de ce qui relève de son origine ethnique (incritiquable). Elle s’interdit donc, mêlant religion et ethnie, de critiquer l’islam par peur d’être accusée du crime moral suprême de notre siècle : le racisme. L’islam est donc protégé parce qu’il vient d’ailleurs, quand bien même la gauche ne cesse de prétendre que l’islam est désormais une religion de France et que la culture musulmane fait partie de notre patrimoine : beau paradoxe. Comme disait Gilles Deleuze : « Être de gauche, c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite, c’est l’inverse ». Préférant l’autre à soi, la gauche ne cesse alors de faire l’éloge des cultures étrangères et des religions orientales (le bouddhisme bénéficie de la même bienveillance). Ainsi l’éloge de l’islam sera continuel sur les ondes de France Culture, ce qui ne sera jamais le cas du christianisme. C’est l’autre amusant paradoxe de la gauche : fonctionner comme un christianisme (l’accueil de l’autre dans une charité inconditionnelle, préférer l’autre plus que soi, aspirer à l’universalisme) tout en étant indifférent ou hostile à cette religion. Au fond, la gauche est une sorte de christianisme sans Jésus Christ. Or « il suffit de nier la divinité du Christ pour placer le christianisme à la source de toutes les erreurs modernes », disait Nicolás Gómez Dávila.

    Pourquoi la forme d’un tel livre, “simple” recueil d’images d’articles ? Pensez-vous qu’accumuler ces images d’articles soit le meilleur moyen de les dénoncer ?

    Il était essentiel de montrer l’effet d’accumulation, d’alerter sur le mécanisme d’endoctrinement. En outre, en tant qu’historienne, il m’apparaît nécessaire de documenter par le papier imprimé ce qui passe et disparaît de nos écrans si rapidement. Il faut laisser des documents qui permettront aux historiens du futur de comprendre l’entreprise de corruption des cerveaux qui fut à l’œuvre au début du XXIe siècle.

    Vous avez souvent fait le choix de l’ironie quand vous commentez certains articles… Doit-on prendre ces articles et ceux qui les écrivent comme une vaste plaisanterie ou, au contraire, doit-on sérieusement s’en préoccuper ?

    Considérer que ces publications sont uniquement risibles est un aveuglement tragique, quoique fréquent. Car ceux qui produisent cet endoctrinement quotidien ne plaisantent pas : ils combattent. Ils le font par conviction, par simple suivisme ou par opportunisme mercantile, peu importe. C’est un combat, et il est ici très inégal. Le rire, par l’humour ou l’ironie, est la seule arme qui nous reste.

    Ces médias, qui produisent des articles très sérieux sur des sujets souvent ridicules, comme « la sapine de Noël » à Bordeaux, sont-ils le reflet anodin d’une certaine société ou alors une sorte d’arme idéologique destinée à influencer les jeunes générations continuellement sur les réseaux sociaux ?

    On pourrait croire en effet que c’est un ridicule localisé, ponctuel, éphémère. Mais les pouvoirs publics empruntent le même chemin. Ils se soumettent tous désormais à cette même folie prétendument « progressiste », que ce soit dans l’action législative ou dans les recrutements, dans les nominations de postes à responsabilité. L’influence sur les jeunes générations n’est donc pas le seul danger. Les ravages de cette pensée « progressiste » ont lieu ici et maintenant, et ils sont bien réels.

    La forme la plus sotte du « progressisme » est la théorie du genre. Mais toutes ces bêtises sur la « non-binarité » disparaîtront bientôt et leurs adeptes en auront bientôt honte, comme les maoïstes des années 1960 peuvent – on l’espère – avoir honte aujourd’hui de leurs engagements passés, ou comme les chantres de la pédophilie des années 1970 s’en mordent les doigts aujourd’hui.

    Mais la forme la plus tragique, la plus terrible, du « progressisme » est celle qui a pu conforter, consolider, amplifier la mutation ethno-démographique des peuples européens. L’immigration de travail, puis le regroupement familial, puis la natalité des populations immigrées, puis le métissage ont changé entièrement et irréversiblement ce que nous fûmes depuis le paléolithique jusque dans les années 1960. L’unité et l’homogénéité ont fait place à la diversité et au multiculturalisme. L’endoctrinement idéologique que nous subissons encourage ce basculement ethnographique mais surtout empêche toute tentative d’en débattre et de le critiquer. Là encore, le tabou du racisme hérité de la Seconde Guerre mondiale et de sa terrifiante entreprise de « purification raciale » joue pleinement son rôle d’inhibiteur pour nous empêcher de penser le monde, notre monde, sous l’angle de la civilisation et de l’histoire, de l’ethnographie et de l’anthropologie. Nous sommes – socialement, moralement – obligés de nous réjouir de cette évolution humaine majeure de notre continent.

