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Rechercher : Rémi Hugues. histoire

  • Conseils de lecture de ce week-end : deux livres sur François 1er

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    Le Roi et la Salamandre, nutrisco et extinguo, «  Je m'en nourris et je l'éteins »   

     

    On connaît le visage et la prestance de François Ier grâce au portrait de cour réalisé en 1527 par Jean Clouet (Musée du Louvre), puis, par Le Titien, qui en fera une représentation moins hiératique en le représentant de profil et esquissant un sourire, en 1539 (visible au Musée du Louvre, salle de la Joconde). Le peintre vénitien s’était servi pour modèle d’une médaille gravée par Benvenuto Cellini deux ans auparavant. Le premier témoignage valide des actions du monarque, se trouve dans le Quarante cinquième Discours des Vies des Hommes illustres de Brantôme qui, à la mort de François Ier, avait 7 ans ! De surcroît, Brantôme est plus chroniqueur qu’historien et son œuvre est restée celle d’un courtisan, malgré les coups de griffes que le malicieux écrivain s’amusait à porter.

    Fils de Charles d’Angoulême et de Louise de Savoie, François Ier appartient à la branche de Valois-Angoulême. A sa naissance, Charles VIII règne. Il est jeune. Suite à son décès accidentel, c’est son cousin Orléans qui devient roi, sous le nom de Louis XII. Ce dernier, malgré tous ses efforts – une répudiation et deux mariages ! – n’aura pas d’enfant mâle. Et à la naissance de François son père est encore vivant. Son accès au trône eut donc lieu par défaut. On pourrait noter que ce type d’intronisation, dû au hasard, est curieusement lié au prénom, avec des résultats assez divers.

    Sacré roi de France le 25 janvier 1515, il reste une figure emblématique de la puissance royale française en lutte perpétuelle contre ses deux pairs : Charles Quint et le roi Henri VIII d’Angleterre. Mais il est aussi l’incarnation de la Renaissance, tour à tour condottiere, amoureux des arts et des lettres, grand bâtisseur, réformateur de l’administration, notamment religieuse, juridique et fiscale. A cet égard, l’ordonnance de Villers-Cotterêts, reste l’exemple de la modernisation de l’État. Au cours de ce siècle tumultueux, sous le signe de la Salamandre, il attisa parfois malheureusement le feu des passions, notamment dans son combat contre le protestantisme naissant, mais tenta aussi de l’éteindre, parfois maladroitement.

    Mais on ne pourra dénier à François Ier la consolidation et la centralisation du royaume de France… et l’instauration de l’absolutisme royal.

    C’est ce dernier aspect qui semble avoir inspiré principalement Max Gallo. L’auteur prolifique prouve une fois de plus son talent pour d’évocation d’un personnage historique. On ne saurait nier que l’éducation donnée par la mère du futur roi, et de façon prémonitoire, influença fortement le futur monarque. François Ier est homme, avec ses défauts – sa vie privée le prouve -, mais il est aussi l’incarnation d’un pays, d’une culture et le garant de la justice, si cruelle soit-elle. En cela il est bien de la lignée de son ancêtre Saint Louis.

    On lira cet ouvrage, écrit sur le rythme d’une cavalcade, en appréciant la présentation des chapitres qui met en exergue, sous forme d’appel, une phrase situant l’action, l’évènement ou la décision politique.

    Max Gallo signe un ouvrage captivant, dont le style épique n’est pas lointain du langage cinématographique d’Abel Gance.

    François Ier ; roi de France, roi chevalier, prince de la Renaissance française, de Max Gallo, édition Xo, 384 pages, 19.90 €

     

    On ne pourra pas porter un jugement sur le règne de François Ier sans avoir le plaisir de découvrir le livre de Franck Ferrand paru simultanément. Cet historien éminent a le don de susciter, par le biais des ondes radiophoniques, télévisuelles et par son talent littéraire, un nouvel engouement pour l’histoire de France que le mammouth tente d’éradiquer pour des raisons idéologiques. Son ouvrage, remarquablement documenté, est l’antithèse de l’œuvre de Max Gallo, bien qu’ils se rejoignent sur de nombreux sujets. Il ne s’agit donc pas d’un panégyrique, mais, de façon humoristique, d’un massacre à la tronçonneuse du Roi Chevalier, surnommé aussi « Grand Colas » ou « François au Grand Nez ». Il nous présente le monarque sans aucune concession, dominé par sa mère, manipulé par ses maîtresses et ses favoris, très dispendieux, négligeant les opportunités de paix avec ses adversaires, partisan de la censure, et, surtout, parjure à l’issue de la défaite de Pavie en laissant en otages ses enfants (le dauphin François et son frère cadet Henri) durant quatre ans, pour le prix de sa liberté.

    La plume de Franck Ferrand, acerbe mais toujours élégante, a pour ambition d’amener un éclairage lucide sur celui qu’il considère comme un Roi bien éloigné de sa légende.

    François Ier, roi de chimères, de Frank Ferrand, Flammarion, 237 pages, 19,90 €.

    Ces deux ouvrages, écrits par des historiens éminents, sont à lire concomitamment tant l’histoire est une science exacte dans les faits, mais toujours sujette à l’interprétation selon les sensibilités de ceux qui l’écrivent. Une double lecture jubilatoire !  u

    Par Bruno Stéphane-Chambon - Politique magazine

  • 26 Novembre 1914 ... Le gouvernement républicain ressemble à ces francs-maçons de village qui restent à la porte des égl

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    Victoire russe certaine en Pologne. L'évènement sera décisif pour la suite de la guerre et va en marquer une nouvelle période. Le ciel s'éclaircit de jour en jour sur la France, quoiqu'il reste tant à faire : les Allemands, en ce moment encore, ne sont-ils pas en mesure de bombarder Reims et Soissons, quotidiennement si tel est leur bon plaisir ? Ne viennent-ils pas d'annexer (du moins ils l'ont proclamé à Bruxelles) le bassin métallurgique de Briey ? J'apprends aujourd'hui que Guillaume II est resté en France beaucoup plus longtemps qu'ion ne l'a annoncé. On avait dit qu'il n'avait fait que de rapides apparitions sur le front des troupes. La vérité est qu'il a séjourné assez longtemps dans l'Aisne, au château de Follembray, dont le propriétaire, M. de Brigode, était présent. On affirme aussi qu'Arras a été bombardé pour permettre à l'Empereur de juger de l'efficacité de la grosse artillerie allemande.

    M. de Kermaingant, administrateur des aciéries de la Marine, me dit que les hauts-fourneaux d'Homécourt n'ont nullement souffert, bien qu'ils se trouvent directement sous le feu d'un des forts de Metz. Il semble que les Allemands tiennent à ménager, pour leur usage personnel, ce Transvaal français, Transvaal non de l'or, mais du fer, avec ses richesses incalculables.

    On présume que les Allemands, qui sont tenaces, vont encore tenter sur l'Yser un effort d'ailleurs voué à l'échec. Après quoi, étant obligés de faire face à l'invasion russe et de dégarnir leur front, le général Joffre pourra exécuter son offensive (le bruit court qu'il la prépare en ce moment du côté de Compiègne, d'où les civils sont impitoyablement écartés), à moins que l'armée allemande d'elle-même ne se retire sur des lignes extrêmement fortes d'où elle espère interdire aux alliés l'entrée de la Belgique.

    L'éditeur Flammarion a rencontré Marcel Sembat pendant le récent voyage que celui-ci a fait à Paris. A l'auteur de Faites un Roi sinon faites la paix devenu ministre, Flammarion a demandé quel gouvernement nous aurions après la guerre :

    - Celui que voudront les trois cent mille hommes qui reviendront de là-bas, a répondu le seul homme d'esprit du parti socialiste unifié.

    ... Comme suite à l'histoire de la lettre du président Poincaré au Pape : l'Angleterre envoie un représentant auprès du Saint-Siège. Sir Henry Howard, diplomate catholique, a été choisi par le ministère puritain pour cette mission. On dit bien haut que cette mission est temporaire et prendra fin avec la guerre. Mais, si mes renseignements sont exacts, le Saint-Siège aurait la promesse que Sir Henry Howard ne serait pas si impoli que de partir une fois la paix signée et, pour ainsi parler, le dernier morceau dans la bouche...

    Ainsi le roi Georges V, chef de l'église anglicane, et l'empereur Nicolas II, chef de l'église orthodoxe, sont l'un et l'autre représentés auprès du chef de l'église catholique, et la France ne l'est pas ! Le gouvernement républicain ressemble à ces francs-maçons de village qui restent à la porte des églises pendant les enterrements. Cet enterrement pourrait bien être celui de notre protectorat en Orient. Est-ce par le canal de Sir Henry Howard que seront réglées les graves questions qui ne peuvent manquer de se poser en Syrie ? La violation par les Turcs du statut du Liban va nous obliger à intervenir. Comment le ferions-nous au moment où nous avons, en plus  de toutes nos charges, le Maroc à garder ? Et le Maroc s'agite peut-être par un contrecoup de la guerre sainte proclamée à Constantinople. Seront-ce les Anglais (pourtant occupés à défendre le canal de Suez contre une armée turque) qui se chargeront de protéger la Syrie ? Et, quand ils seront à Beyrouth, est-ce Sir Henry Howard que le gouvernement français chargera de ses intérêts ?

    Il y aurait encore une solution : ce serait que Sir Henry Howard ouvrît les voies à la reprise des rapports diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Il reste à savoir si l'Angleterre, qui a pris la place, s'en souciera. En attendant, il est certain qu'à défaut d'ambassadeur accrédité, le gouvernement envoie des volontaires au Vatican. Cela se saura. ♦

    * Comment espérer qu'entre Allemands et Français on arrive à se mettre d'accord ? Chacun des deux peuples est convaincu que l'autre a été l'agresseur. Dans chacun des deux pays les socialistes et les pacifistes sont persuadés que les pacifistes et les socialistes d'en face ont été grossièrement abusés par leur gouvernement. Sur les origines mêmes et les responsabilités de la guerre, la contradiction est totale, absolue. Le désaccord est formel. Il est dès aujourd'hui visible qu'il se prolongera à travers les siècles, qu'il remplira l'Histoire aussi longtemps qu'une France et qu'une Allemagne existeront. ♦ 

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    * Cette deuxième note appartient au Tome I du Journal de Jacques Bainville (1901/1918)

  • Natacha Polony: « Qui a peur du peuple souverain ? »

     L'analyse de Natacha Polony

    Natacha Polony revient sur l'affaire « Onfray » et le durcissement du débat entre ceux qui défendent la construction européenne et ceux qui sont favorables à une restauration des souverainetés nationales. Mais le triomphe des premiers n'est plus assuré. Il y a aujourd'hui toute une pléiade d'intellectuels qui n'acceptent plus volontiers le formatage de la pensée dominante. Qui, à leur tour, la mettent en accusation, la contestent, la réduisent à la défensive. Avec l'assentiment de larges pans de l'opinion. Reste la question de savoir si le sentiment populaire profond, instinctif, vital, peut être réellement souverain dans un Système passé maître dans l'art et la manière d'organiser son conditionnement. Reste l'incomplétude d'une telle démocratie. Telle que Macron l'a signalée. Et reste enfin, selon nous, à se demander si la souveraineté du peuple n'a pas pour condition incontournable, au moins en France, l'existence d'un souverain de chair et d'os qui en soit l'incarnation et qui, dans toute sa profondeur historique, la garantisse. Cela, pour nous, s'appelle un roi. Nous excusera-t-on de poser la question ? LFAR 

     

    XVMbd3235a0-219b-11e5-93d6-2261d4e29204 - Copie.jpgLe crime de Michel Onfray, de Jacques Sapir ou de quelques autres intellectuels cloués au pilori porte un nom : le souverainisme.

