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  • Les grandes crises de l'Histoire ? Quand Charles VII reconstruisait le royaume de France

    43961.jpgL'un de nos lecteurs réguliers, avec qui, sur certains points, nous n'avons pas toujours été d'accord, mais avec qui, sur l'essentiel -notre attachement à la royauté française et à ses actuels héritiers -nous nous sommes toujours retrouvés, nous a fait l'amitié de nous transmettre le message et l'article que nous reproduisons, ici, volontiers car cet article éclaire une période cruciale de l'Histoire de France et, parce que, par analogie ou transposition, il peut susciter une réflexion permettant de comprendre et, le cas échéant, de résoudre les graves problèmes qui assaillent la France d'aujourd'hui.

    Nous ne commenterons pas cet article qui se suffit à lui-même. Nous ajouterons, seulement, qu"en le lisant, nous l'avons instinctivement rapproché de ce que - le jour de la Fête Nationale de Jeanne d'Arc, le 12 mai dernier - Alain Bourrit disait de cette période, de Jeanne d'Arc, de Charles VII et de l'extraordinaire retournement politique qu'avait opéré ce roi, faisant ou refaisant, en quelques décennies, d'un pays réduit à peu de chose, envahi et ruiné, l'une des premières nations d'Europe. On se reportera, si on le désire, à la vidéo de cet exposé (Café politique de Lafautearousseau, à Marseille, vidéo publiée le 21.05.2012).

    Chers amis,

    Tout d'abord, je vous présente mes voeux les meilleurs pour l'année 2013.

    Je vous joins un article paru dans Marianne qu'il serait intéressant d'examiner et peut-être de le diffuser sur LAFAUTEAROUSSEAU.

    Bien amicalement,

    DC

    Les grandes crises dans l'Histoire

    Charles VII reconstruit le royaume de France

    Dimanche 6 Janvier 2013

     par Olivier Bouzy*

     1415-1453 ÉPILOGUE DE LA GUERRE DE CENT ANS.

     Maniant avec talent la diplomatie comme l'artillerie, Charles VII chasse les Anglais qui avaient conquis la majeure partie du territoire français, mettant ainsi fin à cent seize ans de conflits.  

    Bataille de Crécy, 1392 - CC Wiki Commons

    Bataille de Crécy, 1392 - CC Wiki Commons

     

    Le 5 août 1392, le roi de France Charles VI traversait une vaste plaine écrasée sous le soleil de midi aux abords de la forêt du Mans. Epuisé, le souverain s'était assoupi tout en chevauchant, malgré la troublante rencontre qu'il venait de faire avec un inconnu qui lui avait dit de se méfier, car il était trahi.

    Brusquement, il fut réveillé par le bruit de la lance d'un page tombant sur un de ses voisins. Charles dégaina alors son épée et se lança contre sa suite en hurlant à l'assaillant. Son frère Louis d'Orléans dut fuir pour éviter son agression. Médusés, ses serviteurs tentèrent de le maîtriser et quatre hommes moururent avant qu'il ne soit pris, ligoté et allongé sur un chariot où il perdit connaissance.

    Il fallait se rendre à l'évidence : le roi de France était devenu fou. Et son mal irait grandissant, ouvrant une vacance au sommet de l'Etat, d'où allaient naître la division, la discorde, puis l'invasion et l'occupation. A la faveur de cette impuissance nationale, les Anglais entreraient en France comme dans du beurre.

    Car le gouvernement se divise alors entre des partis et des clans dont les noms sont entrés dans l'histoire : les Armagnacs et les Bourguignons. Chacun d'eux veut exercer le pouvoir au profit de sa clientèle et de ses proches. Assassinats, trahisons et disgrâces se poursuivent si bien que les souverains anglais comprennent l'opportunité de reprendre les armes et, sous prétexte de querelle de succession à la couronne de France, de se lancer dans une nouvelle session de pillages et d'extorsions de fonds.

    C'est ainsi que, en octobre 1415, sous le commandement d'Henri V, une petite armée de 6 000 soldats anglais a débarqué en Normandie, près de Harfleur. Sous le commandement du connétable de France Charles d'Albret, une troupe de 30 000 hommes, la fine fleur de la chevalerie, doit lui barrer le passage et la détruire. Ainsi le jour de la Saint-Crépin, si bien décrit par Shakespeare, les deux forces se font face.

    A la fougueuse charge de la cavalerie lourde française répondent les flèches des archers anglais. Avant même la mêlée, la première ligne française est liquidée à distance par les tirs ennemis. Le soir de la bataille d'Azincourt, le roi d'Angleterre Henri V a gagné son hégémonie sur les deux royaumes. Par le traité de Troyes, en 1420, il est officiellement reconnu successeur de son nouveau beau-père, Charles VI, le fou. Mais il meurt avant ce dernier.

    Bientôt, son fils Henri VI, tout juste âgé de 9 mois, devient roi de France et d'Angleterre. La majeure partie du territoire est soumise aux Anglais. Le pays connaît une forme d'occupation, la guerre civile fait rage, quand ce n'est pas l'anarchie, les petits seigneurs en profitant pour régler de vieux comptes ou détourner des terres et des revenus à leur profit. Paris, dominé par le parti bourguignon, est un soutien constant à la couronne anglaise.

    Quelques princes refusent cette situation et, en particulier, l'héritier direct de Charles VI, le dauphin Charles, qui rejette le traité de Troyes, et trouve refuge dans la région Centre, avec Bourges pour capitale. Disons-le haut et fort : Charles, septième du nom, a été un très grand roi et la clé principale de la renaissance du royaume de France.

    Habile stratège, il s'est lancé dans une politique de reconnaissance diplomatique sans précédent. Il a aussi compris mieux que d'autres la puissance nouvelle de l'artillerie pour reconquérir les villes. Il a su enfin s'entourer de serviteurs dont la fidélité lui a permis de compenser l'avidité des grands clans qui composaient son entourage.

    Si nous avons de lui une image si piètre, c'est bien parce qu'il a mis au pas les Bourbons, ce que les rois issus de cette branche ne lui pardonneront pas. Et, pour les historiens républicains, il sera détourné en symbole du ridicule monarchique. Pourtant, Charles VII a su trouver de nouvelles troupes, réorganiser l'Etat et retourner lentement cette situation ahurissante à son avantage.

    Trois personnalités vont incarner les voies du redressement. La première est une toute jeune femme, Jeanne d'Arc ; le deuxième, un financier, Jacques Cœur ; et le troisième, un ennemi, Richard, duc d'York.

    Jeanne, déjà appelée «la Pucelle» de son vivant, porte dès son apparition le formidable travail de recomposition de la légitimité royale de Charles. Elle s'inscrit dans une série de prophètes et d'inspirés qui affirment l'existence d'un lien privilégié entre le roi et Dieu. Le sacre de Reims auquel Jeanne conduit le dauphin est la manifestation directe de cette idée, tout comme l'usage de sa bannière au combat. La capture de la jeune fille, son procès calamiteux et son exécution sur le bûcher n'arrêtent pas la machine de propagande du roi, qui transforme la jeune victime des Bourguignons et de leurs alliés anglais en martyre d'une foi réaffirmée dans la lignée royale française.

     

    Réorganisation économique

    Jacques Cœur, ensuite, favorise la réorganisation de l'économie publique. Il trouve, grâce à ses manœuvres monétaires, les moyens de financer les conquêtes et place la France au sein d'un réseau d'échanges et d'investissements très actif. Sa disgrâce et sa chute montrent toutefois les limites de la modernisation des pratiques de cour. Monté trop haut, il est brisé pour que chacun puisse se partager une partie des dépouilles de son empire. Et son effondrement vient précisément quand Charles VII considère que l'homme a déjà livré l'essentiel de ses bienfaits.

    Richard d'York, enfin, qui combattit en France contre Charles VII, devait lui fournir indirectement le meilleur moyen de stabiliser la reconstruction française, en déclenchant tout simplement la guerre civile outre-Manche. En effet, c'est à la faveur de la guerre des Deux Roses, celle de la maison d'York et celle de la maison de Lancastre, autrement dit d'Henri VI et son clan, que le roi de France peut achever la reconquête et l'unification du territoire, ne laissant plus que Calais à l'Angleterre. Finalement, les trente années d'hostilités intestines anglaises achèvent un conflit de cent ans, dont la phase la plus critique entre 1420 et 1453 était elle-même le résultat de la guerre civile française.

    * Olivier Bouzy est directeur du Centre Jeanne-d'Arc. Son prochain ouvrage, «Jeanne d'Arc en son siècle», paraîtra en janvier 2013 chez Fayard.

  • Mythes et manipulations de l'histoire africaine - Mensonge et repentance, par Bernard Lugan

     Bernard Lugan a prononcé une conférence extrêmement instructive et documentée, le 14 mars dernier, devant le Cercle Algérianiste de Marseille, que préside Jean-Louis Hueber : Mythes et manipulations de l'histoire africaine - Mensonge et repentance. La soirée, parfaitement réussie, devait s'achever par un repas regroupant de nombreux convives. Nous avons assuré l'enregistrement vidéo de la conférence de Bernard Lugan et, compte tenu de la masse d'informations qu'elle apporte sur la situation présente de l'Afrique, où la France se trouve actuellement engagée, nous la reproduisons ici. Nous remercions chaleureusement le Cercle algérianiste de nous y avoir autorisés.  

  • HISTOIRE • Pierre de Meuse sur TV Libertés : Les institutions représentatives de l'ancien régime

     

    Pierre de Meuse.jpgRéalisée par TV Libertés, mise en ligne le 10 mars dernier, dirigée par Pierre de Meuse, cette émission traite principalement des Institutions représentatives de l'ancien régime et démontre que contrairement à une opinion trop répandue, l'ancienne France avait une Constitution. Pierre de Meuse indique de surcroît que ce retour vers notre Histoire d'avant 1789 nous aide aussi à comprendre le temps présent. Il suffira pour s'en convaincre d'écouter cette très intéressante émission.     

     

     

     Source : TV Libertés

     

  • HISTOIRE • Michel de Jaeghere : « Le déclin de Rome, un avertissement » Par Raphaël de Gislain

     

    Directeur du Figaro Hors-Série et du Figaro Histoire, Michel De Jaeghere nous livre avec Les derniers jours – la fin de l’empire romain d’occident une analyse éblouissante des causes qui entraînèrent la chute d’une civilisation qui se croyait, comme la nôtre, immortelle.