    « L’affaire » du concert du Nouvel An à Vienne où certains ont cru bon de se plaindre de l’absence de « diversité » au sein de l’orchestre est un bon exemple. Car si ces orchestres sont déjà excellents – ce que personne ne songe à contester – pourquoi vouloir faire entrer de force « des Noirs et des Arabes » ?

    Au fond, la question qui se pose ici comme ailleurs est : pourquoi faut-il que la civilisation européenne devienne multiculturelle ? Où est « l’enrichissement » ? L’Europe n’était-elle pas auparavant suffisamment riche, cultivée, raffinée, civilisée ?

    Qu’est-ce qu’apporte, par exemple, l’islam à l’Europe ? Cette religion nouvelle est la manifestation, par excellence, du multiculturalisme. Mais en quoi sa présence de plus en plus grande en Europe est-elle un bienfait ? « On s’enrichit de nos différences » répète en boucle le camp progressiste. Quel est l’enrichissement que nous apporte le Coran ? Qu’y gagne-t-on ? Je pose la question.

    La destruction que fait France Culture du passé français au profit d’une culture musulmane est-elle selon vous le mimétisme d’une mode contemporaine tournée vers le multiculturalisme ?

    « Multiculturalisme » est un joli mot pour parler de la disparition de la culture occidentale. En effet, cette dernière est aujourd’hui doublement menacée de l’intérieur et de l’extérieur. Culpabilisés par la gauche, les Français ont abandonné tout attachement à leur propre culture. Ils ne s’aiment plus eux-mêmes. Ils n’aiment même plus leurs prénoms, c’est dire le désamour ! Nommer son enfant, c’est lui donner une identité. Or, sauf quelques exceptions, les prénoms dont nous héritions disparaissent à toute vitesse.

    Les Français n’ont plus aucune fierté pour leur histoire pourtant prestigieuse, faite de conquêtes militaires glorieuses et de chefs-d’œuvre de l’art, de découvertes scientifiques fondamentales et d’avancées techniques incomparables. La France était naguère le pays le plus envié. Il était considéré (avec l’Italie !) comme le plus beau du monde par ses villes et ses paysages. C’était le pays de l’élégance et de l’art de vivre, de la mode et de la gastronomie. Nous étions une nation de science (de Louis Pasteur à Marie Curie) et de technologie (du Concorde au TGV), nos cathédrales défiaient les lois de la gravité, nous avions parmi les plus grands écrivains du monde et la peinture impressionniste faisait l’admiration de tous. Nous faisions rêver le monde.

    En quarante ans, nous avons détruit tout cela. D’abord par une absence totale de fierté et de reconnaissance pour ce dont nous héritions (patrimoine, mœurs, art de vivre), ensuite en faisant entrer des millions des gens qui n’avaient aucun intérêt pour ce que nous étions et qui ne désiraient nullement prolonger et contribuer à cette histoire prestigieuse. Bien sûr, et fort heureusement, il y eut de brillantes exceptions, des gens talentueux venus d’ailleurs et qui ont contribué à la gloire de la France de Sacha Guitry à Milan Kundera, mais ces diamants sont récupérés sans scrupule par la gauche pour construire le mythe d’une immigration enrichissante, confondant sans vergogne l’individu et la masse, le génie et la foule, l’être touché par la grâce et les mouvements de population.

    En parcourant votre livre, on retrouve une forte récurrence dans les articles sur le sujet du néo-féminisme et de la dénonciation du modèle « patriarcal »… Comment analyser cette récurrence ?

    Le patriarcat est en effet par essence l’ennemi du progressisme. Il est ce qui ordonne. Il est la hiérarchie. Il est l’agent de la civilisation et de la construction de nos normes sociales. Or la gauche moderne – ayant abandonné depuis longtemps la cause du peuple – ne cherche qu’une chose : déconstruire. Autrement dit, tuer le père.

    L’ouverture des frontières ou l’institution du mariage homosexuel ne sont pas des grandes causes populaires. Le peuple de France ne s’est jamais soulevé pour réclamer l’écriture inclusive. Mais les intellectuels de gauche en ont décidé autrement. Il fallait déconstruire. Et ce qui avait été longuement et patiemment construit, siècle après siècle, fut martelé, brisé, souillé. La haine du patriarcat est au centre de tout ce que nous vivons actuellement. Nous basculons dans un monde nouveau, sans père et sans repère.