    Pourquoi tant de violence ? C'est ce que se demande sans doute l'observateur des médias, le lecteur de journaux, devant la tempête qui agite la France intellectuelle ou, plutôt, devant les éruptions de patrons de presse et de journalistes clouant au pilori des intellectuels français coupables, au choix, de « déraper », de « faire le jeu du FN » ou carrément de se rapprocher dudit parti. La une de Libération a lancé le bal, suivie par celle du Monde. Mais il a fallu quelques jours pour qu'apparaissent sous la plume des grands censeurs les raisons profondes de leur détestation. Le mot, désormais, se promène d'éditorial en tribune libre, comme un nouvel acte d'accusation. Il obsède Laurent Joffrin, mais il incarnait déjà depuis quelque temps le mal absolu dans les envolées d'un Franz-Olivier Giesbert. Oui, le crime de Michel Onfray, de Jacques Sapir ou de quelques autres porte un nom : souverainisme.

    Le mot a longtemps désigné des groupuscules idéologiques, les perdants de l'Histoire, ceux que l'adoption du traité de Maastricht avait condamnés à la marginalisation politique. Car la promesse allait s'accomplir. Avec Maastricht, la paix en Europe, la croissance et le plein emploi, le progrès s'imposant partout, et jusque dans ce monde post-communiste rejoignant dans l'euphorie le camp de la liberté. Et puis il y a eu 2005. La victoire inattendue d'un « non » dont on n'a pu étouffer la voix qu'en expliquant qu'il avait douteusement mêlé « non de gauche » et « d'extrême droite », qu'il était finalement xénophobe, rance, nauséabond, réactionnaire, populiste (autant de mots dont on a voulu nous habituer à croire qu'ils étaient synonymes). Et tout à coup ces derniers jours, les tenants du meilleur des mondes européens, qu'ils soient libéraux-sociaux ou sociaux-libéraux, s'aperçoivent que les mouvements de plaques tectoniques du monde intellectuel, qui voit tomber dans le camp du Mal de plus en plus de penseurs pourtant classés à gauche, s'expliquent par la résurgence de l'idéologie honnie, le souverainisme, ou plutôt par l'échec de leur propre modèle, construit en opposition.

    Donc, le souverainisme conduit sur les rives du Front national. Qu'on soit éditorialiste à France Inter ou à L'Obs, au Point ou à Médiapart, cela semble une évidence. Sans que jamais il ne soit nécessaire de définir les termes du débat. Dans le cas du souverainisme, il est pourtant intéressant de revenir aux mots. Celui de souveraineté, par exemple, qui constitue le pilier de la démocratie et de la République. Le peuple, nous disent les pères de la République française, doit être son propre souverain, c'est-à-dire maître de son destin. Ce qui implique une souveraineté individuelle et collective. Souveraineté des individus, suffisamment instruits pour pouvoir former leur jugement sans dépendre d'autrui - d'où la position cruciale de l'école dans l'édifice républicain - et souveraineté de la nation qui mène librement la politique voulue par le peuple comme assemblée de citoyens.

    Voilà donc ce qui leur fait si peur! Le peuple souverain ! Alors, on ergote sur ce qu'est le peuple, on laisse entendre, crime atroce, qu'il pourrait être entendu dans une acception identitaire, xénophobe, en effaçant opportunément toute l'histoire politique et intellectuelle française qui fait du peuple une entité politique et non pas ethnique. On brandit le danger du nationalisme pour mieux diaboliser l'idée de nation, là encore, un concept, dans la tradition française, purement politique (il serait presque étonnant de lui voir préférer celui de « patrie », étymologiquement la « terre de nos pères »).

    L'idée que le peuple doit avoir consenti tout abandon de souveraineté en échange d'une protection (par exemple, la préférence communautaire qui devait prévaloir à l'origine contre l'ouverture à tous les vents de la mondialisation) scandalise visiblement ceux qui, sous couvert d'expertise et de gouvernance, ont réinventé l'oligarchie censitaire. Les mêmes, d'ailleurs, qui ont, des années durant, orchestré la destruction de l'école et interdit aux futurs citoyens tout espoir d'émancipation intellectuelle. On se souvient qu'en 2005, ils nous expliquaient qu'un référendum était inutile car le texte était trop complexe pour être compris des électeurs… Bientôt, ils nous expliqueront que le peuple est trop faible d'esprit pour voter.

    Tenter avec acharnement de renvoyer le souverainisme, notamment de gauche, vers le Front national, relève du réflexe de survie : face à un système qui s'effondre, qui détruit l'industrie, désormais l'agriculture, et finalement les savoir-faire français, un système qui dévalorise le travail et détruit le pacte moral entre les citoyens et la République et le lien qui les unit à la France, qui crée du malheur et désormais de la violence, il n'y a plus que cela : brûler quelques sorcières pour éviter d'entendre les foules qui grondent. 

    Natacha Polony - Le Figaro            

     

  • Les migrants ressuscitent les frontières

     

    Par François Marcilhac *

     

    500021990.jpgLa gestion par l’Allemagne des flux migratoires en provenance de Syrie, lesquels ne font que s’ajouter à ceux de la Libye, qui ne se tarissent pas, témoigne, s’il en était besoin, du fait que, contrairement à ce qu’on entend ici ou là, loin de penser « européen », chaque Etat membre de l’Union conduit en temps de crise la politique qui lui semble, à tort ou à raison, c’est une autre affaire, la plus conforme à son intérêt — du moins lorsque cet Etat est gouverné par des dirigeants dignes de ce nom, ce qui n’est plus, depuis bien longtemps, le cas de la France. Les media de l’oligarchie ne cessent de déplorer l’attitude des pays qui refusent d’accueillir ces « migrants », dont ils doutent à bon droit, du reste, de la qualité de réfugiés, et déplorent leur prétendu égoïsme, avec ce moralisme propre au projet européen — ainsi Juncker, le président de la Commission européenne, a déclaré dans son discours « sur l’état de l’Union », le 9 septembre, qu’ « il est temps de faire preuve d’humanité et de dignité », en accueillant tous les réfugiés qui se présentent.

    Accuser d’égoïsme les gouvernants qui pensent en premier lieu au bien de leur peuple, comme c’est leur devoir, et le proclament ouvertement, c’est oublier un peu vite que c’est l’Allemagne, qui, la première, a donné le signal d’une attitude strictement nationale en décidant unilatéralement d’un accueil massif dont elle savait fort bien que ses partenaires auraient ensuite à supporter les conséquences en termes d’appel d’air et de masse. Oui, Merkel a cherché et cherche toujours à imposer sa politique aux Vingt-Huit, pensant, à tort manifestement, que parce qu’elle a à sa botte le dirigeant de la première puissance militaire et de la deuxième puissance économique de l’Union — en l’occurrence Hollande —, elle ne ferait qu’une bouchée d’Etats plus petits. Que Merkel ait été la plus nationaliste dans l’affaire, il ne viendrait à l’idée ni de nos journalistes béats devant la nouvelle icône des droits de l’homme, ni évidemment à des hommes politiques complices de sa politique, de le dénoncer. Merkel accueille : tous les Etats européens doivent accueillir ; Merkel ne peut ou ne veut plus accueillir et suspend Schengen en rétablissant des contrôles à ses frontières : c’est la faute de ses partenaires qui ne l’ont pas suivie et refusent la politique des quotas, c’est-à-dire de répartition obligatoire des clandestins, politique qu’Hollande avait dans un premier temps lui-même refusée, avant de se coucher, comme d’habitude. Et dès lors de brandir des menaces, avec une suffisance qu’on n’aurait plus cru possible — ou du moins que n’imaginaient plus possible les naïfs qui croient encore à un quelconque progrès moral de l’humanité, y compris dans les relations entre Etats, un progrès moral qu’incarnerait justement l’Europe institutionnelle. N’a-t-elle pas osé répondre, le 31 août, avec un humour typiquement germanique, semble-t-il, lors d’une conférence de presse, à une question sur d’éventuelles sanctions contre les pays réticents à une répartition : « Je ne veux pas sortir maintenant tous les instruments de torture » ? Or ces pays, situés essentiellement en Europe centrale et orientale, sont ceux qui ont toujours le plus souffert de l’expansionnisme allemand et dont un des prédécesseurs de Merkel avait fait, en quelques années, des protectorats avec la même passive complicité d’une république française, incapable à l’époque comme aujourd’hui, de concevoir les rapports internationaux comme des rapports de forces — ce que, pourtant, ils n’ont jamais cessé et ne cesseront jamais d’être —, rapports dans lesquels l’idéologie, hier le pacifisme bêlant du briandisme, aujourd’hui le droit-de-l’hommisme mercantile de l’oligarchie européiste, jouent le rôle d’anesthésiants.

    Certes, l’échec, lundi 14 septembre, de la réunion des ministres européens de l’intérieur sur les quotas, montre que Merkel a sous-estimé la résistance de nations qui ne s’en laissent pas compter, au regard tant de leur histoire que de leur capacité d’absorption : une capacité d’absorption non seulement économique, mais également culturelle et religieuse, de flux d’allogènes disposés à tout, sauf à s’intégrer à des pays qui, en les accueillant avec une générosité confinant à la niaiserie, ne pourraient susciter que leur mépris. Toutefois, Merkel n’a rien lâché : Thomas de Maizière, son ministre de l’intérieur, a déclaré à la chaîne publique allemande ZDF, mardi 15 septembre, que les pays qui refusent les quotas, « souvent [...] reçoivent beaucoup de fonds structurels » européens. « Je trouve aussi juste (...) qu’ils reçoivent moins de moyens », a-t-il poursuivi en approuvant la proposition formulée en ce sens par Juncker.