    Peut-on dater précisément l’effondrement de la civilisation romaine ?

    Les ruptures dans l’histoire ne sont jamais absolues. Pour marquer la fin de l’empire romain, on retient traditionnellement la date de 476, celle de la déposition du dernier empereur d’Occident. Pour autant, la civilisation gréco-romaine ne s’est pas effondrée du jour au lendemain. L’empire était en crise depuis le début du Ve siècle, et la romanité s’est perpétuée au vie, pour servir de matrice aux renaissances qui ponctueront le Moyen Âge. Il y aura encore pendant des décennies un sénat et des consuls à Rome, et l’aristocratie maintiendra longtemps les usages de la vie romaine en Italie, dans le sud de la Gaule ou en Espagne.

    Contrairement à l’historiographie dominante, je me suis pourtant convaincu que 476 constituait une véritable rupture. La disparition de l’état romain n’a pas été sans conséquence. Elle a débouché sur un effondrement de la civilisation romaine. L’empire subsiste certes comme une prestigieuse fiction. Il y a toujours un empereur à Constantinople, et les références culturelles des rois barbares, comme Clovis, restent romaines. Beaucoup d’historiens en concluent aujourd’hui que la chute de l’état romain fut un détail sans importance puisque la romanité s’était maintenue sous une nouvelle forme. Je crois montrer à l’inverse que l’effondrement du pouvoir central a eu des conséquences catastrophiques du fait de l’interruption des échanges de longue distance, qui avaient été le vecteur de la prospérité romaine, de l’étiolement de la vie civique et de l’évergétisme (mécénat politique), qui avaient été au cœur de la civilisation antique – c’est par la carrière des armes qu’on s’élève désormais dans l’échelle sociale, non plus par la munificence dont on fait preuve à l’égard de ses concitoyens –, enfin de la disparition de la culture littéraire, qui réservera peu à peu l’usage de l’écriture aux clercs. à la fin du vie siècle, les grands seigneurs mérovingiens seront incapables de signer de leur nom, quand leurs homologues gallo-romains écrivaient, cent ans plus tôt, des vers précieux. Il s’était bien passé quelque chose entre temps.

    L’assimilation des peuples étrangers, l’un des fondements de la civilisation romaine, cesse soudain… Pourquoi ?

    Le ressort de la grandeur de Rome, comme l’a souligné Montesquieu, a été d’avoir su associer les vaincus à son destin. L’empire romain était depuis toujours un empire multiethnique et multiculturel, mais il avait fait l’objet d’une prudente et progressive politique de romanisation. La barbarie était aux yeux des Romains un état transitoire, dont il importait de faire sortir les peuples conquis en les faisant entrer dans la vie civique à quoi s’identifiait pour eux la civilisation. Après avoir humilié l’orgueil de leurs ennemis sur le terrain, leur avoir fait sentir leur domination en leur imposant de lourds tributs, ils favorisèrent, là où il n’existait pas, la mise en place d’un système d’administration municipale faisant prévaloir la discussion rationnelle sur la loi du plus fort. En même temps, ils encourageaient la diffusion de la culture littéraire par l’apprentissage du latin, et la diffusion de leurs mœurs par la construction de villes reprenant, avec leurs amphithéâtres, leurs aqueducs, leurs thermes, les canons de l’architecture romaine. Or, à la fin du IVe siècle, à la suite de la défaite d’Andrinople, marquée par la destruction d’une armée et la mort de l’empereur Valens sur le champ de bataille, Théodose est obligé de négocier une paix de compromis : il accueille les Goths dans l’empire sans les avoir soumis ; ils sont installés sur le sol romain dans le respect de leurs structures tribales. L’empereur espère faire d’eux des agriculteurs en même temps qu’une réserve de soldats, car l’armée comme la terre manquent de bras. On pense ainsi avoir trouvé une solution au changement de paradigme militaire : le passage de l’empire d’une guerre de conquête à une guerre défensive, qui mobilise des effectifs considérables, compte tenu de la longueur immense des frontières.

    Et cette solution de court terme s’est retournée contre Rome…

    En effet, les autorités romaines ont, sans s’en rendre compte, renié par là l’essence même de la romanité. Elles ont dans le même temps renoncé à leur rôle civilisateur et confié la guerre à des bandes étrangères. L’exemple n’en sera pas moins suivi tout au long du Ve siècle, débouchant sur la multiplication des enclaves étrangères, qui se considèreront peu à peu comme des principautés indépendantes. Les empereurs ont été condamnés à cet expédient par la faiblesse de la démographie romaine, le manque de ressources fiscales dans des provinces ravagées par les invasions, et par le peu d’appétence des populations de l’empire pour la carrière militaire. L’engagement dans les légions donnait traditionnellement accès à la citoyenneté romaine, mais, depuis l’édit de Caracalla (212), ce n’était plus un privilège puisque celle-ci avait été donnée à tous les habitants de l’empire. On manquait donc de candidats. La guerre défensive n’est pas très attirante, puisqu’elle vous condamne à partir loin de chez vous sans perspective d’amasser du butin. Les invasions qui se sont multipliées au ve siècle ont terrorisé les populations, renforcé leur sentiment d’appartenance à une romanitas opposée au barbaricum. Mais elles ne les ont pas conduites à s’engager en masse dans les légions. C’est peut-être là une leçon essentielle de l’histoire : les empires multinationaux sont très difficiles à défendre, car ils ne suscitent pas d’élan patriotique. Agrégat de peuples, ils ne sont pas une dilatation de la Cité. L’attachement que les populations leur portent est lié au fait que l’empire leur apporte paix et prospérité. Il ne crée pas le lien charnel qui justifie qu’on soit prêt à sacrifier sa vie, comme on le fait pour la défense de la terre de ses pères…

    Vous terminez par un chapitre en forme d’avertissement pour le lecteur. Que devons-nous voir que nous ne pourrions comprendre sans l’histoire de Rome ?

    Notre monde est ivre de sa prospérité, ivre de sa technologie qui lui procure une impression de toute puissance. Mon livre montre qu’il y a eu avant nous une civilisation qui était elle aussi extrêmement brillante et se croyait éternelle. Elle s’est effondrée sous le double jeu de l’immigration et des invasions, préludes à l’émergence de communautarismes qui la condamnèrent à la dislocation. Les barbares connaissaient suffisamment Rome pour avoir envie de profiter de ses richesses. On renonça à les coloniser car cela paraissait trop difficile et trop coûteux, sans penser que livrés à l’anarchie au-delà des frontières, ils seraient irrésistiblement attirés par les bienfaits de la civilisation. On les laissa s’installer sur le sol romain sans les avoir subjugués par la force, ni leur imposer le processus d’assimilation qui avait assuré, jusqu’alors, la romanisation des vaincus. Chacun est libre d’en tirer les conclusions qu’il veut pour notre temps. 

    Dernier livre paru : Les derniers jours : La fin de l’empire romain d’Occident, les Belles lettres, 658 p., 26,90 euros.

     

    Politique magazine

  • VOYAGES & HISTOIRE • Un quid marocain d'hier et d'aujourd'hui

    Le Maroc vu par Matteo Brondy © Copyright : DR

     

    Par Péroncel-Hugoz

    Jean-Pierre Péroncel-Hugoz s’est régalé cette semaine de la lecture d’un nouvel « Annuaire » foisonnant, sorte de Quid marocain, même s’il y mordille quelques petites erreurs …

    peroncel-hugoz 2.jpgD’abord quelle attrayante couverture néo-mauresque sur un splendide fond jaune citron-de-Berkane ! Mais je ne sais pas qui est ce «  John Franklin », natif d’Alger et fils d’une pied-noir. Ça explique sans doute son tropisme nord-africain, lequel, s’est spontanément étendu au Maroc.


    Le titre de son travail, « Annuaire amoureux du Maroc éternel » , m’a un peu agacé par son côté «  tendance » mais cette petite irritation a vite disparu à mesure que je découvrais l’incroyable richesse de ce volume, ses révélations, ses notes insolites, ses illustrations ; et cela va des sportifs aux écrivains, des parcs nationaux aux Sept-Saints de Marrakech, de Titouan Lamazou à Marcel Cerdan, des pistes de jadis aux autoroutes flambant neuves, de la Marche verte de 1975 aux bédés locales, de Léon l’Africain à Mohamed VI via les israélites autochtones, les célébrités étrangères nées au Maroc du téléaste Georges Pernoud au ministre gaullien Dominique de Villepin, etc. etc.

    Une forêt d’érudition vivante et souvent (mais pas toujours) actualisée. Il m’a fallu remonter jusqu’aux « Livres d’Or » du Maroc (1934) et d’Algérie (1937) pour rencontrer autant d’informations de ce type regroupées. J’ai quand même trouvé dans ces deux cents pages grand format quelques inexactitudes : non, il n’ y a jamais eu de cathédrale à Casa (seulement à Tanger et Rabat, là où le pape a nommé des évêques) et le tégévé marocain Tanger-Casa ne circulera qu’en 2017… 

    John Franklin, «  Annuaire amoureux du Maroc éternel », Col.Xénophon, Ed. Atelier-Folfer, 28260 - La Chaussée- d’Ivry / www.atelier-folfer.com/ 205 p. illustr. 30 € . Bientôt diffusé par les bonnes librairies au Maroc 

  • LIVRES & HISTOIRE • Mitterrand et de Gaulle : « unis dans une même défaite, celle de la France »

     

    PAR ÉRIC ZEMMOUR

    À travers le conflit entre les deux anciens présidents de la République, c'est la bataille de deux France que nous décrit Robert Schneider, l'ancien journaliste du Nouvel Obs. Eric Zemmour dresse, de son ouvrage une analyse brillante et riche en aperçus historiques ou politiques. La défaite des deux anciens présidents fut aussi celle de la France. Mais peut-être avant tout celle d'un régime qui rend inopérants l'intelligence et le talent des hommes qui le servent. 