    La plateforme France Culture appartenant au groupe Radio France a bénéficié de 582 millions d’euros en 2019 de subventions, tirées de la poche du contribuable. Pensez-vous qu’une réforme des services publics serait la première pierre de l’édifice pour stopper cette autoflagellation ?

    Évidemment. La première des réformes serait une atténuation de leur militantisme idéologique, tenter d’imposer une certaine pudeur dans l’énoncé de leur convictions politiques. La seconde serait d’introduire un peu de diversité, non pas raciale mais idéologique. Qu’on cesse de prétendre que, parce qu’Alain Finkielkraut bénéficie d’une heure par semaine sur France Culture, les ondes de Radio France offrent un pluralisme d’opinion !

    Avez-vous prévu de réaliser un second ouvrage sur une thématique différente que l’endoctrinement via les médias ?

    J’en avais l’idée et puis j’ai abandonné. D’abord parce que d’excellents ouvrages existent déjà. Des personnalités brillantes prennent la parole, défendent des idées qui sont les miennes, prennent part au débat. Je ne vois pas bien ce que je pourrais ajouter, hormis justement ce livre qui est, à ma connaissance, une tentative unique et singulière. J’aimerais cependant en réaliser une version anglo-saxonne car de l’autre côté des mers, la folie y est encore plus forte.

    Mais les maigres barrages que l’on peut opposer ne sont rien face à la vague du progressisme qui advient. Vous voyez les vidéos des raz-de-marée au Japon de 2011 ou en Indonésie en 2004 ? Que voulez-vous y opposer ? Et non seulement nous subissons la pression démographique d’autres peuples venant du sud et d’une autre religion venant d’Arabie, mais en plus nous contribuons activement à nous renier nous-mêmes. La menace est à la fois externe et interne ; c’est à la fois une agression et un suicide. Nous préférons les nems au cassoulet. Que pèse Debussy face au rap ? Qui baptise encore son enfant « François » ? Qui « baptise » encore tout court d’ailleurs ? Deux mille ans d’une brillante civilisation patiemment construite se sont effacés en à peine quarante ans sous les applaudissements d’une gauche progressiste totalement aveugle sur les conséquences de ce qu’elle fait.

     

    Marie Limes, Endoctrinement, Ring, 2020, 242 p., 19,55 €

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Renouer le pacte ancien avec un peuple éveillé, par Benoît DAKIN.

    Col­loque de la Jeanne – Paris, 8 mai 2021

     « Les liber­tés ne s’octroient pas. Elles se prennent ! »

    Les actes du col­loque n’ayant pas encore été publiés, nous pro­po­sons à nos lec­teurs d’accéder à quelques inter­ven­tions dis­po­nibles, pour don­ner à ceux qui n’ont pas eu la joie d’être par­mi nous, ou devant leur écran le 8 mai, ou bien qui n’ont pas eu la pos­si­bi­li­té de prendre des notes, la chance d’accéder à la « sub­stan­ti­fique moelle » sur notre site, en com­men­çant par la confé­rence de clô­ture de notre ami Benoit Dakin.

    Chers amis,

    Je vous dois un aveu : je tiens la Royale pour un chant de grande por­tée intel­lec­tuelle et morale.

    Je me suis tou­jours réjoui à la faire « vibrer », selon une for­mule légè­re­ment éculée.

    Au-delà d’un cer­tain pom­pié­risme mar­tial, j’entends une belle leçon d’Action Fran­çaise qui épouse notre pro­pos de ce jour sur les libertés :

    «  Tu n’é­tais pas un prolétaire

    Libre arti­san des métiers de jadis… »

    « Si tu veux ta délivrance,

    Pense clair et marche droit !… »

    Cette leçon d’AF, il nous appar­tient de la faire entendre. Hors de nos cercles, hors de nos rangs. Largement.

    Avec humi­li­té, patience et persuasion.

    Avec les armes de l’étude et de la vérité.

    Avec la pas­sion du débat et le souffle de nos convictions.

    Avec le cou­rage, ce cœur à l’ouvrage des preux, pour mener le bon combat.

    *

    *      *

    La liber­té n’est pas née d’hier au Royaume des lys.

    Pour com­prendre ce qui fait le carac­tère du peuple fran­çais et sai­sir d’un trait ce qui consti­tue notre être pro­fond, il suf­fit de plon­ger dans son histoire.