    De fait, si Juncker et Merkel sont la main dans la main, Hollande jouant les utilités, c’est que l’idéologie de l’accueil leur sert à tous deux d’anesthésiant pour contraindre les peuples à accepter une politique d’immigration qu’ils jugent conforme, la seconde à l’intérêt d’une Allemagne vieillissante mais encore forte de plus de 80 millions d’autochtones et qui, pense-t-elle, saura sans trop de préjudice, absorber cette main-d’œuvre étrangère, le premier à celui d’une Union européenne sans autre identité que le consumérisme. En bon négrier mondialiste, Juncker, toujours dans son discours sur l’état de l’Union, n’a pas omis de préciser : « La migration doit cesser d’être un problème pour devenir une ressource bien gérée ».

    L’Europe n’existe pas. Elle est et demeure un mythe. La Pologne, la Hongrie, la Tchéquie ou la Slovaquie — le groupe de Visegrad — mais aussi le Danemark, la Lettonie ou la Roumanie, ne doivent pas être montrés du doigt : leur refus ou leur manque d’empressement est le témoignage d’une identité forte, qu’ils doivent à une histoire riche, souvent dramatique. Leur nationalisme défensif face à l’invasion n’est que l’expression de leur bonne santé morale. Persévérer dans l’être, tel est aussi l’objectif de Merkel, mais avec ce nationalisme agressif propre à la culture allemande qui, le plus souvent, fut aveugle sur ses propres intérêts. Bruxelles, qu’elle co-dirige avec la Commission européenne, tout à son universalisme matérialiste hors-sol, sert pour l’instant sa politique. La Grèce et l’Italie, quant à elles subissent, avec pour seul objectif de s’en sortir le plus rapidement possible. Seule la France, asthénique, joue un jeu « européen », l’Europe ayant toujours été, pour ses élites, l’autre nom du renoncement. 

    François Marcilhac - L’ Action Française 2000

     

  • Communiqué truffé de fautes : sait-on parler français à l'Elysée ?

     

    Par Christian Combaz*  

    Christian Combaz a déjà signalé que les talents d'improvisation verbale de François Hollande sont assez douteux. Cette fois, il s'insurge contre la pauvreté et l'incorrection des écrits élyséens même (et surtout) après transcription par son équipe. Et il se livre à une analyse de texte qui fait apparaître l'effarante nullité des services de l'Elysée. Une telle désinvolture à l'égard de notre langue est impardonnable et honteux. Pour nous, ce n'est pas du tout anodin. C'est le symptôme d'un naufrage. LFAR

    COMBAZ.jpgFrançois Hollande ne nous a pas habitués jusqu'ici à une expression particulièrement déliée ni toujours très correcte, mais le communiqué de presse écrit, envoyé à tous les journaux, relatif aux réfugiés de Syrie entrera certainement dans l'histoire. En tout cas je me flatte d'y contribuer. Morceaux choisis et commentés (en italique).

    Palais de l'Elysée

    Mesdames, messieurs (sic, sans majuscule), j'ai reçu - et c'était la troisième fois - le Premier ministre d'Irlande Enda Kenny, avec lequel j'ai noué des relations d'amitié, avec des participations au Conseil européen qui nous ont rapprochés sur les grandes questions. Nos deux pays sont liés par l'histoire, et à chaque fois qu'il y a eu des épreuves, l'Irlande et la France ce sont toujours retrouvés. Irlande et France au féminin, donc retrouvées.

    [...]

    Aujourd'hui il y a une épreuve, celle du drame des réfugiés. Une image fait le tour du monde. Elle suscite une émotion, elle est partagée. Un enfant qui est retrouvé noyé sur une plage en Turquie parce que sa famille voulait rejoindre la Grèce et donc l'Europe. C'est une tragédie, mais c'est aussi une interpellation à l'égard de la conscience européenne. (Ou le Président vient de lire Christine Angot, ou il essaie d'imiter le relâchement général pour se rapprocher du peuple, ce qui est un mauvais calcul parce que même le plus obscur conseiller municipal d'un village de cent habitants aurait écrit « nous sommes témoins d'une situation qui nous serre le cœur » et non « il y a une épreuve ». Quant à une « interpellation à l'égard de », c'est une autre langue que le français.)

    [...]

    Certaines [familles] ont été accueillies dans les pays voisins qui souffrent eux même.(Sic)

    [...]

    J'ai également appelé le Président turc ERDOGAN puisque c'est là que c'est passé le drame. (Sic) Ce drame, c'est aussi celui qui peut se produire, encore au moment où je parle, où des familles cherchent à traverser. (Traverser quoi? Où? « Qui peut se produire » n'appelle donc aucun complément ?)

    [...]

    Et j'ai eu avec la chancelière MERKEL depuis déjà plusieurs jours, la volonté de prendre une initiative. (Observons que le président n'a pas pris une initiative, il en a eu la volonté, et depuis plusieurs jours, donc c'est du sérieux). Cette initiative consiste à saisir le Président de la Commission Européenne, le Président du Conseil européen, tous nos partenaires, pour que nous puissions mettre en œuvre une politique d'immigration et d'accueil qui soit digne de ce que nous représentons lorsqu'il s'agit de personnes qui n'ont pas vocation à venir ici et qui soit humaine pour que les réfugiés puissent être, dans la mesure du possible, lorsqu'il n'ont pas d'autre issue, accueillis en Europe. (Voilà une phrase qui restera dans les annales de la vie publique française et servira sans doute à illustrer la confusion d'esprit qui règne en ce moment à l'Elysée, et qui répond à la terreur de devoir dire quelque chose de ferme et de précis devant une situation qui vous dépasse totalement.)

    [...]

    Je ne voudrais pas que l'on en reste simplement au registre de l'émotion que nous avons d'un enfant de trois ans, son frère à peine plus âgé et puis d'autres familles, celles que nous ne voyons pas. (Au registre de l'émotion que nous avons ? Encore bravo. La France de nos pères nous regarde mais, Dieu merci ! elle ne nous entend pas.)

    [...]

    L'Irlande a montré qu'en quelques années elle était capable, alors qu'elle était ce qu'on appelait « sous programme » de connaitre maintenant une croissance et une stabilité. (Pas de tiret, pas d'explication sur ce qu'est le « sous-programme », pas d'accent à « connaître »)

    [...]

    Nous avons aussi nos deux pays, sur le plan culturel, une volonté commune d'échanger des étudiants (Belle marquise, d'amour vos yeux mourir me font).

    [...]

    Enfin nous avons abordé trois sujets, je ne serais pas plus long. (Serai, au futur et non au conditionnel)

    [...]

    J'aurais (idem) l'occasion de m'en entretenir d'ailleurs avec David Cameron.

    [...]

    Il est donc tout à fait nécessaire d'avoir un mécanisme qui puisse prendre la situation de chaque pays européen et de voir ce qu'il est possible de réserver comme accueil dans ce pays-là, en fonction de ses caractéristiques. (Le président veut sans doute dire « analyser » la situation et non la « prendre », mais que vaut un discours où il est nécessaire d'imaginer, sans cesse, ce que l'orateur veut dire ?)

    [...]

    Enfin, nous avons la responsabilité de régler la question syrienne, et je peux le dire d'autant plus facilement que la France a été toujours à l'initiative. Nous avons la responsabilité de faire en sorte qu'une solution politique puisse être trouvée (Outre la présomption qui consiste à vouloir régler la question syrienne, toujours le style passif de la Présidence, qui consiste à réunir les conditions de l'action sans s'y mêler vraiment. Le lecteur observera qu'il y a dans cette phrase un empilement de trois passivités façon grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf : on jouit d'abord d'un état de responsabilité, en somme on est content d'être aux affaires, mais pour faire quoi ? Pour « faire en sorte » qu'une solution « puisse » être trouvée.)

    [...]

    Nous n'avons pas simplement à tenir des discours, nous avons à prendre des décisions, etc.

    (Surtout, pour être franc, des discours comme ceux-là. Le Président nous dit en somme que rien ne vaut les actes, ce qui est sage quand on s'exprime comme cela, mais en politique la parole est un acte aussi, et là, il s'agit en permanence d'un acte manqué.)

    En conclusion on peut s'interroger sur la qualité (ou l'intention) de ceux qui ont à relire ce genre de prose avant de l'envoyer. Ou ils sont carrément nuls, ce qui est une éventualité, ou ils font exprès de laisser passer des bourdes pareilles sans la moindre remise en forme pour accabler leur patron. En ce sens on pourrait parler de véritable coup d'état linguistique, ce qui serait une première. 

    Christian Combaz

    Christian Combaz est écrivain et essayiste, auteur des Gens de Campagnol (Flammarion). Son prochain livre, Les Ames douces, paraît ces jours-ci aux éditions Télémaque. Lire également ses chroniques sur son blog. 

  • LITTERATURE & SOCIETE • La rentrée littéraire vue par Proudhon

     

    Une tribune de Sébastien Lapaque * 

    Sébastien Lapaque déplore avec Proudhon la marchandisation des livres et des biens culturels en cette période de rentrée littéraire. Pour ceux d'entre nous qui sont d'Action française, l'ont été - mais, en quelque manière, on le reste toujours - ou y sont passés, Sébastien Lapaque n'est pas un inconnu. Nous l'avons côtoyé à l'Action française dans sa jeunesse turbulente qui, heureusement, ne semble pas l'avoir quitté. Il déplore, ici, avec Proudhon, la marchandisation des œuvres de l'esprit et le déclin ou l'éclipse, de la grande littérature. Il a évidemment raison. Avec Proudhon, avec Bernanos, son maître et le nôtre. Et avec Maurras qui rangeait, lui aussi, Proudhon parmi ses maîtres et qui a écrit, au début du siècle dernier, le livre définitif qui explique, prévoit, non sans quelque espoir d'aventure et de renaissance, cet asservissement de l'Esprit que Lapaque déplore ici en cherchant les moyens d'en rire. L'Avenir de l'intelligence, en la matière, avait tout dit. C'était en 1905.  LFAR     

     

    L'autre soir, boulevard Haussmann à Paris, j'ai croisé Clitandre, non loin de l'immeuble où Marcel Proust, reclus dans sa chambre tapissée de liège, mena contre la mort son marathon pour retrouver le Temps, prouvant que la littérature n'était pas l'écriture d'une histoire, mais l'histoire d'une écriture. Clitandre est un écrivain à la mode, reconnu, célébré ; il est membre d'un prestigieux prix littéraire. Lorsque je lui ai demandé quel livre il voulait faire couronner cette année, il m'a parlé du dernier roman d'un auteur vedette de la maison d'édition dans laquelle il publie ses propres ouvrages. Plus tard, c'est la voix d'Argyre que j'ai entendu couler dans les enceintes du taxi qui me conduisait chez moi. Argyre est chef du service culture d'une grande radio : elle était invitée chez un confrère pour évoquer la rentrée littéraire. Au journaliste qui voulait savoir si elle avait lu chacun des 589 romans publiés à la fin du mois d'août et comment elle faisait pour distinguer l'excellent du tout-venant dans cette gigantesque pile de livres, Argyre a répondu que non, elle ne lisait par tout, qu'elle commençait par les incontournables — les « poids lourds » qu'un critique doit lire — et qu'ensuite elle se laissait guider par les attachées de presse dont elle connaissait d'expérience le bon goût. « La machine est bien huilée », me suis-je dit. Je l'ai vérifié quelques jours plus tard, en découvrant qu'une phrase de Télèphe, rédacteur en chef d'un magazine et littérateur négligeable, avait été retenue dans un encart publicitaire de son propre éditeur pour vendre au « gros public » un roman aussi insignifiant que les siens dont il avait fait l'éloge auparavant.