    XVM6312673a-de1a-11e4-b137-20089febc440.jpgLe chêne et le roseau. Le héros et le politique. Le lion et le renard. Richelieu et Mazarin. Entre de Gaulle et Mitterrand, la comparaison court sous la plume. Opposition physique, politique, historique. Le héraut de la France libre et celui de la gauche unie. Mais la comparaison vient surtout à l'esprit de la gauche, quand les gaullistes de stricte obédience y voient un sacrilège, un abaissement de leur héros, figure dominant tout le XXe siècle français, et dont le seul rival est à leurs yeux le géant du XIXe siècle : Napoléon. Robert Schneider fut longtemps un patron respecté du service politique du Nouvel Observateur. Il fait tout ce qu'il peut pour hisser Mitterrand à hauteur de son illustre prédécesseur*. Parfois, sa main tremble, la corde se relâche ; on n'y croit plus. Mais Schneider ne se décourage pas. D'une plume plate mais ferme, il conduit son affaire sans mollir, dessinant les grands moments historiques de leur affrontement, 1940, 1946, 1958, 1965, forgeant la légende - démentie par l'intéressé - d'un Mitterrand hanté à l'Élysée par la figure tutélaire du « Connétable ». Ce n'est pas souvent neuf, mais toujours intéressant.

    Les institutions de la Ve République servent le propos de notre auteur, qui font de tout président élu par le peuple un monarque en puissance. Mitterrand est le dernier à avoir réussi à endosser l'habit de drap épais et de haute lignée découpé par de Gaulle pour la fonction. Ensuite est venu le temps des nains. Mitterrand avait prévenu: « Après moi, il n'y aura plus de grand président. » Il est vrai - et c'est là où réside sa perversité soigneusement éludée par notre auteur - qu'il a tout fait pour cela.

    Les deux hommes venaient de la même France terrienne et catholique. Pas étonnant qu'ils aient tous deux été désarçonnés par la révolution urbaine et cosmopolite que fut Mai 68. De Gaulle l'affronta et tomba les armes à la main, tandis que Mitterrand l'embrassa pour mieux la dominer.

    « Mêmes racines, même empreinte catholique, même bagage littéraire et historique, ou presque. Même soif de lectures, même besoin d'écriture, même autorité naturelle, même emprise sur les autres, même aptitude naturelle au commandement, même certitude d'un destin… Comparé à ces convergences venues de loin, ce qui les sépare paraît de peu de poids. »

    Schneider voit la cause de leur affrontement non dans leurs différences, mais dans leurs ressemblances. Enfants de la même France millénaire, avec le même tempérament impérieux, le plus jeune ne pouvait se soumettre au plus ancien, rébellion que ne pouvait souffrir l'aîné. « Formés au même moule, ils se sont trop bien compris. » Explication classique, psychologique, journalistique. Explication qui n'est pas fausse. Mais peut-être trop évidente pour être profonde. Schneider constate leur différence de génération - « Bien sûr, ils ne sont pas de la même génération. Vingt-six ans chargés d'histoire les séparent » - mais n'en déduit rien. Et si le cœur de cette « bataille des deux France » se trouvait là, trop visible pour être vu ?

    De Gaulle appartient à la génération d'avant la guerre de 1914. Celle de la Revanche. Celle qui croit encore que la France peut dominer l'Europe. Celle qui croit encore que la guerre est l'outil privilégié de la grandeur française. Comme sous Louis XIV ou Napoléon. À 23 ans, au cours d'une conférence intitulée Du patriotisme, de Gaulle écrit : « La guerre développe dans le cœur de l'homme beaucoup de ce qu'il y a de bien ; la paix y laisse croître ce qu'il y a de mal.»

    Jeunesses françaises aux antipodes

    Cette certitude française s'effondre dans les tranchées. Les derniers héros de l'histoire de France enterrent là leurs illusions séculaires. Mitterrand est né en 1916. Il est de la génération qui n'y croit plus. Ni en la France ni en la guerre. Jeune homme, Mitterrand écrit à son ami Georges Dayan : « Quel crime la guerre. C'est l'épouvante et la misère des hommes. » Son dernier discours de président, en 1995, répétera son cri de jeunesse : « Le nationalisme, c'est la guerre. » Mitterrand appartient à la première génération pacifiste de l'histoire de France. De Gaulle est un homme du XIXe siècle, Mitterrand du XXe. De Gaulle est plus près de Clemenceau ou Poincaré, Mitterrand d'Aristide Briand. Leurs choix fondamentaux sont héritiers de ces jeunesses françaises aux antipodes. De Gaulle croit d'abord en la France éternelle, où la république n'est qu'un régime parmi d'autres, le mieux adapté à notre époque, mais pas le plus glorieux. Mitterrand défend d'abord la république, imagine ingénument à la Libération qu'on peut inventer une France nouvelle, même si son goût pour l'histoire et son esthétisme charnel le relient à la France des rois et des terroirs. De Gaulle liquide l'Algérie mais la remplace par la bombe atomique. Mitterrand liquide le socialisme et le remplace par l'Europe. De Gaulle traite l'ONU de « machin ». Mitterrand y voit « un embryon de gouvernement mondial » et peuple les organisations internationales de Français. De Gaulle défend farouchement la souveraineté nationale contre l'Europe. Mitterrand la fond sans état d'âme dans l'Europe. Mitterrand a raison de pointer la suite cruelle d'échecs de De Gaulle, en Algérie comme en Europe ; tentative vaine pour ressusciter une Europe sous hégémonie française, à chaque fois vaincue par l'imperium américain, et la résistance sourde de l'Allemagne.

    Mais Schneider néglige le fait que Mitterrand a lui aussi perdu sa bataille pour l'Europe fédérale, celle de Maastricht, qui « ligoterait l'Allemagne en lui enlevant le mark, sa bombe atomique ». L'Europe est devenue une construction oligarchique, qui dérive de plus en plus, sous domination allemande, vers une sorte de Saint-Empire américain germanique, que Mitterrand comme de Gaulle tentait justement de repousser. De Gaulle et Mitterrand ont chacun incarné une certaine idée de la France et de l'Europe ; et deux tentatives désespérées et antagonistes de sauver l'hégémonie française sur le Continent. Ils seront unis dans une même défaite, celle de la France.

    *De Gaulle & Mitterrand, Robert Schneider, Éd. Perrin. 227 p., 17,90 €

    Eric Zemmour            

  • HISTOIRE & ACTUALITE • Retour sur « Mannesmann »… Ou : un « Maroc allemand » a-t-il existé ? Par Péroncel-Hugoz *

    Reinhard et  Max Mannesmann

     

    Une grande marque de fabrique allemande, qui brilla sur le Maroc d’avant le Protectorat franco-espagnol, est de retour dans l’ancienne Fédala *. Commentaires.

    peroncel-hugoz 2.jpg« MANNESMANN » : le nom s’étale en caractères d'imprimerie sur des panneaux publicitaires posés depuis peu dans les avenues de Mohammédia et nous ramènent plus d’un siècle en arrière lorsque les ambitions marocaines de l’empereur d’Allemagne concurrençaient fortement celles de la République française. C’est vrai que depuis la nomination au Maroc du général Lyautey, en 1912, comme résident général de France près Sa Majesté chérifienne, alors le sultan Moulay-Hafid, le mot « Mannesmann » avait vite disparu de Fédala et du reste de la Chérifie, tout en se maintenant, il est vrai, sous la forme populaire, simplifiée, quand on l’écrivait en arabe ou en français, dans le terme « MANESMAN ». Il y eut donc la « plage Manesman », et « l’îlot Manesman » pas très loin de la corniche et du port. Les pubs de 2015 ont remis en selle la version longue et compliquée de ce patronyme allemand, celui d’une lignée industrielle aussi fameuse alors que celle des Krupp.

    Les panneaux de ce printemps ne nous annoncent pas une ressurection au Maroc, un retour de la firme géante germanique mais une opération immobilière sur la portion du littoral océanique ayant appartenu il y a plus de 100 ans, aux maîtres de l’acier rhénan. Soutenu par la Banque BNP-Paribas, l’Atelier d’architectes Mohamed Lamnaouar va «restructurer» les installations actuelles, surtout des pavillons de plages légers et lancer un «lotissement pieds dans l’eau», comme la côte entre Casablanca et Rabat en compte déjà plusieurs dizaines – hélas ! la plupart du temps sans laisser quelques petits morceaux de maquis ou de forêts pour les promeneurs, les lapins et les tortues terrestres … L’autre plaie de ces résidences balnéaires, ce sont les dépôts «sauvages» de gravats et autres déchets que certains entrepreneurs se font un devoir, si possible la nuit, d’aller déposer sur le terrain du concurrent … Du côté des plages Dahomey ou David, vers Bouznika, les dernières pinèdes, les derniers troupeaux de bovins ou ovins doivent s’accommoder maintenant des débris de matériaux de construction déversés en énormes tas au bord des pistes ou au beau milieu des pâturages … 

    Les frères Mannesmann, jadis, avaient hérité en Allemagne d’une fortune bâtie d’abord dans la fabrication des couteaux et qui prit un essor gigantesque vers 1885. Les six frères allemand propriétaires de ce patrimoine économique profitèrent de l’accord euro-chérifien d’Algéciras, en 1906, en Espagne, pour proposer leurs services au sultan Abdelaziz puis à son frère et successeur Abdelhafid.  Ces ambitions industrielles notamment minières, s’accompagnèrent d’un véritable coup de foudre collectif pour les beautés naturelles du Maroc, particulièrement en cette Chaouïa côtière ou intérieure, alors peu peuplée et donc souvent en friche. Les six frères obtinrent du Makhzen à Fédala et alentour, huit concessions agricoles totalisant, dit-on, 50 000 hectares dont une partie fut aussitôt défrichée de ses doums, en association avec des paysans du cru. 