    Il y a sept siècles révo­lus le moindre de nos rois, Louis X ache­va de dénouer les liens du servage.

    Il était sur­nom­mé le Hutin. Ce qu’à tort cer­tains tra­duisent par que­rel­leur. Ce que d’autres inter­prètent plus jus­te­ment comme « obs­ti­né » ou « opi­niâtre ».

    Durant son règne d’à peine plus d’un an, il consen­tit chartes et fran­chises à ses peuples. A com­men­cer par sa Charte aux Normands…

    Le 3 juillet 1315, il abo­lit l’esclavage d’un trait : « comme selon le droit de nature cha­cun doit naître franc […et comme par] usages ou cou­tumes, moult de per­sonnes de notre com­mun peuple sont enchaî­nées en lien de ser­vi­tude, [ce] qui moult nous déplaît ; consi­dé­rant que notre Royaume est dit […] des Francs et vou­lant que la chose en véri­té fut accor­dée au nom, […] ordon­nons que […] par tout notre Royaume [et à jamais], telles ser­vi­tudes soient rame­nées à fran­chises. ».

    De cette ordon­nance sur­gi­ra la maxime « nul n’est esclave en France » et le prin­cipe « le sol de France affran­chit l’esclave qui le touche ».

    La règle sera intan­gible et la juris­pru­dence intrai­table au point que trois siècles plus tard, en 1571, un tri­bu­nal de Bor­deaux affran­chi­ra tous les esclaves noirs débar­qués d’un navire réchap­pé d’une for­tune de mer au motif que la France, « mère des liber­tés », ne tolère pas l’esclavage.

    *

    *      *

    Notre bel aujourd’hui vit sous d’autres orages et d’inquiétants présages.

    Cha­cun s’accorde à le dire : nous vivons des temps orwelliens.

    Le libé­ra­lisme, tenu d’être ver­tueux en temps de guerre froide, s’est mon­tré l’atroce pré­da­teur des éco­no­mies et des peuples depuis l’effondrement du communisme.

    Au point qu’il en a réa­li­sé l’un des rêves les plus fous, l’appropriation col­lec­tive des moyens de pro­duc­tion par la glou­ton­ne­rie des fonds de pen­sions et des ins­tru­ments financiers.

    Au nom du nou­vel ordre mon­dial et au coup de sif­flet de l’étrange modèle que sont deve­nus les États-Unis, tout capi­tule devant le mar­ché et toute culture doit abdi­quer son tré­fonds, toute nation doit renier son his­toire pour se cou­ler dans la com­plainte victimaire.

    L’histoire péri­clite sous le cou­vercle de la propagande.

    Le minis­tère public se mu en minis­tère de la véri­té dès qu’une bande de syco­phantes hurlent à la mort pour une apos­trophe ou l’imputation d’un des maux qui affligent notre Patrie.

    L’esprit cri­tique est cru­ci­fié par l’étiquetage média­tique, irré­fra­gable : « extré­mistes, racistes, homo­phobes… » Et vous voi­là condam­nés au silence, sou­mis au pilo­ri éternel.

    Tech­nique trots­kiste. Ver­dict sans appel. Qui fait l’économie de toute dis­cus­sion et dis­qua­li­fie à jamais.

    Le concert ambiant pro­meut une socié­té mon­dia­li­sée et une huma­ni­té façon­née sur le même éta­bli, can­cel-culture aidant.

    Une huma­ni­té bien­tôt réduite à l’aspect d’un kilo de sucre en mor­ceaux, tous iden­tiques et bien alignés.

    Cette vision déner­vée, écor­chée, déma­té­ria­li­sée de l’humanité réelle, nous en payons déjà le prix à petit feu.

    Nous le paie­rons bien­tôt à grands embra­se­ments car l’Histoire s’est tou­jours char­gée de dis­si­per les nuées par de grands cime­tières sous la lune.

    Ici, à l’école de l’Action Fran­çaise, nous en connais­sons les vices et les causes :

    • Idéaux fumeux for­gés dans les loges des Lumières,
    • Idéo­lo­gies for­mi­dables qui ont rava­gé nations, peuples et socié­tés depuis plus de deux siècles,
    • Aveu­gle­ment obs­ti­né des clercs devant les périls qui montent
    • Et démis­sion des élites qui ont usur­pé le pou­voir pour mieux tra­hir leurs man­dants et leur pays.

    Comme le répé­tait Bain­ville à l’envi, « vous aurez les consé­quences ! ».