    Lorsqu'on a envie de pleurer du monde, il convient d'inventer le moyen d'en rire. C'est dans un volume oublié de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) que j'ai trouvé certaines consolations aux noirceurs morales de notre siècle en miettes. Les Majorats littéraires est un livre que le fameux polémiste, économiste, philosophe et sociologue franc-comtois a fait paraître à Bruxelles en 1862. Rien de mieux qu'un auteur anarchiste pour comprendre les causes profondes du désordre établi. Dans Les Majorats littéraires, Proudhon s'intéresse à la question de la propriété intellectuelle, mais aussi, dans une vigoureuse deuxième partie, à « la décadence de la littérature sous l'influence du mercenarisme ». En lisant Proudhon, j'ai repensé à Clitandre et à ses amitiés, à Argyre et à ses poids lourds, à Télèphe et à son gros public.

    « L'art de vendre un manuscrit, d'exploiter une réputation, d'ailleurs surfaite, de pressurer la curiosité et l'engouement du public, l'agiotage littéraire, pour le nommer par son nom, a été poussé de nos jours à un degré inouï. D'abord, il n'y a plus de critiques: les gens de lettres forment une caste ; tout ce qui est écrit dans les journaux et les revues devient complice de la spéculation. L'homme qui se respecte, ne voulant ni contribuer à la réclame, ni se faire dénonciateur de la médiocrité, prend le parti du silence. La place est au charlatanisme. » Proudhon l'explique un peu plus loin dans son pamphlet: la littérature est l'expression de la société. Dans un monde où nous ne croyons plus à rien parce que nous sommes tous à vendre et que tout est à vendre — comme le produit des champs et les articles manufacturés sortis des usines —, les lettres et les arts ne font pas exception.

    Les rappels à l'ordre des hauts parleurs de la Grande Machine valent pour tous. Agiotage, spéculation, charlatanisme, observe Proudhon… On ne saurait mieux dire. Une grande partie des jurés des prix littéraires et des critiques employés dans les « lignes d'étapes de l'armée de la distribution et de l'éloge des marchandises actuelles » (Guy Debord) ne revendiquent ni pour eux-mêmes ni pour les autres la possibilité de préserver la souveraineté de leur conscience ou l'expression leur goût. Au pire, ils ricanent et se rendent complices de la haine d'une littérature désormais tombée en réclame ; au mieux, ils s'intéressent aux livres comme d'autres à la Bourse ou au Pari Mutuel Urbain. Il jaugent les écrivains comme des actions ou des canassons. Leur horizon, ce n'est pas la jubilation que procure l'art de grand style, c'est faire des coups et de trouver le tiercé dans l'ordre. « Quand la littérature devrait s'élever, suivre la marche ascensionnelle des choses, elle dégringole. A genoux devant le veau d'or, l'homme de lettres n'a qu'un souci, c'est de faire valoir au mieux de ses intérêts son capital littéraire, en composant avec les puissances de qui il croit dépendre, et se mutilant ou travestissant volontairement. »

    Pierre-Joseph Proudhon encore une fois.  •

    * Sébastien Lapaque est écrivain. Il est critique littéraire au Figaro.

     

  • Le miracle marocain : « Un roi, sinon rien » par Frédéric Rouvillois, (L'Action française 2000)

    Entretien entre le roi Mohamed VI et le prince Jean de France au palais royal de Tétouan (juillet 2003).

     

    frederic-rouvillois.jpgLa monarchie est la clef du miracle marocain, comme l’explique en substance Jean-Claude Martinez, dans un petit livre à paraître le mois prochain, où l’auteur souligne les bienfaits d’un roi « stabilisateur », ayant notamment préservé son pays des vents violents du Printemps arabe. 

    Il n’y a pas de miracle en politique. En revanche, il y a des exceptions, c’est-à-dire des situations singulières, mais explicables, dès lors que, contrairement aux miracles, elles ont des causes. Tel est le cas de ce que l’on a pris l’habitude, depuis quatre ans, d’appeler “l’exception marocaine”. Car, de fait, il s’agit bien d’une exception. Début 2011, alors que des autocraties que chacun pensait indéracinables, en Égypte et en Tunisie, s’effondrent en quelques heures au grand vent du Printemps arabe, le Maroc ploie sans rompre, et profite même de l’occasion pour accélérer le train de ses réformes et donner un coup de jeune à son organisation constitutionnelle. De même, à l’automne 2011, lorsque les islamistes du PJD (Parti de la justice et du développement) remportent les élections législatives et se trouvent propulsés à la tête du gouvernement, le royaume ne connaît ni les troubles suscités en Tunisie ou en Égypte par la victoire d’Ennahdha et des Frères musulmans, ni, a fortiori, l’abominable guerre civile qui ensanglanta l’Algérie durant des années après le triomphe du FIS (Front islamique du salut) en 1991. Au lieu de cela, on assiste à une tranquille passation de pouvoirs, selon « une procédure dont la modestie sciemment organisée a voulu symboliquement montrer qu’il n’y avait là qu’un cours ordinaire des choses, enlevant aux résultats des élections toute dimension de révolution », comme le souligne Jean-Claude Martinez dans un ouvrage publié au lendemain de l’attentat de Tunis, Le Roi stabilisateur.

    Le tournant de la modernité

    Dans cet essai au titre significatif, l’auteur, ex-député européen mais aussi ancien directeur des études de l’ENA du Maroc, entend précisément répondre à la question évoquée plus haut : cette (étonnante) exception marocaine, quelles peuvent en être les causes ? Et pour Jean-Claude Martinez, une réponse s’impose, de toute évidence : c’est la présence d’un roi. D’une monarchie qui, après avoir construit le Maroc au cours d’une histoire millénaire, lui permet aujourd’hui de prendre, de façon prudente mais résolue, le tournant de la modernité. Sans l’institution monarchique, assure Martinez, le pays s’effondrerait du jour au lendemain : « Il n’est pas besoin d’être grand futurologue pour savoir ce qu’il adviendrait en moins de cent jours si une chimère politique, issue d’un nouveau printemps, remplaçait des siècles de stabilité alaouite par quelques semaines d’aventure démocratico-participative, à l’égyptienne d’hier sinon à l’irakienne de maintenant. »

    Le commandeur des croyants

    Le propos de de l’ouvrage est d’abord d’éclairer en quoi, et comment, le roi du Maroc produit un tel effet. Un effet que Martinez attribue en premier lieu à sa double dimension temporelle et spirituelle – naguère affirmée dans le fameux article 19 de la constitution, qui fut, pendant des décennies, la bête noire des progressistes –, et qui demeure, selon lui, la grande force du système. Sur un plan spirituel, le monarque est qualifié d’amir al-mouminine, commandeur des croyants, un titre que même le roi d’Arabie saoudite, “gardien des deux saintes mosquées”, ne lui discute pas. En tant que tel, le monarque marocain se trouve en mesure de promouvoir une lecture modérée de l’islam, celle que propose le rite malékite – et, ce faisant, de s’opposer de façon crédible, aux yeux des musulmans eux-mêmes, aux entreprises des fondamentalistes. Il constitue par conséquent un indispensable « stabilisateur religieux » et, de nos jours, un contrepoids capital à « la fascination du Califat ». Mais cette fonction permet aussi au roi d’être un « stabilisateur social » – comme il le montra au début des années 2000 en imposant, contre une approche intégriste, une vision relativement ouverte et libérale de la condition féminine – et un « stabilisateur politique », ou géopolitique, dans une région aussi stratégique pour l’Afrique que pour l’Europe. En tant que roi, ancrant sa légitimité dans la tradition et dans l’histoire, et non dans le hasard de volontés changeantes et plus ou moins contraintes, il bénéficie du consensus et de la durée. Peu importe son âge, le roi sait qu’il n’est qu’un passeur, et qu’après lui, son fils lui succédera comme lui-même a succédé à son père. Ce qui lui « permet d’attendre et de voir venir ce qui est en marche inéluctablement » : par exemple, dans cette région, le jour sombre où, vers la fin des années 2030, l’Algérie, ayant définitivement épuisé ses réserves d’hydrocarbures, se réveillera à la fois ruinée, révoltée et surpeuplée, et deviendra quelque chose comme une bombe à fragmentation accrochée au flanc Sud de l’Europe. « C’est ce maelström d’agitation et de manipulation que le roi, bénéficiaire de la durée, peut », mais peut seul, tenter de « stabiliser ».

    Le Maroc, un verrou migratoire

    Cependant, Jean-Claude Martinez, s’il est universitaire, est aussi et d’abord un politique. À ce titre, il ne se contente pas d’expliquer les causes de l’exception marocaine. Il souligne, à l’attention de la France et de l’Europe, à quel point ce Maroc équilibré et équilbrant leur est objectivement nécessaire. Et combien il serait périlleux de faire mine de ne pas le comprendre, au nom d’intérêts médiocres ou de lubies idéologiques. Stabilisateur, le Maroc l’est en particulier en tant que « verrou migratoire », « garde-frontières » entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe de l’Ouest : c’est pourquoi « la politique européenne de voisinage, en Méditerranée ne repose plus pour l’essentiel que sur ce pays et sa stabilité, et donc, sur sa royauté qui la garantit. Que l’on déstabilise celle-ci [...] et toute la Méditerranée [...] accélère son déversement. » Que l’on prête la main à de telles folies, et ce sont, aux portes de l’Europe, mille Lampedusa qui risquent de fleurir, d’innombrables “camps des saints” qui se multiplient sans que personne soit en mesure de les gérer jusqu’à la catastrophe ultime.