    Reinhard Mannesmann, l’aîné, vint avec sa jeune épouse Ruthilde pour un long, très long voyage de noces, ambulant, au Maroc, circulant avec une véritable smala de gardes, serviteurs, cavaliers, chevaux, mulets, etc. A ses heures libres, le nouveau marié se livrait à la prospection minière, comptabilisant, assure-t-on, plusieurs centaines de gisements divers. Ses cinq frères plus jeunes visitaient le pays avec l’accord du Palais. Robert devait mourir à Safi tandis qu’Otto, irait rendre l’âme en Libye où, pour se changer les idées, il s’était fait nommer consul un temps par le Kaiser de Berlin. Tous ces voyages, ces projets, ces concessions de la sextuple fratrie volèrent en éclats avec l’arrivée du germophobe Lyautey et surtout la guerre franco-allemande, déclenchée en 1914 et qui allait permettre à Paris de récupérer l’Alsace-Lorraine conquise par l’Empire allemand en 1870. Lyautey fit même fusiller pour « espionnage » un ami des Mannesmann qui avait eu l’imprudence ( et l’impudence ?) de rester dans l’Empire chérifien après l’installation des Français … 

    Le « Maroc allemand » n’a pas existé mais, outre la fratrie industrielle, de nombreux autres sujets du Kaiser marquèrent alors l’Histoire du Maroc, du journaliste Siegried Genthe au navigateur Leonard Karow, qui commanda le « Turki », bateau du sultan, au frappeur de monnaie Gustave Franck via le lieutenant Walter Rottenburg, bâtisseur à Rabat, au quartier de l’Océan, d’un fortin sultanien, etc. etc. Nous reparlerons peut-être de ces Germains de Chérifie, surtout si des historiens marocains actuels commencent à s’intéresser à cette « période allemande » du Maroc que le retour du nom de MANNESMANN est en train de nous rappeler.  •


    LIRE.  « L’héritage colonial du Maroc », sous la direction d’Herbet Popp et Mohamed Ait-Hawza, est un ouvrage collectif richement illustré, fruit d’une collaboration exclusivement marocco-allemande et qe l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) de Rabat, a eu la bonne idée d’éditer en français, sur la base des résultats du VIIIe  colloque germano-marocain de Bayreuth (Bavière) en 2011. Ce travail renouvelle en grande partie la vision qu’on a du Protectorat français (1912-1956). 


    * L’origine du toponyme berbère « Fédala » reste obscure et se perd dans la nuit des temps comme « Mogador » ou « Mazagan ». Les Européens écrivirent d’abord «Fédhala» puis les Marocains débaptisèrent cette ville en l’honneur de Mohamed V et orthographièrent le nouveau toponyme « Mohamédia » car le monarque de l’époque ne redoublait pas en français le second « m » de son prénom. Avec le roi Mohammed VI qui l’a fait, le nom de la ville s’est du coup orthographié « Mohammedia ». Comme le constatait le romancier et grand voyageur Paul Morand, longtemps résident à Tanger, « Chaque époque se reflète dans ses orthographes »…

    Péroncel-Hugoz - Le 360

     

  • HISTOIRE • Jean-François Solnon : « Le goût, un miroir du pouvoir » Par Raphaël de Gislain

    Et si l’exercice d’un goût personnel ou d’une passion aidait à l’exercice du pouvoir ? Avec Le Goût des rois, Jean-François Solnon, agrégé d’histoire et docteur ès-lettres, nous emmène dans les jardins secrets des souverains, pour tenter de comprendre les hommes derrière les monarques.

    Un roi se doit-il d’avoir du goût pour exercer son métier ?

    On a vu des chefs d’État à travers le monde avoir le goût des arts et être des tyrans ! Le goût n’est pas indispensable à l’exercice du métier de roi. Mais on peut penser comme Pompidou qu’en se nourrissant intellectuellement, on devient plus à même de traiter les problèmes d’un pays. Le goût est à la fois une ouverture sur le monde et une façon de saluer l’héritage du passé, en tentant de l’égaler, de le surpasser. Obsédée par l’Antiquité, la Renaissance a été guidée par cet esprit d’imitation et de dépassement, dans un mouvement d’élan de la civilisation. Les souverains qui ont, à des degrés divers, manifesté un goût pour les arts ou les sciences, sans posséder forcément la clé pour gouverner au mieux, ont pu bénéficier d’une envergure, d’une ampleur bénéfique à leur politique.

    Vous montrez un Henri III fou de danse, un Louis XIII mélomane, un Louis XIV guitariste, un Napoléon III historien… Ces visages sont parfois à l’opposé des masques que nous leur connaissons. Le pouvoir a-t-il contrarié la nature des souverains ?

    En se tenant au plus près de certains souverains, on découvre en eux des richesses insoupçonnées. Prenons l’exemple de Louis XIII, roi ombrageux et discret, dominé par la figure de Richelieu. On s’aperçoit que sa vie était vouée à la musique et qu’il composait… De même pour Louis XVI, que l’on présente comme un roi immobile, presque paralysé ; il aimait par-dessus tout la géographie et les grands voyages !

    Ainsi, lors d’un déplacement à Cherbourg, fait-il montre d’une connaissance de la mer et des navires qui épate les officiers de marine. Que l’on se souvienne de ses dernières paroles sur l’échafaud, qui laissent entendre toute sa passion pour les lointaines expéditions : « Avez-vous des nouvelles de monsieur de La Pérouse ? » Le roi exprime là sa nature profonde, celle d’un homme ouvert et cultivé, que l’on prend pourtant pour un aimable benêt… Le cas de Napoléon III est peut-être encore plus flagrant. Malgré sa réhabilitation depuis déjà presque un siècle et le fait que tous les historiens soulignent l’importance de son règne, son image demeure modelée par les pamphlets de Victor Hugo ; on ne reconnaît rien de son rôle fondamental en matière de culture, de lecture, de sciences, d’archéologie. Ces exemples nous enseignent que l’exercice du pouvoir ne contrarie pas les natures. Au contraire, il met à la disposition du souverain tous les moyens nécessaires pour pratiquer une passion, pour la magnifier, ce qui profite à son règne.

    Les rois donnent le ton, leurs goûts sont suivis… Peut-on dire que leurs choix souvent personnels ont forgé, sinon le bon goût, le goût français ?

    Qui pourrait juger du bon ou du mauvais goût rétrospectivement ? Qu’est-ce que le bon goût à l’époque de Louis XIII ou de François Ier ? L’idée que nous pouvons nous en faire ne peut être que faussée par les temps. Ainsi, l’ouverture à l’art italien apparaît-elle aujourd’hui comme la marque du bon goût vers 1500. Mais à l’époque, personne n’en a conscience. On reste attaché à des formes familières, médiévales et gothiques… Lorsque les hommes de Charles VIII ou de Louis XII découvrent l’Italie, c’est la chartreuse de Pavie qu’ils admirent, dont la luxuriante façade leur rappelle le style flamboyant. Ils n’ont rien vu de l’art épuré de Brunelleschi, que nous considérons pourtant comme le point de départ de la Renaissance et l’expression du goût a posteriori… D’un point de vue historique, la question du bon goût n’a donc pas vraiment sa place.

    En revanche, on peut dire que la succession des souverains a permis l’édification d’un goût français. Nombre d’entre eux ont favorisé ou même imposé le développement d’activités artistiques ou scientifiques. Prenons l’exemple de Louis XIV. Malgré une formation intellectuelle peu théorique, il a été capable de protéger Racine, Boileau et surtout Molière contre l’avis de la Cour et de sa mère. En ce sens, il a participé incontestablement à la formation du goût français. Il est d’ailleurs, avec Napoléon, celui qui s’est passionné pour le plus grand nombre de disciplines. Ce qui est remarquable, c’est que chaque souverain a contribué à l’élaboration de cet esprit, selon ses centres d’intérêt, qu’il se soit agi de musique, de peinture ou de tout autre domaine.

    Le goût se révèle-t-il une arme politique ?

    Oui, il peut l’être. Le goût est un moyen politique quand il s’exprime par la voie d’un mécénat officiel. C’est la dimension que l’on connaît le mieux et c’est précisément celle que j’ai voulu éviter. La tâche n’est pas aisée : lorsqu’un souverain crée des bâtiments, on ne sait jamais s’il agit pour son image de marque, pour la postérité ou bien si c’est véritablement une passion à laquelle il s’adonne. Il existe tout de même des critères : un Henri IV, un Louis XIV ou un Louis XV sont capables de lire des plans, de les dessiner. Ils se rendent sur les chantiers pour voir comment s’élabore une œuvre, pour débattre avec les architectes… Ils se tiennent au plus près de la création. Ce sont des hommes de l’art. On touche-là au goût personnel, même si un doute peut toujours subsister…

    Votre ouvrage s’arrête au second Empire… Le goût est-il incompatible avec les républiques qui suivent?

    La réponse est non, même si j’avoue que j’espérais pouvoir remonter jusqu’à la Ve République et que l’exercice s’est avéré compliqué… Jusqu’à ces dernières années, les hommes politiques ont été en général bien formés, le plus souvent par les Jésuites, les Oratoriens ou l’enseignement public. Ils ont appris le grec et le latin et pouvaient encore être de grande culture. Que l’on pense à Pompidou, qui citait Paul Eluard dans ses conférences de presse… On sent bien qu’un Sarkozy ou un Hollande n’ont pas suivi un tel cursus. Tout ceci semble s’être évanoui parce que la formation de nos hommes politiques n’est plus fondée sur les humanités. Aujourd’hui, il y a l’ENA… à la différence des souverains d’hier, les hommes politiques passent et cultivent des jardins qu’ils veulent le plus souvent garder secrets. J’ai un peu l’impression que dans l’expression d’un goût aujourd’hui, on veut sacrifier d’une manière systématique aux avant-gardes et à une modernité impérieuse voire impérialiste. Ce terrorisme intellectuel fait que des hommes, mêmes cultivés, n’osent plus donner leur sentiment. Il faut avoir à l’esprit que la simplicité, la pauvreté des discours actuels est peut être voulue, à des fins politiques…

    Dernier livre paru : Le Goût des Rois, de Jean-François Solnon, Perrin, 348 p., 22 euros.

     Politique magazine

     

  • CULTURE • Institut Iliade, de l’histoire à l’identité, par Louis Anders*

    Nous mettrons en ligne, demain dimanche, deux heures d'interventions et de débats en hommage à Jean-François Mattei, à l'occasion de la parution de son ouvrage posthume, L'Homme dévasté. En publiant la note qui suit sur les activités et réflexions de l'Institut Iliade, nous n'oublions pas que Jean-François Mattei avait aussi écrit un précédent livre intitulé « Le regard vide, essai sur l'épuisement de la culture européenne » (Flammarion, 2007) Le dit épuisement était, en effet, l'un de ses soucis majeurs. Nos lecteurs que cette note sur le denier colloque de l'Institut Iliade aura intéressés pourront suivre, demain, la vidéo de la table ronde d'hommage à Jean-François Mattei, que nous venons d'évoquer. L'une et l'autre sont dans un même ordre de préoccupations. LFAR     

     

    « A Brocéliande, on ne se balade pas (…) ; c’est la forêt qui entre en vous »… Ce pourrait être un vers de poète, mais c’est une conférence de Marie Monvoisin, spécialiste des traditions bretonnes, qui explique l’univers esthétique au temps des tribus celtes. En fond, sur un grand écran, défilent des photos supportant le propos. Sur les côtés de l’estrade, deux grandes tapisseries de six mètres encadrent les participants.