    Bain­ville qui connaît un retour en grâce éton­nant à la suite duquel appa­raît l’ombre du grand pros­crit, notre Maurras.

    *

    *      *

    La pre­mière des liber­tés est l’indépendance de la Patrie.

    C’est la belle leçon de Jeanne que nous hono­rons aujourd’hui.

    Or notre patrie, « la plus belle qu’on ait vu sous le ciel », git et se tord sur le lit de Pro­custe depuis qu’est tom­bée la tête de son roi.

    En fai­sant mon­ter aux fron­tons des mai­ries et des tri­bu­naux sa devise tri­ni­taire « liber­té, éga­li­té, fra­ter­ni­té », la Répu­blique n’a ces­sé de pié­ti­ner les liber­tés concrètes, de rompre les équi­libres entre puis­sants et faibles, d’exciter les fac­tions et d’entretenir une guerre civile permanente. 

    Elle a détruit la famille et confis­qué l’éducation des enfants, liber­té essentielle.

    Notre France est cor­se­tée par les trai­tés qui la ligotent à sang perlé.

    Cette red­di­tion impu­table à la Répu­blique est consom­mée par l’étau européiste.

    Plus de mon­naie, plus de banque cen­trale, plus de maî­trise des lois de police.

    Une poli­tique bud­gé­taire inféo­dée aux dik­tats de la vacuole bruxelloise.

    Une jus­tice sous le joug de juri­dic­tions en sur­plomb à Stras­bourg ou Bruxelles.

    Notre France est lami­née dans les hauts four­neaux des juris­pru­dences tom­bant des cours suprêmes.

    À bas bruit et à coups d’arrêts à longue por­tée, celles-ci révo­lu­tionnent nos mœurs, percent nos fron­tières, abo­lissent les pri­vi­lèges de la natio­na­li­té, vitri­fient nos défenses, émas­culent les états, nient les nations, confondent les peuples.

    Les juri­clastes des offi­cines supra­na­tio­nales pillent et anéan­tissent nos libertés.

    Comme le dit Hubert Védrine, le mieux ins­pi­ré de nos anciens ministres des affaires étran­gères, « des Bisou­nours dans le monde de Juras­sik Park. »[1]

    L’esprit des lois a déser­té les par­le­ments et les tribunaux.

    Le droit vit une crise de fond sous les coups de bou­toir des influences amé­ri­caine, gau­chiste, fémi­niste, éco­lo­giste et désor­mais racialiste.

    La Révo­lu­tion a tout rava­gé, l’Empire tout lami­né, la Répu­blique tout tra­hi, l’Europe tout aspi­ré, le libé­ra­lisme tout dominé.

    Leur pré­texte ? À l’origine des idées chré­tiennes, bien­tôt deve­nues folles comme disait Chesterton.

    Les nations dans les fers, les peuples dans l’angoisse : les dom­mages sont considérables.

    Avec la pas­si­vi­té fri­leuse des puis­sants du jour, la céci­té volon­taire des mon­dia­listes fer­vents, l’extatique béa­ti­tude des euro­philes impé­ni­tents et religieux.

    Bref, notre dra­peau est en berne por­tant le deuil de notre souveraineté.

    Péril mor­tel.

    *

    *      *

    Les constats faits par mes pré­dé­ces­seurs ont fait la démons­tra­tion des dan­gers, des dégâts, des urgences.

    Il nous faut reve­nir à notre génie particulier.

    A ce qui fait de la France une nation sin­gu­lière, au des­tin si sai­sis­sant, à la culture incomparable.

    Qui sait unir l’universel et l’original. Qui façonne l’espace et l’esprit avec élé­gance et légè­re­té. Qui mobi­lise les regards et fas­cinent les autres nations.

    Il nous faut être les « Gau­lois réfrac­taires », selon la for­mule heu­reuse d’un cer­tain pré­sident de la Répu­blique, tel­le­ment dédai­gneux de son peuple.

    Et à qui l’on pour­rait appli­quer la défi­ni­tion du gaul­lisme énon­cée par Jacques Laurent : « une pra­tique [où] il n’y a ni doc­trine, ni convic­tions, ni lignes de conduite. […] En tiennent lieu le culte de soi-même pour le chef, et pour les autres le culte du chef. »[2]

    Sor­tir de ce marasme, de cette lan­gueur d’agonie, est pos­sible et nécessaire.

    C’est remettre le cava­lier en selle.

    C’est che­vau­cher au coude-à-coude avec les héros et les saints de l’épopée française.

    C’est renouer le pacte ancien avec un peuple