    Et c’est sans doute l’une des grandes leçons de ce précieux petit livre : que la France a, plus que jamais, intérêt à soigner cet allié de toujours. Et qu’elle doit se souvenir que, dans certains cas, la loyauté est la plus payante et la plus raisonnable des politiques. 

    Jean-Claude Martinez, Le Roi stabilisateur, Jean-Cyrille Godefroy, à paraître le 7 mai 2015, 233 p., 15 euros. 

     

    L’Action Française 2000, 16 avril 2015

     

  • CIVILISATION • Indispensable science-fiction, par Pierre de La Coste*

     

    PierreDeLaCoste.jpgLorsqu’elle est contre-utopique, la science-fiction est particulièrement révélatrice des angoisses d’une époque, consacrant à l’écran ou sur papier la peur de la tyrannie. Elle s’est heureusement bien souvent trompée mais, paradoxalement, c’est son rôle.

    On parle beaucoup de « prophétie auto-réalisatrice » : à force de présenter un avenir comme déterminé, il finit parfois par se réaliser, du moins en partie (par exemple, annoncer une pénurie de telle marchandise provoque une ruée sur celle-ci). Mais ce qui est prévu, anticipé, exorcisé, conjuré ne se réalise jamais exactement. C’est ce que l’on appelle une « prophétie auto-destructrice ». Marcel Proust l’avait dit de la vie humaine. Il suffirait d’imaginer avec précision un avenir déplaisant pour qu’il ne se produise pas. C’est également vrai de la destinée collective.

    Le rôle utile de la SF

    Depuis le début de l’ère moderne, les grandes contre-utopies, les dystopies, remplissent peut-être cette fonction, ô combien utile. Elles sont le reflet inversé du Progrès optimiste et naïf, et jouent un rôle « proustien » collectif, de maintien à distance de l’horreur, qu’elles accompagnent pas à pas, comme dans Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1931), 1984 de George Orwell (1948) ou Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953). Des films comme Brazil, Minority report, ou Bienvenue à Gattaca jouent également ce rôle, en compagnie d’innombrables bandes dessinées.

    Contrairement à ce que l’on dit souvent, 1984 et Le Meilleur des mondes ne se sont pas réalisés. Ils représentent deux avenirs potentiels de l’humanité, également effrayants, mais inverses et en réalité incompatibles. Le roman 1984, comme le film Brazil, nous offre un cauchemar formé de pauvreté, de privations, de tristesse, d’espionnage généralisé de la vie privée et de haine collective. Le meilleur des mondes, comme son nom l’indique, nous fait voyager dans un trop-plein de bonheur, de consommation de plaisir charnel – pour les catégories supérieures, il est vrai. Aucune société ne pourrait être à la fois l’une et l’autre de ces dystopies rivales. Or elles sont « vraies » toutes les deux, au sens où l’une et l’autre incarnent quelque chose de la modernité. L’humain est parvenu à les éviter, en les exorcisant, pourrait-on dire. Fahrenheit 451 – c’est la température exacte à laquelle un livre se consume–, avec son histoire terrifiante de pompier brûleur de livres, apporte un contrepoint utile à ces deux premiers classiques. Si les écrivains et les intellectuels ne jouent pas leur rôle dans la société d’abondance matérielle ou d’espionnage généralisé, celle-ci tuera l’humanité.

    Parfois, une contre-utopie ne remplit pas son rôle. Dans Paris au XXe siècle, chef-d’œuvre posthume de Jules Verne, écrit en 1863, au début de sa carrière, Paris, mégapole vouée à l’électricité-reine, à la technologie, aux robots, tourne le dos à toute forme de culture littéraire et artistique. C’est la première science-fiction de combat moderne. Mais leur devancière du XIXe siècle ne fut pas publiée du vivant de l’auteur mais à la fin du XXe seulement . Hetzel avait refusé le manuscrit, ne voulant pas faire ombrage à l’épopée progressiste de Verne, déjà entamée, dont la suite était exigée à grands cris par une clientèle bourgeoise enthousiaste. Entre-temps, cette sombre prophétie ne s’est-elle pas réalisée ?

    Des dystopies auto-destructrices

    D’autres dystopies cherchent à être auto-réalisatrices et sont heureusement plutôt auto-destructrices. C’est le cas d’Atlas Shrugged, le best-seller américain d’Ayn Rand (La grève, en français ). Dans ce roman, quelques individus prédestinés, n’ayant plus d’autre Dieu qu’eux-mêmes, s’estimant exploités par la multitude, décident de « stopper le moteur de la société ». Ils se mettent « en grève », pour pousser le reste de la société à la faillite. Dites qu’une telle vision ne mènerait qu’à une jungle dominée par quelques prédateurs et qu’elle nous ferait retomber rapidement dans la barbarie, et vous serez taxé de « communisme », voire peut-être accusé d’être « frenchie », ce qui est bien pire, par les nouveaux puritains névrosés du Tea Party. Car Atlas Shrugged n’est pas une dystopie, une vision de cauchemar qui pousse à réagir. Non, c’est un idéal de vie, qui a fait fantasmer des millions d’Américains, persuadés d’être du camp des Saints, des prédestinés.

    Certains récits peuvent être aussi un subtil mélange de prophéties auto-réalisatrices et auto-destructrices. Dans L’étoile mystérieuse, l’album des aventures de Tintin, le savant Calys qui avait prévu la fin du monde est furieux que la collision de la terre avec un aérolithe géant soit finalement évitée de justesse, contrairement à ses calculs. Ainsi des savants d’aujourd’hui, qui tiennent à leur scénario catastrophe, quitte parfois à noircir le tableau. Ainsi, dans l’album, le savant fou Philipulus, prophète de malheur, et néanmoins ancien scientifique, appartient à la fois à la réalité de l’histoire et au cauchemar de Tintin, conséquence d’une vraie chaleur excessive. Il existe une fausse menace, l’araignée dans le télescope, mais également une vraie, la boule de feu qui se dirige vers la terre. Celle-ci provoque finalement une vraie collision, mais d’une gravité toute relative, et, frôlant la terre, provoque la création d’une île nouvelle, recelant un métal nouveau, le calystène, qui déclenche à son tour la convoitise d’affairistes sans scrupule, comme la curiosité des scientifiques.

    Cette structure en abîme du récit d’Hergé reflète la complexité du problème de l’avenir de la planète, avec ses hypothèses à tiroir, dans lesquels, nous dit-on, si l’homme prend conscience de la gravité de la situation et change d’attitude, la planète pourrait être sauvée…

    Continuons à exorciser l’enfer et à rêver d’un monde meilleur. C’est ainsi que les grands auteurs nous aideront à préserver notre liberté, entre utopie et contre-utopie, afin d’échapper à tous les déterminismes historiques et à toute prédestination personnelle. Dans Minority report, le héros (pourtant joué par Tom Cruise, un très dangereux scientologue dans la vie) parvient à écarter ce dernier piège. Il démontre que la soi-disant prédestination de certains hommes au crime n’est qu’un leurre pseudo-scientifique, destiné à camoufler les vrais crimes de personnages haut placés. Grâce à Dieu, l’homme est toujours libre du bien et du mal. Il est en outre capable de mettre en scène son libre-arbitre. C’est le vrai moteur de toute vraie tragédie, de toute littérature valable, de tout grand art : de toute œuvre de « fiction » crédible, depuis toujours. Le préfixe « science- », pour l’essentiel, ne change rien à l’humaine condition.

    Dernier livre paru : Apocalypse du progrès, Perspectives libres, 253 p., 22 euros.

     

  • SOCIETE • « Comment le soldat a fait le citoyen » selon François Saint-Bonnet *

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    La qualité de Français a longtemps paru indissociable du service militaire, expose François Saint-Bonnet, agrégé d'histoire du droit, professeur à l'université Panthéon-Assas-Paris II. Sa réflexion nous paraît fondamentale. Y compris pour notre temps. Car le fait que n'existe pas, aujourd'hui, de menace à nos frontières n'exclut pas qu'il puisse en ressurgir et n'empêche pas non plus l'émergence de graves dangers intérieurs, sans-doute tout aussi redoutables. La fin de l'Histoire ne nous paraît pas une hypothèse à prendre très au sérieux.  LFAR 

    Dans l'Antiquité et au Moyen Âge, quel est le lien entre citoyen et soldat ?

    François SAINT-BONNET. - Dans l'Antiquité, l'obligation de porter les armes est consubstantielle à la citoyenneté. Perdre la guerre, c'est perdre tout et spécialement la liberté, c'est souvent être réduit en esclavage par le vainqueur. Au Moyen Âge, le métier des armes est réservé aux nobles, dans une logique de spécialisation des tâches: aux clercs la prière, aux nobles la sécurité, au tiers état le travail.

    En apparence, tout oppose ces deux périodes. L'une est basée sur la logique d'égalité entre citoyens, l'autre sur celle des ordres. En réalité, ceux qui appartiennent à la classe des «citoyens» dans l'Antiquité (ni esclaves ni «étrangers») sont une minorité largement héréditaire. On n'est pas si loin de la logique nobiliaire médiévale. Dans les deux cas, ceux qui exercent la suprématie politique sont ceux qui se battent.

    À partir des volontaires de 1792, et plus encore de la conscription en 1798, citoyen et soldat deviennent intimement liés en France. Tout le monde devient noble et doit payer l'impôt du sang, en quelque sorte ?

    Dès la fin de l'Ancien Régime, nombreux sont ceux qui pensent qu'une armée de citoyens serait plus efficace que des troupes soldées, c'est-à-dire rémunérées -d'où «soldat»-, car les citoyens obéissent à une logique d'autodéfense et non de quasi-mercenariat. Fin 1789, Dubois-Crancé, militaire et député, se réjouit du «droit» désormais reconnu à «tous les Français de servir la patrie». Cet «honneur d'être soldat» est celui d'une nation libre où «tout citoyen doit être soldat, et tout soldat citoyen».

    En abolissant les privilèges de la noblesse, les révolutionnaires suppriment la logique de castes d'officiers et ouvrent à tous les citoyens le loisir de s'illustrer comme citoyen vertueux et donc comme soldat. La loi Jourdan de 1798 concrétise cette logique: tous les citoyens seront inscrits sur une liste (des «conscrits» au sens strict), sur laquelle on tirera au sort les soldats. Mais le lien entre citoyenneté et service militaire est très présent dès 1795, lorsqu'on reconnaît le droit de vote aux anciens combattants qui ne seraient pas électeurs sans cette qualité, car ils ne paient pas le niveau d'impôt suffisant pour l'obtenir. La logique de l'impôt du sang est ici parfaite.