    Pour son deuxième colloque, l’institut Iliade a fait les choses en grand et loué la Maison de la Chimie le temps d’un après-midi pour décrire « l’univers esthétique des européens ».


    Européenne, la réunion l’est, avec les interventions de l’écrivain belge Christopher Gérard, du penseur espagnol Javier Portella, de l’éditeur serbe Slobodan Despot ou d’un universitaire allemand. S’y ajoute des philosophes féconds comme Alain de Benoist (qui parlera de l’art européen comme celui de la représentation) ou Jean-François Gautier (qui fera un cours sur la polyphonie).

    Nouveau venu dans les milieux dits de droite, l’institut Iliade représente un courant historique et identitaire, celui de feu Dominique Venner. Crée il y a neuf mois, il compte développer une activité historique et culturelle, en proposant notamment des colloques annuels et en dispensant une formation de dix-huit mois à ceux qui le souhaitent.

    La demande est là : samedi 25 avril, plus de 600 personnes se pressaient au colloque, dont un nombre conséquent de jeunes. Les livres proposés sur les ateliers sont partis comme des petits pains. A l’heure où le ministère de l’Éducation nationale raye de la carte l’histoire des peuples de France, à l’heure où l’ancien directeur de l’Institut national de la recherche archéologique préventive – nommé par le gouvernement – conteste les lointaines origines indo-européennes (cf http://www.seuil.com/livre-9782020296915.htm), les Français se pressent pour reconnaître leurs racines. « Connais-toi toi-même », était-il écrit à l’entrée du temple de Delphes dans la Grèce ancienne. Dont acte. 

    *   - Politique magazine

     

  • Le Grand Remplacement de l’Histoire de France, vu par Julien Langard* dans Boulevard Voltaire

     

    Jean Sévillia a été l'un des premiers et initialement l'un des rares, à analyser les méthodes du politiquement correct, moralement correct, historiquement correct, etc. Nombreux sont ceux qui s'attachent aujourd'hui à réaliser le même travail critique et l'actualité leur en fournit de nouveaux motifs. Exemple : la réflexion que livre ici Julien Langard à propos de l'Histoire. 

    54a913395ee69a35a830d1860b9f1a09 vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv.pngPlus un mensonge est gros, plus il passe… Cet adage illustre à merveille la manière dont ont été présentés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) les projets de nouveaux programmes d’histoire au collège.

    En effet, le préambule des nouveaux programmes dévoilés le 13 avril dernier précise que ce projet ne fait pas « disparaître le cadre national, ni la perspective chronologique propre à l’histoire » et que « dans un ordre chronologique, le programme permet de mieux lire et comprendre le monde d’aujourd’hui en insistant sur des moments forts, des traits marquants des sociétés du passé et des problématiques indispensables à la formation du citoyen ».

    Il s’agit là d’un mensonge grossier, d’un véritable déni de la réalité.

    Déjà supprimée au lycée (rappelons, pour mémoire, que les élèves de 1re étudient aujourd’hui la Seconde Guerre mondiale avant même d’avoir étudié le totalitarisme nazi et soviétique), l’histoire chronologique parvenait jusqu’à présent à survivre tant bien que mal au collège. Ce temps est révolu. Ainsi en 5e, le programme se divise non pas en période chronologique – comme, par exemple, les Mérovingiens, les Carolingiens, les Capétiens – mais par thèmes – la Méditerranée, un monde d’échange, Sociétés, Église et pouvoir politique dans l’occident chrétien, Nouveaux mondes, nouvelles idées.

    Mais ce n’est pas tout. Le CSP a décidé qu’environ les 2/3 de l’Histoire de France seraient désormais traités selon « le libre choix des professeurs » en créant une distinction arbitraire entre des thèmes obligatoires et des thèmes facultatifs. Par exemple, en classe de 5e, l’étude de l’islam devient obligatoire mais l’Occident chrétien au Moyen Âge, l’Empire carolingien ou l’Empire byzantin deviennent facultatifs, de même que l’humanisme, la Réforme protestante et les guerres de religion.

    En classe de 4e, la traite négrière est obligatoire mais l’étude de la société du XVIIIe siècle, les Lumières et la révolution américaine deviennent facultatives. L’histoire politique du XIXe s’interrompt, quant à elle, à la fin du Premier Empire en 1815 pour reprendre sous la IIIe République ; exit la Restauration, la monarchie de Juillet et le Second Empire.

    Enfin, en classe de 3e, la Seconde Guerre mondiale n’est principalement étudiée que sous le prisme du génocide des Juifs et des Tsiganes, des déportations et de l’univers concentrationnaire. Pearl Harbor, Stalingrad et le débarquement de Normandie vont donc rejoindre le catalogue des grandes batailles dont vos enfants n’entendront jamais parler aux côtés de Marathon, Salamine, Actium, les champs Catalauniques, Poitiers, Bouvines, Azincourt, Marignan, Lépante, Fontenoy, Valmy, Trafalgar, Camerone, la Marne, etc.

    Ces nouveaux programmes finissent donc de dynamiter les vestiges d’une histoire nationale déjà en partie ruinée par trente années de pédagogisme démagogique. D’un collège à l’autre, les élèves apprendront une Histoire de France différente selon les choix programmatiques du professeur et le socle commun sera largement dominé par une histoire « venue d’ailleurs », marquée par le culte perpétuel de l’excuse et de la repentance.

    Alors que l’Histoire fut au XIXe siècle la pierre angulaire de l’élaboration de notre « roman national », elle est aujourd’hui utilisée comme une véritable arme de sabotage pour spolier les jeunes générations de leur identité et de leur droit le plus légitime au « sentiment d’appartenir à une nation ».   

    Sur ce sujet, l'on pourra aussi écouter utilement Laurent WETZEL sur le thème «Ils ont tué l'Histoire-Géo », traité lors d'un Café Politique de Lafautearousseau, à Marseille, le 15.12.2012. Pour lire la vidéo, cliquez

    ICI

  • Un désastre annoncé pour l’histoire-géo à l’école et au collège ... Charabia et inanité, par Laurent WETZEL

    Réforme des collèges ? Laurent Wetzel revient ici sur le cas spécifique - mais non isolé - de l'histoire-géo. Cette note parue dans Boulevard Voltaire nous rappelle que, peu après la parution de son ouvrage Ils ont tué l'histoire géo, Laurent Wetzel avait été l'invité de l'un de nos Cafés poliques de Lafautearousseau à Marseille (15.12.2012). Nous avons plaisir à reproduire ici la vidéo de ce Café où son intervention avait été très appréciée et dont les participants ont conservé un excellent souvenir. Il n'est pas interdit à ceux qui le souhaiteront de l'écouter ou de le réécouter ! LFAR   

     

    77fa10fd2eaf9bec1bd6247871c0add5 vvvvv.jpgEn 2013, Vincent Peillon a installé en grande pompe le Conseil supérieur des programmes (CSP) à l’Institut de France. Il a désigné, pour le présider, le fameux recteur Alain Boissinot, qui a toujours servi simultanément le gouvernement en place et le gouvernement suivant. Auquel a succédé le grand géographe Michel Lussault, auteur de L’homme spatial (sic). Le CSP serait nécessairement compétent et efficace puisqu’il devait comporter, paritairement, neuf hommes et neuf femmes. Pour rédiger les projets de programmes à mettre en œuvre, à la rentrée 2016, à l’école et au collège, dans le public et le privé sous contrat, il a fait travailler une armée de spécialistes et d’experts, tous choisis pour « leur excellence dans leur domaine et leur connaissance du système éducatif », avec deux objectifs : la promotion du « vivre ensemble » et « le succès scolaire pour tous ». Pas moins.

    Ces projets viennent d’être publiés avec l’approbation de Najat Vallaud-Belkacem, après le feu vert donné par l’Élysée et Matignon.

    Quant à l’histoire et à la géographie, ce qui les caractérise, c’est le charabia et l’inanité.

    En 2014, le CSP s’était engagé à « présenter les programmes de façon compréhensible par les non-spécialistes, qu’il s’agisse des professeurs, des parents et des élèves eux-mêmes ». Engagement non tenu. Le charabia sévit plus que jamais dans ces nouveaux programmes. Quelques perles pour illustrer mon propos : « Convoquer régulièrement les repères géographiques, les faire manipuler et réinvestir dans différents contextes et à différentes échelles », « S‘approprier un lexique spécifique en contexte », « Produire des messages à l’oral et à l’écrit », « Questionner la périodisation de l’histoire et pratiquer de conscients allers-retours au sein de la chronologie », « Pratiquer un espace de vie », « Mettre en relation les faits étudiés dans une démarche synchronique et/ou diachronique »…

    Ce charabia extravagant va de pair avec l’inanité des programmes proposés. Quelques observations non exhaustives à ce sujet :

    – Le mot « date » y est interdit de séjour, tandis que le vocable « repère » y pullule. Seule y figure la date 1892 : c’est en CM2, dans le cadre de l’expression « 1892 : la République fête ses cent ans » (sic).
    – Si « l’histoire du fait religieux » et « l’histoire des premières grandes migrations de l’humanité » durant la préhistoire et l’Antiquité doivent être étudiées, c’est uniquement pour « permettre à l’élève de mieux situer et comprendre les débats actuels » et l’« amener à voir autrement le monde d’aujourd’hui ». La politique politicienne n’y trouvera rien à redire.
    – Si « Charlemagne, roi et empereur » est mentionné en CM1, c’est parce que, faute d’incarner les « valeurs de la République », « sa figure est l’occasion d’observer les dynamiques territoriales d’un empire qui relèvent plus d’une logique européenne que française ». Il est vrai qu’Aix-la-Chapelle n’est pas bien loin de Maastricht.
    – Quatre rois de France sont cités en CM1, mais ensuite, plus aucun chef d’État ou de gouvernement n’est nommé, sauf Jules Ferry en CM2. On y cherche vainement Napoléon Ier ou Napoléon III, Georges Clemenceau ou Léon Blum, le général de Gaulle ou Georges Pompidou.
    – La « question du génocide juif doit être abordée » en CM2, mais seulement « dans le cadre de la France », comme si ce n’était pas essentiellement l’Allemagne hitlérienne qui avait conçu et mis en œuvre le massacre des Juifs d’Europe.
    – Les programmes de géographie sont corrompus par l’obsession du « développement durable » et celle de la « mondialisation ».

    L’UMP a délégué deux de ses plus brillants parlementaires pour siéger au CSP, la députée Annie Genevard, professeur de lettres, et le sénateur Jacques Grosperrin, professeur agrégé d’éducation physique et sportive. Ils ont approuvé ces projets. Ils représentent tous deux le département du Doubs et j’en suis personnellement affecté : la branche Wetzel de ma famille s’était installée à Morteau, il y a plus de deux siècles, en 1814… 

     

    Normalien de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, inspecteur d’académie – inspecteur pédagogique régional d’histoire-géographie honoraire

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    Café politique de Lafautearousseau, à Marseille, le 15.12.2012. Invité : Laurent Wetzel
     
     
  • HISTOIRE & SOCIETE • Patrice Gueniffey : Waterloo et les pièces de 2 euros ou le rapport des élites françaises avec leu

    Une reconstitution sera jouée en l'honneur du bicentenaire de la célèbre bataille . Crédits photo: Phil Thomason*

     

    Alors que le mémorial de la bataille de Waterloo est inauguré ce jeudi, les crispations autour de ces commémorations restent nombreuses. Patrice Gueniffey, grand spécialiste de Napoléon, analyse le rapport des élites françaises avec leur propre histoire.*

    Devant l'opposition de la diplomatie française - par ailleurs très silencieuse sur sa présence aux célébrations du bicentenaire - la Belgique a du retirer son projet d'émission de pièces de deux euros commémorant la bataille de Waterloo, dont le bicentenaire sera fêté le 18 juin prochain. Que vous inspire ce désaccord ?

    Les Belges ne voulaient pas célébrer une défaite de la France mais un évènement qui a changé le destin de l'Europe. Ce n'était donc pas une monnaie frappée contre notre pays mais une façon de commémorer une bataille décisive qui s'est déroulée sur le sol belge et a changé le destin de l'Europe, comme l'évoque Victor Hugo dans Les Misérables: «Ce jour-là, la perspective du genre humain a changé.» Il exagère un peu, mais c'est vrai que Waterloo est en quelque sorte le premier jour du dix-neuvième siècle. C'est le début d'un autre monde. La Belgique a ainsi été le théâtre d'un évènement qui a tout changé, et je pense que c'est cela qu'ils voulaient rappeler par cette émission de pièces de deux euros.

    Quant à la réaction française, il n'est, certes, jamais agréable de commémorer un évènement qui est une défaite. Pour les Allemands, voir célébrer 1918 ou 1945 n'est pas forcément très agréable non plus. Mais la réaction française se comprendrait si la France célébrait les victoires. Or, ce n'est pas le cas: elle n'a ainsi pas célébré Austerlitz en 2005. Depuis longtemps, notre pays ne commémore aucun évènement de son histoire. Par exemple, il n'y a pas eu non plus d'anniversaire du baptême de Clovis en 1996. Protester contre cette initiative, perçue comme la célébration d'une défaite, tout en refusant de célébrer les victoires entache la crédibilité de la réaction française.

    Il a en effet été reproché à Jacques Chirac de boycotter les cérémonies marquant la victoire d'Austerlitz. Pourquoi cette auto-flagellation ? Une partie des Français a-t-elle honte de son histoire ?

    C'est un trait typiquement français: de Chirac à Hollande inclus, nos élites détestent la France, les Français et leur histoire. Depuis les attentats du 11 janvier, notre nouveau «Clemenceau» s'est lancé dans un revival républicain -pour des raisons purement politiciennes et qui ne tiennent en rien à des convictions. D'où cette manifestation d'orgueil face à ce qui pourrait être perçu négativement comme la célébration d'une défaite. Tout cela est en réalité conjoncturel: s'il s'agissait de célébrer une victoire, il n'y aurait personne, puisque l'histoire de France est perçue comme foncièrement détestable par nos élites. C'est cela le fond de l'affaire.

    Cette perception négative de l'histoire de France est-elle récente ?

    On pourrait la dater des années 1980, où l'on commence à penser que la France incarne des valeurs universelles positives qui ont vu le jour à travers une histoire négative. Là est le paradoxe: considérer que la France se résume à des valeurs, qui sont forcément nées historiquement, mais que cette histoire est entièrement mauvaise. C'est un peu le drame français.

    Cette posture est adoptée dans le souci réel de proposer une version de notre histoire acceptable par toutes les composantes d'une population de plus en plus diverse. Pour ne fâcher personne, on épure l'histoire jusqu'à ce qu'il n'en reste que des valeurs. Alors effectivement on ne célèbre plus aucun évènement, sauf ceux qui ont une portée morale qui permet de les détacher de tout contexte historique. Il en reste une histoire qui se confond avec la morale, mais qui n'est plus de l'histoire. On ne garde ainsi que des choses qui incarnent soit le bien, par exemple la déclaration des droits de l'homme de 1789, soit le mal, comme Vichy. C'est un phénomène reIativement récent: François Mitterrand par exemple, très proche de de Gaulle là-dessus, portait un jugement plus nuancé sur notre histoire.

    Pour revenir à la bataille de Waterloo, que représente-t-elle dans l'histoire française et européenne ?

    Cette bataille marque la fin de l'épopée révolutionnaire et impériale: c'est vraiment là que prend fin la Révolution française avec la défaite de la France dans la longue lutte qui l'a mise aux prises avec l'Europe des rois. La France ne se relèvera jamais vraiment de cette défaite, mais en même temps le vainqueur - l'Europe des vieilles monarchies-  n'avait remporté qu'une demi-victoire: elle aussi était condamnée, à terme.

    D'un côté, c'est donc la fin d'une épopée et de l'autre, c'est le début d'un siècle relativement pacifique: cette défaite a permis de trouver un équilibre -fragile- mais qui a duré jusqu'en 1914. Waterloo est une tragédie pour la France mais inaugure un siècle de paix relative. C'est vraiment une date importante pour l'Europe et cela explique l'importance des commémorations qui seront organisées en Belgique au mois de juin.

    Cette bataille est d'ailleurs plus cruciale que celle d'Austerlitz, parce que celle-ci, certainement brillante, ne change pas l'histoire de l'Europe, tandis que Waterloo oui.

    Est-ce que c'est parce que cette bataille est le dernier épisode avant une paix fragile mais durable qu'elle possède encore une telle résonance dans la conscience collective deux cent ans après ?

    Oui, d'autant plus que c'est une bataille qui a inspiré écrivains et poètes tout au long du 19ème siècle. Cela fait partie de ces évènements dont la portée dépasse la réalité car Waterloo possède quelque chose de tragique. En 1815, les Français et les Anglais se font la guerre depuis vingt-trois ans, et en réalité depuis soixante-dix ans, et pour la première fois depuis longtemps ils se retrouvent face à face. Chacun sait que ce sera la bataille décisive, qui va décider de leur affrontement. Il y a donc quelque chose d'apocalyptique dans cet affrontement, qu'on ne trouve pas dans les batailles antérieures. C'est un combat à mort entre les deux ennemis qui se disputent la suprématie mondiale depuis un siècle, et les Anglais vont gagner.

    La portée de Waterloo dépasse la réalité. Les contemporains ont eu le sentiment d'avoir été les témoins d'un événement qui changeait la face du monde, le sentiment qu'il y aurait un avant et un après, que le monde ne serait plus ensuite ce qu'il était encore la veille. On ne peut dire cela d'aucune autre des grandes batailles napoléoniennes, ni Austerlitz, ni Wagram. Un peu comme le 11 Septembre, où l'idée s'est également immédiatement imposée que c'était un tournant dans l'histoire, que le monde entrait dans une nouvelle époque. Il se trouve qu'alors, en 1815, cette défaite de Napoléon allait permettre à l'Europe de souffler et de connaître plusieurs décennies de paix, ce qu'elle avait rarement connu.

    * Patrice Gueniffey est Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Son dernier ouvrage, «Bonaparte» (Gallimard, 862 p., 30 €), a reçu le grand prix de la biographie historique 2013.

    Entretien avec Anne-Laure Debaecker  - Figarovox

     

  • HISTOIRE & SOCIETE • 500 ans après son introduction par François 1er, la vigne revient à Chambord

    Château de Chambord. Le recensement effectué à la mort d’Henri II en 1552, témoigne de la présence de nombreuses vignes dans les fermes du château (photo FC). Elles reviennent. Presse locale é médias nous en parlent ...

     

    C'est en 1519 que le monarque bâtisseur de Chambord a fait venir 80 000 pieds de vigne de Bourgogne, aujourd'hui connus sous le nom de cépage « Romorantin ». Longtemps disparu du domaine, le voici replanté d'une très rare variété pré-phylloxérique ressuscitée par la famille Marionnet de Soings-en-Sologne. Les premiers pieds viennent d'être mis en terre.

    « Tant pour l’achapt de la quantité de quatre vingt milliers de complans de Beaune par luy achapté par ordonnance […] conduict lesdits complants depuis ladite ville de Beaune […] jusques en la ville de Romorantin… Iceluy complan ledit seigneur a ordonné estre planté ». C’est un extrait d’un courrier de 1518 des Archives Nationales relatant l’implantation de cépage Romorantin en Sologne. D’autre part, d’anciens plans de Chambord attestent qu’en 1786, six hectares des terres de la ferme de l’Ormetrou sur le domaine étaient plantés de vignes. Au début du XXIe siècle, officiellement le 12 juin 2015, les ceps retrouvent le terroir chambourdin. "C’est un projet patrimonial, environnemental et économique", explique Jean d’Haussonville, le directeur général du Domaine National de Chambord.

    Une vigne unique au monde

    dscf8029.jpgPatrimonial, car la moitié des pieds plantés, soit trois hectares, sont issus d’une sélection massale sur des plants pré-phylloxériques certifiés d’avant 1840. Ce sont des plants dits « francs de pied », n’ayant subi aucun greffage ni aucune transformation génétique. « Il y a 15 ans, nous avons récupéré 36 ares de cette vigne sur Soings-en-Sologne », raconte Jean-Sébastien Marionnet. Si bien que cette variété est aujourd’hui considérée comme la descendante la plus directe des "complans de Beaune" acheminés par François 1er en 1519. « A Chambord, nous les plantons sur une terre très sableuse, légèrement argileuse », explique le  vigneron au sein du domaine familial de "La Charmoise" à Soings. « Cela donnera un vin élégant et racé » promet son père, Henry Marionnet.