    Le droit de la nationalité n'est pas le même dans la Constitution de l'an VIII (1799) et dans le Code civil de mars 1804. Sous l'Empire, les naturalisations vont devenir plus difficiles. N'est-ce pas contradictoire avec l'idée répandue que l'Empire avait un besoin impérieux de soldats ?

    Deux conceptions s'opposent. Celle de la Constitution de l'an VIII subordonne la qualité de Français à la simple déclaration d'intention suivie de dix années de résidence. Le pouvoir est ici finalement dans les mains du demandeur. Celle du Code civil de 1804 exige l'accord de l'État pour pouvoir résider en France. Le pouvoir revient au Prince, comme sous l'Ancien Régime. Bonaparte premier consul en 1799 craint moins la venue de mauvais éléments, potentiellement subversifs, que le même, bientôt empereur, au printemps 1804. Même s'il a besoin d'hommes, il veut séparer le bon grain de l'ivraie.

    Quels changements a connus le droit du sol sous la IIe République, en 1851, et au début de la IIIe République, en 1887 ?

    La loi de 1851 instaure ce l'on appelle le double droit du sol: un étranger né en France dont le père est également né en France se voit attribuer automatiquement la nationalité française. On veut éviter que des étrangers nés et résidant en France tentent d'échapper au service militaire en s'abstenant de demander la nationalité à leur majorité. Jouir de la sécurité offerte par la France suppose de la servir en portant les armes. Le droit du sol devient un devoir du sol, en quelque sorte.

    Cette exigence est renforcée en 1887 par l'impossibilité pour ces jeunes de refuser la nationalité française à leur majorité. En effet, les employeurs en venaient à préférer recruter des étrangers non soumis au service militaire. De façon générale, la tradition française -acquisition facile de la nationalité en contrepartie du service militaire obligatoire et assimilation- se maintiendra jusqu'aux années 1960.

    La paix qui règne en France depuis 1962 a-t-elle des conséquences sur la définition de la citoyenneté ?

    La guerre d'Algérie a été, à certains égards, une guerre civile, ce qui est désastreux pour le sentiment de citoyenneté, comme l'atteste le sort douloureux des harkis, à la fois concitoyens et regardés comme étrangers par les Français et comme traîtres par les Algériens. C'est surtout la suspension du service militaire obligatoire en 1997 qui a fait évoluer la notion de citoyenneté. Elle est désormais plus regardée comme un dû (des droits et des prestations) que comme un devoir (servir son pays). Cependant, maintenir le service militaire alors que les frontières ne sont pas menacées et que le métier de soldat devient plus technique n'aurait eu aucun sens. Par ailleurs, les plaintes pénales de familles de soldats tombés en Afghanistan montrent que la mort de quiconque est jugée aujourd'hui scandaleuse, y compris pour un soldat dont le métier comporte le risque d'être tué et le droit de tuer un ennemi sans être homicide.
    En principe, un soldat mort au combat est un héros que l'on honore, non une victime que l'on déplore. Si ces familles éprouvent une frustration, il y a sans doute un déficit de rétribution symbolique et une difficulté à dépasser le légitime chagrin par de l'authentique fierté d'avoir un enfant qui est tombé pour défendre ses concitoyens. Mais est-ce le cas lorsque l'on se bat à des milliers de kilomètres ? 

    Guillaume Perrault - Figarovox            

     

  • LIVRES & ACTUALITE • Un regard inédit sur Hassan II

     

    Par Péroncel-Hugoz

     

    Peroncel-Hugoz a lu le tout nouvel ouvrage de l’ancien ministre français Philippe de Villiers, qui connut feu le roi Hassan II (1929-1999) et à qui il consacre tout un chapitre bien « pimenté ».

     

    peroncel-hugoz 2.jpgAyant renoncé à toute carrière politique, après avoir servi la France aussi bien sous le président Mitterrand que sous le président Chirac, l’ex-élu vendéen et européen, Philippe de Villiers, homme politique atypique, ne cachant pas ses fidélités capétienne* et chrétienne, se consacre maintenant à ses mémoires. Et aussi à gérer les grands spectacles historiques du Puy-du-Fou (Vendée), succès mondial que même les Etats-Uniens, d’habitude peu enclins à décerner des lauriers à des réussites françaises, ont plébiscité … la Russie de Vladimir Poutine également, et désormais Villiers est mandaté par le président russe pour installer deux grandes manifestations historiques pérennes sur la Terre des Romanoff, ce qui fait grimacer les hiérarques socialistes de Paris, spécialistes des coups bas contre le « nouveau tsar Poutine », même quand il est un bon client du savoir-faire français … 

    Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les notations inédites de Villiers sur Hassan II, avec qui il entretint des rapports directs à partir du moment où l’élu franco-européen s’impliqua dans des projets de co-développement au Maroc. Extraits donc du chapitre XVI du nouveau livre de Villiers, chapitre intitulé « Hassan II le visionnaire ». Déjà tout un programme… 

    « 9 juin 1992, à Rabat, Alexandre de Marenches, ancien patron des Services secrets français [et proche d’Hassan II] me dit : Sa Majesté chérifienne vous attend … Pressez-vous ! 

    Le roi m’attend, debout dans la salle du trône et après quelques propos sur la formation de techniciens marocains pour la gestion des ressources en eau, il attaque un tout autre sujet : 

    - Pourquoi n’aimez-vous pas Lyautey ?

    - Sire, j’aime Lyautey !

    - Pas vous, mais les élites françaises …

    - C’est à cause du colonialisme …

    - Mais Lyautey, ce n’est pas le colonialisme ! C’est la colonisation ! Le maréchal fut un colonisateur tombé amoureux du colonisé. Nous, les Marocains, nous aimons Lyautey. Quand il mourut en 1934, mon père pleura et tint à aller à Thorey**, en Lorraine, s’incliner devant sa dépouille. Lyautey était l’ami de la dynastie alaouite. Il avait de la grandeur. Ce fut un seigneur. »

    REPENTANCE  FRANCAISE

    Lyautey.jpg- « Hassan II : Les Français ont perdu le fil de leur Histoire. Pour aimer un pays, il faut sentir qu’il a un passé. Ce n’est plus votre cas. Vous dépensez tant de temps à battre votre coulpe sur la poitrine de vos propres ancêtres.

    - Villiers : Cela inquiète Votre Majesté ?

    - Le roi : Oui, pour la marche du monde. Vous êtes tout à votre noirceur, vous apprenez à vos enfants à se détester. Vous avez quand même des motifs de fierté. Il faudrait que vos compatriotes apprennent à aimer la France comme nous, nous aimons le Maroc »

    NON A MAESTRICHT ! 

    - « Villiers : Sire, vous vous intéressez au traité de Maestricht ? Au référendum ?

    - Le roi : Oh que oui ! Je suis votre campagne pour le non avec Pasqua et Seguin***. Vous parlez juste.

    - Nous ne sommes qu’une poignée.

    - Vous serez plus nombreux si vous faites comprendre aux Français que ce traité va déclasser la France et perdre l’Europe. C’est une mauvaise action pour vous mais aussi pour le Maroc, car le centre de gravité de l’Europe va se déplacer vers le monde anglo-saxon, et finalement vers l’Amérique. La dérive nordique éloignera la France de son Histoire originelle, de sa parenté affective :  La Méditerranée … » 

     

    Sans commentaires, car à mon sens on ne saurait mieux dire, surtout au vu de ce qui s’est passé depuis cette rencontre Hassan II-Villiers. Le traité de Maestricht fut adopté le 20 septembre 1992, jour fatidique, avec une faible avance : 51%. Depuis lors la France n’a cessé de s’affaiblir et l’Europe de  Bruxelles, de plus en plus soumise aux intérêts anglo-américains, va de crise en crise : financière, industrielle, psychologique, identitaire, etc. Le roi visionnaire, le monarque aux cent barrages, le récupérateur pacifique du Sahara n’est plus là pour constater qu’hélas il ne s’était pas trompé …   

    *La dynastie capétienne a régné sur la France, à travers plusieurs branches, de l’an 987 à la Révolution de 1848, à l’exception des années républicaines ou impériales courant de 1792 à 1814. 

    ** Aujourd’hui officiellement appelé Thorey-Lyautey, et où l’ancienne résidence du maréchal abrite un musée-fondation. 

    *** Deux hommes politiques gaullistes hostiles au traité de Maestricht, comme Villiers, car ce texte laminait la souveraineté française. 

    LIRE : Philippe de Villiers, « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu », Albin Michel, Paris, 2015, 345p,  22 € 

    Peroncel-Hugoz - Le 360

     

  • Société • Climatiquement incorrect …

    Le nouveau tapis d’honneur dans la cour de l’Elysée : écologie oblige ! © Copyright : DR

    Par Péroncel-Hugoz

    A la veille du Sommet climatique de Paris, sur le succès duquel comptent MM. Hollande et Fabius pour redorer leur piteux blason, Peroncel-Hugoz s’en donne à cœur joie, en mordant tout azimuts … Et Lafautearousseau n'a pas résisté à la tentation de publier cette chronique dès aujourd'hui, en guise d'introduction iconoclaste à l'ouverture de la COP 21, demain lundi...  LFAR.

     

     peroncel-hugoz 2.jpg« Climatosceptique », « climato-alarmiste », « réchauffiste », « climatocorrect » ou « incorrect », « climato-optimiste » ou « pessimiste » et même « climato-agnostique », je ne cite pas tous les néologismes surgis à la faveur des empoignades médiatiques provoquées depuis plus d’un an à travers les cinq  continents par la perspective de la Conférence mondiale de Paris, à partir du 30 novembre, sur le « réchauffement climatique ». 

    Pour ma part, je ne me suis pas jeté dans ce vaste débat journalistique, car d’une part je n’ai aucune conviction scientifique sérieuse à avancer sur le thème climatique ; d’autre part, j’ai lu de longue date l’ouvrage un peu oublié d’Emmanuel Leroy-Ladurie, professeur au Collège de France, « Histoire du climat depuis l’an mil »*, et sur cette base de solide érudition je me suis forgé une religion (si j’ose dire !)  personnelle : le ou plutôt les climats ont toujours été, par définition, irréguliers, aussi loin que remonte notre mémoire savante. 