    Plantation entre pluies et éclaircies

    dscf8116.jpgLes ceps ont été mis en terre de manière très officielle vendredi 12 juin. Elus locaux et autorités de l’Etat ont été invités à chausser les gants pour la plantation symbolique autour de Guillaume Garot. L’ancien ministre délégué à l’Agroalimentaire et député PS de la Mayenne est depuis décembre 2014 président du conseil d’administration du Domaine National de Chambord. « Nous recréons la vigne de François 1er et nous élaborerons le vin de Chambord », s’enthousiasme Guillaume Garot. Cette idée inscrite dans le projet d’établissement du Domaine permettra, selon les prévisions, de récolter 300 000 €, voire plus. « Cet argent sera destiné à l’entretien du Domaine, particulièrement du mur d’enceinte », précise Jean d’Haussonville.

    De la nature en bouteille

    dscf8132.jpgLe classement du Domaine en site « Natura 2 000 » impose certaines obligations, notamment pour le maintien de la biodiversité. C’est Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, qui a exigé un travail biologique de ces vignes. Le savoir-faire de la famille Marionnet permettra même de produire un vin naturel, sans ajouts de soufre ou de produits œnologiques. En prime, le ministère octroie 800 000 € au Domaine National de Chambord pour créer un parcours promenade dans les vignes. « Nous nous inscrivons pleinement dans une démarche oeno-touristique », rebondit Jean d’Haussonville. Début juillet, la Maison des vins des AOC Cheverny et Cour-Cheverny installera un nouveau lieu d’accueil à Chambord.

    Quantités (très) limitées

    dscf8126.jpg« Nous prévoyons une production annuelle de 60 000 bouteilles », déclare Jean d’Haussonville, mais toutes ne contiendrons pas le vin issu des précieux pieds de Romorantin. En effet, une parcelle de pieds greffés complètera la gamme pour le blanc, et il faudra aussi compter avec des Pinot Noir et des Gamay pour élaborer un Cheverny rouge. « Nous sommes en attente de décrocher les AOC Cour-Cheverny et Cheverny. C’est en bonne voie », assure la directeur général de Chambord. Seul certitude, il n’y en aura pas pour tout le monde. Il faudra déjà attendre la première vendange prévue en 2019 (année des 500 ans du début de la construction du château). « Nous allons aussi lancer une campagne de mécénat des pieds de vigne ». Ainsi, pour 1 000 €, il sera possible de bénéficier d’un droit d’option sur trois bouteilles. 

     

    Nicolas Terrien

  • HISTOIRE • Spécial Musée de la Grande Guerre : une émissin de TV Libertés, dans la série Passé Présent

     

    Il s'agit d'un reportage exclusif de TVLibertés qui s’inscrit dans le centenaire de la Première guerre mondiale. Catherine Gourin et Philippe Conrad se sont rendus à Meaux au musée de la Grande Guerre. Ils ont été accueillis par les responsables du mémorial. 

    Excellentes explications et intéressante visite que vous pourrez suivre ce week-end grâce à TVLibertés, non moins excellente chaîne de télévison dont nous recommandons de suivre les programmes.  LFAR 

     

     

    Source : TVLibertés 

     

  • Littérature & Histoire • « Les Dieux ont soif » : une analyse clinique de la démence révolutionnaire

     

    [Lafautearousseau - Actualisé le 17.01.2016]

     

    "Les Dieux ont soif" est un roman d'Anatole France, publié en feuilleton dans la Revue de Paris du 15 octobre 1911 au 15 janvier 1912, puis en volume chez Calmann-Lévy à la mi juin 1912. 

    "La société devient enfer dès qu'on veut en faire un paradis." Cette pensée si juste de Gustave Thibon accompagne le lecteur tout au long de cette impeccable dissection de la démence révolutionnaire, qui renvoie à cette autre phrase, monstrueuse celle-là, prononcée par Staline, et qui "légitime" (!) tous les génocides : "Le problème, c'est les hommes; pas d'hommes, pas de problème !..." 

    De même que le personnage central du roman, le peintre raté Evariste Gamelin, fait irrésistiblement penser à la morale de la Fable d'Anouilh, "Le loup et la vipère" : "Petits garçons heureux, Hitler ou Robespierre, Combien de pauvres hères Qui seraient morts chez eux ?"...

    En voici quelques morceaux choisis, quelques "bonnes feuilles" dont la lecture sera intéressante à quelques jours de la commémoration de l'exécution de Louis XVI.

     

    TERREUR.jpg1. Chapitre 1, page 1 : la vraie devise de la République idéologique française

    "...Sur la façade...les emblèmes religieux avaient été martelés et l'on avait inscrit en lettres noires au-dessus de la porte la devise républicaine :

    Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort"... 

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    2. Chapitre 9, page 122

    "Evariste Gamelin devait entrer en fonctions le 14 septembre, lors de la réorganisation du Tribunal, divisé désormais en quatre sections, avec quinze jurés pour chacune. Les prisons regorgeaient : l'accusateur public travaillait dix-huit heures par jour. Aux défaites des armées, aux révoltes des provinces, aux conspirations, aux complots, aux trahisons, la Convention opposait la Terreur. Les Dieux avaient soif..."

     nouveau couilllard.jpg

    terreur guillotine.jpg3. Chapitre 13, page 204 : prière à Sainte Guillotine, comme les chrétiens priaient Sainte-Geneviève

    "...il voyait partout des conspirateurs et des traîtres.

    Et il songeait :

    "...République ! contre tant d'ennemis, secrets ou déclarés, tu n'as qu'un secours. Sainte Guillotine, sauve la patrie !..." 

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     4. Chapitre 15, pages 224/225/226 : pour Marie-Antoinette, c'est l'hallali...

    "Il fallait vider les prisons qui regorgeaient; il fallait juger, juger sans repos ni trêve. Assis contre les murailles tapissées de faisceaux et de bonnets rouges, comme leurs pareils sur les fleurs de lys, les juges gardaient la gravité, la tranquillité terrible de leurs prédécesseurs royaux. L'accusateur public et ses substituts, épuisés de fatigue, brûlés d'insomnie et d'eau-de-vie, ne secouaient leur accablement que par un violent effort; et leur mauvaise santé les rendait tragiques. Les jurés, divers d'origine et de caractère, les uns instruits, les autres ignares, lâches ou généreux, doux ou violents, hypocrites ou sincères, mais qui tous, dans le danger de la patrie et de la République, sentaient ou feignaient de sentir les mêmes angoisses, des brûler des mêmes flammes, tous atroces de vertu ou de peur, ne formaient qu'un seul être, une seule tête sourde, terreur tribunal.jpgirritée, une seule âme, une bête mystique, qui par l'exercice naturel de ses fonctions, produisait abondamment la mort. Bienveillants ou cruels par sensibilité, secoués soudain par un brusque mouvement de pitié, ils acquittaient avec des larmes un accusé qu'ils eussent, une heure auparavant, condamné avec des sarcasmes. A mesure qu'ils avançaient dans leur tâche, ils suivaient plus impétueusement les impulsions de leur coeur.

    Ils jugeaient dans la fièvre et dans la somnolence que leur donnait l'excès de travail, sous les excitations du dehors et les ordres du souverain, sous les menaces des sans-culottes et des tricoteuses pressés dans les tribunes et dans l'enceinte publique, d'après des témoignages forcenés, sur des réquisitoires frénétiques, dans un air empesté, qui appesantissait les cerveaux, faisait bourdonner les oreilles et battre les tempes et mettait un voile de sang sur les yeux. Des bruits vagues couraient dans le public sur des jurés corrompus par l'or des accusés. Mais à ces rumeurs le jury tout entier répondait par des protestations indignées et des condamnations impitoyables. Enfin, c'étaient des hommes, ni pires ni meilleurs que les autres. L'innocence, le plus souvent, est un bonheur et non pas une vertu : quiconque eût accepté de se mettre à leur place eût agi comme eux et accompli d'une âme médiocre ces tâches épouvantables.

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    Antoinette, tant attendue, vint enfin s'asseoir en robe noire dans le fauteuil fatal, au milieu d'un tel concert de haine que seule la certitude de l'issue qu'aurait le jugement en fit respecter les formes. Aux questions mortelles, l'accusée répondit tantôt avec l'instinct de la conservation, tantôt avec sa hauteur accoutumée,, et, une fois, grâce à l'infamie d'un de ses accusateurs, avec la majesté d'une mère. L'outrage et la calomnie seuls étaient permis aux témoins; la défense fut glacée d'effroi. Le tribunal, se contraignant à juger dans les règles, attendait que tout cela fût fini pour jeter la tête de l'Autrichienne à l'Europe..."
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    5. Chapitre 15, pages 229/230 : le jugement des Girondins... 

    "...Rentré chez lui, il reçut avis qu'il était nommé membre du conseil général de la Commune. Candidat depuis quatre mois, il avait été élu sans concurrent, après plusieurs scrutins, par une trentaine de suffrages. On ne votait plus : les sections étaient désertes; riches et pauvres ne cherchaient qu'à se  soustraire aux charges publiques. Les plus grands évènements n'excitaient plus ni enthousiasme ni curiosité; on ne lisait plus les journaux, Evariste doutait si, sur les sept cent mille habitants de la capitale, trois ou quatre mille seulement avaient encore l'âme républicaine.

    Ce jour-là, les Vingt et Un comparurent (ci dessous, l'arrestation des Girondins, ndlr).

    Girondins.pngInnocents ou coupables des malheurs et des crimes de la République, vains, imprudents, ambitieux et légers, à la fois modérés et violents, faibles dans la terreur comme dans la clémence, prompts à déclarer la guerre, lents à la conduire, traînés qu Tribunal sur l'exemple qu'ils avaient donné, ils n'étaient pas moins la jeunesse éclatante de la Révolution; ils en avaient été le charme et la gloire. Ce juge, qui va les interroger, avec une partialité savante; ce blême accusateur, qui, là, devant sa petite table, prépare leur mort et leur déshonneur; ces jurés, qui voudront tout-à-l'heure étouffer leur défense; ce public des tribunes, qui les couvre d'invectives et de huées, juge, jurés, peuple, ont naguère applaudi leur éloquence, célébré leurs talents, leurs vertus. Mais ils ne se souviennent plus.

    Evariste avait fait jadis son dieu de Vergniaud, son oracle de Brissot. Il ne se rappelait plus, et, s'il restait dans sa mémoire quelque vestige de son antique admiration, c'était pour concevoir que ces monstres avaient séduit les meilleurs citoyens..." 

     

    nouveau couilllard.jpg

    girondins madame rolland.jpg5bis. Chapitre 16, pages 237/238

    "...Les jours qui suivirent, le Tribunal s'occupa sans relâche d'anéantir le fédéralisme, qui, comme une hydre, avait menacé de dévorer la liberté.

    Ce furent des jours chargés; et les jurés, épuisés de fatigue, expédièrent le plus rapidement possible la femme Roland, inspiratrice ou complice des crimes de la faction brissotine..."

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    6. Chapitre 19, page 280

    "...La terreur, de mois en mois, grandissait. Chaque nuit, les geôliers ivres, accompagnés de leurs chiens de garde, allaient de cachot en cachot, portant des actes d'accusation, hurlant des noms qu'ils estropiaient, réveillaient les prisonniers et pour vingt victimes désignés en épouvantaient deux cents. Dans ces corridors, pleins d'ombres sanglantes, passaient chaque jour, sans une plainte, vingt, trente, cinquante condamnés, vieillards, femmes, adolescents, et si divers de condition, de caractère, de sentiment, qu'on se demandait s'ils n'avaient pas été tirés au sort..."

     

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    6bis. Chapitre 19, pages 283/284

    "... - J'ai été dénoncée comme royaliste. On m'accuse d'avoir conspiré pour délivrer la reine. Comme je vous savais ici, j'ai tout de suite cherché à vous voir. Ecoutez-moi, mon ami, car vous voulez bien que je vous donne ce nom ? Je connais des gens en place; j'ai, je le sais, des sympathies jusque dans le Comité de salut public. Je ferai agir des amis : ils me délivreront, et je vous délivrerai à mon tour.

    Mais Brotteaux, d'une voix qui se fit pressante :

    - Par tout ce que vous avez de cher, mon enfant, n'en faites rien ! N'écrivez pas, ne sollicitez pas; ne demandez rien à personne, je vous en conjure, faites-vous oublier.

    Comme elle ne semblait pas pénétrée de ce qu'il disait, il se  fit plus suppliant encore :

    terreur ce sont des choses.jpg- Gardez le silence. Rose, faites-vous oublier : là est le salut. Tout ce que vos amis tenteraient ne ferait que hâter votre perte. Gagnez du temps. Il en faut peu, très peu, j'espère, pour vous sauver. Surtout n'essayez pas d'émouvoir les juges, les jurés, un Gamelin. Ce ne sont pas des hommes, ce sont des choses : on ne  s'explique pas avec les choses. Faites-vous oublier. Si vous suivez mon conseil, mon amie, je mourrai heureux de vous avoir sauvé la vie..."

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    7. Chapitre 20, pages 286 à 290 (intégralité du chapitre) : la paranoïa enfle - comme dans Le grand air de la calomnie : "...Le tapage va croissant / À la fin elle déborde et éclate, se propage, redouble, / Et produit une explosion /Un séisme, un orage, / Un tumulte général...". Comme Staline, Gamelin voit des ennemis/traîtres partout...

    "Evariste Gamelin, pendant une longue audience du Tribunal, à son banc, dans l'air chaud, ferme les yeux et pense :

    "Les méchants, en forçant Marat à se cacher dans les trous, en avaient fait un oiseau de nuit, l'oiseau de Minerve, dont l'oeil perçait les conspirateurs dans les ténèbres, où ils se dissimulaient. Maintenant, c'est un regard bleu, froid, tranquille, qui pénètre les ennemis de l'Etat et dénonce les traîtres avec une subtilité inconnue même à l'Ami du peuple, endormi pour toujours dans le jardin des Cordeliers.  Le nouveau sauveur, aussi zélé et plus perspicace que le premier, voit ce que personne n'avait vu et son doigt levé répand la terreur. Il distingue les nuances délicates, imperceptibles, qui séparent le mal du bien, le vice de la vertu, que sans lui ont eût confondues, au dommage de la patrie et de la liberté; il trace devant lui la ligne mince, inflexible, en dehors de laquelle il n'est, à gauche et à droite, qu'erreur, crime et scélératesse. L'incorruptible enseigne comment on sert l'étranger par exagération et par faiblesse, en persécutant les cultes au nom de la raison, et en résistant au nom de la religion aux lois de la République. Non moins que les scélérats qui immolèrent Le Peltier et Marat, ceux qui leur décernent des honneurs divins pour compromettre leur mémoire servent l'étranger. Agent de l'étranger, quiconque rejette les idées d'ordre, de sagesse, d'opportunité; agent de l'étranger, quiconque outrage les moeurs, offense la vertu, et, dans le dérèglement de son coeur, nie Dieu. Les prêtres fanatiques méritent la mort; mais il y a une manière contre-révolutionnaire de combattre le fanatisme; il y a des abjurations criminelles. Modéré, on perd la République; violent, on la perd.

    TERREUR 6.jpgOh ! redoutables devoirs du juge, dictés par le plus sage des hommes ! Ce ne sont plus seulement les aristocrates, les fédéralistes , les scélérats de la faction d'Orléans, les ennemis déclarés de la patrie qu'il faut frapper. Le conspirateur, l'agent de l'étranger est un Protée, il prend toutes les formes. Il revêt l'apparence d'un patriote, d'un révolutionnaire, d'un ennemi des rois; il affecte l'audace d'un coeur qui en bat que pour la liberté; il enfle la voix et fait trembler les ennemis de la République : c'est Danton; sa violence cache mal son odieux modérantisme et sa corruption apparaît enfin. Le conspirateur, l'agent de l'étranger, c'est ce bègue éloquent qui mit à son chapeau la première cocarde des révolutionnaires, c'est ce pamphlétaire qui, dans son civisme ironique et cruel, s'appelait lui-même "le procureur de la lanterne", c'est Camille Desmoulins : il s'est décelé en défendant les généraux traîtres et en réclamant les mesures criminelles d'une clémence intempestive. C'est Philippeaux, c'est Hérault, c'est le méprisable Lacroix. Le conspirateur, l'agent de l'étranger, c'est ce père Duchesne qui avilit la liberté par sa basse démagogie et de qui les immondes calomnies rendirent Antoinette elle-même intéressante. C'est Chaumette, qu'on vit pourtant doux, populaire, modéré, bonhomme et vertueux, dans l'administration de la Commune, mais il était athée ! Les conspirateurs, les agents de l'étranger, ce sont tous ces sans-culottes en bonnet rouge, en carmagnole, en sabots, qui ont follement renchéri de patriotisme sur les jacobins. Le conspirateur, l'agent de l'étranger, c'est Anacharsis Cloots, l'orateur du genre humain, condamné à mort par toutes les monarchies du monde; mais on devait tout craindre de lui : il était Prussien. (Illustration : caricature royaliste, montrant Robespierre guillotinant un innocent, la pyramide derrière lui porte l'inscription "Ci-gît toute la France"; à rapprocher de la fameuse épitaphe apocryphe du même Robespierre : "Passant, ne pleure pas sur mon sort / Si je vivais tu serais mort !")

    Maintenant, violents et modérés, tous ces méchants, tous ces traîtres, Danton, Desmoulins, Hébert, Chaumette ont péri sous la hache. La République est sauvée; un concert de  louanges monte de tous les comités et de toutes les assemblées populaires vers Maximilien et la Montagne. Les bons citoyens s'écrient : "Dignes représentants d'un peuple libre, c'est en vain que les enfants des Titans ont levé leur tête altière : Montagne bienfaisante, Sinaï protecteur, de ton sein bouillonnant est sorti la foudre salutaire".

    En ce concert, le Tribunal a sa part de louanges. Qu'il est doux d'être vertueux et combien la reconnaissance publique est chère au coeur du juge intègre !

    TERREUR CHARLOTTE CORDAY.jpgCependant, pour un coeur patriote, quel sujet d'étonnement et quelles causes d'inquiétude ! Quoi ! pour trahir la cause populaire, ce n'était donc pas assez de Mirabeau, de La Fayette, de Bailly, de Pétion, de Brissot ? Il y fallait encore ceux qui ont dénoncé ces traîtres ? Quoi ! tous les hommes qui ont fait la Révolution ne l'ont faite que pour la perdre ! Ces grands auteurs des grandes journées préparaient avec Pitt et Cobourg la royauté d'Orléans ou la tutelle de Louis XVII. Quoi ! Danton, c'était Monk ! Quoi ! Chaumette et les hébertistes, plus perfides que les fédéralistes qu'ils ont poussé sous le couteau, avaient conjuré la ruine de l'empire ! Mais parmi ceux qui précipitent à la mort les perfides Danton et les perfides Chaumette, l'oeil bleu de Robespierre n'en découvrira-t-il pas de plus perfides encore ? Où s'arrêtera l'exécrable enchaînement des traîtres trahis et la perspicacité de l'Incorruptible..."  (Illustration : Charlotte Corday sur la charrette...) 
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    8. Chapitre 22, pages 298 à 301 : la Fête de l'Être suprême du 8 juin 1794 et la loi "de prairial" du 10 juin 94, ouvrant la "Grande Terreur" par suppression de tous les droits des accusés...

    Une montagne s'est élevée subitement dans le jardin des Tuileries. Le ciel est sans nuages. Maximilien marche devants es collègues en habit bleu, en culotte jaune, ayant à al main un bouquet d'épis, de bleuets et de coquelicots. Il gravit la montagne et annonce le dieu de Jean-Jacques à la République attendrie. Ô pureté ! ô douceur ! ô foi ! ô simplicité antique !  ô larmes de pitié ! ô rosée féconde ! ô clémence ! ô fraternité humaine !

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    En vain l'athéisme dresse encore sa face hideuse : Maximilien saisit une torche; les flammes dévorent le monstre et la Sagesse apparaît, d'une main montrant le ciel, de l'autre tenant une couronne d'étoiles.

    Sur l'estrade dressée contre le palais des Tuileries, Evariste, au milieu de la foule émue, verse de douces larmes et rend grâces à Dieu. Il voit s'ouvrir une ère de félicité.

    Il soupire :

    - Enfin nous serons heureux, purs, innocents, si les scélérats le permettent.

    Hélas ! les scélérats ne l'ont pas permis. Il faut encore des supplices; il faut encore verser des flots de sang impur. Trois jours après la fête