    C’est donc faire injure au climat que de l’accuser d’être « déréglé », de lui-même ou par la faute des hommes, car le climat est tout simplement … le climat, si vous m’autorisez cette lapalissade … De tout temps, et sous toutes les latitudes, il y a eu des cycles plus froids ou plus chauds, des hivers doux et des étés humides, des raz-de-marée, des inondations, des sécheresses, des épidémies et ça continue sous nos yeux. Des climatologues portugais viennent même de publier dans la revue « Science » un rapport établissant que l’Atlantique a produit il y a 70.000 ans, un mégatsunami, suite à l’effondrement d’un volcan de l’archipel du Cap-Vert, ce qui projeta d’énormes rochers à près de 300 m du rivage. 

    Cependant les « climato-corrects » professent, eux, que l’ère industrielle est responsable du « trou de la couche d’ozone » (on emploie moins cette effrayante expression depuis quelques mois …) et des « gaz à effets de serre » (dont on nous rebat les oreilles tous les jours sans jamais expliquer au citoyen de base ce que c’est exactement …).  Et de nous culpabiliser avec des pauvres ours blancs sur leur banquise fondante ou bien, ça a été moins exploité, une dame hindoue en très chic sari rose réfugiée avec son agneau sur un îlot rongé par les flots montants … Sur cette lancée, New-York, Londres, Marseille et Casablanca devraient bientôt devenir de nouvelles Venise … Ce ne serait d’ailleurs peut-être pas négatif pour le tourisme ? Passons. 

    La colère de Mme Morizet 

    En France, les discussions font rage au point que notre confrère Philippe Verdier, le très écouté Monsieur Méteo de la chaîne France 2, a été licencié dans l’heure pour avoir publié « Climat Investigation »** où il s’interroge sur le « dogme » du « réchauffement climatique », en tout esprit de modération et de curiosité propre à un journaliste digne de ce nom. Eh bien non ! Il ne faut pas contrarier MM Hollande et Fabius qui clament partout leur croyance dans les dangers proches du réchauffement, croyance que ne partage pas vraiment le secrétaire d’Etat américain John Kerry. Or les Etats-Unis sont, de loin, le principal pollueur de la planète. Les forêts canadiennes mortes en savent quelque chose … Si les émanations industrielles de la Chine à l’Allemagne, via Safi au Maroc ou l’étang de Berre en France, sont partout nuisibles et pour les bronches humaines et pour les fruits et les fleurs, rien ne prouve vraiment que les dites émanations ont un effet direct sur le fameux « réchauffement ». 

    Les Européens qui ne croient plus à rien, ni en Dieu, ni en la Providence, ni au Hasard se sont imaginés que l’Homme, nouveau démiurge, pouvait à volonté régler ou dérégler les climats à sa guise … Quelle outrecuidance ! Et la très snob Mme Nathalie Morizet, caution de gauche de l’ex-président Sarkozy, a traité carrément de « connards » les climatosceptiques … 

    Terminons quand même sur une note d’humour, même s’il s’agit d’humour noir : le dessinateur Goubelle a publié récemment une caricature dans l’hebdo populaire parisien « VSD » où l’on peut voir deux barbus de Daech, ramasser les tracts que l’aviation française largue sur Mossoul et Raqqa entre deux bombardements, des tracts qui, selon l’humoriste, sont en fait des invitations au «Califat islamique » pour qu’il participe, lui aussi, à la Conférence climatique de Paris …  MM Hollande et Fabius, je vous l’ai dit, sont prêts à tout pour que le Sommet climatique soit un succès. Inchallah. On vient même de changer la couleur du tapis d’honneur dans la cour de l’Elysée : vert au lieu du rouge habituel. Vert Islam ou Vert Ecologie ? Les deux sans doute car il faut ratisser le plus large possible …  

    * Champs-Histoire, 2 tomes, Flammarion

    ** Ed . Ring. Paris

  • Jeunes de France : Donnez-leur un idéal !

     

    La juste analyse de Madeleine Bazin de Jessey            

    Pour Madeleine de Jessey la pertinence d'une civilisation se mesure à l'aune de sa vigueur culturelle : c'est parce que nous avons laissé notre culture s'effondrer que la barbarie est réapparue. Et parce que « le mal est en nous. »

    Frappes en Syrie, fermetures des mosquées salafistes, perquisitions et arrestations… Ces opérations s'imposaient, elles ont été prises immédiatement et nous ferons tous bloc derrière le gouvernement pour qu'il les mène à bien, jusqu'au bout.

    Il serait illusoire, cependant, de penser que ces mesures d'urgence suffiront. Qu'on se le dise: l'élimination de l'Etat islamique en Syrie ne nous mettra pas hors de danger, car le mal est en nous. Et la neutralisation des individus dangereux en France s'avèrera temporairement efficace, certes, mais d'autres s'empresseront de reprendre le flambeau, sous des formes toujours nouvelles et toujours plus barbares. Pourquoi? Tout simplement parce que notre modèle de civilisation est aujourd'hui incapable de retenir ces jeunes assoiffés de radicalité et d'absolu. Si Daech a pu planter dans le crâne de ces Français son sinistre drapeau noir, c'est parce que nous y avions nous-mêmes semé la culture du vide.

    Ces jeunes avaient besoin de repères, nous leur avons donné une société sans racines, sans projet commun et sans limites.

    Ils avaient besoin de cadres, nous leur avons appris à renier toute forme d'autorité, à tuer ancêtres, père et mère pour qu'ils grandissent comme des herbes folles dans le mythe fallacieux de l'homme auto-fondé.

    Ils avaient besoin d'histoire et de modèles identificatoires, nous leur avons appris à haïr notre passé à travers des séances d'auto-flagellation permanentes qui les ont entretenus, pour les uns, dans une culpabilité étouffante, et pour les autres, dans une victimisation haineuse.

    Ils avaient besoin d'action, de dévouement et de sacrifice, nous avons remplacé le service militaire par des écrans, des jeux vidéo et quelques terrains de sport, en pensant que ces succédanés d'action suffiraient à calmer leur bougeotte.

    Ils avaient besoin d'amour, nous leur avons appris à jouir en toute sécurité en exhibant dans nos kiosques, à la vue de tous, les stars du X qui leur montrent la voie de la «performance».

    Ils avaient besoin de cette beauté qui élève l'âme, nous les avons entourés de fer et de béton ; nous avons remplacé l'étude des plus beaux extraits de notre littérature par des cours techniques, insipides et jargonnants, sans chercher à développer de lien charnel entre eux et les plus grandes réalisations de notre patrimoine.

    Ils avaient besoin de spiritualité, nous avons fait d'une laïcité creuse une valeur absolue et érigé la consommation comme seul voie d'accomplissement, en leur accordant au passage l'ouverture des centre commerciaux le dimanche pour qu'ils trouver un sens à leur vie en contemplant des objets qu'ils ne pourront sans doute jamais se procurer.

    Bref, ils avaient besoin de ferveur, ils étaient prêts au dépassement d'eux-mêmes, et nous leur avons appris à zapper et à se divertir.

    Comme le disait très justement Natacha Polony trois jours avant les attentats du 13 novembre: «Nous avons réduit la société occidentale à ce qu'elle a de plus faible: le bien-être et le droit des peuples à disposer d'un écran.» Comment s'étonner, dès-lors, que cette culture du rien soit aujourd'hui concurrencée par le nihilisme de Daech?

    L'humanité d'une civilisation se mesure à l'aune de sa vigueur culturelle. C'est parce que nous avons laissé notre culture s'effondrer que la barbarie est réapparue. Nous avons cru que l'affirmation de ce que nous sommes agresserait les nouveaux venus en France, alors que c'était au contraire la condition même de leur intégration parmi nous et, partant, de leur épanouissement. C'est parce que nous avons renié notre héritage et nos racines que nous voyons aujourd'hui resurgir parmi nos fils et nos filles une violence qu'on croyait à tout jamais bannie de notre territoire.

    Notre réponse à l'Islam radical sera vaine si elle se limite à des réactions sécuritaires, militaires ou politiques ; sur le long-terme, nous ne gagnerons la guerre qu'à la condition d'aimer et de faire aimer un héritage culturel commun. Notre société devra réaffirmer l'amour de sa culture et de ses grands penseurs, la fierté de toute son histoire, des Gaulois à notre République, et l'attachement aux racines judéo-chrétiennes qui lui donnent sa stabilité et ses ressources spirituelles. La culture du seul divertissement et de la consommation sans limites ne satisfait plus personne. Nos enfants ne résisteront aux sirènes de l'islamisme qu'à la condition d'être intégrés à une civilisation qui réponde à l'exigence de leurs aspirations. Il est temps de leur donner un idéal.  •

    Madeleine de Jessey est agrégée de Lettres classiques. Porte-parole de Sens Commun, elle est déléguée nationale des Républicains en charge des programmes de formation.

    Madeleine Bazin de Jessey     

     

  • Tandonnet, un Macron de droite ? Le régime actuel, selon lui : « un monstrueux boulet pour notre pays »

     

    Après la survenue des déclarations surprise d'Emmanuel Macron, paraît maintenant cette chronique de Maxime Tandonnet, de droite quant à lui et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Et voici du même coup relancé ce qui aura été le débat de cet été  - que Le Figaro résume en titrant : « La France, République ou monarchie ? ». Débat ouvert par Emmanuel Macron début juillet et que Péroncel-Hugoz a caractérisé de façon simple  : « Soudain le mot magique de « Roi » est réapparu comme une grosse pierre jetée dans la mare politique parisienne… Il a suffi de quelques propos du plus en vue des ministres socialistes actuels… » Maxime Tandonnet réitère ce geste, un mois plus tard. La droite n'est désormais plus en reste dans la remise en cause du régime républicain. Et voici de nouveau le mot magique de « Roi » qui réapparaît dans la mare politique parisienne… L'ensemble est d'importance. Il sera temps d'y revenir. LFAR

     

    Alors que l'on fête les trois cents ans de la mort de Louis XIV, Maxime Tandonnet estime que la France souffre de n'avoir pas su choisir entre République et monarchie. 

     

    131.jpgAilleurs en Europe, de ce que je vois ou entends dire, la vie politique ne donne pas ce sentiment de vaudeville, d'impuissance et de prétention tournant au ridicule, qui se dégage de la situation en France. En Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne, par exemple, la vie publique fonctionne, tourne plus ou moins bien mais avance, des décisions sont prises, des choix parfois douloureux accomplis, un gouvernement existe. Les citoyens n'éprouvent pas cette sensation d'une fuite des dirigeants dans l'imposture de la communication à outrance, les polémiques, les manipulations, postures, mises en scène dans la seule perspective de la préservation ou de la conquête des postes.

    La France souffrirait-elle de n'avoir pas choisi entre République et Monarchie ?

    La République idéale confie le pouvoir aux citoyens. Elle a été définie dans la Constitution de 1793, restée lettre-morte. Ce texte, rédigé par les Girondins, mérite d'être relu. Il rejette la personnalisation ou l'accaparement durable du pouvoir. Celui-ci est impersonnel au sens où il n'existe pas de détenteur nominatif permanent de l'autorité (une exception est possible en période de crise). Le seul souverain est le peuple. Toutes les décisions importantes sont prises par référendum populaire. Des assemblées de citoyens dans les quartiers effectuent les choix locaux. Les députés sont élus pour un an renouvelable, donc sous le contrôle étroit des citoyens. Le pouvoir exécutif est responsable devant les citoyens qui peuvent destituer les ministres par une pétition. « La France n'a jamais eu qu'une bonne Constitution, celle de 1793, qui malheureusement n'a jamais été appliquée » a pu dire un professeur de droit public. Utopique ? Sans doute en partie, mais l'esprit de ce texte est intéressant.

    La Monarchie constitutionnelle est aussi une possibilité. Après tout, nous sommes un pays européen et plusieurs grandes nations européennes de tradition démocratique sont des monarchies : le Royaume-Uni, l'Espagne, les Pays-Bas, la Belgique… Ce n'est pas un régime honteux dès lors que la réalité du pouvoir au quotidien incombe à une assemblée élue au suffrage universel et un Premier ministre responsable devant elle. Une famille incarne la continuité nationale. Un souverain héréditaire est placé au sommet de l'Etat, même s'il n'est pas en charge de l'exercice du pouvoir au quotidien, sa mission étant avant tout symbolique. Cette formule à l'avantage d'éviter le basculement de la vie publique dans la frénésie mégalomaniaque : la place au sommet est déjà occupée, quoi qu'il arrive et elle n'est donc plus à prendre… 

    La France a un système hybride, ni République, ni monarchie. Elle n'est pas une République, au sens de la Constitution de 1793, dans la mesure où sa vie publique échappe aux citoyens et à la recherche du bien commun pour devenir l'otage des calculs carriéristes et narcissiques d'une poignée d'individus qui l'ont ainsi confisquée. Mais elle n'est pas non plus une monarchie car ces personnages sont en concurrence permanente, ce qui vaut au pays une surenchère dans la démagogie et l'imposture. En outre, faute d'un roi incontesté - qu'il soit le peuple souverain ou le monarque héréditaire - des roitelets ou postulants roitelets, médiocres sur le plan humain comme intellectuel, sont animés avant tout par une vanité aveugle, et non par des sentiments d'honneur et de dévouement au bien commun.

    L'ère du général de Gaulle a permis de masquer ces contradictions pendant une décennie. Lui bénéficiait d'une légitimité historique, issue du 18 juin 1940, lui conférant un statut particulier de personnage de l'histoire, comme il en vient un tous les deux siècles. Mais lui une fois parti, ce système bancal ne pouvait que sombrer dans le chaos et la comédie grotesque qui devient un monstrueux boulet pour notre pays. 

     

    Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l'Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.

     

  • Et si Emmanuel Macron n’était pas au second tour… Colloque sentimental

     

    Conversation-fiction du père Hollande avec son fils spirituel, par Jean-Paul Brighelli

    Une fiction façon Brighelli, éclairante et vivante, lucide et perspicace, que nous avons aimée. Un peu d'humour et de fantaisie au sein d'une campagne indigne ... Merci à son auteur* ! LFAR

     

    164510964.jpgC’était l’heure de l’appeler. Il négligea la batterie téléphonique juste derrière lui sur sa droite, renonça à l’i-phone 4 cher à son cœur dont il n’avait pas pu se séparer tout à fait, même après avoir appris qu’il était sur écoutes, et fouilla dans le désordre de papiers et de dossiers qui encombraient l’élégant bureau Louis XV. Il eut un bref moment de panique, et remit enfin la main sur le Hoox M2, le téléphone ultra-sécurisé de Bull qu’Emmanuel lui avait recommandé — plus élégant et bien plus pratique que le Teorem de Thalès. Il fit glisser son doigt sur la bande de reconnaissance biométrique, et tapa son code — MLP2017, un sigle que personne ne pouvait décemment le soupçonner d’avoir adopté.

    Ils avaient convenu de ne pas se voir, du jour où Emmanuel s’était mis en marche. Mais ils se téléphonaient tous les jours, à heure fixe, pour faire le point. C’était pour lui un plaisir ineffable que d’entendre la voix de son poulain, son fils politique, son double non boudiné. Quelles crises de rire ils s’offraient tous les deux, tous les jours !

    Le portable cryptait automatiquement les conversations. Les grandes oreilles indiscrètes qui cherchaient à capter, au scanner, ce qui sortait des murs épais du Palais en seraient pour leurs frais. 

    - Tu as lu le Point ? dit-il de but en blanc.

    - Tu as un peu forcé, quand même ! FOG s’en va claironnant partout que tu voteras pour moi !

    Il paraît soudain plus pâle sous la lumière des deux grands abat-jour à six fausses chandelles posés de part et d’autre du grand bureau.

    - Tu… tu n’as pas aimé ? Cette manière délicate d’insérer le mot « marche » dans ma phrase… Comme lors de l’interview à Konbini… L’histoire, elle ne s’arrête pas, donc il faut aller vers la marche du progrès. »

    Un temps.

    - Tu es dur, Emmanuel…

    Il a, dans la manière de dire ces quatre syllabes, en particulier la première, « aime », quelque chose de douloureux — comme un reproche rentré.

    - Nous étions convenus de ne pas afficher notre… grande complicité ! Je suis obligé maintenant de démentir ! Tu sais quoi ? Tu es comme le sparadrap du capitaine Haddock !

    - Mais Emmanuel ! Tu as vendu toi-même la mèche, dans le Wall Street Journal il y a déjà deux ans ! Quand tu as avoué que je t’avais chargé de rassurer la Finance au moment même où je faisais semblant de la vitupérer, en 2012 !

    - Nous sommes dans le présent désormais ! Déjà, le soutien de Manu, je m’en serais passé — d’autant que tu l’as plombé avec cette histoire de sondage sur la longueur de sa mèche ! Joli coup !

    - Ah, tu as aimé ? Sur France 2, ils sont bien, hein ? 50 000 euros pour savoir s’il dégage le front et si son défaut de parallélisme auriculaire se voit en couverture de Match ! Enfoncé, le costard de Fillon ! Et le SIG a fait semblant de refuser de donner les contenus d’autres sondages — les gens penseront que ce qui est caché est encore plus monstrueux ! Elle peut toujours essayer de revenir en 2002, la petite tique !

    ob_98c38f_macron-causeur-w.jpg- Comprends-moi : plus j’ai l’air d’être un Hollande-bis — et la couverture de Causeur, le mois dernier, m’a fait beaucoup de tort —, et moins la droite béate votera pour moi ! Faire élire aux primaires puis canarder Hamon, OK, pour faire glisser vers moi tous les vrais hollandistes, ah ah ! Mais le problème, c’est que maintenant Mélenchon…

    - Ce connard de Mélenchon ! Ce qu’il a pu me les briser, quand il était au PS !

    - Mélenchon passe pour être un recours à gauche — et tout le PS un peu mou qui allait voter pour moi hésite, à présent… Leurs militants, qui sont moins cons ou moins crapuleux qu’eux, ne les suivront pas ! Je vais avoir bonne mine, moi, avec Bayrou à main droite et Le Foll à main gauche — et rien derrière !

    - Bon, bon, j’en ai un peu trop fait — c’est mon défaut majeur. Avec Davet et Lhomme, déjà, j’en avais remis plusieurs couches… Promis, je ne dis plus rien jusqu’au second tour !

    Silence — comme dans une pièce de Beckett.

    - Dis-moi… C’est toujours MLP2017, le code de ton Bull ?

    - Oui — c’est drôle, hein ?

    - Oui, très drôle. Tu es sûr qu’au fond, ce n’est pas ça, ton souhait réel ? Voir élire la blondasse ?

    - Ecoute… Imagine que ça ne marche pas — et quand je dis « marche », hé hé…

    - Tu as des infos que je n’ai pas ?

    - Quatre candidats dans un mouchoir ! C’est ce que disent les RG. Eux, ils ne travaillent pas pour la télé, ils n’oublient pas la fourchette d’incertitude ! 23% pour toi, 20 pour Fillon et pour Mélenchon, rajoute et ôte 2,8 de part et d’autre, te voilà à 21,2 et l’un ou l’autre des deux suivants est à 22,8… Et la Marine caracolera en tête !

    - Je ne te savais pas si doué en maths ! Et alors ?

    - Bref… Imagine que tu arrives troisième — derrière Mélenchon, ou même derrière Fillon… S’ils sont élus, l’un ou l’autre, nous sommes balayés pour cinq ans au moins. Mélenchon fera du Mélenchon, c’est-à-dire n’importe quoi, Fillon fera de la droite classique, ils ne nous laisseront pas même les miettes ! Mais si tu ne passes pas au premier tour…

    - Eh bien ?

    - On croisera les doigts en espérant que la Marine passera. En convainquant la droite classique de ne pas voter pour Mélenchon — et puis après on dénoncera la rupture du « pacte républicain » ! Ou en suggérant à la gauche de ne pas appuyer Fillon. Elle peut passer, si je m’en occupe ! Et dans la semaine, je t’organise quelques manifs spectaculaires dans le genre « refus du fascisme », dix millions de sans-dents dans la rue, on se débrouille pour que ça dérape sérieux, que les flics interviennent, de toute façon ils votent pour elle au moins à 50%, ils adoreront casser du gaucho — et dans la foulée on fait un raz-de-marée aux Législatives, et on reprend le pouvoir — et tu es Premier ministre ! Hein ! Qu’en penses-tu ?

    - Gagnant-gagnant, quoi ! Moi ou elle, ça reste toi !

    - Ah, c’est comme l’Institut Montaigne — deux fers au feu, toi et Fillon. Et ne me dis pas non, moi, j’ai mes sources ! Jean-Pierre me tient au courant ! Gagnant-gagnant, comme tu dis. Mais je préfèrerais que ce soit toi !

    - Ah quand même !

    Silence.

    - Tu es trop fort, dit Emmanuel.

    Ton mi-chèvre, mi-chou.

    Silence.

    - Tu me manques, dit l’autre. 

    * Bonnet d'âne [14.04]

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